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Kabylie - ma femme est venue visiter sa soeur et elle est toujours là...

Mr Idir Izabachene

dimanche 14 mars 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Enfance en Kabylie

Je suis né en 1938, en Kabylie, dans un petit village qui comptait environ mille huit cents habitants. La Kabylie, c’est l’Algérie ! Seulement là-bas, c’est la montagne partout. Souvent, les gens se disent kabyles avant de se dire algériens mais moi, je suis Algérien ! Il n’y a pas à dire…

Nous n’avions ni eau, ni électricité dans les maisons. Rien du tout ! Dans le village, il n’y avait pas d’école, pas de route pour y aller, absolument rien…On marchait pieds nus toute la journée et on pouvait parcourir comme ça treize ou quatorze kilomètres !

Je n’ai pas connu mon père. Quant à ma mère, elle ne travaillait pas comme toutes les femmes. Elle s’occupait simplement de son petit jardin, en pente, mais sans eau. On n’avait pas grand-chose pour vivre… Ceux qui ont émigré comme moi envoyaient de l’argent à leurs parents car ils ne touchaient pas de retraite ! Absolument rien… Ceux qui avaient des sous, des moyens, pouvaient envoyer leurs enfants à l’école tandis que moi, je marchais pieds nus… Il n’y avait même pas d’école coranique. Le quotidien, c’était : « Démerde-toi ! Tu manges ce qu’il y a ! » ; c’est tout…On se nourrissait de glands, de machins, etc. Aujourd’hui, je parle arabe et kabyle mais au village, quand j’étais gamin, je ne connaissais que le kabyle. Il n’y avait rien d’autre…

Si nos conditions de vie étaient très dures, on ne s’en rendait pas bien compte puisque l’on n’avait encore rien vu ! On allait garder les chèvres, les moutons, on ramenait du bois pour se chauffer ou faire à manger. Á l’époque, il n’y avait pas de gaz ! Un enfant restait généralement au village jusqu’à dix-huit vingt ans, jusqu’à ce qu’il soit capable de partir ailleurs, en ville ou dans un autre pays pour travailler. Il fallait bien se démerder pour vivre ! Il fallait avoir la tête dure ! Il fallait prendre des risques ! On n’avait rien à perdre…

Lorsque je suis allé à Alger pour la première fois, vers treize quatorze ans, j’étais heureux ! Je passais la journée à regarder les immeubles, les voitures, les machins. Je me demandais : « Mais comment ça se fait ? Ici c’est le paradis alors que moi, je vis en enfer ! » Les gens avaient des chaussures, de beaux vêtements… J’entendais la musique, la radio… Nous, on n’avait pas tout ça !

Arrivée en France et parcours professionnel

Je suis arrivé en France par avion le 27 novembre 1963 et à huit heures du soir, j’étais à Saint-Denis, devant la mairie. Je suis venu ici pour vivre... Je me suis dit : « Je vais me démerder ! » et dès le 1er décembre, j’ai commencé à travailler. J’ai tout de suite trouvé un boulot dans un laboratoire pharmaceutique. J’avais de la chance ! Je n’étais qu’avec des femmes !!! Au début, je connaissais seulement quelques mots de français, que j’avais appris à Alger, et chaque fois que j’ouvrais la bouche, mes collègues me reprenaient : « Non, on ne dit pas comme ça mais comme ça ! » J’ai donc eu droit à des cours d’alphabétisation au travail, sur place. Á l’époque, j’avais vingt-cinq ans et j’étais quand même beau garçon !!!

Dans ce laboratoire, je travaillais sur les machines. Je les remplissais de produit et en face, une femme mettait les médicaments dans les boîtes. C’était un bon travail dans une grande maison ! J’ai été déclaré dès le départ. J’ai fait sept ans là-bas mais quand on m’a donné trois mois de vacances, je suis resté six mois au bled, chez moi… En revenant ici, comme j’avais tort, je suis allé voir la chef et je lui ai dit : « Donnez-moi mon compte et je m’en vais ! », rien de plus. Seulement, elle ne voulait pas ! Elle m’a proposé : « Voilà, je vais vous garder ! » mais moi, j’ai dit non.

Alors, j’ai travaillé six mois ailleurs puis je suis retourné la voir… « Bon, maintenant, vous me donnez mon compte ou pas ? » Et elle me l’a donné. Elle m’a demandé :
« - Tu restes ?
  Non, je ne reste pas. »
Après ça, j’ai été employé à Villetaneuse dans une maison de disques avant d’avoir mon accident. Cela fait plus de vingt-deux ans que je n’ai pas travaillé parce que j’ai eu les deux jambes cassées… Une voiture m’est rentrée dedans….

Conditions de logement

Depuis que je suis en France, je n’ai pas à me plaindre. Je n’ai pas connu les bidonvilles. Jusqu’en 73, date à laquelle j’ai fait venir ma femme, j’ai vécu seul à l’hôtel et j’ai mangé au restaurant. On ne vit qu’une fois ! J’avais ma chambre, mon lit, ma couverture ; j’avais tout ! En 73, je suis retourné en vacances au pays et ma femme m’a dit :
« - Je veux repartir avec toi ! Je veux voir la France !
  Écoute, je n’ai qu’une chambre à l’hôtel ! »
Chez nous, une femme ne peut pas habiter avec des hommes.

Elle m’a expliqué :
« - J’ai une sœur là-bas et je peux loger chez elle pendant quinze jours…
  Alors, on y va… »
Nous sommes revenus ensemble mais après quinze jours chez sa sœur, elle ne voulait plus repartir ! J’ai donc été obligé de trouver un logement et aujourd’hui, ma femme est toujours là !

Dix-sept heures de travail par jour

Comme j’avais besoin d’argent, je suis retourné voir la chef du laboratoire et je lui ai dit :
« - Écoutez Madame, il y a quelque chose qui ne va pas…
  Quoi ?
  Ça ne va pas du tout…
  Qu’est-ce que tu veux ?
  Je veux travailler…
  Quand est-ce que tu veux commencer ?
  Demain matin.
  C’est d’accord, demain matin à six heures. »

Tous les matins, j’étais là à six heures. J’y allais en mobylette. Pendant plus de deux ans, j’ai fait dix sept heures de travail par jour… Et maintenant, j’ai un matelas, un frigidaire, tout ce que je veux ! C’est le Bon Dieu qui l’a voulu… Mais, quand on a besoin d’argent, il faut se démerder pour le trouver ! Et comme je ne suis pas voleur, j’ai été obligé de faire dix-sept heures par jour pendant deux ans. D’ailleurs, si le laboratoire n’avait pas déménagé, j’aurais continué !

Arrivée à Sarcelles

Je suis venu sur Sarcelles en 74, un an après l’arrivée de ma femme. J’avais fait une demande de logement mais comme je ne l’avais pas obtenu, j’ai habité chez un particulier. Ensuite, le 1er janvier 77, j’ai déménagé pour aller vivre dans l’appartement de ma sœur, toujours à Sarcelles.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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