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Récit

La terre est basse

dimanche 28 février 2010, par Frederic Praud

Mon père était domestique de ferme et ma mère servante. Ils se louaient tous les deux. Je suis né trois ans après leur mariage. À ma naissance, ils ont pris une petite fermette de 4/5 hectares. Ils avaient deux vaches et un âne pour transporter les matériaux. Mon père faisait des journées dans les grosses fermes et pouvait parfois récupérer des bœufs pour faire son travail. Ils habitaient "jantré" dans la commune de Saint Martin.

Quand j’étais gosse, vers 5/6 ans mon père m’emmenait au temple les jours de grandes fêtes. Il m’arrivait de prêcher mais une fois à l’école, j’ai appris les guerres de religion et cela m’a complètement dégoûté de la religion. Depuis lors, je ne peux pas croire…

J’ai commencé à aller à l’école en 1911, à l’école de garçon de Fiole, toujours à Saint Martin. L’instituteur n’aimait pas les malheureux et il me battait. La dernière année où je suis allé à l’école, mon père m’avait gardé avec lui une semaine pour dégager un chemin où il abattait du bois. Une fois retourné à l’école, nous faisions des problèmes d’algèbre et je ne pouvais pas suivre. Je n’étais pas trop en avance. L’instituteur en a profité pour s’amuser et me poser un problème d’algèbre à deux inconnues alors que je n’y connaissais rien. Un copain m’avait dit "regarde donc mon cahier" ce que j’ai fait. Mais je n’ai pas pu me rappeler de tout. L’instituteur m’a battu à outrance aussi je me suis retourné, je lui ai mis un coup de pied dans les jambes et il s’est assis sur un banc. J’ai pris mes affaires et j’ai foutu le camp. Je n’ai plus jamais remis les pieds à l’école… malheureusement. Je n’étais pas le seul dans cette situation. Il prenait par les joues, les tirait et soufflait dans la bouche. Il ne fallait pas faire d’écart. Il avait décollé les oreilles d’un autre élève. Son père était justement en permission et était venu secouer les puces de l’instituteur.

J’ai dû rester aider ma mère à la ferme pendant la guerre parce que mon père était mobilisé. Il était dans les vieilles classes. Il avait été récupéré par les services auxiliaires et affecté au train des équipages de chevaux qu’il conduisait sur le front par le train…. des wagons de chevaux. Il montait, descendait. Il avait près de 40 ans et avait été réquisitionné pour faire le travail chez des dames dont le mari avait été mobilisé.

Un frère de ma mère de la classe 11, est resté de 1911 à 1918 sous les drapeaux dans un régiment de chasseurs alpins, sur la frontière. Il a été en contact avec les allemands le jour de la déclaration de guerre en 1914. Son frère plus âgé que lui est rentré dans les compagnies hors rang, au téléphone. Il comprenait le morse et les signaux des lances fusées. Il était dans un gourbis à l’abri des obus. Le petit journal qui paraissait dans les Deux-Sèvres, "l’Indépendant", annonçait tous les jours les noms des morts. Mon père nous envoyait de ses nouvelles… Ma femme a eu un frère, de la classe 13, tué sur sa pièce de mitrailleuse à Verdun. On a donné sa légion d’honneur à sa mère…
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Il a fallu que je prenne la charrue très jeune. J’ai vu fonctionner la javeleuse, une machine qui coupait une gerbe et la mettait de côté. Il n’y avait plus qu’à passer la lier. En 1912, j’ai connu la première moissonneuse lieuse. Elles sont arrivées massivement en 1915 dans les grosses fermes car il n’y avait plus de personnel. J’allais à l’école mais quand on voyait une moissonneuse dans un champ, on se détournait pour aller voir comment ça se passait. J’ai quand même obtenu mon certificat d’études en juillet 1918… la guerre venait de finir.

Nous avions deux vaches parthenaises. Ces vaches vêlaient plus facilement que les races actuelles. Il n’y avait pas besoin de vétérinaire. Le topinambour était utilisé pour nourrir, engraisser le bétail et la betterave pour la vache. Je sortais le fumier avec une brouette, mais quand mon père a pris une plus grosse ferme, il a fabriqué une civière que nous portions tous les deux. Nous montions le fumier sur le tas en même temps. Un tas de fumier devait toujours être relevé comme un coin de table. Nous portions des galoches… On coupait le foin avec la faucheuse et on le fanait à la main. J’avais une râteleuse mais n’ai jamais eu d’argent pour m’acheter un râteau faneur. Le râteau faneur marchait avec un cheval et enlevait de la peine. Les femmes venaient faner à la main avec nous. Nous mettions le foin en rangs pour le charger ; un dans la charrette, l’autre lançait le foin et une femme râtelait derrière…

Une fois revenu de la guerre, mon père a pris à Boisne une ferme plus importante de 16 hectares, en 1920. Nous étions toujours à Saint Martin. Nous avons alors subi une épidémie de fièvre aphteuse qui a mis à mal le cheptel. Mon père avait acheté une machine à battre qui fonctionnait avec un manège de quatre chevaux. Les chevaux attelés à des engrenages entraînaient une grande roue de 100 kilos et la batteuse. À son retour de guerre, il n’y avait personne pour battre dans le pays. Il battait alors pour tout le village. Nous montions et démontions le système chez les personnes qui nous le demandaient.

Les hangars se couvraient avec de la paille droite. J’ai passé plus d’une demi-journée chez un gars qui avait trié toutes ses gerbes. Il fallait toutes les dépointer, battre les grains et mettre la paille à côté. La paille était passée au râteau et peignée. Il avait un hangar à couvrir. Il fallait savoir le faire… Avant, on battait au fléau ou au rouleau en pierre pour la paille d’haricot. Le manège est venu plus tard. Nous avions 17 ares de vignes et faisions bien 7 à 8 barriques de vin. Nous pouvions faire de l’eau-de-vie mais il fallait la déclarer. On déclarait bien un fût quand on en faisait brûler deux mais faire brûler coûtait cher.

Ma sœur avait quatre ans de moins que moi mais en 1923, un frère de 17 ans de moins que moi est né. Mon père est mort neuf mois après. Je suis donc resté avec ma mère pour exploiter la ferme et élever le gosse. On travaillait avec une veille charrue à perche, à deux manches. Une fois mon père décédé j’ai acheté une charrue brabant. J’avais peu d’instruments de travail. Tous les outils avec chevaux sont arrivés en 1925 mais on ne pouvait pas tout s’acheter. On travaillait quand même avec parce qu’on nous en prêtait. Le domestique a toujours mangé à la table avec nous. Il couchait à la maison. Trois de nos domestiques sont venus de l’assistance publique. Nous étions contents d’eux. Ils avaient été mis en nourrice dans une maison, ont été à l’école le temps qu’il devaient y aller et la quittaient dès qu’ils avaient l’âge d’aller dans les champs. Mes parents connaissaient une dame élevée elle même par l’Assistance Publique. Elle était mariée à un agriculteur et plaçait de nombreux jeunes de l’assistance.

Nous allions au bal de nuit. Les filles venaient avec leur mère et il ne fallait pas qu’elles restent dehors trop longtemps ! C’était chronométré. J’y allais de 18 à 25 ans. Il m’est arrivé de demander à la mère de danser avec sa fille. J’ai rencontré ma femme alors qu’elle gardait les vaches aux champs. Un dimanche soir, je suis passé à côté et je lui ai causé. Je la connaissais d’avance. Je me suis assis à côté d’elle... En 1926, j’ai demandé ensuite aux parents la permission de voir leur fille. Elle était la quatorzième de la famille. Les parents étaient âgés… Le mariage a suivi les fiançailles…Le mariage a été tout simple avec seulement la famille. Nous faisions toute la cuisine à la ferme dans les vieux fours…

Le mariage d’un copain de régiment de Mayenne a duré trois jours. Nous couchions n’importe comment et l’on se retrouvait le lendemain à la table. Nous mangions toute la soirée, soupions et nous couchions où l’on trouvait de la place.

L’électricité est arrivé en 1927 quand je faisais mes classes à l’état-major de Saint Maixent. Je les voyais monter les poteaux, les transformateurs. À Sainte Néomaye, l’électricité était arrivée dans le bourg mais pas à la ferme où nous habitions. Elle était distante d’un kilomètre du bourg. Nous étions habitués à ne pas avoir l’électricité. Nous n’en faisions pas de cas mais n’étions pas heureux de continuer à utiliser le falot. On ne voyait pas. Le matin quand les femmes trayaient les vaches et que nous enlevions le fumier nous utilisions deux lanternes. En 1933, toutes les fermes de la vallée en bas de la crèche n’avaient pas l’électricité. Le propriétaire de mon habitation l’a fait mettre dans sa maison et je l’ai donc eu cette même année. Nous n’avions alors plus la peine d’allumer la bougie et la lampe à pétrole.

Malheureusement pour moi, j’ai dû prendre un domestique quand je suis allé au service militaire. J’ai ensuite continué à travailler à la maison. Ma sœur s’est mariée. En 1928, les prix des fermes ont monté à une hauteur phénoménale et je n’ai pas pu rester dans l’endroit où nous étions. J’ai repris une bonne ferme mais j’ai eu tous les malheurs du monde sur la tête. J’ai subi la crise de 1929 au point de ne plus pouvoir rien vendre. Je me souviens du début de la crise. Nous venions de battre la luzerne avec notre manège à cheval pour que cela coûte moins cher. Nous portions ça au marché. On m’en a offert 2,50 le kilo et j’en voulais 2,70. Ensuite, cela n’a pas arrêté de descendre.

J’ai eu en plus deux années de grêle. Nous n’étions pas assurés à cette époque et il fallait encaisser le coût. Pour pouvoir vivre, ma femme a été obligée d’aller travailler en usine, dans une fabrique de panier installée à la Crèche. Nous arrivions trop difficilement à vivre dans une petite ferme comme ça même si nous n’avions pas d’enfants. C’était très très dur et il fallait payer tout le temps. J’ai décidé de tout quitter en 1932. "On ne peut pas continuer à vivre comme ça !" En 1933, j’ai annoncé au propriétaire, "vous n’avez qu’à prendre le blé !" J’avais plus de blé qu’il ne fallait dans le grenier et pas moyen d’en vendre un sac. Six mois après un boulanger de la Crèche m’a pris tout le blé. Nous avons tout vendu la récolte. Ça ne faisait pas beaucoup d’argent mais ma mère a tout récupéré. Le propriétaire a voulu m’offrir la terre en 1933 mais "je suis parti pour ne pas revenir !"

Je me suis alors fait embaucher dans une fabrique d’emballage de beurre du côté de la Crèche. J’y ai travaillé et ai été exploité jusqu’en 1936. Je faisais 10 heures et demie par jour, une demi-heure de plus que les autres, sur six jours par semaine. Je gagnais 25 francs par jour au début. Un an après, on m’enlève 40 sous et cela ne fait plus que 23 francs. Ils pouvaient décider d’une baisse comme ça. On ne pouvait rien dire car d’autres auraient pris la place le lendemain matin. Je commençais à six heures de matin. Le soir, après six heures, si un camion à décharger arrivait, on travaillait bien une heure de plus sans être payé.

L’entreprise employait des femmes en très grande partie. En 1936, il n’y a pas eu de grève pendant le Front Populaire. Tout était acheté par le patron. Il se passait beaucoup de choses avec ses employées. Je suis allée à une réunion organisée par la CGT à la Crèche. Je n’avais pas de carte mais ils cherchaient à avoir des militants. On a simplement discuté avec le gars de la CGT, sans plus. Le lendemain, je suis retourné travailler et le tantôt, à midi, le patron réunit tout le monde et me fout à la porte. Il avait envoyé ses deux favorites à la même réunion. Ma femme travaillait avec moi dans la même entreprise. Je n’ai pas fait une heure de plus. Il me donnait un mois mais je ne lui ai pas donné une heure. J’ai foutu le camp et j’ai fait mon bonheur.

J’ai ensuite fait un domestique de ferme. Le propriétaire où j’étais logé avait une grosse ferme. Quand il a su ça, il m’a proposé, "tu ne sais pas ! J’ai besoin d’un homme de journée.
  Il faut voir !"
Il y avait une autre fabrique d’emballage à la crèche où les ouvriers étaient syndiqués. Je m’étais rendu à la réunion avec eux. Je suis donc allé trouver le patron. Je lui ai raconté franchement mon histoire. Il me répond, "je peux prendre votre femme tout de suite." Ça me faisait plaisir. Le chemin étant plus court que pour aller à l’autre entreprise, nous pouvions nous y rendre à pied. Il me promet un travail pour plus tard…

Je me loue donc pour neuf mois chez le gros propriétaire, du premier octobre au 26 juin. J’étais déclaré et assuré. Je rentrais chez moi tous les soirs. Je n’étais pas encore rendu à la Saint Jean que ma femme m’apporte une lettre de son nouveau patron. Il voulait m’embaucher à partir du premier février. Je ne peux pas y aller. J’étais bien avec mon nouveau patron. Je ne pouvais pas lui faire une blague comme ça. J’ai écrit une lettre au patron de ma femme en lui expliquant mon cas. Il m’a envoyé une lettre par retour du courrier : "très satisfait de la lettre" que je lui avais faite… "Vous aurez une place le premier juillet. On attendra et on se débrouillera autrement !" Il a pris un homme de journée pour attendre et je suis entré chez lui le premier juillet. Je faisais 48 heures, gagnais 4 francs 20 de l’heure, avais 15 jours de congé et étais payé 25 % et 50% de plus quand je faisais du rabiot. J’y suis resté jusqu’à ma mobilisation en 39. J’avais tout gagné en changeant d’entreprise. Le premier patron qui m’a viré m’a rendu grand service ce jour-là.

J’ai été mobilisé le 7 septembre 1939. Je suis allé au centre de recrutement au Blanc. On m’a mis en deuxième réserve dans un régiment de pionniers ce qui m’a évité de faire les tranchées. J’ai travaillé dans les forêts de Rémigny. Nous avons construit des parcs à munitions, sur des routes que nous avons goudronnées, une belle gare à 4 kilomètres de Metz qui a été finie juste à temps pour que les allemands mettent leur matériel.

Je suis allé en permission le 14 mai. Il n’y avait plus personne quand je suis retourné au casernement. J’ai repris un train et j’ai retrouvé ma compagnie. On nous a envoyés dans un cantonnement dans un bois. On nous a fait faire les classes. On nous a donné du matériel, voiture, etc… J’étais dans les mitrailleurs… Ça allait mal. On ne savait pas où nous allions. Nous avions juste la radio. Le 4 mai, nous avons reçu l’ordre d’embarquer pour aller en renfort lors de la bataille de la Somme. Nous avons pris le train le 5 mai dans une petite gare de Moselle. Nous nous sommes retrouvés à midi au nord de Beauvais. Les bombardements sont venus et nous n’avons pas eu beaucoup de dommages. Nous étions entre deux trains de la Croix-Rouge. On nous avait enlevé tous nos matériels, mitrailleuses, voitures. Nous sommes arrivés les mains vides. Tout était resté à Metz. Il ne nous restait plus que nos pioches et nos vieux lebels. Du 5 mai au 10 juin, nous avons tourné.

Nous avons vu bombarder Beauvais d’une hauteur, d’une butte dont nous avions la garde. C’était épouvantable. À minuit on nous réveille et nous partons. Nous sommes redescendus sur Beauvais en flammes. Nous l’avons traversé pour aller sur une colline environnante où se trouvait une caserne transformée en hôpital. On nous a cantonnés dans le four à brique.

Le matin du 8 juin, il y avait un brouillard à couper au couteau. J’ai enterré 120 copains. Nous allions les chercher à l’hôpital sur des brancards et nous les amenions sur un terrain où l’on avait creusé une fosse commune. Nous avions heureusement fini à midi car les schleus sont venus avec des stukas. Nous avons été bombardés… bombardés…. À sept heures du soir, on nous demande de défendre Beauvais. Avec qui, avec quoi… Nous n’avions rien. Une heure après on nous annonce "repli sur Evreux ». Le régiment 435 était dans ces parages. Une fois arrivés sur la route de Paris nous voyons des chars venir sur la route. Vous auriez vu cette cohue avec les civils…

Nous reconnaissons la femme qui nous avait logés la veille dans la ferme. Elle nous demande, "vous ne savez pas conduire monsieur ?
  Pourquoi ?
  Parce que vous prendriez le volant …
  Je n’ai pas le droit
La voiture était traînée par les chevaux. Nous avons passé toute la nuit comme ça. Des coups de feu éclatent. Les balles nous sifflaient aux oreilles. Nous nous sommes tous mis dans le fossé et avons vu un allemand déguisé en Zouave tirer sur des gens. Nous avons marché toute la nuit et avons croisé des tanks sur une route transversale. Nous nous sommes allongés dans un carré de blé. Ils sont passés sans nous voir et nous étions quand même deux compagnies.

Nous devions passer la Seine à Meulan mais nous avons été pris 12 kilomètres avant. Nous avons voulu résister, avons perdu 15 hommes et une trentaine de blessés. Le capitaine a dit "rendez vous !"

Je suis alors allé à pied en Allemagne pour être libéré le 31 mars 1945 par la deuxième armée anglaise. J’étais dans la région de Munster. Je suis parti le 10 juin pour arriver le 1er août 1940 dans une ferme. Le vieux bonhomme qui est venu me chercher me fait un signe. Je ne savais pas ce qu’il me demandait, si je savais rouler en bicyclette ? Mais non… Il voulait savoir si je savais traire les vaches ! Il avait dix vaches à traire. Deux femmes les trayaient habituellement. Ils m’ont donné un seau. Elles se sont amenées avec la charrette et un bidon. Elles les ont appelés par leur nom et m’ont montré qu’elles les trayaient à genoux. Les vaches étaient douces comme tout.

La neige a commencé à tomber à la Toussaint et s’est dégagée au mois de mars. Ils faisaient la même culture que chez nous avec à peu près les mêmes instruments. Je n’ai trouvé là-bas que des vieux bonhommes. Ils étaient catholiques et faisaient leur prière à sept heures. Le patron avait 75 ans, un autre 85 et un vieux de la guerre 14. Les deux fils étaient partis mobilisés. L’un s’est fait tuer à Lille. Ils ont un jour fêté l’anniversaire du fils décédé. Je n’étais pas de la fête. On m’avait mis une table à côté mais j’ai eu droit au même festin. J’ai été opéré d’une hernie à Düsseldorf dans un hôpital international avec une croix rouge. Nous étions sur une hauteur. Ça bombardait un peu partout autour. Un pasteur m’invitait à venir le voir mais il fallait tout le temps prier avec lui. Au Kommando, un curé venait tous les 15 jours pour faire une petite messe. C’était devenu mon partenaire de cartes…

Ce petit village subissait comme nous la tyrannie d’Hitler. J’ai retrouvé comme une famille. Nous étions en Kommando avec des bâtiments réquisitionnés où nous devions rentrer tous les soirs. À la fin, je ne rentrais plus. Je couchais à la ferme à cause des puces. Je suis parti à la première occasion. Les Français étaient moins surveillés que les autres prisonniers. On ne nous emmenait plus travailler le matin. Nous y allions tout seul. Nous n’étions plus accompagnés par les sentinelles mais ce n’était pas facile de s’échapper pour autant. Certains ont essayé même dans le Kommando où j’étais. Ils savaient qu’ils ne réussiraient pas. Ils savaient seulement qu’ils seraient renvoyés à Rawa Ruska. S’ils faisaient les fortes têtes, ils seraient renvoyés en Hongrie, dans un camps de la mort.

En avril 44, le fils de la ferme est venu en permission. Il est venu me voir avant de partir et m’a dit "tu veux donner de tes nouvelles à ta femme ? Si tu veux faire une lettre, je la posterai en France." Elle l’a eue. J’avais confiance en lui sinon je n’aurais pas écrit. Il n’avait pas le droit de le faire. Je voulais qu’elle soit tranquille et lui disais la façon dont j’étais soigné. Elle était invitée à servir à une noce le lendemain. Elle y est allée tellement elle était heureuse. Elle n’a pas reçu d’autre courrier avant ma libération

En août 44, quand les Américains sont arrivés, les allemands ont reflué d’un seul coup. Je dormais dans une petite chambre. J’ai vu des voitures arriver. Je suis revenu à la ferme et on m’a annoncé, "tu ne coucheras pas dans ta chambre ce soir. Des soldats l’ont pris. Tu coucheras dans la chambre de Jorgen", son fils qui était à l’armée…

J’ai vu la débandade des allemands. Les villes descendaient dans les campagnes se nourrir depuis près de trois ans. Pendant les bombardements, certains venaient se réfugier dans les fermes, notamment une femme. Elle a causé avec le patron dans leur patois. Il est venu me demander d’harnacher une jument pour chercher des affaires qu’elle avait chez elle. Elle habitait à 20 kilomètres en dehors de la ville. Elle m’y a conduit. La jument à un moment donné a fait un écart pour éviter un entonnoir d’obus. Nous sommes arrivés chez elle dans les faubourgs de la ville de……. Il y avait des nombreuses conserves de viande de cochon. Nous avons chargé la carriole, un chariot à quatre roues avec de la place derrière. Je suis reparti tout seul. Ça pétait au loin. Je voyais des balles traçantes.

La veille de ma libération, une compagnie de soldats était encore logée dans la ferme. Un soldat m’a attaqué en bon français comme un gars de Paris, "mon vieux, ça va ?
  Tu parles bien français.
  Tu ne sais pas. Tu es encore bien sur tes gardes… Aujourd’hui tu es prisonnier et demain tu seras libre. C’est moi qui serai prisonnier."

Je serai libre demain……. !!!!

Le matin, alors que j’étais juste rendu dans l’écurie pour enlever le fumier aux bêtes, je vois un copain passer. Il travaillait chez un mécanicien qui était le voisin du bourgmestre du pays, du maire. Il me dit, "si tu veux te camoufler pour ne pas faire des kilomètres pour rien… Le maire a dit qu’il faut que nous nous montrions, car la volkstrum du pays et les réservistes vont venir nous chercher." La fille de la maison ne comprenait pas un mot de ce que l’on disait. Je lui raconte, "Pierre kommt là-haut !" Mes affaires étaient ramassées. Je monte au grenier et me planque dans la paille au-dessus de la maison d’habitation. C’était un vendredi.

D’un côté on voyait une débandade, des camions étaient attelés sur des chevaux récupérés dans des fermes… Une vraie débandade. Le samedi matin, nous commençons à entendre des coups de feu vers neuf heures. Je n’ai pas pu rester là où j’étais. Il a fallu que je sorte. Je voulais les voir arriver. Je suis allé dans un autre bâtiment. Une porte s’ouvrait. Je l’ai entrebaîllée pour voir arriver les Anglais. Je les ai vus arriver à 11 heures. Je n’avais pas vu toutes les fortifications que les allemands avaient fait dans la plaine depuis que je ne sortais plus. Tout a été déménagé. Ils ont voulu tirer sur les chars. Le char s’est détourné et tout le monde est parti tambour battant. Les chars sont passés dessus. J’ai tout vu par ma porte. Les allemands sont venus me chercher et se sont mis avec moi à la porte. "Vous voyez là-bas. Le petit point c’est un blindé." Ils avaient peur. Ils avaient regardé leurs compatriotes prendre la poudre d’escampette…et les anglais arriver. J’ai été libéré le 31 mars par la deuxième armée anglaise et suis rentré chez moi le 16 avril.

Je suis revenu en camion jusqu’en hollande. Chez moi… Ils m’attendaient… Je suis arrivé ici avec 24 heures de retard car je me suis arrêté voir des amis à Paris que je n’avais pas vu depuis 39. Il a fallu attendre la patronne qui faisait sa lessive, rester à souper le soir et ils sont arrivés à me faire louper le train. J’ai pris le train le matin et suis arrivé à 4 heures du soir. On m’a emmené de voiture à partir de Poitiers. Je n’ai pas pu arriver chez moi directement. Les gens arrivaient de tous les côtés pour me voir. Des gens attendaient d’autres personnes et quand je suis descendu de la voiture, je n’étais plus maître de moi. Je ne pouvais pas dire que j’avais été bien dans cette maison-là. Je disais bien à ma femme de ne pas m’envoyer de colis, qu’il ne fallait pas qu’elle se prive.

Je suis revenu d’Allemagne avec six mois de payés en attendant trouver du boulot. Je vais un jour faire une commission chez l’établissement Lambert à la Force. Il me fait rentrer et causer. Je lui demande avant de partir, "oh monsieur Lambert, si jamais un jour vous avez une place, dîtes-le-moi…
  Je n’en ai pas souvent mais il y a un gars qui veut s’engager… Si jamais il s’en va !
  Il faudrait que ça soit avant le mois de septembre sinon je serai obligé de reprendre dans la culture.

Les ouvriers agricoles et les femmes qui se louaient venaient au marché de la porte Challans le premier septembre. Les patrons venaient également pour les rencontrer.
Avant la foire déplacement du premier septembre à Saint Maixent, il m’envoie une lettre me demandant d’embaucher le lundi. J’étais heureux. Je suis entré le 4 septembre à 17 francs de l’heure. Je suis passé à 18 francs le premier novembre, pour Noël 20 francs comme ceux qui étaient déjà embauchés…J’ai fait 26 ans chez lui et ne lui ai jamais demandé une augmentation. Il tissait les paniers à beurre. J’étais chargé de couper le bois. Aux environs de 1950, nous avons commencé à faire de l’emballage. Tous les matins cinq ou six gars attendaient du travail. Le lendemain soir il n’en restait que deux. C’était très dur. Les machines se sont modernisées avec les trancheuses, les dérouleuses. J’ai vu plus de 100 personnes embaucher le matin, pour finir à 30.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

Messages

  • changez "porte Challans" par "porte Chalons"
    très beau texte qui est un beau témoignage de la vie dans notre petit pays. Ah le travail aux paniers ...
    mon premier job à 98 centimes de l’ heure en 1964.Ca n’ avait pas changé ;(

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