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Sarcelles : H.M née en 1972

c’est mon point de repère là où je suis arrivée, là où j’ai grandi

Ils étaient mariés bien avant que mon père ne vienne ici.

lundi 28 juin 2010, par Frederic Praud

H.M

Je suis née en 1972, au Maroc, dans la région d’Oujda près de la frontière algérienne dans une famille berbère. Mon père, né en1945, est arrivé dix ans avant ma mère à la période où ils recherchaient des personnes de l’étranger pour pouvoir travailler ici. Il est venu avec un contrat de travail. Il a travaillé dans une filiale de Citroën pour SOGAM à Stains. Ma mère est née en 1950. Mon père est arrivé majeur en 1955-60.

Nous sommes six enfants. Ma mère a eu des enfants au Maroc. Je suis arrivée en France à l’âge de trois ans en 1975. J’ai deux grands frères. Mon frère aîné est né en 1965. Je suis la quatrième sur six, donc deux enfants sont nés en France.

Le regroupement familial

Ma mère m’a parlé du fait que mon père était tout seul ici, et qu’elle et les enfants étaient restés là-bas. Je l’ai su. On en a parlé. Le choix de mon père était de venir travailler dans l’espoir de pouvoir nous ramener avec lui, parce que c’était une période difficile. Ce n’était pas évident pour lui. Il a travaillé, plus ses cours du soir pour apprendre la langue et pouvoir se débrouiller, et après faire les démarches. Il a eu des soucis par rapport à l’appartement. Il était difficile d’avoir un appartement qui puisse accueillir l’épouse plus les quatre enfants déjà nés. Il a fait une recherche et une fois qu’il a en a trouvé un suffisamment grand pour nous accueillir, il a fait le regroupement ; on est venu en 1975 au moment des autorisations de l’état français. Ils avaient favorisé le regroupement. Ma mère a vécu pendant dix ans avec quatre enfants, seule dans un village. Je suis allée dans ce village après, on a passé de très belles vacances là-bas. J’ai aujourd’hui trente-quatre ans.

Souvenirs de vacances

Ma mère nous a parlé de ces dix ans de séparation, mais elle était quand même bien entourée. C’était une situation difficile, mais il y avait la famille pour l’aider. Je ne pensais pas que c’était aussi long. Ils étaient mariés bien avant que mon père ne vienne ici. Mes parents faisaient partie du même village, mais pas de la même famille. Ils étaient voisins. Je n’y suis pas allée tous les ans parce que nous étions plusieurs et nous n’avions pas les moyens d’y aller. Mon père faisait en sorte de nous y emmener tous les deux ans, deux mois de vacances. Il s’arrangeait pour ne pas prendre de vacances une année, pour partir deux mois l’année suivante. Ma mère ne travaillait pas. On partait tous avec mon père. Là-bas au village, on s’amusait bien, on était dans la nature, on respirait le bon air. Je sais que j’ai passé de très belles vacances là-bas. C’était paisible. On se sentait bien.

Identité et nationalité

Nous étions ceux qui viennent de France. C’est d’ailleurs une chose qui plus tard a été difficile. Ici, on était marocains et là-bas on était français ! On se demandait qui on était réellement, quel était notre pays ? Au Maroc, tu es française et ici, t’es pas d’ici !

À douze, treize ans, c’est l’âge où l’on se pose vraiment des questions, où des choses nous agacent un petit peu, alors que quand on est plus petit, on écoute et puis ça passe… Vers douze ans, on se pose des questions et on prend plus au sérieux ce que les autres disent. A un moment donné, je me suis dit : « j’habite en France, donc je suis comme tout le monde, je suis française ! ». Je n’avais pas la nationalité française à cette époque là. Nos parents n’avaient pas la nationalité française, donc quand les parents ne sont pas français, il faut attendre la majorité pour pouvoir faire une demande de naturalisation.

Je vivais en France, donc quoique que disent les gens, j’étais française ! Je vivais en France et je partais au Maroc pendant les vacances bien sûr. C’était mes racines, mes origines. Mais je savais que j’étais là en vacances, je profitais de mes vacances. Je repartais chez moi. Je vivais en France, c’est vrai, j’ai toujours vécu à Sarcelles. On parle plus du pays où l’on vit. Je dis la France parce que c’était le pays où je vivais. Bien sûr la ville où je vivais, c’était Sarcelles et j’y vis toujours.

Ce n’étaient pas les gens de la famille, mais l’entourage, voyant que je venais de France, disait : « tu es française ! ». Par contre dans la famille, ils ne m’appelaient pas la Française… Il y a eu des regards d’envie. Je pouvais sortir seule quand j’avais treize, quatorze ans au Maroc. Je n’étais pas obligée d’être accompagnée par un garçon. La seule chose que l’on me disait : « Fais attention… Tu vas à tel endroit mais il faut savoir revenir, ne pas te perdre… ». Généralement, je ne suis pas quelqu’un de solitaire. Quand je vais quelque part, j’aime bien être accompagnée, mais on ne m’imposait pas telle personne : « telle personne vient avec toi ! ». Cela pouvait être une cousine, une voisine, ou une personne avec qui j’avais envie d’aller à tel ou tel endroit. J’étais française, ça se voyait par le vêtement et surtout par l’accent ! J’avais un de ces accents ! J’avais beau essayer de dissimuler l’accent de France, pas spécialement de banlieue ! Quand je parlais, je ne roulais peut-être pas assez les « RRR ». Disons que ça se voyait, quand même. J’avais l’accent français quand je parlais arabe !

Le berbère l’arabe et le français

Ma mère nous parlait le berbère ; il y a eu une période où l’on parlait l’arabe. Ça s’est passé naturellement. Je ne sais pas comment ça s’est passé. Mes parents parlaient les deux langues : le berbère et l’arabe. On va parler berbère, et à certains moments, on va dire des mots en arabe. Mon père parlait un peu le français. On avait l’habitude de parler avec les parents en français, mais rapport à ma mère, il fallait lui parler de manière à ce qu’elle nous comprenne. Elle a commencé à apprendre des mots au fur et à mesure des années. Une fois que ma mère commençait à comprendre le français, on mélangeait le français et le berbère, et l’arabe. Mes parents ne sont pas allés à l’école. La langue, c’était la main, le langage des signes… Non, je rigole ! Pour se faire rouspéter, c’était en berbère, la langue maternelle.

Liberté

C’était à nous de nous surveiller nous-mêmes, même s’il y avait des limites qu’il ne fallait pas dépasser. J’avais des copines un peu partout. Ce n’était pas du tout la même chose qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas de peur de tel ou tel endroit. On y allait. Une fille n’avait pas de frontières au niveau des rues et des quartiers. A cette période, non, non, non ! Pour moi, on pouvait circuler librement.

J’allais en maternelle et primaire à Dunant ; j’ai fait le collège à Anatole France. Après, le collège c’était autre chose, Sarcelles n’était plus mon lieu de prédilection. À partir d’un certain âge, je vivais et j’étais à la maison, mais je ne sortais pas à Sarcelles. Vers quinze, seize ans, on allait dans d’autres villes avec mes copines, d’autres endroits où l’on allait faire les magasins.

Le collège

À onze, douze ans, j’ai découvert un autre monde ; on entre au collège. Le collège n’a pas été très difficile, j’étais une personne avec du caractère, du répondant. En primaire, j’étais très gentille, très serviable, « trop bonne… trop conne ! », on va dire. Après au collège, j’ai mis les points sur les I : « Voilà je suis gentille mais il y a des limites à ne pas dépasser ! ».

Il y avait des disputes, mais je n’ai jamais vu de bagarres qui aient très mal tournées. C’était une vie tout à fait normale avec « d’accord, pas d’accord » mais ça se réglait ; peut-être une petite bagarre, et puis après ça allait. Il fallait avoir un peu de caractère, mais ça n’allait jamais trop loin. J’avais des copains, des copines, je me suis toujours entendu avec filles et garçons, plus avec les garçons qu’avec les filles. Je ne connaissais pas de frontières symboliques.

Une jeune fille de Sarcelles

À partir d’un certain âge, on a envie de découvrir d’autres horizons. Mon adolescence n’est pas liée au hall, au groupe. Ce n’était pas : « on est un groupe, on va aller à tel endroit ». On n’était pas à plusieurs. Si j’avais une amie, on allait à tel endroit ensemble. Il n’y avait pas d’esprit de groupe, de bande. Il n’y avait pas de bande autour de moi. Même si je pouvais sortir seule vis-à-vis de la famille, je n’étais pas du genre à ressortir seule le soir, ce n’était pas mon truc. Je n’ai pas de souvenirs d’association à cette époque là.

Une jeune fille ne sortait pas dans Sarcelles, mais en dehors. On allait voir telle copine qui avait déménagé à tel endroit. Je n’aimais pas rester à Sarcelles. On se retrouvait à la piscine de Sarcelles avec les personnes du quartier parce que c’était moins loin. Quand on avait bien nagé toute la journée, on était fatigué, on n’aurait pas pu rentrer en étant loin. Mes frères sont plus âgés, l’un n’était plus à Sarcelles mais dans le Doubs, donc j’allais là-bas.

Elargir l’horizon

J’allais passer mes vacances là-bas. J’avais envie d’aller voir ailleurs qu’à Sarcelles. Je viens de France, pas de Sarcelles. Depuis, j’ai fait pas mal d’endroits, c’est peut-être également pour cela que je parle de France et pas de Sarcelles. J’ai fait ma demande de nationalité beaucoup plus tard. Je n’en voyais pas l’utilité. Dans ma tête, j’habitais en France, j’étais française ; mais pour voter par exemple il me fallait le papier, pour ainsi me donner plus de droits, comme le droit de vote. Mes parents ne l’ont pas demandé. Mes frères, ma sœur ont tous la nationalité française.

Le lycée à Garges-Lès-Gonesse

Après Anatole France, je suis allé au lycée Arthur Rimbaud à Garges-Lès-Gonesse. Je n’ai vu aucune différence entre Garges et Sarcelles surtout qu’à cette période, je ne fréquentais que le lycée. J’étais à fond dans mes études. Au collège, j’en ai eu marre un petit peu, j’ai voulu arrêter, mais au lycée, j’étais à fond ! Une fois que j’ai eu le déclic, j’étais vraiment dans mes études. Notre père était beaucoup derrière nous, pour nous montrer l’importance des études ; on a d’ailleurs pratiquement tous étudié. Mon père était très à cheval sur ça.

Moi aussi j’ai eu ma période au collège où je me suis dis : « j’en ai marre des cours, j’en ai marre de l’école ». Je n’avais pas trop envie de travailler. Mais mon père était là. Il a su être présent. Je parlais beaucoup avec lui. On discutait énormément ensemble. Il a toujours eu les mots pour me donner envie de poursuivre. D’ailleurs, je le remercie.

Rêve de jeune fille

Je n’ai pas rêvé du prince charmant, mais d’aller au maximum de mes études et d’avoir un poste, un travail et que la vie suive son cours. C’était mon rêve, pas celui de mes parents. Mes parents étaient là pour me soutenir. C’était leur souhait aussi. Comme on dit : « Tous les parents souhaitent le bien pour leurs enfants ». Mes enfants, c’est pareil. Je suis derrière ma fille pour lui montrer l’importance des études. Elle veut faire médecine. Je lui raconte un peu comment ça s’est passé pour moi. Il faut être là.

Etudes en alternance et vie active

Avec mon parcours, j’ai fait un BTS action commerciale en alternance à Gonesse, que je n’ai pas terminé. Moitié entreprise, moitié école. Il faut un certain nombre d’heures de travail effectuées. J’ai fait mon stage à la société IDS à Gennevilliers près de la gare. Disons qu’il a été très difficile de trouver une entreprise car je n’avais pas de permis. Tous les entretiens que j’ai eus se sont très bien passés, mais il me manquait le permis. Ce n’était pas une question de Sarcelles. Non, non, non ! Dans le commerce il fallait avoir le permis pour être mobile. Je n’avais pas mon permis, je n’avais pas les moyens de le passer. Même eux ont été un peu déçus de ne pas pouvoir me prendre. En plus, il y avait une voiture de fonction.

Je n’ai pas terminé mon BTS. Je n’aimais pas trop leur façon de travailler. C’était dans les magnéto-optiques disques durs, tout ce qui est informatique. Sincèrement ils avaient une méthode de travail qui ne me plaisait pas du tout ; je n’avais pas envie de travailler comme ils le faisaient. Ils avaient une technique de vente et il fallait faire comme eux. J’ai arrêté, en me disant je vais reprendre. Je n’ai pas repris et j’ai travaillé. J’ai été responsable d’une sandwicherie à Garges-Lès-Gonesse, pendant trois ans. Après, j’ai trouvé un poste de responsable d’atelier dans une société de conditionnement où j’ai travaillé pendant sept ans. J’ai arrêté et maintenant je travaille à l’association Ensemble.

L’âme de Sarcelles

Ce n’est pas la force, l’âme de Sarcelles : c’est mon point de repère là où je suis arrivée, là où j’ai grandi.

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