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Sarcelles, la petite Chaldée...

Turquie - les chaldéens partent en masse

Johanna

dimanche 14 mars 2010, par Frederic Praud

Mon village natal de Turquie

Je suis assyro-chaldéenne, née le 6 février 1953 en Turquie, près de la frontière avec l’Irak, dans un petit village de montagne appelé Şikaraï. Il n’y avait rien là-bas, ni électricité, ni gaz, ni eau courante, ni voitures… Nous vivions comme ça, dans la nature… Les gens étaient agriculteurs bergers. Il n’y avait pas d’autres métiers…

Dans cette région, les Assyro-Chaldéens formaient une minorité parmi les Turcs et les Kurdes musulmans. Nous n’étions pas mélangés. Les uns et les autres avaient leurs propres villages. Quand la guerre entre les Kurdes et les Turcs a commencé, nous nous sommes retrouvés entre les deux. Ce n’était donc pas facile pour nous…

Dans mon village, il n’y avait rien d’intéressant. Il n’y avait rien à faire… Je ne suis pas allée à l’école car elle n’existait pas encore quand j’étais enfant. Elle est arrivée bien après, dans les années 70s. Par contre, ma sœur et mon frère plus jeunes que moi, ont pu la fréquenter.

Notre langue est l’araméen, la langue que parlait Jésus. En 1915-1916, les Assyro-Chaldéens ont subi le même sort que les Arméniens. C’est la même histoire… Beaucoup ont été massacrés par les Turcs…Mais heureusement, certains petits villages comme le mien, situés en montagne, ont pu échapper au génocide…

Vie quotidienne d’une jeune fille

J’ai commencé à travailler à l’âge de dix douze ans. Je faisais la même chose que ma mère. Je gardais les bêtes et je cultivais les champs. Chez nous, les hivers étaient longs ! Il y avait de la neige pendant quatre mois ! Pendant cette période, on faisait donc chauffer la glace pour avoir de l’eau. On la coupait en tranche, on la faisait fondre et l’eau récupérée servait à tout. Je me suis mariée à l’âge de dix-sept ans. C’est ma famille qui a choisi mon mari. Il venait d’un autre village assyro-chaldéen situé juste à côté.

Nous n’avions ni journaux, ni radios, c’est-à-dire aucun moyen de savoir ce qui se passait à l’extérieur. Dans ces conditions, on ne pouvait pas penser à aller vivre ailleurs ! J’ai donc suivi le même chemin que nos ancêtres jusqu’au moment où nous sommes partis, en 1983. J’avais alors trente ans. Jusqu’à cette date, nous étions tranquilles. La guerre entre les Kurdes et les Turces n’avait pas encore commencé. Seulement, après 83, tous nos villages ont été rasés… Aujourd’hui, il ne reste plus rien…Tout est détruit…

Quand j’avais quinze seize ans, j’aspirais à continuer le même travail, à avoir un mari, des enfants, une grande famille. C’était toujours la même chose là-bas ! Après mon mariage, j’ai vécu chez mes beaux-parents, conformément à la tradition.

Partir : un aller sans retour

Nous sommes partis en 83 parce que c’était la bagarre avec les Kurdes musulmans. Les choses ont mal tourné…Ils ont enlevé une jeune fille de notre village et lorsque nous avons essayé de la récupérer, ils n’ont pas voulu la rendre… Chez nous, c’est quelque chose de très très grave ! Ce n’est pas comme ici…Á la suite de cet évènement, tout le monde a quitté le village presque en même temps. Tout était fini en à peine trois ans… Il n’y avait plus personne là-bas…

Avant que nous partions, des Chaldéens étaient déjà installés en France. Une vingtaine d’hommes du village se trouvait déjà à Sarcelles, après être arrivés à Clichy-sous-Bois. En fait, tout le monde est passé par Clichy et après, nous sommes tous venus à Sarcelles.

Je suis partie en même temps que mon mari et ma petite fille, âgée de trois ou quatre mois. Nous avons obtenu des passeports et d’Istanbul, nous avons pris l’avion jusqu’en Italie où nous sommes restés quelques temps, avant de franchir la frontière à pied, à travers la montagne, par des petits chemins. Nous n’avons pas été arrêtés par la police. Nous sommes passés de nuit. De l’autre côté, des voitures sont tout de suite venues nous chercher et nous sommes remontés vers Paris… Nous n’avons pas pris trop de risques mais je me souviendrai toujours de cette nuit-là…

En quittant le village, nous savions que c’était fini, qu’il n’y aurait jamais de retour… C’était une douleur mais les Kurdes et les Turcs n’aimaient pas les Chaldéens… Ce n’est pas comme ici ! Nous n’étions pas tranquilles là-bas… Après notre départ, le PKK, c’est-à-dire les combattants kurdes, sont arrivés et c’est à ce moment-là que les Turcs ont rasé tous les villages… Et aujourd’hui, ils continuent à se battre…

Nous avons choisi la France par qu’il y avait déjà sur place des Chaldéens qui pouvaient nous aider. Voilà pourquoi tout le monde, un par un, est venu ici, du moins en ce qui concerne notre village.

Arrivée en France : de Clichy-sous-Bois à Sarcelles

Nous sommes d’abord restés dix ans à Clichy-sous-Bois, avant de nous installer à Sarcelles. Au départ, je ne parlais pas du tout français. Ce n’était donc pas facile ! C’était dur…On prenait beaucoup de risques ici… Heureusement, il y avait toujours quelqu’un d’autre pour nous aider, quelqu’un qui connaissait un peu la langue. Et petit à petit, tout le monde s’est trouvé bien…

En arrivant, nous n’avions pas de papiers mais nous avons fait une demande et nous en avons obtenus tout de suite. On nous a successivement donné un permis de séjour de trois mois, de six mois, de trois ans, puis un permis définitif.

J’ai demandé deux fois la nationalité française mais ça n’a pas été acceptée. Je n’ai pas voulu changé mon nom de famille, contrairement à beaucoup de Chaldéens. J’ai gardé Doman. Quant à Johanna, c’est mon prénom de là-bas, même si dans mes papiers, il est écrit Kuani. Le plus souvent, ce sont ceux qui portaient un prénom à consonance musulmane qui en ont choisi un autre. Youssef est ainsi devenu Joseph. Par contre, ceux qui à l’origine s’appelaient David ou Michel n’ont en général rien changé.

J’ai commencé à travailler peu de temps après mon arrivée, dans la confection, au sein de la communauté. Mon frère avait un atelier. Ici, presque tous les Chaldéens ont débuté dans la confection ! Chacun avait un cousin ou une cousine dans ce domaine. J’y ai travaillé pendant dix-sept ans mais aujourd’hui, c’est fini… Il n’y a plus de confection, plus de travail, et je ne sais pas quoi faire d’autre…

Aujourd’hui, toutes les familles chaldéennes se sont installées comme nous à Sarcelles. Mais à Clichy-sous-Bois, on était bien aussi ! Nous habitions le quartier du Chêne, juste à côté de la poste et c’était très calme, alors que maintenant, ça ne l’est plus… Comme à Sarcelles, il y avait à Clichy beaucoup de mélanges de populations. C’était la même chose.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

Messages

  • Félicitation pour ces passages importants de votre vie, vous êtes parvenue à vous en sortir et à garder la foi.

    Je ne suis pas chaldéenne mais mon coeur bat pour l’un d’entre vous.

    Je suis en admiration devant tant de courage et de solidarité de votre part, vous confirmez ce que la Famille signifie.

    Je vous souhaite autant de bonheur que possible et une vie merveilleuse.

    S.

  • bravo pour votre courage,je suis touchée au fond de mon cœur par votre témoignage,je vous souhaite tout le bonheur du monde pour vous et toute votre famille.
    Je ne suis pas Chaldéenne mais mon cœur bas pour l’un d’entre vous et je ne suis pas acceptée par sa famille,mais ne leurs en veut pas et garde éspoir.
    Encore une fois bravo

  • bravo votre parcourt est éxemplaire vous étes partie de rien étes venue en france et avez mieu reussi que des francais la depuit tjrs encore bravo
    je ne suis pas chaldeenne mes mon fiancé les....

  • Bonjour,

    Je ne sait pas si on se connait mais je suis surprise de trouver cet article sur
    un passage de votre vie, j’ai travaillé dans une société (orange) de confection à Groslays dont le nom du PDG est Doman E.

    Je connait un peut l’histoire de votre peuple qui m’a été expliqué lorsque
    je travaillait dans cette société, cela est très touchant.
    Merci de passer un bonjour à E Doman.
    Je vous souhaite bon courage.
    RS

  • Je suis depuis quelques temps avec un Chaldéen. Par respect pour cette personne, je me suis intéressée à son histoire et j’ai découvert le génocide que ce peuple avait subi. Je suis liée à la commune de Sarcelles (car j’y suis née) et suis originaire comme les Chaldéens d’une des plus grosses communautés de Sarcelles qui à elle même subi un génocide. Mon destin est donc étroitement lié aux Chaldéens et donc à celui qui partage aujourd’hui ma vie. Je souhaite à votre peuple qu’il continu à se reconstruire comme il a su déjà si bien le faire.

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