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MAROC, Immigré en France, immigré au Maroc...

Mr Taiëb Benyamina

samedi 13 mars 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Mes trente premières années au Maroc

Je suis né au Maroc en 1939, à Upsallah, un petit village de montagne situé à trente kilomètres d’Oujda. Nous étions isolés, loin de tout. Il n’y avait pas route, pas de moyens de transport, rien du tout…

Á l’âge de quatorze ans, mon père est parti travailler en Algérie, emmené par un colon français, Jacques Delbarette. En 1922, on lui a donné la nationalité française. Il a vécu très vieux, jusqu’à cent quinze ans ! Avec sa première femme, il a eu un garçon et une fille. Lorsqu’il est devenu veuf, il s’est remarié avec ma mère.

En 39, il a été mobilisé dans l’armée pour faire la guerre mais il n’est pas resté longtemps en France. Il est retourné ensuite au Maroc. C’est à ce moment-là qu’il a épousé ma mère, avec qui il a eu quatre filles et quatre garçons.

Je suis allé à l’école à peine deux mois, parce qu’il fallait travailler pour vivre ! Á quatorze ans, je suis parti avec mon père m’employer à Oujda. Jusqu’à l’âge de trente ans, j’ai fait pas mal de petits boulots. Je me démerdais ! Je donnais un coup de main quand on avait besoin de moi, comme mécano, ouvrier agricole, maçon, etc. C’est comme ça que je gagnais ma vie…

Arrivée en France et parcours professionnel

Je suis arrivé en France en 69. La misère m’a poussé à partir… Alors, je me suis débrouillé… Je me suis fait faire un passeport mais chez nous, c’était dur de l’avoir ! On ne vous le donnait pas facilement ! Il fallait connaître quelqu’un ! J’ai attendu deux ans avant de l’obtenir et ensuite, je suis venu directement. J’étais marié mais j’ai laissé ma femme au Maroc. C’était comme ça ! Là-bas, il n’y avait pas de boulot !

En France, j’ai travaillé trente cinq ans dans l’Education Nationale, dont un an sans papiers. Maintenant, je suis à la retraite. La première année, j’étais employé comme agent d’entretien dans une société qui intervenait dans les établissements scolaires. On s’occupait du nettoyage des classes : les tables, les chaises, les tableaux, tout ! Mais, le patron a fait des histoires. Il ne payait pas les gens, les ouvriers. Après, il a claqué la porte et nous sommes restés dans l’Éducation Nationale.

Regroupement familial et installation à Sarcelles

Ma femme ne m’a rejoint en France qu’en 86. Pendant dix-sept ans, je suis donc resté tout seul… Mes enfants sont venus en 89. Jusque-là, je rentrais chez moi tous les ans, pendant les vacances, avant de retourner au travail. Je me suis installé à Sarcelles en 89, lorsque ma famille est arrivée. J’ai fait une demande de logement auprès de l’Éducation Nationale et il m’ont tout de suite trouvé quelque chose.

En tout, j’ai quatre filles et quatre garçons mais tous ne sont pas venus en même temps et deux de mes filles, qui étaient mariées, sont restées au Maroc. J’ai également un fils qui était chef garagiste en Allemagne avant de devenir vendeur de voitures d’occasion, sur un terrain qu’il loue à la mairie. D’ailleurs, une de mes filles travaille avec lui là-bas. En fait, seule la quatrième est ici avec moi.

En fait, seulement quatre de mes enfants m’ont rejoint en France. En arrivant, trois d’entre eux parlaient français parce qu’ils avaient fait l’école au Maroc. Moi, je comprends tout mais j’ai du mal à m’exprimer, à répondre, car à la maison, en famille, on a toujours parlé l’arabe au quotidien. Aujourd’hui, j’ai un garçon à Bordeaux. Il a grandi à Sarcelles mais il s’est marié et vit là-bas désormais. Il connaît tout ! Il a même travaillé à la mairie avant de partir ! Moi, j’écris et je lis un tout petit peu le français parce que j’ai suivi quelques cours du soir… C’est la même chose pour l’arabe, car je ne suis pas allé à l’école… Ce sont donc mes enfants qui remplissaient les papiers à la maison. Eux sont parfaitement bilingues ! Ils maîtrisent à la fois l’arabe et le français !

Depuis que je suis à Sarcelles, j’ai toujours habité le quartier des Rosiers, dans la rue d’Irlande. J’ai juste changé d’appartement. Je suis passé de la porte 6 à la porte 4. Mes enfants sont tous allés à l’école ici.

En 89, Sarcelles n’était pas la même qu’aujourd’hui. Maintenant, il y a beaucoup de choses nouvelles ! Ce n’est pas comme avant ! Lorsque je suis arrivé, je n’avais pas cette image de ville chaude dont on parle souvent. Á Garges, il y avait beaucoup de bagarres ! Mais ici, je n’en ai jamais vues… Sarcelles, j’y suis bien…

Immigré en France, immigré au Maroc

Aujourd’hui, j’ai ma maison au Maroc mais mes enfants n’aiment pas rester trop longtemps là-bas car on les considèrent comme des immigrés. C’est quasiment comme ici ! Moi au Maroc, je suis un Parisien ! J’exagère un peu mais c’est ça ! Nous sommes mal vus par les Marocains de là-bas… A leurs yeux, nous sommes des rien du tout…

Je n’ai pas la nationalité française. On a voulu me la donner mais je l’ai refusée. Parmi mes enfants, un seul est français. Les autres sont toujours marocains, comme moi, ce qui ne nous empêche pas d’être considérés comme des immigrés au Maroc !
Par exemple, une fois, un policier m’a arrêté alors que j’étais en mobylette. Il m’a dit :
« - Donne-moi tes papiers ! Pourquoi es-tu passé par là ? La route est fermée !
  Mais, tout le monde passe par là !
  Non ! Donne-moi tes papiers ! »
Il m’a confisqué la mobylette et l’a emmenée au poste.

Je lui ai demandé :
« - Mais pourquoi tu m’as pris la mobylette ? Rends-la moi !
  Tu es un immigré ! Tu vas payer l’amende !
  Pourquoi est-ce que tu me traites comme ça ? Moi, je suis né là, dans le village, alors que toi, je ne sais pas d’où tu viens ! Peut-être de Casa ou d’ailleurs ! Pourquoi dis-tu que je suis un immigré ? Ici, c’est ma montagne, c’est mon pays ! »

On a continué à batailler comme ça un moment puis un cousin est arrivé. C’est un grand patron là-bas. Il passait par là en voiture et quand il nous a vus, il s’est arrêté. Il est descendu et il a demandé au policier :
« - Pourquoi t’en prends-tu à lui ?
  Parce qu’il est passé là ! Il est de ta famille ?
  Oui !
  Ah, mais il fallait le dire avant ! »
Il m’a donc rendu la mobylette… Seulement moi, j’étais fâché ! Il m’avait quand même traité d’immigré !

Mon père a eu la nationalité française en 1922, lorsqu’il travaillait en Algérie, chez les colons. Après, lorsqu’il a épouse ma mère, qui était marocaine, il est retourné au Maroc. Mais, il est resté français jusqu’à sa mort !

Message aux jeunes

Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas connu la misère. Nous, on marchait pieds nus ! On avait souvent faim ! Nous sommes passés par beaucoup d’épreuves… Maintenant, les jeunes peuvent aller à l’école, ils demandent à leur mère de leur préparer à manger, etc. Ce n’est pas pareil ! Ils sont heureux ! Alors, je voudrais simplement leur dire qu’ils doivent suivre leurs études, chercher du travail, et rester tranquilles ; c’est tout… Il faut qu’ils respectent leurs parents et qu’ils sachent qu’à partir du moment où il font quelque chose de mal, ça retombe sur toujours sur le quartier…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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