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Sarcelles : Pierre Kouo-Doumbé né en 1975

J’ai emmené plein de jeunes qui n’avaient jamais vu la mer, et certains sont restés toute la journée dans l’eau.

j’ai l’impression que l’on ne profitait pas de tout ce qui se passait autour. Je ne connaissais rien

mercredi 30 juin 2010, par Frederic Praud

J’ai commencé STAPS après avoir commencé à travailler ici. Depuis 1996 je suis vacataire à la maison de quartier des Chardos pendant toutes les vacances scolaires. J’ai visé les concours de CPE pour encadrer les gamins et les aider dans leur scolarité. C’est ce que je fais encore pendant les vacances scolaires. Je leur fais faire beaucoup de sport, je les emmène en sorties et le restant de l’année c’est soutien scolaire, les aides aux devoirs. Ici aussi j’ai l’impression de pouvoir apporter beaucoup de choses à plein de gens et si j’ai envie de commencer à faire ça, c’est d’abord dans ma ville. C’est comme si je devais quelque chose à Sarcelles ; et la meilleure façon de lui rendre, c’est d’aider déjà tous ceux qui sont là, un maximum.

Pierre Kouo-Doumbé

Un père camerounais, une mère française

Mon père est camerounais, ma mère est française. Je suis né en 1975. Officiellement mon père est né en 1945. Il serait arrivé en France en 1965. Je sais que l’on a changé sa date de naissance parce qu’en Afrique, par rapport au nombre de frères, on déclare les enfants tard pour payer moins, c’est ce que ma mère m’a expliqué. Il est arrivé en France pour faire des études. Je ne connais pas grand-chose sur l’indépendance du Cameroun, mon père ne m’en a pas parlé. J’ai déjà posé les questions, mais je n’ai pas eu les réponses, on est parti dans d’autres discussions. Beaucoup d’étudiants de ces années là ne sont pas retournés pour des raisons politiques et les étudiants venant d’ici n’étaient plus les bienvenus au Cameroun.

Le retour au pays dépend de la réussite que l’on a eue pendant les études, en particulier envoyer de l’argent au pays pour aider la famille. Maintenant il y retourne régulièrement mais quasiment pas auparavant. S’être marié avec une blanche était mal passé. Ils se sont mariés en 1972 et je suis le deuxième. On a tous trois ans d’écart. Le mariage de ma mère a été bien accueilli par sa famille, par contre, elle a perdu pas mal d’amis. Ma mère est bretonne de Nantes. Mon grand-père est vendéen, mais elle est née à Nantes. Ma mère et mon père se sont connus vers Nantes. Ma mère a trouvé un poste dans la région parisienne, il l’a suivie pour finir ses études.

Ils sont venus sur Sarcelles en 1974. Mon père avait des frères et des sœurs déjà arrivés. Je suis né à Sarcelles. Je n’ai connu que Sarcelles. Je sais que lorsqu’ils sont arrivés, ils ont habité avenue du 8 Mai. Comme mon père avait déjà des frères à Sarcelles, ça se passait assez bien.

Mon père était ingénieur en climatisation, à l’époque à la Générale de Chauffe à Paris. Il y allait en voiture. Généralement il rentrait le midi pour manger et le soir il rentrait vers vingt heures, vingt heures trente. Ma mère était sage-femme à la PMI de Goussainville et à l’hôpital de Gonesse.

Association camerounaise

Il y a toujours une association camerounaise. Ils ont toujours fait ça. Ils avaient créé leur club de foot. Ils avaient réussi à trouver des sponsors, des entreprises industrielles. Ils avaient gagné la coupe de Paris.

Le Mont de Gif

On a déménagé pour le Mont de Gif. A l’époque, là-bas, il n’y avait que des champs. Un noir au début, c’était mal vu, mais après mon père a participé à la vie du quartier. Il était parent d’élèves. Il connaissait assez bien les gens du quartier puisqu’ils se rencontraient aux réunions parents / profs. Après ça s’est vite bien passé. Mais la première année n’était pas spécialement évidente. Même à la limite de Sarcelles, je me disais Sarcellois. Je sais que l’on participait aux activités à Sarcelles. J’ai passé mon enfance dans les gymnases de Sarcelles au GEDAS.

En primaire, on était jeunes. Il y avait la route à côté. C‘était un peu excentré. Mes parents n’aimaient pas que l’on aille s’amuser trop loin parce que c’était dangereux au niveau de la circulation. Devant l’école Emile Zola, il y a eu pas mal de morts, même des amis se sont faits renverser pas mal de fois.

La vie de quartier au Mont de Gif

Dans ce quartier de Mont de Gif avec des arbres autour, c’était football toute la journée sur le terrain de l’école. On allait aussi dans les bois. Pas mal jouaient à l’A.S.S. et c’est là qu’on a commencé dans Sarcelles. Notre quartier était calme. On était une dizaine de la même tranche d’âge. On se cachait derrière les chasseurs. On les suivait dans la forêt, on essayait de leur faire peur mais c’était un peu le genre de jeu bête et dangereux. Il y avait encore de vrais chasseurs. Je sais qu’il y avait des renards, pas mal de lapins. Les chasseurs faisaient de bonnes prises là-bas.

De l’autre côté il y avait la ZAC et dans le petit bois on croisait aussi des gens de Villiers le Bel. Ça a fait des conflits. Après on allait souvent à Villiers le Bel au stade de la Capucine juste derrière chez nous. C’est comme cela que l’on a traîné avec gens de Villiers le Bel avant le collège.

Avant le collège on ne sortait pas beaucoup. Nous étions en pavillon. Il y avait le jardin donc on ne sortait pas. Dans le quartier, il n’y avait pas tant de circulation que cela et puis mon père était parent d’élèves. Il connaissait un peu tous les parents. Où que l’on soit, il y avait toujours le père de untel pour veiller un peu. Ils se permettaient de mettre une bonne baffe. Ça passait quand même. Une fois on s’était fait attraper à casser une voiture ou un truc comme ça... Il y avait le camp des gitans à côté avec lesquels on avait eu pas mal de conflits aussi. Ils avaient abandonné une voiture, on s’était amusé à jouer avec. Le père d’un ami nous avait attrapés et on avait tous pris notre baffe ! Un de nos amis était allé raconter à ses parents : « Ah ! Mais il y a le père d’untel qui m’a mis une baffe ». Son père avait appelé tout de suite : « pourquoi vous avez frappé mon fils ? ». Dans l’histoire, il a pris une autre baffe, celle de son père ! Tous, on s’était regardé et on s’était dit : « pourquoi es-tu parti raconter ça ? ». Aucun autre n’a été raconté qu’il avait pris une baffe parce qu’il avait fait une connerie… c’était normal !

Le camp des gitans

Le camp des gitans était encore assez dangereux à l’époque. En primaire des jeunes de quinze, seize ans étaient avec nous. Ils fumaient dans la cour. Il y avait pas mal d’histoires. C’était assez violent. Dès qu’il y avait des conflits, ça rentrait tout de suite dans la violence. On s’est déjà fait tirer dessus à la carabine ! Pendant longtemps on a été en conflit avec eux, jusqu’à un certain âge. J’avais un ami, son père était prof de français sur Garge et sa mère était institutrice et donnait des cours aux nomades ; il a fait arranger les histoires, comme sa mère connaissait un peu de monde là-bas. Lui aussi allait au camp. Il connaissait tout le monde. Il est arrivé quand on était en CM1. A cet âge là, ça commençait à se calmer. Au début c’était des batailles rangées. Ceux qui sont venus après ont appelé les gitans, les manouches.

Le collège et l’adolescence

Je suis allé au collège à Jean Lurçat parce que tous ceux du Mont de Gif venaient dans ce collège. On pouvait s’ajouter à une bande ; c’était plus une façon de penser, de voir les choses, comme les french boys où c’était plus la dance. Le collège, je ne l’ai même pas vu passer. Le collège et les cours en eux-mêmes c’était normal. Il fallait aller à l’école. Si je me suis enrichi, c’est en dehors. On découvrait aussi des choses à l’école, des sciences, des choses intéressantes et après j’allais faire moi-même des recherches. J’allais chercher plus loin. Autrement je n’ai pas grand souvenir du collège.

L’adolescence, c’était toujours mi ange-mi démon. J’étais obligé de continuer l’école. Je n’avais pas le choix. C’était comme ça, quoique je veuille ! Il fallait aller jusqu’au bout. Mais après, c’était pareil ; dès qu’il n’y avait plus d’école, ou de sport, on repartait faire des conneries avec les potes d’un peu partout ! De dix à quinze ans, les trois quart des vacances, je faisais du foot à St Exupéry. Après j’ai fait autant de temps à Camus qu’à Gomard. J’étais vraiment un peu partout dans Sarcelles ou bien j’avais d’autres amis. Ils allaient souvent à Paris, mais je touchais à tout. J’essayais de passer un peu de temps avec tout le monde.

Événement exceptionnel

Les inondations à Sarcelles m’ont marqué au début du lycée parce que toute la ville était coupée ; c’était le bordel !

Ambitions

Quand j’étais jeune, j’aimais tout ce qui était médecine ; après, parce que j’aime les animaux, j’aurais penché pour vétérinaire. Depuis que je suis ici, tout petit, je me serais bien vu avec une maison ici, mais avec un vrai boulot. J’avais encore des ambitions assez hautes quand je faisais mes études. J’ai dit le mot « maison » volontairement, un pavillon, je ne sais pas si c’est le fait que j’habite dans un pavillon. Même des gens avec des appartements visent un peu plus haut. Cela serait une preuve de réussite. J’ai réussi, j’ai un pavillon ! Je le vois comme ça, après c’est peut-être mon père : « vous voyez comment j’ai fait, j’ai réussi, vous avez une maison, vous n’êtes pas obligé de trainer dans la rue, vous avez un jardin ».

Le regard des gens

Je me suis toujours senti bien à Sarcelles. Je pouvais aller à Paris, dans d’autres régions, j’avais de la famille à Nantes. On essayait d’aller faire des week-ends, des semaines chez mon grand-père. Je découvrais autre chose, mais je n’étais pas aussi à l’aise. J’avais l’impression que le regard des gens n’était pas le même. Je ne sais pas si c’est notre style vestimentaire, notre origine, mais j’avais l’impression que lorsque j’allais dans d’autres villes, c’était pareil : « Lui, il n’est pas d’ici, c’est un étranger ! ». On sent que l’on n’est pas à sa place. La façon dont les gens me regardent, je n’en ai rien à faire ici ! Quand les gens me regardent, ils regardent aussi des attitudes ou des choses passées. On était mis de côté, par exemple lorsque l’on allait à Nantes, je voulais faire du sport. On arrivait sur un plateau avec mon frère, ils n’avaient pas spécialement envie de jouer avec nous : « est-ce qu’on peut jouer avec vous ? »… Ça faisait un peu la tête. Ici je ne l’ai jamais vu : « est-ce que vous voulez jouer ? Allez ! Un dans chaque équipe on discute plus ».

Maintenant les jeunes ont beaucoup de voyages linguistiques. Je suis allé voir beaucoup d’autres pays, mais à mon époque il n’y avait pas beaucoup de séjours.

Militantisme

Après, c’est le militantisme. C’est pourquoi je veux rester à Sarcelles. A Sarcelles, j’ai des choses à apporter. J’ai emmené plein de jeunes qui n’avaient jamais vu la mer, et certains sont restés toute la journée dans l’eau. Je m’en souviendrais toujours ! Il pleuvait. Tout le monde voulait rentrer sauf lui ! « On ne rentrera pas tant que lui s’amuse ! Il n’a pas vu la mer, il est en train de nager, on ne rentrera pas ! Vous vous débrouillez, vous faites un foot sur la plage ou quoique ce soit, mais lui, non ! On ne partira pas ! ». C’est ce qui me fait plaisir ici. Faire découvrir des aspects sportifs, des voyages.

Elargir l’horizon

Mon frère habite en Angleterre. Depuis j’ai beaucoup voyagé. Chaque année j’essaye de découvrir une nouvelle capitale ou un nouveau pays. C’est vachement enrichissant ! Mais à l’époque, on ne m’a jamais donné les possibilités de le faire. A partir du moment où l’on ne vous a pas donné la possibilité, on ne vous a pas dit : « vous pouvez faire ça », vous n’y pensez pas ! Forcément !

À un moment, j’ai découvert que l’on pouvait aller faire des études dans tel pays. Dès le lycée, je me suis rendu compte que j’aurais pu aller faire des études autre part, aller en Angleterre ou en Espagne. Eux, c’est pas mal comment ils font faire les études ; j’ai trouvé plein de bons côtés dans chaque pays. C’est dommage, j’ai l’impression que l’on ne profitait pas de tout ce qui se passait autour. Je ne connaissais rien.

Je suis animateur. Quand des jeunes de treize, quatorze ans me disent qu’ils veulent arrêter les études, il faut qu’ils aient un but précis. Beaucoup vont arrêter l’école et je vais les retrouver ici tous les matins pour faire une partie de babyfoot ! Si tu veux arrêter c’est parce que tu as une idée derrière la tête. Même s’ils ne veulent pas écouter je vais essayer de leur faire découvrir de nouvelles choses. « Qu’est-ce qui va t’intéresser toi, t’es plus sportif…t’es plus musique…t’es plus littérature… Bon toi t’es plus musique, je vais essayer de te faire découvrir tous les métiers dans la musique ».

Le lycée à J.J. Rousseau

Après Jean Lurçat, je suis allé à J.J. Rousseau à Sarcelles. C’est un peu Sarcelles, mais je découvrais qu’il y avait des gens de Villiers le Bel avant ; il y avait tous les gens de Domont, Monceau, qui étaient dans la campagne. Arrivé au collège j’ai découvert un peu plus Sarcelles et j’ai vraiment essayé de découvrir tout ce qui se passait.

De la même façon quand je suis arrivé au lycée, les gens de Montsous, ce n’était pas pareil, ils avaient un autre mode de vie. J’ai trouvé ça enrichissant ; la façon de vivre de chaque personne m’intéresse, parce qu’il y a toujours quelque chose à prendre pour peut-être améliorer mon quotidien. Avant je faisais comme ça, c’était peut-être moins efficace. Ce que j’ai découvert dans d’autres pays est intéressant ; de nouvelles façons de voir, ou de penser.

J’étais d’abord parti en sciences de la matière à Villetaneuse mais je me suis arrêté en fin de 1ère année. Je suis parti à la fac de Marne la vallée pour faire STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives).

Les études de STAPS

J’ai commencé STAPS après avoir commencé à travailler ici. Depuis 1996 je suis vacataire à la maison de quartier des Chardos pendant toutes les vacances scolaires. J’ai visé les concours de CPE pour encadrer les gamins et les aider dans leur scolarité. C’est ce que je fais encore pendant les vacances scolaires. Je leur fais faire beaucoup de sport, je les emmène en sorties et le restant de l’année c’est soutien scolaire, les aides aux devoirs. Ici aussi j’ai l’impression de pouvoir apporter beaucoup de choses à plein de gens et si j’ai envie de commencer à faire ça, c’est d’abord dans ma ville. C’est comme si je devais quelque chose à Sarcelles ; et la meilleure façon de lui rendre, c’est d’aider déjà tous ceux qui sont là, un maximum.

Etre animateur à Sarcelles

La ville m’a formé. J’ai découvert plein de choses en connaissant différentes cultures, différentes personnes, surtout les enfants. Avant j’étais plutôt timide et réservé et eux m’ont aidé à me lâcher. J’ai envie de leur rendre : les aider à faire des choix dans la vie, à découvrir des activités, des métiers, un peu tout. Depuis 1998 je suis à fond dans la maison de quartier. J’ai maintenant trente et un ans. On ne m’a fait aucune proposition concrète pour m’investir à temps plein. Un jeune animateur, avec des ambitions, peut aller faire ça dans une autre ville, ça ne sera pas un problème, mais en priorité je voulais faire ça ici. Là, on leur demande leur avis, ce qui était bien ou pas bien ; ça fait plaisir que quelqu’un vous demande votre avis, vous demande : « Qu’est-ce que vous pensez de ça ? - Ah tiens ! On s’intéresse à ce que je pense…à ce que je dis, ce n’est pas simplement des conneries… ». Si c’est diffusé, c’est une victoire.

Message

Merci pour tout ce que les anciens nous ont transmis, en espérant que l’on arrivera à retransmette aussi bien aux jeunes tout ce que l’on nous a donné.

il faut que les jeunes croient en eux-mêmes ; si on leur dit qu’ils ne peuvent pas obtenir cela ou réussir à faire tel métier, s’ils le veulent vraiment, ils pourront y arriver ! Mais il faut qu’ils s’en donnent les moyens.

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