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CHALDÉEN - Á la frontière avec la France, nous devions traverser à pied,

Véronique

jeudi 15 avril 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Enfance et jeunesse en Turquie

Je suis née le 22 janvier 1960 en Turquie, dans un petit village de montagne situé près de la frontière avec l’Irak, dans cette région qu’on appelle le Kurdistan. Je suis arrivée en France en 1980.

Dans mon enfance, il n’y avait pas d’école, pas d’électricité, pas d’eau dans le village. Beaucoup de choses manquaient… Aujourd’hui, il a complètement été détruit et il n’y a plus personne…Lorsque l’école est arrivée, nous étions déjà grands. L’année de son ouverture, mes frères s’y sont inscrits parce qu’ils allaient être obligés de partir à l’armée. Par contre, les filles n’ont pas été nombreuses à la fréquenter, car ça faisait un peu bizarre, c’était un peu dur… Nous étions déjà des jeunes femmes et on ne pouvait pas être mélangées avec les garçons. C’était un peu choquant…

Quand on est venu pour nous inscrire, je me suis donc cachée quelque part pour ne pas y aller mais je l’ai regretté…Par rapport à mon âge, j’avais un petit peu honte ! Mais par la suite, à partir de la deuxième année, toutes les filles et tous les garçons sont allés à l’école.

Au village, il y avait environ quatre-vingt habitants. Tout le monde se connaissait ! Nous formions une même famille et toutes les maisons étaient collées les unes aux autres. Nous vivions de l’agriculture et de l’élevage. On avait des moutons, des chèvres, des vaches… Nous étions heureux là-bas ! Nous étions bien, en bonne santé… Il y avait beaucoup de soleil… Les hommes gardaient les animaux pendant la journée tandis que les femmes restaient à la maison. Elles faisaient le fromage, s’occupaient des enfants. Parfois, elles aidaient leur mari à ramener pour l’hiver, des trucs pour les moutons, les chèvres, etc.

Moi, je voulais faire comme mes parents, le même métier. Au quotidien, je faisais la même chose que ma mère et mes frères, la même chose que mon père. Nous vivions ensemble ! On était petit et on ne voyait rien de mieux ! Mais, on était très heureux… Quand il y avait un mariage, c’était la fête pendant deux trois jours ! Seulement maintenant, lorsqu’on voit le village détruit, ça fait mal… C’est très triste car nous sommes nés là-bas… Il n’y a pas eu la guerre mais lors du conflit Iran Irak, dans la montagne, on entendait les bombes…

Je suis chrétienne et tout le village était auparavant chrétien. Mais, dans mon enfance, il était à moitié musulman et il y avait des problèmes de religion… Le chef du village, un musulman, exigeait des choses des autres habitants. Il était comme le roi. Quand ils sont arrivés, les Musulmans étaient très pauvres. Ils gardaient les moutons. Mais, au bout de quelques années, ils ont commencé à acheter des terres dans le village.

Au fur et à mesure qu’ils s’enrichissaient, ils en achetaient de plus en plus et un jour, le chef à voulu s’emparer d’un grand terrain appartenant aux Chrétiens. Il a dit : « Celui-là est aussi pour moi ! » mais les autres ont refusé : « Non, on ne peut pas le donner ! C’est à nous ! » Le chef du village était très méchant avec tout le monde… Les autres étaient comme des esclaves… Quand il demandait quelque chose à quelqu’un, il ne pouvait pas dire non…

Á cause de la terre, il y a donc eu des problèmes de religion, des bagarres… Et quand un homme a été tué, les gens ont commencé à quitter le village, sans rien, en abandonnant tout… Maintenant, il n’y a plus personne… Il est complètement détruit, envahi par la forêt…

Départ et arrivée en France

C’est mon beau-frère, parti en France avant nous, qui nous a fait venir. Il était installé à Clichy-sous-Bois. Nous n’avions pas de papiers et ne nous ne parlions pas un mot de français. Nous sommes passés par l’Italie, par Rome, où nous ne sommes même pas restés une journée. Là-bas, des gens de la famille sont venus nous chercher avec deux voitures.

Á la frontière avec la France, nous devions traverser à pied, par un petit sentier de montagne, tandis que nos valises se trouvaient dans les deux véhicules. Mais, en voyant que les coffres étaient plein de bagages et qu’il n’y avait qu’un chauffeur, les policiers italiens se sont doutés de quelque chose. Ils ont prévenu les policiers français : « Deux voitures sont passées sans personne à l’intérieur alors que l’on a trouvé des valises dans les coffres ! »

Nous, on s’était éloigné de la route pour éviter les contrôles. Seulement, on ne connaissait pas le chemin, rien du tout… Moi, j’avais mon fils dans les bras. Il était très petit… Il n’avait même pas un an… Je lui donnais le sein mais je n’avais pas beaucoup de lait… Á la maison, je lui donnais des choses en plus parce que je n’avais pas assez…

Lorsque les gens de ma famille qui conduisaient les voitures ont été arrêtés par les policiers français, ils leur ont demandé : « Où sont les propriétaires des valises ? » et ils ont dit toute la vérité… Ils leur ont expliqué que nous étions tout un groupe avec deux enfants… C’était l’hiver et il faisait très froid ! La neige tombait en abondance… Les policiers sont donc venus nous chercher. Mais, on avait peur d’eux ! On veillait à s’éloigner de la route ! On ne voulait pas qu’ils nous trouvent !

Nous avons marché toute la nuit à pied, dans la montagne, à travers la forêt, sans savoir où nous étions… Le lendemain, on s’est dit : « Oh la la, mon Dieu ! Comment va-t-on pouvoir passer sans tomber ? » La montagne était immense ! Heureusement, il n’y a pas eu d’accident… Personne n’a glissé dans les ravins… Nous avons continué à marcher toute la journée… On était fatigués… On avait faim… Nous n’avions rien à manger sur nous… Nos talons étaient cassés… Nous n’avions pas de vêtements de rechange… C’était vraiment dur…

On s’est abrité dans une petite maison en ruine, dans un village abandonné, et nous avons fait un petit feu pour nous réchauffer… Mais en voyant la fumée, un ancien habitant du village est venu pour voir ce qui se passait. Il nous a trouvés comme ça… On ne parlait pas du tout… Puis, il a appelé la police… Elle nous avait cherchés toute la nuit !

On avait peur qu’ils nous renvoient et c’est ce qu’ils ont fait… Ils nous ont ramenés en Italie… Nous sommes restés quelques jours là-bas avant d’essayer à nouveau de franchir la frontière mais cette fois, nous avons réussi. Nous n’avons pas suivi le même chemin. Nous avons pris le train alors que la première fois, des voitures étaient venues nous chercher… On est arrivés à Paris où la famille nous a récupérés… Heureusement qu’elle était là, qu’elle nous a pris en charge ! Sinon, nous n’aurions pas pu venir… Nous n’avions pas de papiers ! Ils donnaient des visas pour l’Italie, pour l’Espagne, mais pas pour la France !

Ma famille avait un appartement à Clichy. Nous sommes restés six mois là-dedans, tous ensemble. Les premiers jours ont été durs… Je me demandais : « Comment vais-je sortir ? » Je me sentais perdue… Chez mon beau-frère, il y avait un ascenseur mais je ne connaissais pas les chiffres, les numéros d’étage. Alors, le prendre était difficile… Et puis, j’avais peur de me perdre ! Je ne parlais pas français ! Mais, je ne craignais pas les contrôles de police à l’extérieur car en arrivant, la préfecture nous avait tout de suite donné la carte de réfugié. Elle était valable trois mois renouvelables et au bout de cinq ans sur le territoire, on pouvait obtenir la nationalité française. Aujourd’hui, je suis française depuis longtemps… Nous n’avons eu aucun problème pour obtenir des papiers…

Sarcelles : le village recréé

Au bout de six mois, nous avons trouvé un appartement à Garges, où nous sommes restés dix ans. Je suis arrivée à Sarcelles en 93. Nous avons acheté une maison, un petit pavillon, dans le Village. Tous les Assyro chaldéens sont concentrés à Sarcelles, Garges et Villiers-le-Bel, parce qu’ils se sont regroupés par familles. Chaque nouvel arrivant a acheté une maison à proximité des autres. Voilà pourquoi, nous sommes si nombreux à Sarcelles… Il y a toute la communauté ici, nous avons construit notre église, et ça va maintenant…

La mémoire transmise aux enfants

Les enfants posent souvent des questions sur ce que nous avons vécu et on leur répond. On leur raconte comment nous sommes arrivés ici, etc. Ma fille, qui est née là-bas, m’a dit : « Maman, je veux voir le village ! Je veux voir à quoi il ressemble ! » Je lui ai expliqué qu’il était détruit, envahi par la forêt, mais heureusement, j’ai gardé des photos…Á la maison, nous parlons à la fois chaldéen et français mais mes enfants parlent mieux français que chaldéen.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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