Accueil > MÉMOIRES CROISÉES : La Mémoire source de lien social > Mémoires Croisées de Sarcelles > Mémoires Croisées - Avenir Partagés > Quand je fais de la finance, je m’inspire de l’ancien directeur financier de (…)

Sarcelles / Essama Atanga né en 1980

Quand je fais de la finance, je m’inspire de l’ancien directeur financier de Secteur A, groupe de Sarcelles

e pense que pour ma génération, c’était difficile d’être prof à Sarcelles.

mardi 29 juin 2010, par Frederic Praud

Après on a évolué dans nos soirées, on a fait venir des artistes disques d’or que l’on a fait passer pour pas cher à Sarcelles. Ils venaient à Sarcelles car c’est la base, la base de leur culture. Un public les attendait. Un artiste qui fait de la musique africaine ou de la musique caribéenne sait que Sarcelles est une plaque tournante de la musique. Il est content de venir. Cela depuis Ministère Amer, mais avant ça il y avait Kassav, Jacob Desvarieux, pas mal de producteurs de Zouk, comme Moradisc, comme Debs music. C’est une ville qui crée des artistes. De nouveaux artistes comme The Mask, Connexion Impossible, Caprison, Commando toxique, sont là et évoluent. On sait que c’est une plaque tournante.

Essama Atangana

Je suis né à Sarcelles le 21 mai 1980. Mes parents habitaient auparavant Villiers le bel puis Garges les Gonesse, pour venir à Sarcelles en 1982. Ils sont tous deux originaires du Cameroun. Ma mère est née en 1949 et mon père en 1951/52. Ma mère est arrivée en France avant la naissance de ma grande sœur, en 1974. Ils se sont rencontrés en France, mais je ne sais pas où. Les deux sont venus pour des études. Mon père a fait une école d’ingénieur et ma mère dans la banque, dans le back office. Il a travaillé comme ingénieur avant de repartir. Il faisait des allers-retours entre ici et là-bas.

Aujourd’hui

Je me pose des questions sur la programmation culturelle dans la ville. Elle devrait être plus variée, à l’image de la ville, ce qui n’est pas le cas. Si les gens à la direction des affaires culturelles étaient vraiment en phase avec la population et de ses attentes. Il y a un manque d’infrastructures [de salles]. Le service culturel avec les musiques actuelles fait du bon travail.

Mes parents disent que Sarcelles s’est dégradé. Un des faits les plus marquants fut l’arrivée du RER et le rapprochement de Paris, la capitale. Maintenant nous sommes à quinze minutes du cœur de Paris, de Chatelet…Tous les matins je mets trente à quarante minutes et je me retrouve à saint Paul, dans mon école de commerce.

L’enfance à Sarcelles

J’ai habité deux ans à Garges pour arriver aux Chardonnerettes, dans le vieux Sarcelles, dans un pavillon, rue du chemin de chartres, à l’intérieur même du quartier.

J’ai fait l’école de Bois joli puis du Val Fleuri. Il n’y avait rien du tout quand nous sommes arrivés : la campagne…des pommes…des champs. J’ai vu se construire des pavillons, des immeubles. Au fur et à mesure, tout s’est peuplé. J’avais la forêt, le bois d’Ecouen à cinq minutes de chez moi. On dessinait, dansait, écoutait de la musique. On faisait beaucoup de sport.

J’allais faire de la boxe dans la salle des fêtes aménagée en salle de boxe. Nous avions un champion du monde dans ce club. Il y a eu pas mal de champions, beaucoup de champions de France, un champion d’Europe. J’ai également fait du karaté à Camille St Saëns, nous avons des champions du monde par équipe et en individuel. Ils sont vraiment au top depuis trois ou quatre ans ! Mes cinq oncles maternels étaient professionnels de boxe. Ils ont ouvert l’une des premières salles de boxe avant de retourner au Cameroun. Ils étaient venus en France pour le sport et sont retournés pour le business. L’un avait une salle de sport à Sarcelles, et l’autre à la station de métro Télégraphe à Paris et Rambouillet.

Le quartier des Chardo s’est d’abord peuplé avec des Africains avant l’arrivée des Chaldéens. Il y a eu deux vagues d’immigrations. D’abord beaucoup d’Antillais, mais je ne fais pas beaucoup de différences entre Antillais et Africains. Il y avait une bonne ambiance, à faire du sport, de la boxe, du hip-hop, du rap. On a découvert ça ensemble vers 1989, avec ma sœur. J’écoutais Ministère Amer, Public Ennemi, MWA ; Ministère Amer était français, mais il s’était inspiré d’un groupe américain MWA, on ne voyait pas trop la différence. Les jeunes Sarcellois s’identifiaient à ces musiciens. Le Hip-hop pour nous était quelque chose d’important, car c’est la première culture qui nous a parlé. Avant cette période-là, on ne voyait pas beaucoup de noirs à la télé avec une image positive.

Les difficultés de la scolarité

Je n’ai connu les Lochères que vers douze, treize ans, au collège. J’ai fait pas mal de collèges car j’étais agité. J’ai fait le collège Voltaire, puis la Pépinière (Victor Hugo), et j’ai fini à Villiers le Bel. On me disait « élève agité ».

Je pense que pour ma génération, c’était difficile d’être prof à Sarcelles. Ils ne comprenaient pas toujours qui ils avaient en face d’eux. Ils ne comprenaient même rien. Certains profs venaient du sud, de Montpellier, de Toulouse et ils se retrouvaient devant une classe de vingt élèves, avec dix-neuf nationalités, dix-neuf cultures différentes.

Quand on rentrait chez nous, on avait d’autres problèmes, l’environnement familial n’était pas le même. La scolarité d’un élève ne consiste pas juste à rentrer chez soi, c’est bien plus compliqué que cela.

L’environnement aux Chardo est difficile. Mon père a toujours travaillé en Afrique, n’a jamais travaillé en France. Nous étions sept. Deux de mes cousines et ma grand-mère vivaient chez moi. Nous étions nombreux, mais nous sommes restés concentrés sur nos études car c’était une priorité. C’est pour cela que nos parents sont venus ici pour la plupart. L’histoire a fait qu’ils sont restés ici, mais à la base, c’était pour faire des études et rentrer. Ma mère et mon père suivaient nos études. Mon père nous appelait trois ou quatre fois par jour au téléphone. Il était présent malgré la distance, il suivait les cours.

Les histoires de quartier

Le quartier comptait des histoires comme partout. Avec les jeunes de Villiers le Bel, ça s’agressait, ça tirait. Mais les histoires sont plutôt propres à certains individus, en fonction d’avec qui vous marchiez, pas en fonction d’où vous habitiez. Vous pouvez habiter dans un quartier très chaud, mais sans que cela ne vous concerne parce que vous ne fréquentez pas certaines personnes.

J’ai eu des histoires comme tout le monde, mais je n’aime pas trop parler de cela. Les histoires peuvent partir de rien, une histoire de casquette, une banalité qui dégénère, des coups s’échangent et c’est l’effet boule de neige. Il y a plein d’histoires de casquettes, de bonnets, de moufles. On a toujours le choix de ne pas être dedans, mais si on marche avec quelqu’un de l’école primaire au lycée, le jour où il se fait tabasser, on ne va pas regarder, on intervient, on essaie de séparer et si on ne peut pas, on se bat.

Un jeune peut éviter de se battre. Un enfant de Neuilly a les mêmes problèmes de récréation, sauf que cela ne dégénère pas de la même manière ; ce ne sont pas les mêmes tensions.

Il y a moins d’histoires depuis trois, quatre ans. J’ai grandi dans une ville où il y avait beaucoup d’histoires, surtout au collège. Victor Hugo, un peu plus excentré, connaissait le moins d’histoires. Les histoires de collèges ont changé, mais c’est du même type que les histoires de foulards aujourd’hui, où un jeune meurt pour un foulard. A l’époque la balle passait entre vos jambes et vous vous faisiez rouer de coups par toute la cour, des jeux bêtes comme ça. La formule change mais c’est toujours aussi bête. Il n’y a pas de solutions collectives à un problème individuel, c’est comme ça qu’ils raisonnent en politique.

S’en sortir par l’éducation

Vous voulez montrer un jeune qui s’en sort : Mohamed Dia. Ils pensent que ça va fonctionner pour tout le monde, mais ce n’est pas comme ça que cela marche. Il faut travailler au niveau de l’école, des institutions. Il faut susciter l’intérêt auprès des jeunes. Ils ont l’impression que tout est biaisé depuis le départ. Certains jeunes, quels que soient leurs parcours, s’en sortiront. Pour d’autres, ce sera toujours plus dur, plus laborieux, même si on fait des Bac+3, +4. C’est encore pire pour les jeunes d’aujourd’hui.

Il y avait du travail quand mes parents sont arrivés. Il y avait du racisme aussi mais maintenant il n’y a plus de travail. Plus de travail, plus de racisme, les gens sont de plus en plus individualistes.

L’éducation donnée à un enfant en Afrique ou en Europe n’est pas la même. En Afrique, un enfant est élevé par la collectivité. Moi aux Chardo, si je voyais ma tante, je n’allais pas faire de bêtises. Mais aujourd’hui un jeune voit un adulte, il n’en a rien à foutre. Il le regarde de loin. J’ai grandi dans la génération des grands frères ; si l’un me voyait faire une connerie, il me mettait une gifle. Ce n’est plus comme ça aujourd’hui. Ce n’est pas une histoire de force mais de respect, de droit d’aînesse, de respect des anciens.

Les études, traîner ou suivre

J’ai continué mes études après seize ans. J’ai été inscrit au lycée de la Tourelle. Je me suis retrouvé en CAP électrotechnique pour finir dans la finance. J’y suis allé par une mauvaise orientation. On arrive en fin de troisième, on nous montre toutes les brochures en nous demandant ce que l’on veut faire. Je ne savais pas trop. On nous demande de choisir dès la cinquième.

J’étais à la Tourelle, mais je n’y allais pas toujours. À la fac ou au lycée j’étais plus assidu qu’au collège. J’ai continué mes études pour faire plaisir à mes parents. Il y avait beaucoup de pression en ce sens. Je ne le regrette pas car cela me sert aujourd’hui. Quand un jeune arrêtait à quatorze, quinze ans les études, il traînait. On passait notre temps à sécher les cours et dès que l’on nous renvoyait, on venait toujours traîner. On se rendait compte que l’on était à l’extérieur tout seul, alors on passait notre temps autour du collège, du lycée, à attendre nos copains.

Un ado va dehors, parle, discute, il essaie de faire du sport. Les jeunes essaient de s’occuper en fonction de ce que vous leur proposez. Il n’y a pas trop de choix ici à Sarcelles. Si on ne fait pas de sport, pas de musique et que l’on n’est pas bon à l’école, qu’est ce que l’on fait ici, il n’y a pas beaucoup de choses ! Ce n’est pas comme si on habitait à Paris où l’on va au cinéma. Il n’y a même plus de cinéma à Sarcelles.

Moi j’étais à la musique, on préparait un groupe aux Chardo ou à Villiers le Bel. Comme beaucoup j’avais un nom de taggeur… J’avais la chance d’avoir le hip hop pour canaliser toute mon énergie. Je voulais comprendre, savoir, connaître. Je passais mon temps à embêter ma grande sœur pour faire ses trucs, je la suivais partout, je fouillais dans ses affaires pour comprendre cette culture. C’est la première chose qui m’a parlé, tout le reste est de la foutaise. Seul le hip hop m’a fait comprendre beaucoup de choses. Mais c’était en anglais et difficile à comprendre les paroles, mais à partir de 1996, il y a eu les belles années du rap français.

Sarcelles village, je ne le connais pas trop, c’était quasiment mort. Il n’y avait rien. Il y a même eu une inondation. Il y avait de l’activité à Lochères, mais on en était coupé. On était loin des Chardo, de notre nouveau quartier. Les Yamakassis, ont fait un film avec Luc Besson. Les deux vietnamiens sont originaires des Chardo. Merwann, qui chante dans les dix commandements, est aussi originaire des Chardo. C’était ça qui m’intéressait, pas le reste de la ville. Il y avait des groupes, des artistes dans tous les quartiers.

Ma sœur écoutait beaucoup de hip hop et cela m’a beaucoup influencé. Elle allait jusqu’à Paris. Elle en a fait son métier, dans la communication, puis dans la distribution de produits esthétiques. Le phénomène part de chez moi et pas de la ville. On enregistrait des cassettes à la maison. Elle a huit ans de plus que moi. J’étais le quatrième enfant.

L’organisation de concerts

La musique m’a aidé. Au fur et à mesure que j’entrais dans la musique, le hip- hop, j’ai vu qu’il fallait que j’acquière une véritable formation dans le business, car j’organise des concerts et il faut faire signer des contrats aux artistes. Il a fallu que je m’intéresse au droit, à la gestion. J’ai commencé à seize ans à faire des soirées dans le quartier et au fur et à mesure que je progressais, je suis arrivé à Paris.

À seize ans, j’ai organisé des après midi à la salle d’animation des Chardo, à la salle des fêtes où l’on pratiquait la boxe, à Bois Joli, entre quatorze heures et vingt heures ; en 1996/97, des après-midi concerts pour les jeunes du quartier, organisés avec les animateurs de la mairie. Chacun de nous servait de relais à la mairie pour que l’on puisse avoir des salles. C’était payant, une petite participation pas chère, de dix à vingt francs. Des jeunes de Villiers, de l’extérieur venaient, mais cela se passait bien de manière générale. Des jeunes venaient de la secte, de la ZAC, de la zone 4, de Saint-Denis. Il n’y avait pas de problèmes. J’étais dans ma dernière année de collège à Léon Blum. J’avais seize ans et redoublé une fois. C’était sympa. On a ensuite tranquillement évolué à faire des soirées.

A partir de ça, j’ai été remarqué par une boîte de communication, et j’ai fait de la promo. Mon rôle consistait à valoriser des marques, porter des marques et à assurer le relais auprès des jeunes de Sarcelles. Ils m’ont repéré par des amis de ma sœur. Ils faisaient des animations et des soirées, et sont venus voir. Ils montaient eux aussi leur boîte de communication. J’avais envie d’apprendre et je les saoulais tout le temps : « comment on fait ci ? Comment on fait ça ? ». Il me fallait le numéro de téléphone de tel artiste pour qu’il passe dans ma soirée, car on faisait également passer des artistes de renom, Kdd est venu, un Toulousain est venu ….

Après on a évolué dans nos soirées, on a fait venir des artistes disques d’or que l’on a fait passer pour pas cher à Sarcelles. Ils venaient à Sarcelles car c’est la base, la base de leur culture. Un public les attendait. Un artiste qui fait de la musique africaine ou de la musique caribéenne sait que Sarcelles est une plaque tournante de la musique. Il est content de venir. Cela depuis Ministère Amer, mais avant ça il y avait Kassav, Jacob Desvarieux, pas mal de producteurs de Zouk, comme Moradisc, comme Debs music. C’est une ville qui crée des artistes. De nouveaux artistes comme The Mask, Connexion Impossible, Caprison, Commando toxique, sont là et évoluent. On sait que c’est une plaque tournante.

C’est mon rêve depuis l’âge de huit ans. J’ai toujours regardé les clips américains, les labels américains, les managers comme Russell Simmons. Je voulais leur ressembler et je fais tout pour y arriver, car je veux être entrepreneur. J’arrive à faire des choses à évoluer dans le domaine que je veux, mais c’est dur. Il faut de la détermination. J’ai commencé en 1996, à seize ans. Le chemin est long.

A partir de 1999, j’ai travaillé avec ma cousine. On travaillait, on se débrouillait, on allait à Paris, on mettait toutes nos économies, on louait des péniches, le River’s King. On faisait des soirées de cinq cents, huit cents personnes. On avait la foi. On travaillait dur. Je faisais de la Street-Promo, je distribuais des Cd, elle travaillait au Mac Do. On faisait toujours un truc pour trouver de l’argent pour faire des flyers, payer le graphiste, payer la sécurité, voilà.

J’ai été de moins en moins dans mon quartier et de plus en plus à Paris. Je suis arrivé dans le 19ème, 18ème. Ils me voyaient comme un mec de Sarcelles avec ses baskets blanches, son jean cartonné Levis et son cuir ; il y avait un style Sarcelles, un habillement qui s’est un peu perdu. Ils me considéraient bien. Il n’y avait pas de problèmes. J’allais aussi à Saint-Denis où j’avais des cousins. Nous sommes une grande famille et j’ai des cousins un peu partout.

L’organisation de la semaine de la gastronomie africaine

J’ai organisé une semaine de la gastronomie africaine à Paris en 2005. Mes parents étaient venus, mes sœurs aussi. Depuis que j’organisais des manifestations, ils n’étaient jamais venus à l’un de mes événements. Ils ne me prenaient pas trop au sérieux. Ils me disaient : « Va à l’école ! Va à l’école ! ». Car pour les parents africains, c’est beaucoup l’école. Pour eux le rap, ne payait pas, c’était un loisir, comme le sport.

C’était une semaine itinérante autour de chaque pays d’Afrique. On proposait des formules, des animations culturelles dans les restaurants. On organisait ça avec la mairie de Paris, le magazine Amina, cuisine TV… c’était une bonne expérience très intéressante et cela m’a changé des soirées.

J’ai monté également une manifestation Ethnic Models à Paris : un concours de beauté monté en 2004. Je suis parti du constat qu’il n’y avait pas assez de mannequins noirs représentés, donc j’ai présenté des mannequins, des créateurs, pour promouvoir la culture africaine. J’ai organisé le premier concours à Opéra dans une boîte de nuit, et le second dans un salon privé sur les Champs, avec comme partenaire Amina et des marques américaines. Je ne cherche pas à revendiquer quelque chose mais j’ai juste envie de partager, de faire découvrir.

Les gens nous placent dans une démarche d’opposition, de confrontation. Quand je vais manger chinois, je ne lui demande pas s’il s’oppose à la gastronomie française. Je mange chinois, alors que quand j’ai organisé la semaine de la gastronomie africaine, on me demandait ce que je revendiquais. Rien. Ils pensaient qu’il y avait une démarche politique, mais c’était pour le plaisir.

J’ai organisé la nuit d’Afrique à Sarcelles en 2007… c’est mes racines, je suis africain. C’est la même chose que le hip hop, c’est mondial. Quand j’ai connu le hip hop, ce n’était que des Africains sur Sarcelles. Ministère Amer était le seul groupe de hip hop composé que de noirs. Tout le monde pensait que c’était parce qu’ils étaient racistes, mais non, ils étaient à l’image de la ville, des gens avec qui ils traînaient, de leurs quartiers d’origine (entre la Secte et Coop).

On a commencé à finir les après midi à vingt heures et on a évolué naturellement vers des soirées où l’on finissait à minuit. On a loué des salles dans le coin, à Villiers, dans les villes à côté de Sarcelles car le forum des Cholettes a été fermé. On louait aussi des cars, en faisant de la promotion à la radio. Nous sommes passés aux péniches puis dans les boîtes de nuit…

L’importance des études

Certains jeunes de Sarcelles, quand ils veulent organiser des choses me demandent des numéros de téléphones ; pas de problème. Je suis peut être devenu un grand frère, quelqu’un qui essaie de montrer l’exemple par ce qu’il fait.

Les études, c’est dur, mais il faut y aller. C’est le truc le plus sûr qui soit pour l’instant. On peut faire des concerts, des soirées, avoir une grande carrière d’artiste mais il faut savoir la gérer cette carrière. Il faut une formation et on ne la trouve qu’à l’école. Il faut montrer l’intérêt d’aller à l’école pour pouvoir faire des choses que l’on aime. Quand je fais de la finance, je m’inspire de l’ancien directeur financier de Secteur A, groupe de Sarcelles. Il a fait une école de commerce, est parti aux Etats-Unis, a monté un partenariat avec Goldman et Sachs, des hommes d’affaires, il a monté une émission autour du hip hop, du R n’B et de la culture européenne. C’est un bon exemple.

J’étais bon dans tous les sports, sauf les sports qui payaient, je n’aime pas le foot. Je travaille. Il y a beaucoup de gens qui font des choses à Sarcelles sans être à la lumière. Connexion Impossible a sorti son Cd et c’est pas mal.

Bilan et projet

Je suis très bien à Sarcelles, mais je ne pense pas que j’y resterai longtemps. J’aimerais y garder un pied à terre et faire des allers retours en Afrique, aux Etats-Unis. C’est ma ville. Je n’oublie pas d’où je viens. Ma mère est en retraite bientôt et fera des allers retours au Cameroun. Même si elle est maintenant plus Sarcelloise que Camerounaise. Mon père fait toujours des allers retours, car il travaille toujours là bas.

J’ai trouvé ma place dans la ville grâce à la musique, le hip hop. J’ai trouvé un intérêt à l’école grâce à ça et j’ai organisé des événements, des rencontres. Cela a été un facteur d’intégration dans la ville. J’y ai trouvé mon compte. J’ai trouvé ma place parmi les jeunes grâce à ça. On est toujours influencé. Chacun sa spécificité, un jeune veut exister par lui même et cherche à avoir sa place dans un groupe, chacun fait pour se démarquer pour se faire valoir. Chacun a son rôle, un le sport, l’autre la musique, moi organiser des événements.

J’ai eu un bac STI. Je suis allé en fac d’éco à Villetaneuse mais cela ne m’intéressait pas. Les cours en amphis ne m’intéressaient pas trop, alors j’ai tenté une école. C’est plus concret. J’y trouve mon compte avec des stages en entreprises. Je suis en quatrième année d’école de commerce en alternance. J’ai fait mon dernier stage dans une entreprise suisse à Genève. Mon rôle était de représenter la boîte en France pour son implantation. J’ai fait le plan marketing, pris contact avec des fournisseurs, des séminaires, des études d’implantation. Ils se sont installés à Palaiseau. Ils vendaient des logiciels DCRM. Je vais faire cette année un séjour de trois mois à Londres pour maîtriser la langue et finir mon stage à l’étranger. Cela me plairait d’ouvrir quelque chose à Sarcelles, de développer quelque chose. Je connais plein de gens qui ont réussi mais qui ne reviennent pas à Sarcelles.

Sarcelles, une ville, un nom, une réputation

Pour moi quand j’entends Sarcelles, je comprends également les villes autour, Arnouville, Garges, Villiers le Bel. C’est un ensemble, comme un village où tout le monde se connaît. Tout le monde est cousin plus ou moins de quelqu’un. Tout le monde se connaît. Les quartiers sont rapprochés, à l’image du centre de Sarcelles, où les quartiers sont collés. On traverse une rue, on passe d’un quartier à l’autre. L’histoire des quartiers, c’est un peu comme la guerre des boutons, ce sont toujours les mêmes quartiers qui s’embrouillent avec d’autres quartiers, en général pour les mêmes histoires.

Sarcelles, le nom, ils ont fait le travail avant. Une crédibilité s’installe d’office. Quand je suis arrivé à Paris en école de commerce, le premier truc dont on me parlait c’était « est ce que tu connais, Ministère Amer, Doc Gynéco »… l’image était déjà là. Il y a des images un peu plus chaudes, mais on m’a d’abord parlé de musique. Après, lors des émeutes, on me demandait « est-ce que ce n’est pas un peu chaud par chez toi, est-ce qu’il y a des voitures qui crament ? » mais c’était calme ici.

Pour beaucoup de gens en Suisse, au Cameroun, il y a toujours ces deux images, chaude et la musique, images véhiculées par les médias. Ces images ne me desservent pas, bien au contraire, c’est le CV. Quand on dit « Sarcelles » on a déjà une certaine crédibilité.

L’âme de Sarcelles

L’âme de Sarcelles est africaine, antillaise. C’est la ville de France où l’on trouve la plus forte communauté noire. J’aimerais que Sarcelles soit un peu comme Atlanta aux Etats- Unis, cela pourrait être un modèle. C’est aux gens de la ville de se prendre en main. Il ne faut pas attendre que quelqu’un de l’extérieur nous aide, fasse quelque chose pour nous. Je n’attends rien de personne, ni de la mairie, ni de l’Etat. Si on attend contre un mur… j’aurais pu attendre longtemps contre un mur que l’on vienne me chercher. C’était la galère de rester au quartier, on ne fait rien.

Je connais quelqu’un en prison. Il faut s’interroger pourquoi la ville est construite comme ça, pourquoi on met les cas sociaux ensembles. Il faut se poser des questions. Pourquoi il n’y a que des Antillais, des Africains, des Arméniens, des Turcs, que l’on concentre toute cette population. On la parque et on veut ensuite que des cadres sortent de là ! Ce n’est pas possible ! Il faut mélange !

Les jeunes ici sont très intelligents mais on ne leur laisse pas la chance. En France tout marche beaucoup par relations, pas comme dans les pays anglophones où quand on croise quelqu’un pour parler d’un projet, il est pragmatique. Il voit de l’argent. Le Français fonctionne au relationnel. Il faut que quelqu’un vous introduise dans un cercle pour vous donner la chance.

Le communautaire est un bon modèle de développement qui devrait plus être appliqué ici. C’est aux communautés de se prendre en charge. Beaucoup de gens parlent pour les communautés, mais on les entend rarement parler pour elles mêmes. Communautaire, ne veut pas dire obligatoirement être fermé. C’est normal qu’il y ait des Africains, des Arméniens, des Turcs à la mairie de Sarcelles et pas que des Français blancs d’une moyenne d’âge de cinquante ans. Il faut une cohérence.

Message aux anciens

Merci d’avoir fait connaître la ville. Si on en est là, c’est grâce à eux. S’il n’y avait pas eu Ministère Amer, Kassav, des groupes de danse comme GBF, je ne suis pas sûr que je puisse faire tout ça. Ils ont créé des voies. Des Mohamed Dia, des Ernest, créent des voies. On augmente la palette de possibilités. Avant on ne pouvait être que sportif, que chanteur. On a de plus en plus de choix, même si c’est difficile. On marche dans leurs traces pour l’instant.

Il y avait une réelle incompréhension avec leur manière de faire. Qu’est ce qu’ils font avec leurs jeans trop larges, à vouloir acheter des Air Jordans à quatre-vingt dix-neuf euros. Les parents ne comprennent pas… cent cinquante euros dans une paire de basket, deux cents euros dans un jean alors que le RMI est à trois cents cinquante euros… quand les gens voient un jeune avec ça, ils peuvent se demander comment font ces jeunes, d’où vient l’argent.

Message aux jeunes

S’ils veulent faire quelque chose, il faut être déterminé, ne compter sur personne, il faut foncer. Il ne faut pas attendre, il faut prendre sa chance. Il faut bien réfléchir, est-ce que partir de l’école, c’est bien prendre ça chance. Ils doivent réfléchir à ça. Partir de l’école à treize, quatorze ans ne revient pas à prendre sa chance. On a tous envie d’avoir des baskets, des beaux jeans, mais il faut travailler avant. Il faut semer.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.