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Mme Pain née en 1907 à La Roche sur Yon

De la Vendée à Bizerte lors du débarquement américain

Maroc : bombardement américain en 1942

lundi 15 février 2010, par Frederic Praud

Madame Pain née le 5 février 1907

Je suis née à la Roche sur Yon, rue de la République en 1907. J’y ai vécu jusqu’à 20 ans. Mariée en 1928, j’ai quitté la Roche pour y revenir de manière épisodique. Je ne peux plus parler de ce qui se passait dans la ville à partir de 1935 car je suis partie en Afrique. J’ai épousé un aviateur.

La Roche avait à peu près 12000 habitants. La ville se résumait au marché et à la place Napoléon avec toutes les constructions qui avaient été faites aussitôt après le passage de Napoléon en 1804. Il n’y avait pas grand-chose en dehors de cela. Il y avait également le 93 ème régiment d’Infanterie qui mettait peut-être un peu d’animation dans la ville mais pour moi, petite fille, cela ne m’intéressait pas beaucoup.

Mon père était clerc de notaire, maman mère au foyer. Je suis la quatrième et dernière enfant. J’avais trois frères avant moi.

Nous habitions sur la place circulaire (place de la résistance actuelle) et le 93ème régiment partait en première ligne tout à fait au début de la guerre. Ils partaient la fleur au fusil alors que la guerre allait durer longtemps. Ils chantaient cette chanson :

« Marche mon régiment de France
marche à l’ombre de ton drapeau
immole toi sans défaillance
ton sacrifice sera beau »

Ils ne sont pas revenus. Ils sont morts au Chemin des Dames.

Mon frère aîné s’est engagé. Il est parti marin à 12 ans, mousse sur « le Borda », un bateau de la marine nationale. Il avait 16 ans au moment de la guerre et l’a faite de 16 à 21 ans. Mon père avait quatre enfants, il a quand même été mobilisé à Nantes mais finalement il ne l’a pas faite.

Je suis allée à l’école dans une annexe de l’école normale où nous recevions notre instruction laïque. Indépendamment de ça, j’allais au catéchisme à l’église. La religion était très importante pour nous. Nous sortions à 11 heures de l’école de la rue Luneau pour aller aux cours de catéchisme avec Monsieur l’abbé Laurenceau. Au moment de faire la communion, on me dit « ma petite fille, il te faut une jolie robe ! » On m’amène chez une dame qui m’a fait une robe avec une couronne comme on la faisait à cette époque. C’était très important. J’ai fait ma communion avec beaucoup d’ardeur.

Nous étions très attentifs à tout ce que disait le prêtre. Nous n’aurions jamais mis en doute ce que l’on nous apprenait. Il est bien évident que les plus douées, les plus attentives marchaient devant. Il y avait quand même une préférence. J’ai fait ma communion privée, ma communion solennelle et on renouvelait la profession de foi, « le renouvellement » un an après. Je me suis fait alors photographier avec ma cousine qui avait un an de moins que moi et j’étais très vexée car en un an, j’avais grandi. Je disais, « ma robe est trop courte, ce n’est pas joli ». Elle était plus courte que la robe de ma cousine et c’était contrariant.

Mon père, de clerc de notaire, a eu la crampe des écrivains. Chez les notaires, tout était écrit à la main. Il a alors proposé à maman, « que veux-tu ? Il faut que nos fils aillent au Lycée. Il faut prendre un commerce ! » Ma maman a tenu une épicerie, place circulaire (place de la résistance). J’avais alors 5 ans. Mon père en revenant de la guerre en 1920 a dit « je connais énormément de personnes en Vendée étant donné ma profession, j’aimerais bien que l’on prenne un hôtel ». Mes parents ont alors acheté un hôtel avenue Gambetta. Il n’existe plus maintenant. Nous avions une clientèle variée et très intéressante, des gens bien.

Je ne pensais pas faire quelque chose de particulier. J’ai beaucoup appris de mes mains. Après mon brevet complémentaire à 16 ans, mes parents ayant acheté cet hôtel, je me suis dit, « je serais très bien à la caisse » et je suis devenue caissière. Il y avait une différence entre l’éducation des filles et des garçons. Mes frères sont allés au Lycée. Maman a dit pour moi « ce n’est pas la peine. Moi je suis allée à l’école primaire et tu feras comme moi ! » On obéissait. Je n’ai rien dit et ce sans que cela ne me fasse de peine. Je n’avais pas envie de devenir institutrice, ni rien d’autre. Je me trouvais bien comme ça.

Il y avait une équipe de rugby très importante à la Roche. Elle jouait en première division. Mes trois frères y jouaient. Des réunions se déroulaient à notre hôtel et à 17/18 ans, je pensais que « je me marierais bien avec un rugbyman ».

Dans un hôtel, il y a la cuisine, les chambres, la réception. A 16 ans j’avais appris comment faire une sauce blanche, comment faire les chambres. Il y avait 8 personnes au service, un garçon de café, deux cuisiniers, des dames de chambres. A ce moment-là, le personnel n’était pas payé. Ils étaient nourris, logés. Ils recevaient des pourboires et étaient très heureux. Ils étaient très contents. Nos domestiques restaient très longtemps chez nous. L’hôtel ouvrait à six heures du matin parce que le train des Sables arrivait avec les poissons et il fermait à minuit.

Pendant les vacances, mes parents me proposaient, « ce serait bien que tu ailles aux Sables d’Olonne ». J’y allais 15 jours avec une de mes belles sœurs car une jeune fille seule ne partait pas « comme une évaporée » selon les propres termes de ma maman. J’ai donc passé plusieurs années en vacances aux Sables. Nous louions rue Trudaine. Avec mon frère et ma belle sœur, nous allions danser tous les soirs au petit casino des pins.

Il y avait beaucoup de monde ce soir-là et un jeune homme de la Roche sur Yon nous demande, « pourriez vous nous laisser un peu de place sur votre table car on ne sait plus où se loger. Je suis avec un camarade ». Il arrive avec un jeune homme. Ce jeune homme fit danser ma belle sœur et puis, au revoir. Le lendemain, mon frère nous propose d’aller au vélodrome voir une course de moto. Les bancs étaient en ciment. Nous nous asseyons et arrive le petit jeune homme d’hier soir qui s’assoit à côté de moi, tout à fait par hasard… Bonsoir Monsieur ! Bonsoir mademoiselle !…

Ce petit jeune homme était un aviateur. Il nous dit. « J’ai mes parents qui louent tous les ans aux Sables d’Olonne. Ils louent tout à fait au bout de la plage, près du grand Casino. Cela vous ferait-il plaisir de venir les saluer ? » « Bien sûr ». J’ai donc vu ma future belle mère. Nous passons une huitaine de jours comme ça et mon frère devait repartir à Tours. Mon frère dit au jeune homme, « au revoir Monsieur. On va nous conduire à la gare. Nous avons passé quelques jours agréables mais nous ne nous verrons probablement plus ! » « Au revoir ! »

Un mois après mes parents reçoivent une lettre de demande en mariage. Ils me disent, « il faut d’abord se rendre compte de qui est ce jeune homme et quelle est sa famille ! » Il ne m’avait pas dit qu’il allait faire cette demande en mariage mais j’avais bien un pressentiment. Son père était coiffeur pour hommes et dames. Il tenait une grande maison à Saumur. Nous connaissions un monsieur qui avait été président du Tribunal à Saumur. C’était un de nos clients. Mon père et ma mère lui ont demandé des renseignements sur cette famille, sur la fille aînée qui était mariée à un garagiste.

Mon mari, Jean, a été autorisé à venir. Mais comme mon frère faisait son service militaire en même temps à Tours, il devait venir avec lui car « Il n’est pas certain que nous disions oui et vis à vis des clients, s’il ne nous plait pas, il passera pour un ami de Jean (mon frère) ». Ils sont donc arrivés ensemble. Nous disions aux clients, « c’est un camarade ». Il ne fallait surtout pas dire que c’était un amoureux, surtout si cela ne marchait pas. Jean a plu à mes parents. Nous avons ensuite entretenu des contacts avec sa famille et mon père m’a accompagnée à Saumur pour la première fois. Mon fiancé m’a alors amenée chez le bijoutier et m’a acheté cette bague que je porte toujours. Je me suis mariée à 21 ans, le 23 avril 1928. Je l’avais connu un an avant.

Nous nous sommes mariés à la Roche sur Yon. Je venais de perdre mon grand-père, il y a tout juste trois semaines. Avant son décès, mes parents voulaient inviter beaucoup d’amis, faire un bal, mais cela s’est limité aux familles chez mes parents, à l’hôtel. Le lendemain du mariage, j’ai immédiatement repris mon chapeau de deuil avec un crêpe.

Mon beau-frère garagiste à Saumur nous avait prêté une petite voiture. Mon frère Julien qui m’accompagnait toujours aux Sables habitait la Baule et nous voilà partis à la Baule en voiture. C’était notre voyage de noce. Nous sommes partis ensuite à Tours où mon mari était sergent dans l’aviation. J’ai quand même pleuré quand j’ai quitté ma maman et… j’ai commencé ma vie. Il m’amenait… tant pis si ce n’était pas un gars de la Roche.

Mon mari était mécanicien à la base aérienne de Tours. Nous nous sommes dits, « si nous partions aux colonies, la paye serait plus importante ». J’ai eu mon fils Jacques en 1929. Nous sommes partis au Maroc quand il avait quatre ans et demi. Mon mari est parti six mois avant nous. Six mois pendant lesquels j’ai vécu dans sa famille en attendant une stabilisation de sa situation. Quand nous sommes partis d’ici il y avait la lampe à pétrole les cabinets au fond de la cour.

Je suis partie à Marrakech. Il y avait beaucoup de houle de mer. J’ai pensé, « pourvu que mon fils ne tombe pas à la mer à travers le bastingage ». Une dame a proposé de prendre soin de lui. Elle m’a rapporté qu’il avait dit à table, « Maître d’hôtel ! Je n’aime pas la viande. Vous seriez aimable de me donner deux desserts à la place ». Nous arrivons à Casablanca, retrouvons mon mari et partons à Marrakech. C’est alors le désert qui commence. « Oh lala, ma petite maman est bien loin ! » Cela me faisait un effet…

Nous avons loué un petit appartement et dans l’après-midi, je vois un scorpion qui monte le long du mur. C’est affreux. Trois mois après mon mari a été muté à Tunis. Il est encore parti avant nous et j’ai pris le train pour trois jours de voyage, 2500 kilomètres, Marrakech, Casablanca, Alger, Tunis. Le voyage a duré trois nuits et deux jours. Nous arrivons à Tunis où la vie était très agréable. Mon mari avait pris des galons. Il allait travailler à la base à 10 kilomètres. Les aviateurs commençaient leur travail à cinq heures du matin et finissaient à une heure de l’après-midi. Il y avait une succession de plages et nous y allions ensemble. Nous nous regroupions entre familles. Nous étions loin de France et nous serrions les coudes.

La déclaration de guerre est arrivée. Les italiens se sont alliés avec les allemands. Nos maris nous ont dit, « écoutez mesdames, il n’y a qu’une ligne de chemin de fer. Si Bizerte est bombardée, la ligne coupée, vous serez prises comme des souris ». Nous sommes donc parties nous réfugier en Algérie. Je m’entends alors dire, « qu’est-ce que vous venez faire là. Vous croyez que nous ne sommes assez ici ! » C’était charmant comme accueil. On nous logeait où l’on pouvait. Il pleuvait dans ma chambre. J’avais ouvert mon parapluie au-dessus du lit. Nous sommes ensuite rentrés à Tunis. Il fallait bien suivre, tant pis. Il fallait bien se loger, ici à l’hôtel, ailleurs dans un logement. J’acceptais car j’étais mariée à un militaire.

Il y avait tout ce dont nous avions besoin sur la base de Tunis, une bibliothèque, une chapelle et une école avec un couple d’instituteurs parfaits, la piscine. Un car de militaire nous amenait dans la ville à 4/5 kilomètres au marché.

Nous changions constamment de ville. Nous voilà ensuite à Casablanca. J’habitais une belle maison très près de la base aérienne. La France était en très mauvaise posture. L’Allemagne de Rommel arrivait sur Tunis d’une manière implacable. Les américains arrivent à notre secours. Toute la journée du 8 nous entendions à la radio « Robert arrive ».

Il y eut une mésentente entre les officiers du Maroc et ceux d’Alger. Le général Bethouars n’a pas réalisé que les américains arrivaient à notre secours. Le 9 octobre 1942, ils sont arrivés sur la base aérienne de Casablanca où nous habitions et nous ont bombardés croyant que les allemands étaient présents. Le commandant père de quatre enfant a alors pris un avion pour défendre la base. Six avions ont été abattus. De mon jardin, je voyais le bombardement… cette guerre.

Le lendemain la femme du commandant arrive et me dit, « Madame Pain, vous prenez votre vélo et nous allons à l’hôpital voir les malades ». Dans le port, « le Primoguet » avait été bombardé et tous les marins tués. Il y avait des cadavres partout dans cet hôpital, des blessés.

Les américains ont de suite envoyé du matériel militaire pour remplacer les avions détruits et les officiers français se sont vite transformés en officiers américain pour partir vite sur le front de Tunisie et empêcher Rommel d’arriver plus haut. Les femmes sont restées à Casa. Nos maris sont partis 21 jours après avec un matériel neuf.

J’ai élevé jusqu’à 50 poules à Casablanca. J’arrive chez une dame et lui demande, « je voudrais faire un couscous. Tuez-moi donc cette poule ! » Elle me répond « regardez-là, elle a la crête rouge. Elle veut couver ». Je n’avais jamais eu de poulet de ma vie dans mes mains. Je lui ai mis douze œufs et j’ai ainsi eu jusqu’à 50 poules. Comme mon mari était dans le bled, il me ramenait du blé et je nourrissais mes poules avec ce blé.

Avec l’arrivée des américains, j’ai eu une peur terrible et me suis retrouvée enceinte, 14 ans après le premier enfant. Mon mari part sur le front de Tunisie alors que j’étais enceinte d’un mois. Est-ce qu’il reviendra ? Je n’en sais rien. Michel est né à Casablanca. Il a passé son examen d’entrée en sixième à neuf ans. Il a été reçu pour rentrer au lycée Buffon à Paris. Il y est rentré l’année d’après suite à une erreur de l’administration et a suivi ses études normalement.

Etant donné nos fréquents déplacements, mon fils Jacques a beaucoup changé d’écoles. Ce fut difficile de se réadapter à chaque fois. Il a passé son certificat d’études à Casablanca. Il est allé au Lycée mais il n’aimait pas tellement les études. Il n’a pas passé son baccalauréat. A ses 18 ans, nous étions revenus à Paris. Mon mari lui dit, « écoute tu vas t’engager. Tu vas partir à l’armée ». Et il y est parti. Mon Dieu quand la porte s’est refermée, j’ai eu mal au cœur !

Quand il est revenu trois ans après, il nous a confié, « j’ai appris dans l’armée tellement plus de choses ». Il a passé son baccalauréat. Il s’est marié très jeune. Il a ensuite eu une situation à Thomson CSF.

En mai 68 nous étions au Luxembourg, mon mari a pris sa retraite de colonel et il est entré à l’OTAN. Nous ne l’aurions peut-être pas ressenti d’une façon aussi forte si nous avions été à Paris. Nous avons trouvé ça révoltant, dire non à tout. C’est quelque chose que nous n’avons pas accepté.

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