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GUINEE -Dans toute ma vie, je ne suis allé qu’une seule fois en Guinée, pour enterrer mon père en 2001

MAK-N

jeudi 27 août 2009, par Frederic Praud

texte : Frederic Praud


Je suis Guinéen mais je suis né en 1972 en Egypte, parce que mon père est allé faire des études là-bas. Comme moi, tous mes frères et sœurs sont nés en Egypte. Mon père apprenait l’arabe littéraire à l’université. Il donnait aussi quelques cours et faisait de la radio. Il est ensuite parti travailler en Allemagne et pendant ce temps-là, nous avons été envoyés au Mali, chez ma grand-mère. Je suis arrivé en France en 77.

Il me reste un seul souvenir sur ces cinq premières années : fois au Mali, je me suis perdu avec ma grande sœur. Ça s’arrête là… Mais, j’ai paniqué ce jour-là ! J’étais tout petit et je ne connaissais pas trop le coin car je venais juste d’arriver… Mes grands-parents maternels vivaient au Mali. Seulement, ma mère n’est pas malienne. Elle est guinéenne. En Afrique, les familles sont souvent un peu éclatées ! Tu peux très bien être marocain tout en ayant deux frères en Tunisie et un autre en Algérie. C’est comme ça… Moi par exemple, je suis guinéen, de l’ethnie Jahanque, mais j’ai de la famille un peu partout en Afrique ! Au Sénégal, au Mali, en Côte d’Ivoire. J’ai même des cousins au Japon et aux Etats-Unis !

Mon père était un lettré mais je ne sais pas exactement ce que faisaient mes grands-parents paternels. Je ne les ai jamais vus. Je crois qu’ils étaient paysans, qu’ils cultivaient la terre…

Savoir d’où l’on vient

Dans toute ma vie, je ne suis allé qu’une seule fois en Guinée, pour enterrer mon père… Ce n’est pas vieux ! C’était en 2001. J’avais trente ans. Je suis revenu à la source, dans son village natal et je l’ai accompagné jusqu’au fond du trou, comme le veut la tradition… Je suis descendu avec lui dans le caveau familial…

C’est fou ! Je ne pensais pas que j’allais réussir à faire un truc comme ça ! Jusqu’ici, je n’avais jamais imaginé que c’était mon rôle, celui du premier fils… Je ne l’ai appris qu’après… Il faut dire que mon grand frère était décédé ! Il est mort à Paris… En Guinée, j’ai vu que la vie était très dure… Franchement, cela n’a rien à voir avec ici…

Arrivée en France : de Paris à Sarcelles

En 77, on s’est d’abord installé à Pigalle, où nous sommes restés un an et demi deux ans. J’y ai commencé l’école maternelle. En 79, nous sommes venus directement à Sarcelles.

En arrivant à Paris, je ne parlais pas français mais à cinq ans, on apprend vite ! Au début, je me sentais un peu étranger… C’était bizarre… Mais bon, je m’y suis habitué vite fait. Ma grande sœur et mon grand frère n’ont pas eu non plus de difficultés à s’adapter. Comme moi, ils ont rapidement appris le français. Aujourd’hui, je parle quatre langues : le français, le guinéen, le malien et mon dialecte jahanque. Á côté de ça, je parle également un tout petit peu d’anglais.

Je suis arrivé à Sarcelles à l’âge de sept ans. Pour moi, c’était tout nouveau ! Je suis allé à l’école et ensuite, tout a démarré. On se fait rapidement des copains. On va chez les uns et chez les autres. On voit comment ils vivent, etc. Depuis 79, je suis toujours resté dans le même quartier, à la même adresse. Je n’ai jamais bougé. Au début, nous étions six dans l’appartement : quatre enfants et mes parents.

L’évolution du phénomène des bandes

Au début des années 80s, il y avait beaucoup plus de racisme que maintenant (2006) et il ne fallait pas trop sortir… Il y avait des bandes de fascistes, des gangs de rockers, plein de trucs quand j’étais petit ! Aujourd’hui, il y a beaucoup de mixité, beaucoup de mélanges mais avant, Sarcelles, ce n’était pas ça du tout ! Quand on était noir ou arabe, il fallait rester dans son petit coin et ne pas faire le con… Je me suis fait courser plusieurs fois en rentrant à la maison après l’école à cause de ma couleur ! Heureusement, il y avait les grands pour nous défendre… Mais ça, nous sommes nombreux à l’avoir vécu ! Tous ceux qui actuellement ont trente ou trente cinq ans ont forcément connu ce genre de truc…

Évidemment après, en prenant un peu plus d’âge, on ne se laissait pas faire. On était obligés de riposter. C’est arrivé plusieurs fois… Aujourd’hui, les étrangers, les immigrés, sont en majorité dans les cités ! Ils font peur ! Mais à l’époque, ils étaient encore en minorité. Dans les cités, c’était tout blanc… Alors, ils dérangeaient… Ils n’étaient pas trop aimés… Il n’y avait pas que les Africains qui étaient visés ! Ça concernait aussi les Rebeux !

Le gang des Rockers correspondait à peu près aux Skin Head maintenant. Mais avant, on disait « les Rockers ». Ils habitaient Sarcelles ! Ils étaient partout ! Il y en avait même qui venaient parfois draguer les meufs à l’école. Tu voyais carrément un gang dans la cour ! Il ne fallait donc pas faire le malin… Á ce moment-là, j’étais en sixième au collège Jean Lurçat, le premier. D’ailleurs, tous ceux qui l’ont fréquenté en même temps que moi pourraient en témoigner ! Il n’y avait pas de sécurité pour nous les enfants… Ensuite, des petits trucs se sont créés comme Raid Aventure, des structures comme nous aujourd’hui et après, ça a permis eux gens de se rapprocher…

Aujourd’hui, le phénomène des bandes a complètement changé. Dans les années 80s, entre bandes, il n’y avait pas de notion de frontières ou de territoires comme maintenant. C’étaient des potes qui se connaissaient de l’école, de n’importe où, de soirées ! Moi, je n’ai jamais vraiment fait partie d’un gang. Mon frère était dans une bande, mes cousins étaient dans une bande, moi-même j’étais dans une bande, mais je n’ai jamais porté de nom. Sinon, chacune avait un nom spécial ! Il y avait les rouges, les bleus, les machins, etc.

C’était une façon de revendiquer ! C’était : « Nous on fait ci, nous on fait ça ! » Certains graffaient, d’autres dansaient et chacun cherchait la bagarre. Souvent, des bandes de Paris venaient ici se frotter à des bandes de Sarcelles, que ce soit à la danse ou au graff. Parfois, l’un graffait, l’autre venait taguer par-dessus et ça faisait une embrouille ! Il y avait plein de petits trucs dans ce genre ! On voit toujours ça aujourd’hui mais c’était le tout début à ce moment-là. C’était l’arrivée du Rap. Il y avait des gangs de voleurs, de danseurs, de bagarreurs, de dragueurs, de graffeurs, de mecs qui faisaient du bicross, de la boxe thaï… Chacun se donnait une identité !

Les bandes n’étaient pas formées en fonction des origines ou des communautés. Ça se voyait à l’œil nu ! Tout le monde était mélangé ! C’est notre génération qui a développé cette mixité. Avant, quand je suis arrivé, tu pouvais te faire embrouiller parce que tu étais noir ou autre chose ! Il y avait un vrai problème ! Certains se faisaient même tabasser ! C’était chaud !

Mais, à force d’avoir grandi ensemble, d’avoir fréquenté les mêmes écoles, d’être allés chez l’un ou chez l’autre, d’avoir vu comment chacun vivait, d’avoir fait les quatre cents coups ensemble, cela a créé des liens. Maintenant, nos parents se connaissent et sont amenés à se voir tout le temps ! On s’est rapprochés comme ça et c’est ce qui a contribué à tuer le racisme à Sarcelles…

La problème aujourd’hui, est que les groupes de jeunes s’affrontent pour rien du tout, pour des questions de secteurs, de zones, de quartiers. Ça s’est dégradé ! Ils ne sont plus ensemble pour ce qu’ils aiment faire ! Par exemple, il suffit que quelqu’un de Koenig se retrouve à la MJC et c’est parti… Ils se croient aux Etats-Unis maintenant ! J’avoue que nous, au début, on a été beaucoup influence par le film Les Guerriers de la nuit. Mais actuellement, c’est la même chose puissance dix ! Ils se croient dans un clip vidéo…

Á Sarcelles, chez les jeunes, il n’y a jamais d’histoires de clivages entre communautés. Tout le monde se mélange…

La relation jeunes / anciens

De leur côté, les anciens se sont refermés sur eux-mêmes. Ce ne que dernièrement qu’ils essaient de faire un truc, de rajeunir un peu ! Sinon, ils ont toujours été séparés de la jeunesse. Il n’y a pas beaucoup de vieux qui se permettent de parler aux jeunes dehors, comme ça, juste en passant.

Par contre, il y a beaucoup de jeunes qui portent volontiers le sac du vieux ! Quand ils squattent le hall, c’est pareil ! Ils vont lui ouvrir la porte ! Ils vont l’aider à porter les commissions ! Mais en général, ce sont des choses que l’on ne voit pas et que l’on ne dit pas… Même le pire des lascars va donner un coup de main, sauf bien sûr si c’est une vraie crapule. Et des crapules, il y en a aussi, il ne faut pas le nier…

L’acquisition de la nationalité française

Je ne sais plus en quelle année j’ai obtenu la nationalité française. C’est vieux ! Je devais être petit à l’époque. Par contre, je sais que mon père à dû lutter ! Quand il est arrivé en France, il a fait tous types de boulots. Et c’était plus difficile que pour nous ! Il parlait un peu français mais pas ma mère. Il était donc le seul à travailler pour nous tous et en plus, il devait gérer l’école, etc. Je crois que c’est par rapport aux études que nous avons eu nos papiers. En tout cas, bien avant que ne passent les dernières lois sur la naturalisation…

Par contre à Sarcelles, j’en connais quelques personnes de ma génération, arrivés en même temps que nous, c’est-à-dire tout petits, qui ont grandi avec nous, qui sont allés à l’école comme nous et qui jusqu’à présent, n’ont toujours pas réussi à obtenir la nationalité ! Certains travaillent même à la mairie mais ne peuvent pas être embauchés parce qu’ils ne sont pas français. Pourtant, ils ont fait toute leur vie ici ! Je ne sais pas si c’est lié à une erreur ou à un oubli de leurs parents mais c’est un sacré handicap…

Ils ne peuvent pas retourner au bled à cet âge-là ! Déjà, ils risquent de ne pas revenir et surtout, ils risquent de ne pas réussir à s’adapter là-bas… Ce n’est pas du tout la même vie ! Alors, c’est chaud… Si on expulse des gens comme ça, j’ai grand peur pour eux…

Ici, on ne discute pas trop avec les jeunes de ces questions de papier car la plupart de ceux que l’on reçoit sont nés en France, à part deux ou trois. Il est vrai que ça ne les empêche pas d’avoir des problèmes mais je crois que, de toute façon, ils ont peur de nous parler de ce genre de trucs… Ils ont un peu honte parce que pour eux, celui qui n’a pas la nationalité française est considéré comme un blédard… Ils évitent donc les situations où on leur demande des papiers… Par exemple, ils ne s’inscrivent pas pour certaines activités. Il y en a certains qu’on ne voit plus. Je ne sais pas si c’est pour ça ou autre chose ! Mais, on n’a pas l’occasion de leur en parler puisqu’ils ne reviennent plus la plupart du temps…

Évidemment, à partir du moment où l’on est au courant, on peut les aider à faire leurs démarches ! On s’adresse directement aux parents pour essayer de voir ce que l’on peut faire ! Mais, ce n’est pas facile de savoir car les petits jeunes ont leur amour propre, leur petite fierté…

Le problème, c’est aussi qu’au bled, pour avoir un certificat de naissance, il faut s’accrocher ! La plupart de ces petits pays sont corrompus parce que c’est la misère… Alors, si tu n’as pas quelqu’un de bien placé dans la famille, il faut être patient et surtout donner un petit billet ! Du moins, un petit billet pour nous car là-bas, c’est plutôt trois mois de salaires ! Comment tu fais quand tu as une famille à nourrir ? C’est vraiment grave… Ce n’est pas comme ici où tu viens, on te tape le truc vite fait sur l’ordinateur et on te sort l’historique ! Ça n’a rien à voir…

Être adolescent à Sarcelles hier et aujourd’hui

La période d’adolescence, entre quatorze et dix-sept ans, a vraiment été la meilleure pour moi… C’était la danse, le sport, la joie de vivre, l’envie de découvrir, de connaître ; c’est difficile à expliquer ! Mais, cela n’avait rien à voir avec maintenant. Aujourd’hui, il n’y a plus que le style qui compte. « Oh la la, on va te voir comme ci ! Oh attends, je mets ça comme ça ! L’autre va dire ça ! » On se préoccupait déjà de la sape à mon époque, mais on ne se prenait pas autant la tête avec ce que pouvait dire untel ou untel ! Désormais, les jeunes sont devenus de vraies éponges, de vrais moutons…

Nous, on n’avait pas de frontières, que ce soit dans la ville ou en dehors. On allait partout ! Moi, je connais des gens de partout ! Alors que maintenant, les mecs sont complètements cloisonnés. Il suffit de demander à un petit jeune où il fréquente ! Il va dire Sarcelles et de donner des noms quartiers dans la ville. S’ils ne sont pas bande, s’ils ne sont pas en masse, ils restent dans leur coin !

Quand j’avais douze treize ans, on allait cueillir des cerises, on allait piquer des fruits dans les champs. Ce n’était pas méchant ! On partait à l’aventure ! On prenait les vélos et on faisait de la route, on se construisait des cabanes en bois, des trucs de gamins en somme !

Plus tard, lorsque l’on allait à Paris, l’image de Sarcelles était chaude et c’était : « Qui s’y frotte s’y pique ! » Mais bon, il y avait plus de bluff qu’autre chose. Ce n’est pas nous qui avons fait la réputation de Sarcelles ! Ce sont les plus anciens, les braqueurs, les vrais bandits ; ce ne sont pas les petits jeunes comme nous. Des vrais bandits, il n’y en a jamais vraiment eu ici mais comme c’était une ville dortoir qui accueillait tous les styles d’immigrés, ça faisait peur ! Avant, il n’y avait pas de mélanges comme maintenant ! Alors, ça faisait vraiment peur… Il suffisait que tu dises que tu habitais Sarcelles pour que l’on te considère comme un terroriste ! C’était un truc de fou ! « Oh là là ! Comment tu fais pour habiter à Sarcelles ? » D’ailleurs, ça n’a pas beaucoup changé alors que ça n’a rien à voir avec la réalité…
J’aime beaucoup ma ville… Il y a vraiment ici un truc spécial. Je ne sais pas comment définir notre mentalité mais je trouve qu’elle est bonne. Je me suis déjà déplacé un peu partout et je n’ai vu nulle part la même chose. Dans notre génération, nous sommes très ouverts, très tolérants. On ne juge pas les individus sur leur aspect extérieur…

Par contre, je trouve que le problème des petits jeunes d’aujourd’hui, est qu’ils n’osent plus… Ils craignent trop le regard des gens avant de faire quelque chose, que ce soient celui de leurs parents ou de n’importe qui. Il y a plein de paramètres qui entrent en jeu ! C’est un ensemble qui crée le malaise mais le fait est : par rapport à leurs aînés, ils n’ont plus de références comme nous avons pu en avoir… Leurs exemples, ce sont les grands frères en prison qui deviennent des icônes, ce sont les clips de rap, même s’ils ne comprennent pas que ça n’a rien à voir avec la réalité, etc. Alors, ils font n’importe quoi…

Quand j’étais ado, mes valeurs, c’était qu’il fallait être plus malin, qu’il fallait toujours prendre le meilleur de ce que l’on m’expliquait, c’était la danse que j’ai beaucoup aimée, c’était le goût du risque. Je cherchais aussi à travailler pour m’acheter des baskets ou pour aller à la piscine. Par exemple, à douze ans, j’avais un petit boulot au marché. Bref, il y avait du mouvement et on voyait la vie en vrai ! Il n’y avait pas de clips comme maintenant ! Des trucs de fous où tu vois des mecs avec des filles dans des Mercedes !

Je savais que j’allais faire quelque chose, mais quoi ?

Á l’époque, je n’avais pas de grande idée sur mon avenir mais je savais que j’allais faire quelque chose. Par contre, je rêvais comme tout le monde d’avoir une belle maison, d’être bien habillé, d’être respecté, d’être patron de ma société, de trucs comme ça. Il faut dire que je voyais des gens partir à la dérive et ça, je ne le voulais pas. J’ai donc tout fait pour ne pas en arriver là… Il y avait des squats un peu partout ! Dans les caves, dans les appartements ! Je leur ai même fait la guerre à quatorze quinze ans. Ça partait en couilles ; les gens se camaient et on trouvait des seringues, etc. D’ailleurs, mon grand frère était ans la came ! Alors, j’ai vécu tout ça en direct, en vrai et je leur faisais la guerre… J’essayais de faire des choses à mon petit niveau, pour ne pas que ça empeste le quartier et ça a marché. Á la force, mais ça a marché… On ne voit plus de camés dans les environs, exceptés peut-être quelques anciens pour qui on n’a rien pu faire…

Évidemment, nos parents faisaient tout pour nous protéger ! Moi, c’était simple ; je n’avais pas le droit de sortir. Je devais rester à la maison. Mais comme tout jeune ado, j’attendais que mon père soit par exemple occupé avec un oncle, en train de discuter ou de regarder un match de foot, pour me faire la malle. Et en rentrant, je prenais ma petite raclée…

Avec mes parents, nous ne partions jamais en vacances. C’était chaud pour bouger ! Nous étions quatre enfants et ma mère ne parlant français, mon père était obligé d’assurer pour l’école et d’aller au taf. Je ne le voyais presque pas tellement il travaillait ! Il était agent de sécurité. Il faisait du gardiennage la nuit à la préfecture. Alors, il dormait la journée et parfois était obligé de rester là pour nous ! Il était tout le temps surmené. C’était un truc de malade ! Laisse tomber ! C’est ça qui l’a fatigué…

Moi, gamin, je ne suis parti qu’une seule fois en vacances, en colonie. Après, j’ai travaillé au marché, je me faisais un peu d’argent, je faisais les quatre cents coups et un beau jour, vers quinze ans, on est parti avec une bande de potes, tranquilles en province. J’ai passé un mois et demi à Deauville avec cent cinquante francs en poche. On n’avait même pas de tente ! On dormait direct sur la plage. Et pour manger, on se débrouillait !

Maintenant, les petits jeunes n’osent même pas aller à Paris… Certains se disent : « Houa ! Je vais me faire attraper par les autres là ! Non, je ne bouge pas ! » Tant qu’ils ne sont pas dix, ils ne bougent pas, avec leurs histoires de territoires, de gangs. Ils ont par exemple tabassé un mec à cinq et ils ont peur qu’il les retrouve. Aujourd’hui, il y a plus de trucs comme ça, des petites crapuleries. Ce n’est qu’après qu’ils réfléchissent, qu’ils mesurent les conséquences ! Ils réalisent : « Merde, je ne peux pas bouger ! Je ne peux plus aller à tel endroit ! Oh merde, je ne peux pas rentrer chez moi ! » Ce sont des histoires d’imbéciles !

N’importe quel taf est bon a prendre

J’ai arrêté l’école avant le Bac. J’ai fait un BEP électrotechnique et après, j’ai fait plusieurs petits boulots, un peu de tout. J’ai travaillé au Mac Do, j’ai fait du ménage dans les bureaux, de la sécurité, de la menuiserie. J’ai travaillé à l’usine, j’ai fait de l’animation, etc. Á l’usine, je fabriquais des fenêtres en PVC. J’étais chez Profilex à Oyonnax, dans la banlieue de Lyon. Je ne suis pas toujours resté ici ! Je ne suis pas attaché ! Je n’ai pas de frontières ! Bon c’est vrai, je suis quand même revenu à Sarcelles. Alors, j’ai peut-être un point d’attache mais en tout cas, je n’ai pas de frontières. Contrairement à certains, rien ne peut m’empêcher d’aller d’un endroit à un autre. Je vais où je veux quand je veux…

Je ne suis pas resté longtemps à Oyonnax. C’était un test. Je n’ai fait qu’un mois et demi là-bas. Comme ça ne m’a pas plu, je suis revenu. J’ai ensuite été agent de sécurité pendant trois ans et demi, chez Leclerc, aux Flanades. Avant de partir, j’étais déjà dans l’animation mais je ne sais pas ce qui s’est passé, on m’a viré. J’ai été embauché comme animateur par la mairie en 94, la première fois. J’avais suivi un petit stage d’animation avec un emploi à la clé. Mais, après avoir réussi mon stage, je ne suis resté qu’un mois. En fait, je ne suis revenu à la mairie qu’en 2001. Je n’avais pas trop le choix ! Á l’époque, je n’arrivais plus à trouver du taf. Avant ça, j’étais chez Gem Plus, là où on fabrique des puces électroniques. J’ai fait un peu de tout comme boulot ! Il n’y a pas de problème. N’importe quel taf, je le prends. Il faut bien travailler !

Changer les choses

Maintenant, je suis dans l’animation et on se bat pour les jeunes. On essaie de faire bouger les choses mais il y a beaucoup trop de trucs à changer ! Et si ça continue comme ça, ça va péter… En novembre dernier, ça n’a pas pété à Sarcelles parce qu’on est là pour parler aux jeunes ! Les incidents, on n’en fait jamais la publicité ! On a freiné plein de conneries ! Les petits moutons disaient : « Houa ! On va faire pareil ! On va faire parler de nous ! »
Et nous direct : « Non, non ! Qu’est-ce que tu fais ? Allez, rentre à la maison vite fait ! »
Franchement, Sarcelles, c’est tranquille ! Depuis que je suis petit, j’ai toujours connu des endroits où il y avait des trucs bien pires mais c’est toujours d’ici dont on parle le plus… C’est quand même bizarre !

Depuis que je vis ici, la population a changé. Il y a un peu plus de monde ! Beaucoup d’Assyro-Chaldéens et d’Indiens sont arrivés alors qu’avant, il y avait surtout des Maghrébins, des Africains et des Antillais. Mais, les Assyros ont encore une attitude très communautaire. Par exemple, la plupart de leurs jeunes ne se mélangent pas aux autres… Cela s’explique par le fait qu’ils ne sont pas là depuis longtemps mais surtout parce qu’ils y trouvent plus d’avantages par rapport à la politique de la ville ! Il ne faut pas avoir peur de le dire ! Ça marche en communauté ici !

À Sarcelles, dans l’animation, il y a beaucoup plus de garçons que de filles et c’est un problème parce qu’il faut aussi s’occuper des jeunes filles. Il y en a beaucoup dans notre secteur ! Alors, quand il n’y a que des hommes, c’est délicat pour elles comme pour leurs parents. Ils hésitent à les laisser venir ici et c’est tout à fait normal. Nous sommes donc contents d’avoir Amel dans l’équipe ! Maintenant qu’on a ouvert une porte, on reçoit un peu plus de filles… Mais, en règle général, il faudrait rééquilibrer tout ça ! Il faudrait davantage de mixité !

Message aux jeunes

Respectez-vous les uns les autres. Et quand vous voulez quelque chose, allez le chercher ! Il ne faut pas attendre qu’on vous mette la cuillère à la bouche ! Allez de l’avant et n’ayez pas peur de vous renseigner parce qu’il a plein de trucs pour vous, plein de débouchés. Il ne faut pas avoir peur de frapper aux portes car elle ne sont pas fermées à clé… Et puis, arrêtez de vous identifier aux clips. Ce n’est que du rêve….


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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