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exposition CIDEM

La résistance du mouvement ouvrier et des syndicats allemands entre 1933 et 1945

Une exposition de la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung

samedi 4 septembre 2010, par Frederic Praud


La montée du national-socialisme et les premières réactions.

La République de Weimar, instaurée au lendemain de la Première Guerre mondiale, est empreinte de l’idéologie sociale-démocrate et syndicale qui fait de la démocratie parlementaire l’une des bases essentielles de l’amélioration des droits des travailleurs et des réformes sociales. Cependant, la bonne entente entre les sociaux-démocrates, les démocrates et les catholiques va rapidement prendre fin. N’ayant plus de majorité stable au Parlement, la grande coalition de 1928 dirigée par Hermann Müller est dissoute en mars 1930, laissant la place à un régime présidentiel où l’influence du Parlement est sévèrement mise à mal.
Après la victoire écrasante des national-socialistes aux élections parlementaires de septembre 1930, le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, « Parti social-démocrate allemand ») décide de « tolérer » le cabinet Brüning mais tire la sonnette d’alarme face à la montée du national-socialisme. Par divers moyens, ils tentent d’agir contre la propagande nationaliste et raciste qui s’installe alors.

Tous les membres connus du SPD, ainsi que des milliers de personnes affiliées
au parti, aux syndicats libres et à la Reichsbanner (organisation paramilitaire) s’engagentdans des manifestations. Pour lutter plus efficacement contre les opposants à la république, ils s’unissent dès 1931 au sein du Eiserne Front (« Front de fer »). Cependant, ni le SPD, ni les syndicats ne pourront éviter les divergences et les affrontements internes.

1933, l’arrivée d’Hitler au pouvoir et les débuts du régime de la terreur.

La nomination d’Hitler le 30 janvier 1933 à la tête de la Chancellerie sonne le glas de la démocratie allemande. Les sociaux-démocrates et les syndicalistes restent dans l’expectative, préférant inscrire leur action dans la légalité politique. Aussi longtemps qu’Hitler respecte la Constitution, ceux-ci ne bougeront pas et ce afin de ne pas lui offrir de prétextes supplémentaires à des mesures répressives. L’opposition se limite à d’impressionnantes manifestations. En dépit de leurs analyses clairvoyantes et précoces sur le régime, les sociaux-démocrates entretiennent toujours le vague espoir que le régime nazi finira par tomber de lui même. Mais dès la nuit du 30 janvier, la chasse aux opposants politiques commence. Les communistes sont les principales cibles, mais la terreur touche aussi les sociaux-démocrates et les syndicalistes. Afin d’obtenir une majorité stable et de supprimer la constitution en toute légalité, Hitler dissout le Reichstag le 2 février 1933. Durant la campagne, les membres des partis ouvriers sont victimes d’agressions, de menaces de mort et sont inscrits sur des listes noires. Les élections du 5 mars, qui se déroulent dans une atmosphère de terreur, offrent 43.9% aux national-socialistes qui doivent tout de même s’appuyer sur les partis de droite pour obtenir une majorité stable. De nombreux communistes, sociaux-démocrates et syndicalistes sont arrêtés. Le 28 février le « Décret
pour la protection du peuple et de l’État » est édicté, limitant voire invalidant de nombreux droits
fondamentaux.

Le « non » à la Ermächtigungsgesetz.

Avec la Ermächtigungsgesetz ou « Loi des pleins pouvoirs », le gouvernement d’Hitler entend obtenir la possibilité de légiférer sans l’aval du Parlement. Au sein du SPD, la participation au vote du 23 mars est loin d’être évidente. Plusieurs députés sont déjà en détention, tandis que d’autres craignent de finir en prison s’ils prennent part au vote. Le SPD décide tout de même de participer à la séance et de voter contre la loi. Lors de sa déclaration de politique générale, Hitler les attaque durement tout en cherchant à se rapprocher des travailleurs. En réponse, le président du groupe du SPD prononça un discours qui restera l’un des moments les plus importants du parlementarisme allemand. Il déclara notamment : « Nous, les sociaux-démocrates allemands, faisons le voeu
solennel de défendre les principes d’humanité et de justice, de liberté et de socialisme. Aucune loi ne vous donnera le pouvoir de détruire des idées qui sont éternelles et indestructibles ». Lors du vote, les 94 sociaux-démocrates présents seront les seuls à voter contre la loi. Les communistes, dont les mandats avaient été annulés, n’étaient déjà plus présents au Parlement.

Entre adaptation et protestation, la fin des syndicats libres.

Suite à cet événement, les syndicalistes, loin d’être épargnés par les actes de terreur, prennent leurs distances avec le SPD dans l’espoir d’assurer leur survie. Au printemps 1933, les différents syndicats provenant d’horizons politiques divers envisagent de se rassembler en une union « apolitique » afin d’éviter la mise au pas de leur organisation. Le 1er mai 1933 est officiellement déclaré
jour férié et célébré comme le « jour du travail national » durant lequel ont lieu de grands défilés. Le ADGB (Allgemeiner Deutscher Gewerkschaftsbund, « Union des syndicats libres allemands ») appelle à la participation des syndicalistes et espère encore que les national- socialistes ne remettront pas en cause l’existence des organisations syndicales. Les événements du lendemain mettront fin à cet espoir : la maison du ADGB à Berlin et tous les centres syndicaux importants sont occupés par les SA et les SS et de nombreux syndicalistes sont arrêtés.

Les divergences au sein du SPD, l’illégalité ou l’exil ?

Au sein de la direction du SPD, les divergences sur la ligne politique à suivre se font jour. Après le « non » courageux à la « Loi des pleins pouvoirs », le parti s’efforce de donner au pouvoir le moins de raisons possible de les attaquer. Suite à la détention de certains membres et aux nombreuses menaces de mort, les dirigeants du SPD sont cependant conscients qu’ils ne peuvent plus poursuivre leurs activités légalement. Lors de la conférence de Berlin (26 avril 1933), Otto Wels constate qu’il est impossible « d’acheter la vie de l’organisation en abandonnant ses idées ».
La décision est donc prise de transférer la direction du parti à Prague, qui prend alors le nom de Sopade. Pourtant un groupe berlinois, réuni autour de Paul Löbe, défend toujours le maintien de la direction en Allemagne et refuse de laisser les membres du parti à la merci de la terreur nazie. Mais l’étau se resserre. Le 10 mai 1933, les biens du SPD, du Reichsbanner et de la presse sociale-
démocrate sont confisqués. Le 22 juin 1933, le SPD est officiellement interdit. Dans les semaines qui suivent, la majorité des autres partis va se dissoudre volontairement sous la pression du gouvernement et le 14 juillet, tous les partis, à l’exception du NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, « Parti national-socialiste des travailleurs allemands ») sont officiellement
interdits.

Les opposants au régime en fuite.}

Malgré le mauvais accueil qu’on leur réserve dans les pays voisins, beaucoup de sociaux-démocrates feront le choix de l’exil. Tout comme l’Allemagne, ces pays subissent de graves difficultés économiques qui ne leur permettent pas d’offrir aux migrants des conditions d’accueil acceptables.
De plus, l’exil n’offre pas de véritable sécurité, les expulsions et les arrestations sont monnaies courantes, obligeant les migrants à fuir à nouveau. En effet, le régime nazi n’hésite pas à utiliser la violence, les assassinats et à faire pression sur les gouvernements étrangers pour traquer ses adversaires à l’extérieur du Reich.

La Sopade.

La Sopade entend informer l’opinion publique mondiale sur le véritable visage du régime nazi, publier des déclarations sur les événements politiques, soutenir les actions de résistance à l’intérieur de l’Allemagne et aider les persécutés. Sa principale tâche est d’observer les événements internes et de diffuser des informations non censurées aux membres du parti se trouvant encore dans le Reich.
Les raisons de cette catastrophe politique et les stratégies à adopter face au national-socialisme font l’objet d’un vif débat parmi les cadres du SPD, qui s’accordent tout de même sur l’abandon de leur position légaliste. Les positions de la Sopade se radicalisent, sans pour autant qu’un front unitaire soit réellement envisagé avec les communistes.

Les réseaux de résistants.

Durant l’année 1933, différents groupes de résistants sociaux-démocrates se créent aux quatre coins de l’Allemagne. La vie quotidienne de leurs membres est risquée, ils doivent sans cesse se protéger contre l’espionnage et les dénonciations.
L’un des premiers groupes de résistants à se structurer à Berlin est le Roter Stoßtrupp (« L’Unité de choc rouge »), qui possède aussi des antennes dans d’autres villes. Le premier numéro du Roter Stoßtrupp paraît en avril 1933. Au total, quelques 40 000 écrits illégaux seront ainsi distribués.
En novembre 1933, l’organisation est repérée et environ 240 personnes sont arrêtées. Le réseau de distribution de la fabrique de pain « Germania » à Duisburg est l’une des organisations clandestines les plus importantes des premières années de la dictature nazie. Cette organisation créée par August Kordahs travaillera de pair avec le réseau issu de la « Jeunesse des travailleurs
socialistes » de l’ancien secrétaire du SPD Hermann Runge afin de distribuer des textes clandestins appelant au renversement du régime et fournir des renseignements pour les Deutschland- Berichte, receuils d’informations clandestines diffusés régulièrement par la Sopade. Le SAP (Sozialistische Arbeiterpartei, « Parti socialiste des travailleurs ») est en nombre la deuxième
plus grande organisation socialiste de gauche. Le parti, auquel adhère Willy Brandt, parvient à construire un réseau clandestin efficace. Entre 4 000 et 5 000 membres sont coordonnés depuis la centrale à Paris. Dès 1934, des sections de l’organisation sont démantelées par la Gestapo. Suite à la prise de pouvoir des national-socialistes en Allemagne, la politique du Komintern (l’Internationale
communiste dirigée par Moscou) change temporairement. Celle qui jusqu’à présent voyait dans les sociaux-démocrates ses principaux ennemis, entame avec ces derniers des négociations qui échoueront en raison de divergences sur les finalités politiques. Malgré la vague de solidarité qui s’est emparée de la gauche européenne suite au coup d’Etat du Général Franco (Espagne), les Procès de Moscou (1936–1938) et le Pacte germano-soviétique (août 1939) détruisent
néanmoins tout espoir de coopération avec les sociaux-démocrates.
Si une grande partie de ces organisations sera démantelée entre 1935 et 1936, quelques groupes poursuivront leurs activités dont l’un des plus actifs reste le Internationaler Sozialistischer Kampfbund (« Union de lutte socialiste internationale », ISK). Créée en 1926 et dirigée par Willi Eichler,
cette organisation envisage le maintien durable du régime nazi et met rapidement en place des structures clandestines. Ce groupe accorde beaucoup d’importance aux actions « visibles » par l’opinion publique, à travers lesquelles il souhaite prouver que le régime nazi a toujours des opposants. Dès la mi-décembre 1936, des membres du ISK sont arrêtés.

La résistance durant la Seconde Guerre mondiale.

Le 1er septembre 1939, la campagne des conquêtes hitlériennes commence avec l’invasion de la Pologne. Le jour même, une vague d’arrestations s’abat sur le Reich et emporte, entre autres, bon nombre d’anciens syndicalistes et fonctionnaires du SPD. Les lois contre toute activité hostile au régime se durcissent. La plupart des groupes de résistants sont alors déjà démantelés. Le
groupe des « Socialistes révolutionnaires » formé autour d’Hermann Frieb et Bebo Wager reste une exception.
L’automne 1941 marque le début de la déportation et de l’extermination des juifs. Parmi les personnes déportées, on trouve des sociaux-démocrates d’origine juive qui n’ont pas réussi à fuir. Ils font alors l’objet d’une double persécution - politique et raciale.

Exilés mais pas pour autant en sécurité.

Même dans l’exil les émigrés ne sont pas en sécurité. En raison des accords passés entre le Reich et des gouvernements tiers comme la France, ils sont déportés dans les camps de concentration allemands.
Les membres de la direction du parti exilés à Paris sont eux-aussi en danger. Quelques uns réussiront à s’échapper au Royaume-Uni, dont Hans Vogel, nouveau président de la Sopade. Tous ne parviendront pas à fuir, Rudolf Breitscheid et Rudolf Hilferding tomberont entre les mains des nazis.

La résistance militaro-conservatrice.

Tandis que le SPD et les syndicats ont combattu le national-socialisme dès son ascension au pouvoir, seuls quelques militaires et hauts fonctionnaires de l’Etat avaient ressenti la nécessité de tenir tête aux aspirations guerrières d’Hitler. Pour ces personnes, qui détiennent les leviers du pouvoir et ont un accès direct à Hitler, il est plus facile d’agir efficacement. Suite à l’échec de la campagne de Russie, un cercle d’opposants militaro-conservateurs se crée autour de Ludwig Beck et Carl Goerdeler. Ce groupe s’attèlera à l’organisation d’un coup d’Etat
auquel des syndicalistes et des sociaux-démocrates seront associés.
Dans les années 1940, la propriété de Kreisau en Basse-Silésie devient un centre de résistance. Avec à sa tête Helmuth James Graf von Moltke, Peter Graf Yorck von Wartenburg et Adam von Trott zu Solz, ce cercle est plus ouvert aux revendications des sociaux-démocrates et des syndicalistes qui participent aux discussions sur la réorganisation de l’Allemagne post-hitlérienne.

La tentative de coup d’Etat.

Le 20 juillet 1944, Claus Graf Schenk von Stauffenberg pose une bombe dans le quartier général du Führer (Wolfsschanze) lors d’une rencontre avec celui-ci. Mais des informations contradictoires puis la nouvelle qu’Hitler est toujours en vie vont faire perdre toute assurance aux commandants putschistes et échouer le coup d’Etat. La plupart de ceux qui avaient pris part aux préparatifs, dont
von Stauffenberg, le payent de leur vie.
En août 1944, Hitler et Himmler ordonnent une nouvelle vague d’arrestations (Aktion Gewitter) spécialement dirigée contre d’anciens fonctionnaires du KPD et du SPD. La majorité des 5 000 personnes arrêtées seront libérées rapidement. Cependant certaines resteront en prison jusqu’à la fin de la guerre, trouveront la mort dans les camps de concentration ou seront assassinées peu avant la libération.

La lutte finale.

En 1941- 42, ce qui était encore une guerre européenne devient une guerre mondiale. La population allemande, qui jusque-là avait été épargnée par les combats, se retrouve être la cible de bombardements entrainant des destructions massives. Cependant, la population, animée par le sentiment quasi fanatique de résister insufflé par le régime nazi, ne manifestera pas de réel mécontentement.
Sentiment facilité par les violences et les sévices infligés aux citoyens indifférents afin de les contraindre à l’obéissance.
Dès l’annonce de la capitulation allemande (8 mai 1945), de nombreux réfugiés politiques, dont les membres de la Sopade, se préparent à rentrer pour reconstruire le pays. Impressionnés par la stabilité des démocraties occidentales et s’étant familiarisés avec les systèmes politiques des pays d’accueil, ils apportent de nouvelles idées politiques qui nourriront la culture démocratique
allemande. Personne ne symbolise autant le désir de résister contre la dictature nazie que Kurt Schumacher. Lors de la première convention du SPD d’après-guerre, (Hanovre - 9 au 11 mai 1946) il est élu président du parti.
Si le SPD et les syndicats ont réussi à mettre en place des structures de résistance clandestines efficaces et à poursuivre leurs activités depuis l’étranger, c’est grâce à leurs membres, prêts à risquer leur liberté et leur propre vie.

Photographies Copyright © Archiv der sozialen Demokratie der Friedrich-Ebert-Stiftung (AdsD)
( archives de la démocratie sociale de la Friedrich-Ebert-Stiftung)

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Voir en ligne : La résistance en Europe

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