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L’Union des Africains d’Amiens et la Mairie inaugurent un square Aimé Césaire

Discours de Michel Kitoko et de Yannick Leflot Savain

jeudi 16 avril 2009, par Frederic Praud

AIME CESAIRE COMPTE LUI-AUSSI PARMI CES HOMMES MATRICES ENGENDREUSES DE L’HISTOIRE : Il était un anticolonialiste résolu, il luttait contre les discriminations liées à la couleur de la peau, il prônait le dialogue interculturel considérant que toutes les civilisations se valent et qu’elles existent pour se rencontrer, s’interpénétrer et s’enrichir mutuellement.

Inauguration du Square Aimé Césaire

Mercredi 15 avril 2009, à Amiens

Discours de Michel KITOKO,

Président de l’Union des Africains.

Nous sommes réunis en ce lieu, en cette journée du 15 avril 2009 pour célébrer un homme, AIME CESAIRE. Mais pour être complet je dirai que nous sommes rassemblés ici pour honorer un COMBATTANT. Je crois que c’est ce terme - COMBATTANT - qui sied le mieux pour mettre en parfaite vibration la personne et son œuvre.

Nous avons tous en mémoire une personne qui s’est investie pour sa survie et pour la survie du plus grand nombre dans un moment critique de l’histoire des relations entre les hommes. Un moment qui est d’une telle brutalité, d’une telle violence que l’on en vient à regretter d’être né en ce temps-là quand on est compté parmi les victimes. Victimes d’une déferlante vague de haine et de mépris. Je parle de ces temps historiques où il était tout à fait normal, voire même juste, que les singularités que sont les indiens d’Amérique, les aborigènes d’Australie et les noirs d’Afrique soient malmenées. Des singularités considérées comme un néant de civilisation par le monde européen. Ce sont les temps forts de l’esclavage, de la colonisation, de la ségrégation raciale et de l’apartheid.

Alors que le destin de ces peuples humiliés semblait être engagé dans une impasse et que l’atmosphère générale était à la résignation, c’est à ce moment qu’apparaissaient des hommes providentiels. Des hommes qui aidaient leurs compagnons dans la vie à renaître dans le sentiment de leur dignité et à s’affranchir de la mentalité servile. Des hommes qui prenaient la responsabilité, la lourde responsabilité d’engendrer une autre histoire. Parmi ces hommes qui ont défait des nœuds longtemps pensés indéfectibles nous pouvons citer :
  TOUSSAINT LOUVERTURE, le proclamateur de l’indépendance d’Haïti
  VICTOR SCHŒLCHER, l’abolitionniste de l’esclavage en France
  MARTIN LUTHER KING, le combattant pour les droits civiques des noirs américains aux États-Unis
  et NELSON MANDELA, le lutteur pour la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.

AIME CESAIRE COMPTE LUI-AUSSI PARMI CES HOMMES MATRICES ENGENDREUSES DE L’HISTOIRE : Il était un anticolonialiste résolu, il luttait contre les discriminations liées à la couleur de la peau, il prônait le dialogue interculturel considérant que toutes les civilisations se valent et qu’elles existent pour se rencontrer, s’interpénétrer et s’enrichir mutuellement.

Son combat il l’a mené à travers la NEGRITUDE, un concept dont il est l’un des pères fondateurs avec le Guyanais LEON-GONTRAN DAMAS et le Sénégalais LEOPOLD SEDAR SENGHOR.

Son combat reste d’actualité : la lutte contre les discriminations, la lutte contre l’exclusion, l’égalité des chances, le combat pour la diversité en France. C’est pourquoi son œuvre mérite lecture et relecture par toutes les générations, présentes et futures.
Sa vie et son combat doivent être considérés avec beaucoup d’attention par les acteurs politiques de notre temps qui ont pour mission incuber et fermenter la société pour une république juste et pour un monde plus convivial.

AIME CESAIRE incarnait la diversité que nous appelons de tous nos vœux en France, en Europe et partout dans le Monde. En lui habitaient sans aucuns conflits les apports culturels africains, indiens et européens. Il nous appartient de tout mettre en œuvre pour que la synthèse réussie dans l’homme se reflète aussi entre les hommes.

AIME CESAIRE militait pour une République vivant en phase avec les principes clairement affichés dans son crédo, LIBERTE, EGALITE et FRATERNITE. Il témoignait ainsi qu’une devise - quoique dite oralement et couramment - n’est pas une expression de valeurs totalement acquises. Elle est un idéal, une aspiration très profonde existante et répartie de façon égale dans tous les êtres humains. Une devise c’est un agenda fixé à tous les acteurs du monde politique, social et économique. Une devise c’est un cap fixé à toutes les générations qui vont se succéder. Elle est une contribution idéologique pour un mieux vivre ensemble.

AIME CESAIRE et son œuvre c’est littéralement une invitation à célébrer la vie et les progrès qui ont été fait tout au long des siècles. C’est aussi une invitation à garder la lucidité, garder une posture de combattant en tout temps que vous soyez un homme ou une femme, un jeune ou un adulte, un natif du pays, un naturalisé ou un étranger, une personne très instruite, peu instruite ou pas du tout instruite, car ce qui a été conquis est considérable, certes, mais ce qui reste à conquérir pour plus de convivialité entre les peuples est infiniment immense.

Il disait, je cite,
« LE COMBAT, LE SECULAIRE COMBAT POUR LA LIBERTE, L’EGALITE ET LA FRATERNITE N’EST JAMAIS ENTIEREMENT GAGNE, ET QUE C’EST TOUS LES JOURS QU’IL VAUT LA PEINE D’ETRE LIVRE »

Qu’il me soit permis d’apporter cette précision : la liberté, l’égalité et la fraternité dont il est question ici ne mérite pas notre activisme pour les voir devenir concrètes seulement à l’échelle nationale, je parle ici de la NATION FRANCE. C’est une éthique et une esthétique qui doit se déployer dans les relations internationales, et particulièrement dans les relations avec l’AFRIQUE. En effet, AIME CESAIRE disait, je cite,
« AUCUNE COOPERATION NE PEUT EXISTER ENTRE LES PEUPLES SANS LE RESPECT FONDAMENTAL ET SINCERE DE LA PERSONNALITE DU PARTENAIRE »

Il est tout à fait regrettable de voir qu’après avoir renoncé à la TRAITE NEGRIERE et à l’ESCLAVAGE, un système tout aussi pervers a été instauré : la COLONISATION. Cela est d’autant plus regrettable lorsqu’on voit toute cette ingéniosité dont font preuve les hommes politiques de notre temps qui instaurent et pratiquent le NEOCOLONIALISME, avec une logique de rapports entre nations digne de ces temps d’une laideur qu’il nous tarde à dépasser. Témoignage d’un sentiment erroné d’une mission qui perdure. Une mission modifiée dans les temps sans jamais avoir été transformée. Nous devons travailler pour une véritable rupture avec les pratiques du passé.

J’aimerais dire que ma joie est immense, et que je suis très heureux de ce vibrant hommage que la ville d’AMIENS rend à celui que nous appelons affectueusement « PAPA CESAIRE ».
Pour l’avoir rencontré et s’être longuement entretenu avec lui, je peux vous dire tout l’amour et le respect qu’il avait pour les amiénois et l’ensemble des picards. Parce que vous avez manifesté votre attachement à la mémoire d’un segment de l’histoire de France qui lui était très cher quoique douloureux, l’esclavage. Car il était lui-même un descendant d’esclaves. Il a apprécié votre accompagnement humaniste et solidaire de la Commémoration des Traites Négrières, de l’Esclavage et de leurs Abolitions.

C’est l’occasion pour moi de vous transmettre le PROFOND DESIR DE MEMOIRE des amiénois et de la communauté nationale dans toute sa diversité. Une véritable dynamique commémorative s’est mise en place en Picardie depuis le 10 mai 2006, date de la première Journée Nationale de Commémoration de l’Abolition de l’Esclavage en France. L’élévation d’un monument dans la ville d’Amiens serait la phase ultime donnant pleine satisfaction à ce désir de mémoire. Il s’agit de donner des éléments concrets pour raconter quatre siècles de cette histoire de France. Sans culpabiliser la communauté nationale d’aujourd’hui dont la position sur la question de l’esclavage a été clairement cernée par ses représentants au parlement. Ces derniers ayant voté à l’unanimité le 10 mai 2001 cette loi reconnaissant l’esclavage des noirs comme un crime contre l’humanité. C’est une mini - victoire sur cette tentation qui existe chez tous les peuples de se focaliser seulement sur la facette glorieuse de leur histoire. Mini-victoire car nous sommes loin du projet initial examiné par les députés et sénateurs en 1982. Un projet qui prévoyait fixé un jour férié sur l’ensemble du territoire français pour une commémoration plus digne des traites négrières, de l’esclavage et de leurs abolitions.

J’ai le souvenir de cette douloureuse histoire entre la France et l’Allemagne. Des jours fériés dans le calendrier français. Des drapeaux en berne. Des rues et des places baptisées. Des expositions dans les musées. Des monuments érigés. Des stèles dressées et des plaques murales en hommage aux martyrs. Des programmes scolaires adaptés pour le collège, le lycée et l’université. Une prise en compte de cette histoire dans les différents examens et concours. Un dialogue dans le respect mutuel. Bref, un travail mené immédiatement de part et d’autre du Rhin sur une mémoire partagée, pour une France et une Allemagne plus que jamais réconciliées !

Que ce désir de mémoire de la communauté nationale et de la société civile dans toute leur diversité puisse être rencontré par une réelle volonté politique de la part de l’Etat, du Département de la Somme, de la ville d’Amiens et de la Région Picardie. Pour que soit enfin inauguré le 10 mai 2010 à Amiens le monument commémorant les traites négrières, l’esclavage et leurs abolitions – le Mémorial 1802 du Traité d’Amiens.

Je crois que bâtir un monument commémoratif à Amiens (et dans d’autres lieux de mémoire identifier partout en France), et introduire - pas de façon sommaire - l’enseignement sur la question de l’esclavage c’est donner toutes les chances aux générations présentes et futures de ne pas retomber dans les erreurs du passé. C’est donner toutes ses chances à la liberté, à l’égalité et à la fraternité entre les peuples.

Nous croyons que les institutions doivent prendre toute leur place pour lutter contre les préjugés sur les étrangers en France. Ses préjugés trouvent leur origine dans cinq siècles d’éducation pendant l’esclavage et la colonisation. Ces préjugés persistent parce qu’ils sont nourris en notre temps par un discours politique qui stigmatise. Nourrissant une vision de l’étranger comme une menace à la sécurité de l’état, comme des compétiteurs farouches sur le marché du travail, comme des pilleurs des aides sociales. C’est un discours qui est moralement mauvais, mais politiquement bon pour ceux dont il fait la carrière. Permettez-moi de dire avec force, qu’étrangers et nationaux nous nous devons d’être des compagnons solidaires dans la recherche d’opportunités pour garder notre dignité. Le problème des étrangers et des nationaux c’est ce capitalisme dont la crise financière actuelle met en lumière le caractère immoral, voire même amoral !

Pour terminer.

Tous nos remerciements vont à la Mairie d’Amiens, représentée par Monsieur le Maire GILLES DEMAILLY, pour la désignation de ce lieu baptisé en ce jour Square Aimé Césaire.

Nos remerciements à Madame MARYSE LION-LEC, adjoint au Maire chargé de l’égalité des droits et de la lutte contre les discriminations.

L’expression de notre gratitude va aussi en direction de l’ACSE (Agence Nationale pour la Cohésion sociale et l’Egalité des Chances) et de son directeur, Monsieur YASSINE CHAÏB, dont l’écoute active et les conseils ont été précieux dans la structuration de cette dynamique commémorative, dès son origine en 2006.

Tous nos remerciements au Conseil Régional de Picardie et au Conseil Général de la Somme. Merci pour votre contribution à la mémoire de l’abolition de l’esclavage des noirs.

Nos remerciements à la Vice Présidente du Conseil Régional de Picardie chargée la direction de la coopération décentralisée, Madame MICHEL CAHU. Nos remerciements à tous ses services qui œuvrent pour un développement solidaire en Afrique.

Nos remerciements au public ici présent, et à tous ceux qui nous soutiennent de près comme de loin.

Puissions-nous resserrer les rangs et continuer de travailler pour construire un village planétaire dans lequel il fait bon de vivre ensemble.

Que Dieu vous bénisse, et que Dieu bénisse la France.


Discours de Madame Yannick Leflot Savain

Le 25 Mars 1802, à Amiens , a été posée la première pierre de la construction de la Négritude chantée par Aimé Césaire !

Je vois, dans vos yeux, des interrogations. Comment est-ce possible ? 1802 ? Aimé Césaire n’était pas né ? A Amiens, mais, il n’y a jamais habité ?

Faisons donc, ensemble, un petit parcours historique et vous comprendrez le lien qui unit Amiens à la Négritude !

Le 4 Février 1794 , L’Assemblée de la Convention vote dans l’enthousiasme, le décret du 16 Pluviôse An II qui « déclare l’esclavage des Nègres aboli dans toutes les Colonies ! L’assemblée décrète que, tous les Hommes , sans distinction de couleur, sont Citoyens Français et jouiront de tous les Droits assurés par la Convention ! »

La bonne nouvelle se répand dans toutes les Colonies. Les esclaves affranchis de l’île de Saint-Domingue et de la Guadeloupe, prennent leur autonomie, en particulier financière et se mettent au commerce. A Saint- Domingue, Toussaint Louverture, esclave affranchi , a un statut de gouverneur en remerciement de sa victoire contre les Anglais qui avaient occupé une partie de l’île de Saint-Domingue.

Que se passe t-il donc en 1802 ? La France n’est plus révolutionnaire, elle est devenue l’Empire et Napoléon se bat contre les Anglais pour une hégémonie mondiale .Un accord est trouvé entre les deux partis et est signé le 25 Mars 1802 , la Paix d’Amiens . Cet accord prévoit , entre autres, la restitution à la France de la Martinique.

Or, la Martinique, sous domination anglaise, avait conservé ses esclaves et, Madame Bonaparte, Joséphine Tacher de la PAGERIE, colon martiniquais, récupère sa plantation et les esclaves qui y sont attachés. Le 20 Mai 1802 , par décret, Napoléon légalise , à nouveau , l’Esclavage, dans les Colonies Françaises.

L’annonce de ce rétablissement de l’esclavage provoque immédiatement, une Résistance des anciens esclaves. Des corps expéditionnaires sont immédiatement envoyés , pour réprimer la rébellion. Une répression sanglante commence, en particulier, en Guadeloupe.

Dans l’île de Saint-Domingue, débarquent 50000 hommes menés, par le Maréchal Leclercq, beau-frère de Napoléon , mari de Pauline Bonaparte.

Les anciens esclaves commandés , entre autres, par Toussaint Louverture infligeront une défaite cinglante à l’Armée Napoléonienne et la mort du Maréchal Leclercq va provoquer le départ des occupants Français.

Le 1er Janvier 1804, l’île de Saint-Domingue reprend son nom indien d’origine, HAITI . Haiti , première révolte d’esclaves réussie, sera la première colonie noire à proclamer son indépendance ce jour là !

Ecoutons, maintenant, ce que dit Aimé Césaire :
« Haiti, où la Négritude se mit debout pour la première fois, et dit qu’elle croyait à son Humanité. Cette île a conquis sa liberté, on ne le lui a pas donné ! Les haitiens se sont battus pour l’avoir , ils l’ont conquise, pas seulement pour eux mais, pour nous tous ! »

Mesdames, Messieurs, vous savez maintenant, que sans le Traité d’Amiens du 25 Mars 1802, la Négritude ne se serait pas mise debout à Haiti mais, Aimé Césaire aurait été, malgré tout, un grand poète !

Pour finir , une petite précision, en Haiti, le terme de Nègre n’a aucune connotation péjorative. Au contraire, « un grand nègre » est « quelqu’un de bien », fut-il blond aux yeux bleus. Aussi, je remercie les grandes négresses et les grands nègres d’Amiens de nous permettre de rendre cet hommage au très grand nègre « Aimé Césaire » .

Une dernière chose, ne nous appelez plus » descendants d’esclaves », maintenant, vous le savez , Mesdames et Messieurs, nous sommes des « descendants de résistants à l’esclavage » !


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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