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Itinéraire de femmes peules en France - les premières migrantes sénégalaises

Mme Diallo Kadiata et Mme Aïssata Dieng

vendredi 5 juin 2009, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Mme Diallo Kadiata
et
Mme Aïssata Dieng

Pour la clarté du récit, les propos de Mme Dieng sont retranscrits en italique

Jeunesse au Sénégal : mme Kadiata

Je suis née au Sénégal en 1959, dans un petit village du sud-est, situé à côté de Bakel. Nous étions au bord du fleuve Sénégal, qui marque la frontière avec la Mauritanie. Á l’époque, les maisons étaient construites en terre avec un toit de paille mais maintenant, c’est un village superbe, très touristique, où tout est fait en terrasse. C’est magnifique ! Il y a plein d’animaux : des vaches, des moutons…

Mon nom de jeune fille, c’est-à-dire le nom de mon père, n’est pas Kadiata mais Boli. Il était chef du village. C’est en fait mon arrière grand-père qui l’a bâti. En dehors de sa fonction de chef, mon père était agriculteur. Il s’occupait de ses animaux. Nous sommes très nombreux dans la famille ! Á l’origine, mon arrière grand-père est venu avec sa femme et maintenant, nous sommes des centaines ! Mon père avait deux femmes. Avec ma mère, il a eu trois filles et un garçon. Nous sommes donc quatre frères et sœurs. Mais de l’autre côté, ils sont sept : trois garçons et quatre filles.

Nous avons tous reçu la même éducation, même si certains sont allés à l’école et pas d’autres. Dans le village, l’école n’a été construite qu’il y a vingt ans. Ceux qui comme moi sont nés bien avant n’ont donc pas pu la fréquenter. Par contre, je suis allée à l’école coranique. On y apprenait à lire et écrire le Coran, à faire les prières. Les petites filles et les petits garçons y étaient mélangés. Jeunes, nous étions toujours ensemble. Ce ne n’est qu’après, vers quatorze quinze ans, que nous étions séparés.

Au Sénégal, je n’ai pas appris le français. Si je le parle correctement aujourd’hui, c’est parce que je suis ici depuis longtemps. Je suis arrivée à l’âge de seize ans et demi. Je me suis mariée à quatorze ans et c’est mon mari qui m’a amenée en France. Á l’époque, il y vivait déjà mais nous avions grandi ensemble, dans la même maison. C’est mon père qui l’a élevé. En fait, il s’agit de mon cousin. Il n’avait pas la nationalité Française. Il était installé à Paris où il était laveur de carreaux. Moi, je l’ai rejoint en 76. J’ai obtenu une carte de séjour en arrivant.

Á douze treize ans, je ne pensais pas du tout à aller vivre ailleurs. Je rêvais comme toutes les jeunes filles d’épouser un bon mari et d’avoir des enfants. Mon univers quotidien se restreignait à ma famille et au village. Á ce moment-là, encore peu de gens avaient émigré et ils n’étaient pas encore de retour ! On ne pouvait donc pas avoir l’idée ou l’envie de partir ! Ce sont les jeunes de la génération suivante qui sont concernés, car eux nous ont vus revenir.

Nous, en arrivant ici, on était perdues ! On pleurait, on ne savait pas où aller. On ne savait ce que l’on allait trouver ! On ne connaissait personne à part le mari ! Á l’époque, il n’y avait pas encore de femmes rentrées au pays, qui auraient pu nous raconter comment cela se passe en France. Jusqu’alors, c’était essentiellement une migration d’hommes. En fait, je suis l’une des toutes premières à être parties. Quelques-unes seulement l’avaient fait un ou deux ans avant moi…

Parcours Mme Dieng

Je ne suis née en 1956. Je ne suis pas du même village mais j’ai connu le même parcours. Je suis arrivée en France au mois de septembre 74. Je fais partie des premières femmes sénégalaises arrivées ici. Pendant que nos maris étaient partis au travail, on restait à la maison à s’ennuyer… Alors parfois, on sortait dehors pour regarder les gens, mais on ne connaissait personne…
- De toute manière, au début, on ne connaissait pas un mot de français…
- Nous avons pris des cours d’alphabétisation.
 Au village, il y avait seulement l’école coranique et là-bas, on parlait soit notre dialecte soit l’arabe. Au Sénégal, on apprenait surtout le français dans les grandes villes ! Rarement dans les petits villages comme le nôtre.

Dans le mien, il y avait une école depuis 1945 mais elle était pour les hommes et pas pour les femmes car en général, une fille s’occupait du travail de la maison : faire la cuisine, laver la vaisselle, aller chercher de l’eau… De leur côté, les hommes allaient à l’école et étudiaient le Coran. Nous, on l’apprenait l’après-midi mais seulement à l’oral, sans voir ce qui était écrit. C’est pour ça que l’on connaît l’arabe mais qu’on ne sait pas le lire ! Pour nous, il s’agissait surtout d’apprendre à faire les prières… Mais maintenant, tout cela a changé. Les filles et les garçons font la même chose. Ils vont à l’école comme ici.
 En fait, nous sommes la dernière génération à ne pas être allée à l’école…
- Mais, ça ne nous faisait pas envie car c’était pareil pour toutes les femmes ! Pour avoir envie de quelque chose, il faut avoir vu les autres le faire !

Nous ne sommes pas soninkées mais peules.
- Nous parlions donc le poulard.
Certains Peuls sont animistes mais la plupart sont musulmans, du moins au Sénégal, car il y a aussi des Peuls ailleurs en Afrique, comme au Mali ou en Guinée…

Étant jeunes, comme on ne connaissait que le travail des femmes, on voulait avoir une bonne maison, un bon mari et des enfants. C’est de ça dont nous rêvions ! On ne pouvait pas imaginer autre chose car on ne connaissait rien d’autre ! On ne peut avoir envie que des choses qu’on a vues ! Une mère, une sœur, une cousine, une copine, ayant un mari qui travaillait bien, qui s’occupait bien des enfants, etc.

Je me suis mariée moi aussi vers treize quatorze ans, avec quelqu’un qui était déjà en France. Malheureusement, mon mari est décédé il y a six mois… Il travaillait dans l’automobile. Avant de venir ici, on ne savait pas ce qu’on allait trouver !
 On ne savait pas comment ça se passait !
- On n’avait rencontré personne qui aurait pu nous raconter comment c’est là-bas…
 Et puis, il y avait la séparation avec les parents !
- Lorsque tu reçois le billet pour venir alors que tu es avec tes frères, tes sœurs et toute la famille, tu es contente pour ton mari mais tu ne sais pas ce que tu vas trouver… C’est ça qui n’est pas facile…
 Nous n’avons pas fait le voyage avec notre mari. Nous sommes venues seules.
- Nous avons reçu le billet et avons pris l’avion, avec la peur de l’inconnu…
 Une fois arrivée, j’ai passé un an à pleurer…

Sortie de l’avion, tout était blanc

J’ai pris l’avion pour la première fois pour venir en France. Mon père a organisé mon départ car il travaillait à l’aéroport de Dakar, au service affrètement. Il s’est occupé de tout, des formalités. Il m’a accompagnée jusqu’à la porte de l’avion et m’a confiée à quelqu’un qui venait d’ici. Nous avons donc fait le voyage ensemble.

Dans ma valise, j’avais mes habits mais ni pull ni manteau. On m’avait prévenue qu’en France, il faisait froid mais ce type de vêtements était encombrant et je pensais que ça irait… Je ne savais pas vraiment ce qui m’attendait ici ! Malheureusement, c’était au mois de janvier et il y avait plein de neige. J’imaginais qu’il faisait froid mais comme au Sénégal ! Á Dakar, comparé au reste du pays, il fait relativement frais. Je croyais donc que les habits que j’avais emportés seraient suffisants. Mais, ce n’était pas du tout pareil…

La personne avec laquelle j’ai voyagé m’a expliqué ce qu’il fallait faire à l’arrivée, etc. On nous a servis à manger et elle m’a montré comment m’y prendre. Seulement, avant l’atterrissage à l’aéroport, nous avons tourné trente minutes en l’air parce qu’il y avait trop de neige. Moi, j’avais un peu peur ! En haut, c’était calme mais quand on descendait, il y avait des turbulences…

Lorsque je suis sortie de l’avion, tout était blanc. Je ne voyais pas d’arbres, rien de familier et ça me faisait bizarre… Nous sommes rentrés directement dans l’aéroport, sans mettre le nez dehors. Á l’intérieur, la température ambiante était normale ! Mais, dès que j’ai mis le pied dehors pour prendre le taxi, j’ai eu tellement froid que je m’en souviendrai toute ma vie… Je n’ai jamais ressenti une chose pareil jusqu’à maintenant… Heureusement, mon mari m’avait amené un manteau. Il me l’a donné et nous sommes montés dans un taxi.

Je ne suis pas venue directement chez moi. Mon mari avait organisé des réjouissances pour m’accueillir, au foyer où il avait vécu jusqu’à mon arrivée Á ce moment-là, quand quelqu’un ramenait sa femme du pays, c’était la fête ! Il y avait tout le monde. Avant de me faire venir, mon mari avait trouvé un logement par son travail, un deux pièces à Villejuif. C’était obligatoire ! Pour pouvoir amener sa femme en France, pour pouvoir faire le regroupement familial, il fallait d’abord avoir un appartement.

Je suis donc allée d’abord au foyer. En regardant autour de moi, dans le taxi qui nous y emmenait, je voyais surtout la neige. Tout était blanc ! Même le toit des maisons ! Et puis les arbres étaient tout secs. J’ai demandé à mon mari :
« - Ils sont toujours comme ça !
  Non, non, c’est parce qu’il fait froid… »

Au foyer, j’ai été accueillie comme une reine. On a tué le mouton et tout le monde a fait la fête. Nous avons passé la soirée là-bas et à minuit, nous avons pris un taxi pour rentrer à Villejuif. Je découvrais l’appartement pour la première fois. Il était dans un bel immeuble et le salon comme la chambre étaient assez grands. Je ne voyais aucun Noir, aucun Arabe ; il n’y avait que des Blancs. Et le matin, à partir de dix heures, tout le monde partait au travail. Je me retrouvais donc toute seule. Ensuite, le soir, vers six heures, tout le monde revenait.

Alors au début, ça allait ! Mais rapidement, j’ai commencé à m’ennuyer… Le week-end, des frères venaient me dire bonjour mais dans la semaine, je restais enfermée, je ne voyais personne et je pleurais toute la journée, jusqu’à ce que mon mari rentre. Il me disait toujours : « Tu vas t’habituer. » J’ai donc essayé de m’y faire, petit à petit, mais je suis tombée enceinte et malade en plus. Je suis restée six mois à l’hôpital Lariboisière, jusqu’à la naissance… Je ne sortais que toutes les deux semaines parce que je ne me sentais pas bien…

Je ne parlais pas français à ce moment-là mais j’ai commencé à l’apprendre à l’hôpital car les gens venaient discuter avec moi. Ils ne connaissaient pas ma langue mais une dame africaine parlait le wolof et ,quand je ne comprenais pas quelque chose, elle m’expliquait. J’ai donc appris beaucoup à l’hôpital ! Après l’accouchement, mon bébé est encore resté là-bas pendant vingt jours, en couveuse.

En sortant, j’ai obtenu mes papiers, ma carte de séjour et au bout d’un an, j’ai commencé à travailler.

Première sénégalaise en France

Mon départ du Sénégal et mon arrivée en France s’est passé à peu près pareil mais moi, je ne suis pas venue seule. Nous étions quatre femmes du même village à partir le soir. Mais pour nous quatre, c’était la première fois que nous allions en France… Nous venions retrouver nos maris qui travaillaient ici et habitaient ensemble dans le même appartement, à Paris. Ils avaient pris la décision de ramener leur femme mais lorsque nous sommes arrivées, chacun avait sa chambre. Ils nous ont récupérées à l’aéroport et nous sommes partis en voiture. Ce n’était pas l’hiver. Nous étions en septembre et il commençait à faire un peu froid mais ça pouvait aller…

Au début, j’étais un peu inquiète mais quand on est arrivées, il y avait beaucoup de monde et nous avons été bien accueillies. Je n’étais pas seule. Nous étions toujours ensemble avec les autres dames arrivées en même temps. Nous vivions tous dans le même logement mais avec des chambres séparées. Avec mon mari, nous sommes restés là-bas jusqu’à ce que nous ayons notre bébé. Je ne pouvais donc pas m’ennuyer ! La nuit chacun allait de son côté mais le matin, on se retrouvait. Pendant que nos maris étaient au travail, nous les femmes, restions ensemble jusqu’au soir. On prenait alors le dîner et après, on se séparait.

Á ce moment-là, je ne parlais pas français. Mais ensuite, chacune de nous a quitté Paris pour s’installer ailleurs. L’une est partie aux Mureaux, une autre à Sarcelles, une autre à Mantes-la-Jolie et moi, à Sannois. Là-bas, je fréquentais une femme arabe mais comme nous n’avions pas la même langue, nous étions obligées de parler français. Nos maris travaillaient ensemble et nous habitions le même immeuble, elle au premier étage et moi au troisième. Quand elle ne montait pas avec ses enfants, je descendais avec les miens. Nous passions donc la journée ensemble à causer et lorsque nos maris rentraient, chacune rentrait chez soi. C’est comme ça que j’ai appris le français. Mais, j’ai pris également des cours d’alphabétisation.

En France, je n’ai pas vraiment connu de difficultés d’adaptation. Au Sénégal, j’avais mes amis, ma famille et ici, je ne savais pas qui j’allais trouver, comment ça allait être ! Mais quand je suis arrivée, je n’ai pas trouvé beaucoup de différences parce qu’avec les autres dames, nous restions toujours ensemble, toutes les quatre. Je ne pouvais pas oublier ma famille ! On passait de longs moments à causer et ça diminuait l’ennui. Je me sentais un peu comme dans mon pays ! Je n’ai donc pas eu le cafard… Et ensuite, lorsque j’ai quitté Paris pour Sannois, je me suis retrouvée avec la dame marocaine.

Nationalité française

En arrivant en France, je n’ai donc pas rencontré de problèmes particuliers car j’étais bien entourée et quand je suis venue à Sarcelles en 83, j’ai retrouvé quelqu’un qui parlait la même langue.

Moi, je suis arrivée fin 82. Il n’y a que six mois entre nous.
- Nous nous sommes rencontrées à la clinique, le jour même où j’ai quitté Sannois pour venir ici.
 Le jour où elle s’est installée, elle a eu juste le temps de ranger ses affaires avant d’entrer à la clinique !
- Nous étions toutes les deux enceintes de sept mois et c’est là-bas qu’on s’est connues.
 Je lui ai dit :
« - Tu habites là ?
  Non, j’emménage aujourd’hui. »
Une dame m’avait prévenue : « Il y a quelqu’un de ton village qui va habiter chez toi à la tour ! » et on s’est retrouvé ensemble…

Quand nos enfants sont nés, nous leur avons donné la nationalité française. Ils sont français automatiquement. Moi, je viens de faire ma demande… Quand j’ai épousé mon mari, il avait déjà la nationalité ! Mais, après avoir déposé ma première demande, il y a dix ans, ils ont perdu le papier et après, j’ai laissé le temps passer jusqu’à cette année.

Pas de noirs pendant deux ans…

Nous avons choisi qu’ils soient français. Je suis devenue française mais, j’ai fait ma demande après. Par contre, eux sont nés ici ! Alors pour nous, c’est normal que l’on ait la nationalité française ! Même avec les dernières lois, les enfants nés en France ont le droit d’en avoir la nationalité ! Il vaut donc mieux la demander toute suite, dès le départ, plutôt que d’attendre qu’il soit trop tard ! Et puis de toute façon, pour les enfants qui sont nés après notre naturalisation, c’est automatique !

Seulement moi, lorsque j’habitais à Villejuif, je n’ai pas vu de Noir pendant deux ans ! Là où j’étais, il n’y avait que des Français ou des Juifs ; aucun africain. J’étais jeune et tout le monde me regardait, voulait me parler. Mais, ça ne m’a pas gênée ! Je ne me cachais pas ! Comme je savais que je ne pouvais pas retourner, j’allais vers eux. Je descendais mon gosse avec moi et quand j’avais un problème, les gens venaient m’aider.

Et puis, le gardien de l’immeuble était très bien. Il me faisait tout ce que je ne savais pas faire. Il appelait l’assistante sociale pour connaître les démarches que je devais entreprendre avec mon enfant, etc. La boulangère était également très gentille. Les gens venaient me voir ! Ils ne m’ennuyaient pas parce que j’étais avec eux… Dès que je suis sortie de l’hôpital, ça y était, nous discutions ensemble… Seulement, pendant deux ans, je n’ai rencontré personne comme moi ! Jusqu’au jour où j’ai fait la connaissance d’une autre Africaine au marché.

Elle n’habitait pas à Villejuif mais à Evry. Dès qu’elle m’a vue, elle m’a sauté dessus ! Elle vivait la même chose que moi ! Elle m’a interpellée en faisant de grands gestes :
« - Madame, Madame, Madame ! Tu parles soninké, poulard, wolof, bambara ?
  Je comprends le soninké mais je suis une poulard.
  Tu sais, je suis ici depuis un an et je n’ai jamais vu un Noir… Il faut absolument que je sache où tu habites ! »
Et bien, elle ne m’a pas lâchée. Nous avons fini nos courses ensemble et ensuite, elle est venue jusque chez moi pour voir à quel endroit j’habitais.

Un peu plus tard, j’ai rencontré une autre dame africaine qui vivait à Vitry. J’ai d’abord fait la connaissance de son époux dans le bus. On a parlé et quand il m’a expliqué que sa femme habitait à côté, je lui ai dit : « Je vais au foyer avec mon mari et dès que je reviens ce soir, j’irai trouver ta femme. » Il m’a donc donné l’adresse et quand je suis descendu du bus, je n’ai pas pensé à lui donné la mienne.

Enfin bref, je suis restée deux ans à Villejuif sans voir un Noir et après avoir rencontré ces deux dames africaines, nous ne nous sommes plus quittées pendant sept ans. Nous n’habitions pas dans la même ville mais on se voyait tout le temps… Nous avions toutes les trois besoin de retrouver des repères, de partager un univers familier… Seulement au début, je ne comprenais pas grand-chose à leur langue !

L’une était malienne, l’autre sénégalaise, mais elles parlaient toutes les deux soninké. Alors, quand mon mari rentrait, je lui racontais : « Mes copines m’ont dit ça, ça et ça ! » et il m’expliquait ce que ça voulait dire parce que lui comprenait. Le Soninké est très différent du poulard, comme le français et l’anglais par exemple. Chez nous au Sénégal, il y a beaucoup de langues ! Le poulard, le wolof, le soninké, le sérère, etc.
- Nous partageons la même religion mais pas la même langue…

Par contre, lorsque l’on rentre au pays, nous sommes considérées non pas comme des Sénégalaises mais comme des Françaises. Ça fait mal ! Nous sommes des étrangères partout ! Alors que nous vivons ici depuis trente ans, avec nos enfants, avec tout, on nous dit que nous sommes des Africaines et quand on va au Sénégal, là où sont nés nos parents, là où sont nos racines, on nous dit que nous sommes des Françaises… C’est à rien n’y comprendre…

Vie sociale à Sarcelles

J’ai toujours habité le quartier Sablons depuis que je suis à Sarcelles.
- Moi aussi…

On est bien ensemble ! Je m’entends très bien avec mes voisins. Ils sont tous pour moi comme des frères et sœurs. Je sais qu’ici, il y a des associations communautaires mais je n’y ai jamais participé.
- Moi non plus, je n’y suis jamais rentrée…

Par contre, nous fréquentons régulièrement le centre social ensemble. Là-bas, on voit comment ils travaillent avec les jeunes, avec les enfants, ce qu’il font pour le quartier et on aimerait bien participer, on aimerait bien aider. Nous sommes de Sarcelles, nous sommes des Sablons, et tous les enfants nés ici ou ailleurs sont comme les nôtres… On ne veut que le bien des autres…

Le problème, c’est que même si tu as la compétence et la volonté pour entreprendre quelque chose, il est très difficile d’y parvenir quand tu ne sais ni lire ni écrire…Nous suivons des cours d’alphabétisation mais seulement comme ça. Nous n’avons pas encore atteint un niveau suffisant…

Quoiqu’il en soit, au centre social, il y a beaucoup de choses ! Une dame donne des cours de broderie, une autre des cours de cuisine, etc.
- Nous faisons plein d’activités. On suit des cours de broderie, de poterie…
 On participe pour bien montrer qu’on veut y aller !

Éducation des enfants

J’ai commencé à travailler comme femme de ménage au mois de juillet 77 et je suis restée dans la même société jusqu’en 2001. Mais, j’ai changé plusieurs fois de lieu d’affectation : Paris, Villetaneuse puis Goussainville.

Au début, je travaillais le matin et l’après-midi mais comme avec les enfants, c’était embêtant, je suis passé aux horaires du soir. J’attendais que mon mari rentre pour garder les enfants et ensuite, je partais. Le soir, je ne les voyais donc pas beaucoup, excepté le week-end… En général, je quittais la maison vers cinq heures et je ne rentrais pas avant dix heures et demie onze heures.

Mon mari continuait à faire le même travail. Le matin, il partait à quatre heures et revenait à la maison vers quatre heures de l’après-midi. Le reste de la journée, c’est donc lui qui s’occupait des gosses. Quand ils étaient petits, il leur changeait les couches. Il faisait tout comme moi ! Aujourd’hui, Dieu merci, ils sont tous grands, en bonne santé et ils travaillent. Je n’ai pas à me plaindre de ce côté-là. Mais, quand vous avez des enfants, vous n’êtes jamais à l’abri qu’ils prennent un mauvais chemin…

En tout, j’ai eu neuf enfants : trois filles et six garçons.
- Moi, j’ai fait mieux ; j’en ai eu onze. Par contre, je n’ai jamais travaillé… Mais, élever onze enfants, c’est du boulot !
Grâce à Dieu, ils ont tous grandi ! Ce sont maintenant des adultes ! D’ailleurs, ma première fille a déjà trois gosses. Elle habite Bondy depuis qu’elle est mariée.

Ne sachant ni lire ni écrire, c’était dur pour moi de ne pas pouvoir apprendre une leçon à mes enfants. Quand ils étaient petits, je devais payer quelqu’un qui venait à la maison tous les soirs ! Ça me coûtait deux cent cinquante francs par mois ! Avant, dans les années 80s, il n’y avait pas de cours de soutien scolaire comme aujourd’hui aux Sablons…

Par contre, il existait une association à Paris, dont j’ai oublié le nom. C’étaient des Blancs qui s’en occupaient. Et bien, tous les week-ends, du vendredi soir jusqu’au dimanche soir, on y envoyait nos enfants. Il y avait des animations, plein de trucs. Dans leur jeunesse, ils n’ont donc pas vécu aux Sablons ! On les envoyait à Paris. Pendant les vacances, ils ne partaient pas en colonie mais avec l’association. Ils sont allés un peu partout ! En Bretagne, etc.

Retour au pays

Aujourd’hui, je vais au Sénégal tous les ans mais au début, je suis restée dix ans sans y retourner. Les enfants étaient petits et je n’avais personne pour les garder. Je ne pouvais pas les emmener là-bas ! J’avais quitté le pays alors que j’étais toute jeune et je ne savais pas ce que ça allait donner… Mais après ça, ma mère m’a réclamée. Je suis donc partie pour la première fois en 1985, pour les vacances. Je suis restée un mois et quinze jours, puis je suis revenue. Et depuis, tous les ans, c’est pareil… Les enfants y sont allés soit avec moi, soit avec mari, soit tout seuls…

Aucun d’eux n’est encore retourné vivre au Sénégal car mon mari n’est pas encore retraité. Là-bas, nous avons tout ce qu’il faut ! Les maisons, les machins, etc. Ils sont donc très heureux d’y aller en vacances mais pour s’y installer dans la durée, c’est autre chose. Il faudrait qu’ils y passent plusieurs mois pour vraiment voir comment les gens vivent là-bas ! Moi, si j’y retournais de mon plein gré, il n’y aurait pas de problème. Je pourrais rester car j’y ai passé huit mois en 2003 et six mois en 2004.

De toute façon, mes enfants se sentent beaucoup plus français que sénégalais et c’est tout à fait normal. Ils sont nés en France et y ont grandi ! Lorsqu’ils partent au pays, c’est pour aller voir le papy ou la mamie ! Si leurs parents vivaient là-bas, ils viendraient sans doute plus souvent mais comme nous tous on est là, ce n’est pas pareil…Ils n’y vont donc que pour les vacances… C’est ici leur pays. D’ailleurs, pour moi aussi ! J’ai quitté le Sénégal à quatorze ans et c’est en France que j’ai vécu l’essentiel de ma vie.

Racines

Pour autant, je ne peux pas oublier mes racines. Par exemple, avec ma tenue vestimentaire, je les porte sur moi. Depuis que je suis jeune, je n’ai jamais changé ! Je suis toujours allée travailler comme ça. Changer de vêtements ne fera pas de moi une Blanche ! Je reste donc telle que je suis…

Je crois qu’il faut se renseigner sur ses origines. Par exemple, avant même de partir au Sénégal, un de mes fils était curieux de savoir d’où il vient, de connaître l’histoire de sa famille ! Il demandait : « Mais, comment ça se fait que mon arrière grand-père est venu comme ça créer son village au milieu de nulle part. » Je lui ai donc expliqué tout ce que je savais et il a retenu tout ce que je lui ai dit. Une fois là-bas, il m’a demandé : Tu m’as parlé de ça, ça et ça, mais ça se trouve où ? » Et bien, on a passé la journée à visiter tous les endroits que je lui avais décrit dans le village…

Message aux jeunes

Il faut que les enfants marchent sur le bon chemin, qu’ils travaillent bien à l’école et qu’ils écoutent leurs parents parce qu’ils veulent leur réussite…

Je voudrais dire aux jeunes qu’ils doivent respecter et aider leurs parents parce qu’ils ont beaucoup souffert pour eux… Ils ont quitté leur pays, ont construit leur vie en France, les ont mis au monde et les ont élevés jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes… Il faut aussi qu’ils les écoutent attentivement car ils ne leur conseilleront jamais quelque chose qui n’est pas bien pour eux ou pour les autres. Et puis, ils doivent penser à préparer leur avenir parce que demain, ils auront à leur tour des enfants et ils comprendront alors comment leurs parents souffrent aujourd’hui pour eux…

récit collecté par :

frederic.praud@wanadoo.fr

parolesdhommesetdefemmes@orange.fr


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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