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la France est notre deuxième patrie

Vietnam - réfugiés politique - l’amicale des vietnamiens de Sarcelles

Mr et Mme Le Goff

mardi 13 avril 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Mr et Mme Le Goff

Les propos de Mme Le Goff sont repris en italique et ceux de Mr Le Goff en caractère normal

Hué et Da Nang, deux villes du centre du Vietnam

Je suis né en 1949 dans la ville de Hué, l’ancienne capitale des rois, d’un père breton et d’une mère vietnamienne. Après avoir fait son service militaire, mon père a travaillé chez EDF, au Vietnam. Ma mère était secrétaire de bureau chez les Français. Mes parents ont eu en tout cinq enfants : deux garçons et trois filles. Je suis l’aîné de la famille.

Á Hué, nous habitions au cœur de la ville, à l’intérieur de la cité impériale, car mes grands-parents maternels travaillaient chez le roi. Plus tard, quand ils sont décédés, nous sommes restés au même endroit. J’ai vécu à Hué, dans la cité impériale, jusqu’à l’âge de dix-huit ans. En 55, il n’y avait plus de roi chez nous mais, enfant, j’ai connu un peu le dernier l’empereur Bao Dai.

Je suis eurasienne comme mon mari car mon père biologique est français. J’ai vécu au Vietnam depuis ma naissance jusqu’en 1982, date à laquelle je suis arrivée en France. Je suis née en 1949 dans la ville de Da Nang, l’ancienne Tourane. Elle se situe au centre du Vietnam, au sud de Hué.

Mon beau-père travaillait au tribunal de Da Nang et ma mère était femme au foyer. Nous sommes quatre enfants dans la famille. Après m’avoir eue, ma mère s’est remariée avec mon beau-père, un Vietnamien qui avait déjà un fils. Ils ont eu un fils. Ensuite, ils ont adopté une nièce et une autre fille, qui est l’aînée d’entre nous. Moi, je suis la deuxième.

Dans mon enfance, Da Nang était une ville encore très paisible. Il n’y avait pas trop de voitures. Nous habitions dans l’enceinte de la cité administrative accueillant le tribunal. En faisant quelques pas, on tombait sur la rivière Hāng, franchie par le pont de Lattre de Tassigny, un peu plus haut. En face du tribunal, se trouvait le port et à côté, un cercle français où les gens jouaient au tennis. Le lycée Blaise Pascal que je fréquentais était juste à côté de chez nous. Á l’origine, il s’agissait d’une école primaire puis un collège lorsque j’étais encore toute petite. L’établissement n’est devenu un lycée que par la suite. Il y eut donc trois étapes. En remontant plus haut se trouvait le centre de l’Alliance française.

Da Nang était vraiment une ville toute simple, toute mignonne, avec beaucoup de petites plages, notamment celle de Tiên-Sa, sur laquelle d’après la tradition, des fées seraient descendues. Une autre plage un peu plus loin, moins jolie que les autres, abrite le Musée Cham, qui renferme de très belles sculptures et des éléments d’architecture de l’époque des Chams. Et à une dizaine de kilomètres au sud de la ville, se trouve ce que l’on appelle la montagne de marbre, un ensemble de cinq montagnes (collines calcaires) de marbre.

L’odeur des fleurs m’a beaucoup marquée dans mon enfance. Chaque été, toute la rue qui longe la rivière Hāng était décorée de fleurs rouges flamboyantes. C’était très joli ! J’aimais aussi l’odeur des papayes car à côté de chez nous, on en trouvait beaucoup. Il y avait aussi celle du jasmin. Chez nous, il n’est pas comme ici ! Il s’agit de petites fleurs blanches que mon père mettait chaque matin dans son thé pour le parfumer.

Je connais également Hué, la capitale impériale, car ma mère était d’ascendance royale. J’ai donc aussi habité Hué. Ce n’était pas dans la cité impériale mais tout près, à Hoāng Phủ, un quartier où vivaient les gens ayant un lien avec l’empereur. Je venais essentiellement à Hué en visite, lors des grandes fêtes. Chez nous, tous les ans, nous commémorons la mort de nos ancêtres. Il fallait donc je revienne à Hué pour célébrer cet évènement.

Mon mari habitait juste à côté de Hò Tinh Tâm, un endroit où il y avait des fleurs de lotus partout ! Alors, quand il était tout jeune, il en coupait un morceau de moustiquaire et avec ça, il allait ramasser les petites crevettes.
 Les petites crevettes et les petits poissons…
-Il jouait beaucoup à cet endroit !

J’ai encore en mémoire l’odeur des fleurs de lotus… Ça sent très très bon ! C’est très parfumé. En plus, c’était très calme pendant la nuit. Il faisait toujours beau chez nous ! Á Hué, il n’y a que deux saisons ! La pluie et le soleil. Tard le soir, on pouvait donc en profiter pour faire un tour. C’était très agréable…Pour le moment, je ne suis encore jamais retourné à Hué. Elle a été classée au patrimoine mondial de l’Unesco.

- Moi, j’y suis allée il y a trois ou quatre ans mais ce n’était plus la ville que j’ai connue lorsque j’étais petite… Aujourd’hui, il y a des touristes partout ! Alors qu’avant il n’y avait personne, quand j’allais me promener aux abords des palais. Les choses ont donc beaucoup changé. Il n’y a plus le calme d’antan… Je n’ai pas connu l’époque impériale lorsque Bao Dai a été destitué, je n’avais que six ans. J’étais encore trop jeune pour m’en souvenir...

Par contre, je sais qu’en 54, il y eut des déplacements massifs de population du Nord vers le Sud. C’est mon beau-père qui me l’a raconté. Il était justement originaire du Nord, de Lang Son. Lui l’avait quitté bien avant 54 mais cette année-là, son frère est arrivé avec sa belle-sœur. Ils ont profité de la fameuse période des cents jours, de l’accord passé entre le Nord et le Sud. C’était comme les boat people après 75, sauf que c’était moins douloureux car cette seconde fois, l’accord n’a pas été respecté…

Écoles française et vietnamienne

Je suis d’abord allé à l’école française Providence, située à l’extérieur de la cité impériale, de l’autre côté, mais à partir de 55, lorsque mon père est mort, ma mère m’a envoyé dans une école vietnamienne. Là-bas, il y avait quelques cours de français et d’anglais mais ce n’était vraiment pas grand-chose. C’est pourquoi aujourd’hui, je parle beaucoup mieux le vietnamien que le français.

Moi, je parle relativement bien français car j’ai fait toute ma scolarité à l’école française. Mon beau-père m’a toujours encouragée à parler la langue. Il me disait : « Si un jour tu vas en France, que tu rencontres ton père biologique et que tu ne sais pas parler, ce n’est pas bien… C’est pour ça que je t’envoie dans une école française…Comme ça, lorsque tu le rencontreras, tu pourras communiquer avec lui… »

Á l’école française, je ne me suis jamais sentie mise à l’écart parce que j’étais eurasienne. Elle était également fréquentée par de jeunes Vietnamiens. Et puis là-bas, on pouvait s’exprimer librement, on pouvait dire ce qu’on pensait ! On ne recevait pas la même éducation que dans les écoles vietnamiennes. Dans les écoles françaises, nous avions davantage de libertés… La culture était plus riche ! Je faisais six heures de vietnamien et six heures d’anglais par semaine en dehors des matières traditionnelles comme l’histoire et la géographie, qui étaient toutes enseignées en français. De plus, nous pouvions faire du sport. C’était donc différent des écoles vietnamiennes dans lesquelles, on faisait plutôt des travaux manuels, tels que la couture, le tricot…
 C’est vrai. L’école vietnamienne était moins libre que l’école française…

Les profs étaient plus ouverts ! Si nous n’étions pas d’accord avec quelque chose, on pouvait dire : « Non Monsieur, je pense que ce n’est pas ci, ce n’est pas ça… » Tandis que dans les écoles vietnamiennes, les élèves n’avaient pas le droit de s’exprimer, même si le maître avait tort. Il était considéré comme le père ! Avant c’était comme ça. Chez nous, il fallait respecter le roi, le maître et le père… Et quelqu’un qui vous avait enseigné juste un mot était votre maître…

Rattrapés par la guerre

Avant 62, la guerre était très loin pour nous. On voyait de temps en temps des soldats mais c’est tout. En quelque sorte, c’était presque la paix…
 C’était très calme. Par exemple, on pouvait aller à la montagne ou à la campagne sans problème. Nous avons eu une jeunesse normale sous la présidence de Ngô Dinh Diem.
-Par contre, après son assassinat, ça a commencé à devenir la catastrophe… Jusque-là, on pouvait aller tranquillement de Da Nang à Saigon ! Il n’y avait pas d’attaques, pas de bombes, pas de mines, rien. C’était très calme.
 On pouvait même voyager sans risques pendant la nuit.
- Mais après Ngô Dinh Diem, les choses ont changé…

Lorsque les Américains sont arrivés, nous avons commencé à être confrontés à la réalité de la guerre… La nuit, on entendait au loin les tirs les roquettes et on ne pouvait plus aller de Da Nang à Saigon. Mes parents ne me laissaient plus partir en voiture ! Ils m’obligeaient à prendre l’avion parce qu’il y avait régulièrement des embuscades et les routes étaient minées. Les Viêt-Congs commençaient à se manifester et on voyait les Américains. Á l’époque, j’avais treize ans et je me demandais ce qu’ils faisaient chez nous. Alors, quand mon beau-père m’a expliqué qu’ils venaient pour nous aider, j’ai dit : « Pourquoi on a tué Ngô Dinh Diem ? Lorsqu’il était là, je n’entendais pas de roquettes ! Je n’entendais rien ! » Mais, il ne m’a pas répondu…

J’ai vécu les choses comme ma femme. La nuit, j’entendais de temps en temps les tirs de roquettes, vers trois ou quatre heures du matin. Quelques-unes sont un jour tombées en centre ville…

Un jour, à Da Nang, le consulat chinois, situé à quelques pâtés de maisons du tribunal a été touché. J’ai eu très peur… Je me suis dit : « Mais, on va tous mourir ! » C’est à cette occasion que j’ai vu la mort pour la première fois, si je fais abstraction de la mort naturelle, que l’on peut rencontrer tout petits avec les grands-parents. Mais là, il y avait des cadavres et du sang partout ! Pour autant, à l’époque, on ne pensait pas encore à partir.
 Même nos parents ne pensaient pas encore à quitter Hué ou Da Nang !
- Les miens disaient : « Les communistes sont encore loin… »

Par contre, en 75, ils étaient tout proches et là, nous avons été obligés de partir… Nous avons tout abandonné le 30 mars pour rejoindre Saigon. Jusqu’ici, Da Nang n’était pas isolée ! La guerre était encore loin ! En fait, c’est le jour même où les communistes sont entrés dans la ville que nous avons fui par bateau.
 Ma famille a quitté Hué en 68.
- Cette année-là, profitant de la fête du nouvel An et des pétards qui sautaient, les Viêt-Congs se sont emparés de Hué et ont massacré beaucoup beaucoup de gens…
 Moi, j’étais déjà parti. Je travaillais à l’époque à Da Nang. Mais, ma famille était encore à Hué et heureusement, personne n’a été touché…
Dans la mienne, deux de mes tontons ont été tués… Ils liquidaient tous ceux qu’ils accusaient de travailler pour l’étranger ! Ils les enterraient vivants dans un trou… Mais un an après, nous avons pu retrouver les squelettes… En 72, ils ont mené une nouvelle attaque sur Da Nang ! Seulement, ils n’ont pas pu entrer dans la ville…

Rencontre et mariage à Da Nang

J’ai commencé à travailler à Da Nang en 1966. J’avais alors dix-sept dix-huit ans. Je travaillais sur une machine IBM dans le service informatique de l’armée qui gérait les salaires. J’étais comptable en quelque sorte. Je ne m’étais pas engagé ! Á dix-huit ans, ayant terminé mes études, j’étais obligé de faire mon service militaire. Mais comme ma mère connaissait très bien le grand chef et qu’elle avait peur de me perdre, elle a demandé à ce que je sois dans les bureaux. Voilà, comment j’ai atterri dans ce service.
- Il a été pistonné ! Nous nous sommes rencontrés en 1972. Il était mi militaire, mi civil.

Nous nous sommes mariés en 72 et après, je suis parti travailler à Saigon.
- Moi, je suis restée à Da Nang car depuis 70, j’étais secrétaire en comptabilité à la banque industrielle et commerciale du Vietnam, située à quelques pas de chez nous.

L’inexorable progression des communistes vers le Sud

Le port de Da Nang était un port civil. Il recevait surtout des bateaux de marchandises. Mais plus loin, on voyait de grands navires de guerre gris qui se rendaient à la base militaire de Tiên-Sa. Chez nous, des femmes de la campagne nous aidaient pour faire le ménage, le repassage. De temps en temps, elles retournaient dans leur village mais elles revenaient en pleurant. Elles nous expliquaient : « Les Américains font ci, les Américains font ça… » et moi, je me disais : « Si ça continue comme ça, le Nord va être vainqueur ! Si le peuple hait les Américains, il va soutenir les communistes ! » Je sentais que ça basculait…

Á Saigon, je continuais à faire le même travail pour le ministère de la défense. J’allais un peu partout jusqu’à Hué et Dông Hoi ! Ce n’était pas dangereux car je voyageais par avion. Je ramenais leur salaire aux soldats qui se battaient à la frontière. Je m’occupais également de la vérification des déclarations de décès parce qu’il y avait beaucoup de morts et ils n’étaient pas toujours déclarés, ce qui permettait à certains soldats de toucher leur salaire à leur place.

Malgré la guerre, jusqu’au dernier jour, je ne voulais pas quitter Da Nang… Le 29 mars 75, j’ai demandé conseil à un de mes tontons qui était commandant dans l’armée : « - Á ton avis, je dois rester ou partir ?
  Il vaut mieux que tu partes parce que l’on va perdre Da Nang… Mais, peut-être que nous pourrons garder Saigon. »
J’ai donc rejoint Saigon le 30 mars, avec mes parents, en souhaitant que nous pourrions rester dans notre pays…

En 1975, je pensais à quitter le Vietnam mais car, travaillant pour l’armée, je savais que la situation était perdue… Seulement, comment faire ? Les soldats de la marine pouvaient fuir par bateau, les pilotes s’envoler avec leurs avions, mais moi, j’étais comptable ! Je n’allais pas partir sur ma machine IBM ! En 75, je me retrouvais donc coincé à Saigon avec ma femme et ma famille.
- Il est resté là-bas jusqu’en 78.

La prise de Saigon

La prise de Saigon reste pour nous un souvenir mortel…
J’ai beaucoup pleuré ce jour-là… C’est quelque chose d’inoubliable… Le matin, j’ai été réveillée par une fusillade et lorsque je me suis levée, j’ai vu nos soldats jeter partout leurs armes et leurs vêtements… Ils couraient en caleçon ! Ensuite, je suis allée faire un tour en ville en moto et j’ai vu les communistes arriver dans leurs tanks… Ils sont entrés dans l’enceinte du palais présidentiel et ils ont retiré notre drapeau… Ne pouvant pas rester, j’ai continué mon tour vers Nha be, une grande rivière et là, j’ai vu pleins de vêtements de soldats et beaucoup de gens qui montaient dans de grands bateaux. Je savais qu’ils allaient bientôt partir…

Á l’époque, mes parents m’ont dit : « Va-t-en avec ton mari et tes enfants ! Nous, on reste… » Alors, j’étais déchirée car je ne voulais pas abandonner ma famille. Voilà pourquoi je suis restée… Et comme je ne partais pas, mon mari est resté aussi… Nous étions ensemble ce jour-là mais chacun s’affairait de son côté.
 Je m’occupais de tout brûler : les affaires, les papiers, etc. Je mettais tout dans le feu…
- C’était triste mais il fallait tout brûler

La rééducation des esprits

Après, j’ai continué à travailler à la banque industrielle et commerciale du Vietnam, à l’ancien siège et lorsque les communistes sont arrivés, ils nous ont dit que nous devions subir un lavage de cerveau… On leur a demandé pourquoi ? « Nous, on travaille dans la banque ! Nous n’avons pas de fusils ! On ne tue personne ! » Mais, ils nous ont « prescrit » trois jours de lavage de cerveau parce qu’ils nous reprochaient d’aider les soldats, avec l’argent de la banque, à acheter des armes pour les combattre… J’ai donc fait trois jours de reconditionnement mais ce n’était rien. On nous a simplement lu Karl Marx, Lénine, etc. Par contre, mon mari a fait un an…

C’est ce qui était prévu pour les hommes… Concernant les femmes, cela pouvait aller de trois à sept jours. Mais comme ils avaient besoin de mes services pour les former, pour leur expliquer le fonctionnement des machines IBM, ils m’ont gardé pendant quatre mois avant de m’envoyer comme les autres aux travaux forcés, à la montagne… J’y suis resté un an. Là-bas, on ne nous donnait quasiment rien à manger et je suis tombé très malade…
- je croyais que j’allais le perdre car je n’avais aucunes nouvelles. Je ne pouvais même pas lui rendre visite, rien… Il avait la fièvre jaune et je pensais que je ne pourrais pas le récupérer…
 Dans le camp, lorsque quelqu’un était gravement malade, ils le laissaient partir, persuadés qu’il allait mourir…
- Ils le laissaient rentrer chez lui pour ne pas porter la responsabilité de son décès. Ainsi, ils pouvaient dire : « Il est décédé à la maison ; pas au camp… » Mon mari a donc été renvoyé de là-bas entre la vie et la mort… Mais heureusement, il a été soigné par mes cousins qui travaillaient à l’hôpital…

De nouvelles conditions de vie

Á l’époque, nous avions deux enfants : une fille, née en 73 et un garçon, né en 75, juste avant la prise de Saigon. Heureusement, j’ai pu garder mon travail mais mon salaire a beaucoup baissé. Avant 75, je gagnais trente mille dôngs par mois mais après, ils ont décidé que notre argent ne valait rien. Ils ont dit : « Nos dôngs du Nord sont plus forts ! Cinq cents dông chez vous correspondent à un dông chez nous ». Mon salaire est donc passé à vingt dôngs… Tous les mois, on nous donnait des tickets de rationnement pour acheter du riz, du lait, du sucre et de temps en temps, de la viande de porc…

En 75, beaucoup de membres de ma famille ont quitté le Vietnam. Des tantes et des oncles sont partis aux Etats-Unis. Ils travaillaient pour une autre banque qui avait affrété un bateau et comme ils avaient de l’argent, ils ont pu acheter des places. Par contre, tous mes proches sont restés à Saigon, mes parents, mes beaux-parents, etc.

Les images de 75 resteront à jamais dans notre tête !

Cela fait trente ans déjà mais chaque fois que je reparle des boat people ou de mon pays en 75, j’ai toujours les larmes aux yeux… C’est indélébile… Souvent, des gens m’ont dit : « Maintenant, il faut tourner la page ! La vie continue ! », mais je ne peux pas effacer tout ça de ma mémoire…

J’ai un neveu qui est parti sur un boat people et qui aujourd’hui, est toujours porté disparu… C’était le fils de mon oncle. Á l’époque, il avait vingt-deux ans. Il n’est arrivé nulle part… J’ai demandé à la Croix-Rouge, à tout le monde, mais personne ne sait où il est…

Quatre ans de séparation

C’est pour mes enfants que j’ai voulu quitter le pays… Mais, mon mari est parti avant moi ! Il y était obligé car étant eurasien et de nationalité française, on l’accusait de travailler pour la CIA. Il a donc été expulsé le 20 juillet 78.
 Ils m’ont conduit à l’aéroport sans famille, sans rien, et m’ont expédié directement en France.
- Il a été rapatrié.
 L’agent responsable du consulat, Madame Henri, m’avait dit : « Ne vous inquiétez pas Etienne ! Dans trois mois, votre femme et vos enfants vous rejoindront. » Mais, j’ai dû attendre quatre ans…
- Je suis arrivée en France le 13 août 82…

Les communistes ne voulaient pas la laisser partir…
- Avant 82, j’avais demandé à quitter le pays et ils avaient d’abord accepté mais lorsque j’ai demandé pour mes parents, ils m’ont expliqué : « Si vous voulez qu’ils partent, il faut payer ! » Á l’époque, on devait donner soit de l’or, soit des dollars. Alors, comme j’avais encore un peu d’argent, j’avais dit : « C’est d’accord, je paye… » mais en fin de compte, c’était trop cher. Mes parents m’ont donc conseillé : « Il vaut mieux que tu partes sans nous… » J’ai continué à essayer de négocier mais en 82, j’ai pris conscience que pour les études des enfants, je ne pouvais pas rester plus longtemps…

Entre temps, j’avais eu un second fils, né le 14 janvier 79.
 Je n’ai pas pu assister à sa naissance car j’étais déjà en France. Elle était enceinte de trois mois lorsque je suis parti. Je n’ai donc pas pu le voir avant août 82… En France, j’ai commencé à faire tous les papiers que j’ai envoyés là-bas au consulat.
- Il réclamait : « Je veux ma femme ! Je veux mes enfants ! »
 J’ai précisé comment l’enfant s’appellerait, dans le où ce serait une fille comme dans celui où se serait un garçon. Il fallait le déclarer au consulat ! Sinon, ma femme n’aurait pas pu partir avec lui !

Il me racontait tout ce qu’il vivait en France par courrier, même si tout était automatiquement censuré…
 C’était très long ! Parfois, la lettre mettait deux ou trois mois pour arriver !

Quand il m’envoyait des médicaments et le nécessaire pour notre troisième enfant, le paquet était systématiquement ouvert avant d’être recollé… Et lorsqu’on venait le chercher à la Poste, il était rouvert devant nous. Á ce moment-là, l’agent disait : « Ça, je prends, ça, je prends, ça, je prends. » Si vous vouliez qu’il vous laisse les médicaments, il fallait donner de l’argent… C’est la vérité ! Je l’ai vécu… Je ne rajoute rien… Les communistes de là-bas n’avaient rien à voir avec ceux d’ici !

Désormais, tout appartenait au peuple : la maison du peuple, le tribunal du peuple, la prison du peuple, etc., sauf une seule et unique chose : la banque de l’Etat. Tout était au peuple sauf la banque !
Et c’est comme ça encore maintenant… Le pays est plus ouvert ! Il y a beaucoup de touristes ! Mais lorsque nous les Vietnamiens, nous revenons là-bas, il n’y a pas de règlements, pas de lois, rien du tout… Ils font comme ils veulent avec nous…
Oui mais actuellement, c’est quand même mieux qu’avant !

C’est vrai…Aujourd’hui, je peux tout à fait retourner au Vietnam. Je ne suis pas interdit de territoire.
- j’y suis retournée trois ou quatre fois déjà.
Mais, beaucoup d’autres Vietnamiens n’ont pas cette chance. Souvent, en arrivant là-bas, on leur dit qu’ils doivent repartir…
- Á l’aéroport, ils disposent d’une liste sur laquelle figure les noms de ceux qui sont interdits de séjour au Vietnam…

Arrivée en France

Je suis arrivé directement à Sarcelles, où j’ai été accueilli dans le centre de rapatriés, situé au bout de l’avenue du 8 mai 45. Avec moi, il y avait beaucoup de Vietnamiens mais aussi des Malgaches et des Hindous. Au départ, c’était très dur… Pour nous, la France, c’était tout nouveau ! On ne parlait pas beaucoup français. On ne connaissait que celui que l’on nous avait appris à l’école, le français correct. Alors, j’ai eu pas mal d’histoires à cause de ça pendant les deux trois premiers mois !

Á l’époque, beaucoup de gens parlaient encore en anciens francs. Dans le centre de rapatriés, on nous donnait trois cents francs toutes les deux semaines pour acheter de la bouffe. Un jour, je suis passé devant un magasin qui vendait des fruits : des pommes, des oranges, des pêches, etc. Alors, je me suis renseigné :
« - Monsieur, s’il vous plait, combien coûte un kilo de pommes ?
  Deux cents ! »
Là, je me suis dit : « Deux cents balles ! C’est drôlement cher ! » J’ai donc tourné les talons… « Merci beaucoup. Au revoir Monsieur… » Je ne savais pas qu’en fait, deux cents anciens francs, c’étaient deux francs !

Mais, j’ai encore beaucoup d’anecdotes du même genre ! Par exemple, quand une voiture passait et qu’on me disait : « Oh là ! Tu as vu cette caisse ? », je ne comprenais pas ! Que ce soit une caisse ou une bagnole, je ne connaissais pas ces mots ! Ce n’est pas ce que j’avais appris à l’école ! J’ai donc beaucoup de souvenirs de mes débuts en France…

Après deux semaines passées dans le centre de rapatriés à Sarcelles, je suis parti à Limoges. J’y ai habité deux ans avant de revenir en région parisienne. Mais ma famille, ma mère et mes sœurs vivent toujours là-bas !
- Mon mari, ma belle-mère, un beau-frère et une belle-sœur, sont partis ensemble.
Ils sont partis en même temps que moi mais sans que je le sache. Le jour où j’ai quitté mon pays, on est venu me chercher en voiture au consulat pour m’emmener à l’aéroport. Dans l’avion, il y avait beaucoup de Vietnamiens mais aussi beaucoup de Français qui retournaient en France ! Et parmi les passagers, j’ai aperçu ma maman et ma soeur. Mais, je n’ai rien dit ! J’ai pensé : « Si on nous voit, c’est risqué ! » Les communistes pouvaient changer d’avis !
- Il avait peur qu’ils reviennent sur leur décision…
Quand j’avais demandé à ce que ma femme et mes enfants m’accompagnent, ils avaient refusé catégoriquement… C’est là qu’au consulat, on m’avait dit : « Ne vous inquiétez pas. Partez d’abord et dans deux ou trois mois, votre famille vous rejoindra… »

Même si je n’ai pas pu lui parler, j’ai vraiment été soulagé de voir ma mère dans l’avion… Et une fois arrivé à Charles de Gaulle, c’était enfin la liberté…
- Même montés dans l’avion, tout n’était pas gagné ! Les autorités communistes pouvaient toujours nous faire descendre !
Même après le décollage ! On pouvait toujours faire demi tour !
- En fait, ce n’est qu’au bout d’une ou deux heures de vol que l’on pouvait souffler et se dire : « Nous allons arriver en France et connaître enfin la liberté… »
D’ailleurs, quelques années après, quand tu retournais au Vietnam, il y avait toujours la police qui attendait devant la porte de l’avion !
- J’y suis allée en 92 parce que ma mère s’était cassée le col du fémur. Á ce moment-là, le régime était encore très dur… Les étrangers ne devaient pas parler avec les gens du pays…

En arrivant à Roissy, nous nous sommes vraiment sentis libres… Je me souviendrai toujours de ce jour-là… On pouvait parler, manger, fumer, faire tout ce qu’on voulait ! C’était merveilleux…
- J’ai eu la même impression…

Tous dans le même bateau en arrivant

Quand je suis arrivé à Sarcelles, il y avait plein de gens d’origines différentes. Mais pour nous les Vietnamiens, c’était facile de s’intégrer, de nouer des contacts !
Nous avons facilement créé des liens avec les autres pays parce que nous étions dans le même bateau. Nous étions tous des réfugiés ! Cela permettait donc de se comprendre et de s’entraider !

C’était juste un peu dur au début, à cause de la langue… Mais de toute façon, les Vietnamiens restaient toujours ensemble, comme les Malgaches, comme les Indous.

Oui mais ça, ce sont les hommes ! Nous les femmes, c’est différent. Par exemple, à l’époque où l’on m’avait envoyée dans un foyer à Woippy, une petite ville près de Metz, je partageais la cuisine avec une dame malgache et une dame chinoise. Et bien, chacune d’entre nous expliquait à l’autre comment préparer tel ou tel plats, typiques de son pays. J’ai également rencontré une dame africaine très sympa qui m’a fait goûter une sorte de fruit qu’il fallait faire cuire pour le manger. C’était très bon ! Il n’y avait pas ce type de contacts chez les hommes ! Tandis que nous les femmes, on papotait, on discutait, on s’échangeait des recettes…

Mais avant d’aller à Woippy, tu as séjourné à Vaujours !
- Oui, c’est vrai. C’est là-bas que je suis arrivée. J’ai atterri le 13 août 1982 à Charles de Gaulle.
J’étais là pour l’accueillir. Je la cherchais du regard et j’ai eu un peu de mal à la reconnaître…
- J’étais toute mince !
Je ne l’avais pas vue depuis quatre ans ! Et puis, notre petit enfant de trois ans, je ne l’avais encore jamais rencontré ! Même les autres avaient beaucoup changé !

En 82, j’étais revenu en région parisienne. J’habitais à Villiers-le-Bel. Mais, ma femme est allée à Vaujours.
- J’étais obligée ! C’est une longue histoire… Lorsque je suis arrivée, mon mari ne travaillait pas car il venait de quitter Limoges. Il m’avait demandé : « Tu préfères habiter Limoges ou Paris ? » et je lui avais répondu Paris. Je ne tenais pas trop à vivre avec mes belles-sœurs ! Il avait donc démissionné de son poste pour revenir en région parisienne.

En 80, elle m’a prévenu qu’elle venait. J’ai donc donné ma démission et je suis parti. Seulement, elle n’est arrivée que deux ans après ! Heureusement, mon patron était très gentil. Je ne connaissais pas mes droits et il m’a expliqué que je pouvais toucher le chômage s’il me faisait un papier de fin de contrat, un truc comme ça. Il a régularisé ma situation à ma place car je ne savais pas faire les choses… J’avais seulement travaillé quelques mois mais j’étais un bon employé. Mais, je n’étais pas le seul ! Les Vietnamiens cherchent toujours à faire le mieux possible ! En 80, je suis revenu à Paris et me suis installé à Stains. J’habitais avec ma sœur et mon beau-frère. J’attendais, j’attendais, mais je ne voyais toujours pas venir ma femme… Pendant ce temps, j’ai commencé à apprendre le métier de taxi parisien. Après, j’ai travaillé deux mois avec un monsieur qui habite près de la nouvelle préfecture, à Sarcelles. Mais, je ne touchais que trois mille cinq cents francs pour les samedis, dimanches et les jours fériés. Alors, j’ai trouvé un autre boulot, à savoir magasinier. Là, j’étais payé quatre mille deux cents francs, avec le treizième mois. J’ai donc arrêté le taxi. Seulement en 82, je n’avais toujours pas de maison. Voilà pourquoi ma femme est allée à Vaujours.

C’est pour ça que j’ai été obligée de rester dans le centre de rapatriés à Vaujours. Puis en septembre, j’ai été envoyée à Woippy, à côté de Metz, où les enfants ont été scolarisés quelques temps. J’ai commencé à travailler deux ou trois mois après, dans la restauration, à Paris. Pour pouvoir louer une maison, il fallait bien que je trouve du boulot ! Sans travail, pas de maison ! J’ai donc été embauchée au restaurant Mélodine, métro Rambuteau. Mais, c’était très très dur… Le directeur s’appelait Gérard Bal. C’était un pied-noir avec le cœur sur la main. Par exemple, pendant le jour de l’An chez nous, je travaillais et quand il a vu que je pleurais, il est venu me voir :
« - Qu’est-ce qu’il y a Mme Le Goff ? Pourquoi vous pleurez ?
  C’est le jour de l’An dans mon pays et je travaille…
  Mais rentrez chez vous !
  Non ! Si je rentre chez moi, vous n’allez pas me payer.
  Ne vous inquiétez pas ! Je vous donne deux jours de congés. Allez, rentrez chez vous… »

Les premiers jours de mon arrivée en France, j’ai été très étonnée par les gros mots. Chez nous, on ne dit jamais « merde » ! Alors, ça m’a choquée ! Et puis, il y avait tous ces mots en argot que je ne comprenais pas… Mon beau-père m’avait raconté que la France était un pays de culture, où tout le monde était très distingué, aimable, courtois ! Tandis qu’à mon travail, je ne rencontrais que des gens bien éloignés de tout ça ! Je me suis donc demandé : « Pourquoi tant de gros mots ! Où est-ce que je suis tombée ? »

L’éducation des enfants

Mais au bout d’un ou deux ans, j’étais tatouée et vaccinée !!! Tout y était passé ! Tous les gros mots ! Seulement, j’évitais d’en prononcer et à la maison, chaque fois qu’il s’en échappait un spécimen de la bouche d’un des enfants, je lui expliquais : « Je tolère que tu parles comme tes copains mais hors de la maison ! Ici, tu parles vietnamien ! » Je les obligeais à parler vietnamien…
D’ailleurs, chaque fois que les enfants parlaient français, je ne répondais pas… Je leur disais : « - Vous commencez à m’insulter !
  Mais non maman ! Tu comprends ce qu’on veut dire ?
  Non ! Vous pouvez parler français hors de la maison mais ici, vous devez me parler vietnamien parce que moi, je suis vietnamienne. »

Nous pensions à l’avenir ! Plus tard, les enfants sont retournés au pays pour voir les grands-parents et quand ils leur ont parlé en vietnamien, ils étaient contents !

Toutes les bonnes coutumes de chez nous, j’ai essayé de les transmettre à mes enfants. Quant aux plus sévères, je les ai un peu assouplies pour qu’elles deviennent moins dures. Mais, la règle absolue est toujours restée la même : pas d’autre langue que le vietnamien à la maison…

Le petit dernier, qui avait quatre ans en arrivant, s’est très bien adapté. Par contre, pour les deux premiers, les choses ont été plus difficiles. Au Vietnam, je les avais envoyés dans les écoles des sœurs, des écoles privées. Ils parlaient donc déjà français. Le régime communiste ne tolérait pas les écoles françaises ! Mais en douce, les sœurs que je connaissais enseignaient à mes enfants le français… Les communistes l’ignoraient ! Ils pensaient que j’étais simplement catholique et que j’allais à l’église avec mes enfants, alors que je les emmenais là-bas pour qu’ils apprennent le français. Ils ont ainsi acquis une bonne base, qui leur a permis de mieux s’adapter ici… Le plus jeune, lui, n’a eu aucun problème. Il est arrivé tout frais et est entré directement à l’école maternelle. Mais, c’est aussi celui qui parle vietnamien couramment ! En France, j’ai eu deux autres enfants : un garçon né en 84, qui a vingt-deux ans, et une fille née en 89, qui a seize ans. Aujourd’hui, je suis fière de dire que tous parlent vietnamien de A à Z…

Globalement, je crois que leur adaptation en France n’a pas été trop dure car à la maison, j’ai toujours beaucoup discuté avec eux. Même maintenant ! Quel que soit leur problème, ils savent qu’ils peuvent venir m’en parler. Bien sûr, de temps en temps, je crie comme les autres mères ! Je m’énerve ! Mais, on se parle facilement… D’ailleurs, mon mari aussi discute souvent avec les enfants… En ce qui concerne les plus âgés, les deux premiers, leurs grands-parents leur manquent beaucoup car ce sont eux qui les ont élevés. Mes parents les gardaient pendant que j’étais au travail…

L’acquisition de la nationalité française

Après mon mariage, j’aurais pu obtenir automatiquement la nationalité française mais je ne l’ai pas demandée car pour travailler à la banque, il fallait que je sois vietnamienne. C’était une banque vietnamienne ! Mais je ne suis pas venue en France illégalement. J’étais réfugiée vietnamienne et je suivais mes enfants qui étaient de petits Français. Par contre, contrairement à eux, j’ai dû payer le billet d’avion, en empruntant au Secours Catholique.

Arrivée en France comme réfugiée politique, j’ai obtenu tout de suite ma carte de séjour. Ensuite, je suis allée à la mairie pour signer l’acte de mariage et là, j’ai demandé la nationalité française. Au bout de six mois, j’ai été convoquée par la police, qui voulait connaître mes motivations :
« - Pourquoi demandez-vous la nationalité française ?
  Je suis obligée car mon mari est français et mes enfants sont français !
  Mais, parlez vous bien notre langue ?
  Oui !
  Et bien, racontez-nous un petit peu votre vie. »
Ils étaient très étonnés ! « Vous parlez très bien français ! Vous aurez votre nationalité rapidement. » Et six mois après, c’était fait…

Pour autant aujourd’hui, si on me demande, je dis toujours que je suis vietnamienne… Mes collègues me corrigent souvent ! « Non, tu es française ! » Mais pour moi, je ne sais pas pourquoi, je me sens toujours vietnamienne… Quant à mes enfants, ils disent qu’ils sont français mais que leurs origines sont vietnamiennes. Ils ne se sentent pas cent pourcents français, même ceux qui sont nés en France… Ils gardent tous un côté vietnamien que nous avons voulu conserver…

Installation à Sarcelles

Nous avons vécu à Villiers-le-Bel jusqu’en 86, date à laquelle nous avons emménagé à Sarcelles, dans la maison que nous avons achetée aux Chardonnerettes.

Nous avons choisi Sarcelles pour des raisons essentiellement symboliques. C’est ici que mon mari est arrivé en 78 et qu’il a vécu pour la première fois en homme libre… Mais à l’époque, tout le monde nous disait : « Il ne faut pas vous installer là-bas ! C’est un coin pourri ! » Nous avons eu droit à toutes les images négatives de Sarcelles. Pourtant, nous n’avons pas changé d’avis… Notre décision était prise…

En arrivant ici, au Chardonnerettes, j’ai trouvé que c’était très calme. Á l’époque, je travaillais encore au restaurant à Paris. Je faisais donc le trajet tous les jours, par la gare de Saint-Brice, car de là, je pouvais rentrer à pied jusque chez nous en une demie heure. Parfois, je devais faire la fermeture, c’est-à-dire que je finissais à onze heures. J’arrivais donc à Saint-Brice à minuit, puis je rentrais à pied aux Chardonnerettes. Mais c’était très calme ! Alors, je me demande vraiment pourquoi tout le monde dit que Sarcelles est une ville chaude…

Un soir par contre, j’ai eu très peur… Lorsque je suis sortie du train, il n’y avait personne et mon mari ne pouvait pas venir me chercher parce qu’à ce moment, notre fils était malade. Je suis donc rentrée à Pied. Autour de moi, les rues étaient désertes quand tout à coup, j’ai vu un homme noir qui se dirigeait vers moi… Il m’a dit : « Vous avez peur Madame ? » J’avais entendu dire tellement de mal sur les Noirs que j’étais terrorisée ! Je suis restée figée sur place à le regarder… Mais, il a ajouté : « Ne vous inquiétez pas, je vais vous ramener chez vous… » et il m’a raccompagnée très gentiment jusque devant ma porte… Depuis ce jour, j’ai oublié toutes les histoires que j’avais pu entendre sur les Noirs… Ce fut une leçon pour moi… J’ai appris qu’il ne fallait pas juger les gens avant de les connaître…

Quand des gens nous demandent où nous habitons et que l’on répond Sarcelles, ils s’étonnent en général ! « Oh Sarcelles ! Ce sont les quartiers chauds ! » Mais pas pour nous !

Moi, je n’ai pas peur à Sarcelles ! Pour moi, c’est un lieu comme un autre ! Tout le monde m’a dit que Verrières dans le 91, à côté de Massy, c’était chic mais je suis allée là-bas et ce n’est pas chic du tout ! Tout dépend du quartier. J’habitais d’un côté et de l’autre, les voitures étaient brûlées, les vitres cassées…

Nous avons quitté Sarcelles en 2000 pour aller là-bas car je travaillais dans un laboratoire de recherche. Mais aujourd’hui, nous habitons Epinay-sur-Seine.
- Nous sommes du 9-3 maintenant ! On cherche toujours les coins chauds ! Il n’y a que là qu’on se sent très tranquilles !
Nous avons quitté le 91 car c’était trop loin de Sarcelles.
- Nous avons une association ici et chaque semaine, venir du 91 jusqu’à Sarcelles, ça fait de la route ! Plus de soixante kilomètres ! Voilà pourquoi les enfants nous ont dit : « Il vaut mieux que vous achetiez dans les environs de Sarcelles, pour être plus proche de votre association. »

L’Amicale des Vietnamiens de Sarcelles

C’est mon mari qui l’a créée.
Jusqu’ici, il existait déjà à Sarcelles une association de Vietnamiens mais je ne sais pas si elle était de type 1901. Quoi qu’il en soit, en 89, nous avons discuté avec les copains de la possibilité de faire une association pour aider les Vietnamiens Sarcellois. Ensuite, nous nous sommes développés et des gens ont commencé à venir d’un peu partout.

L’association a d’abord pour but d’aider les Vietnamiens pour leurs papiers, etc. Comme je parle un peu français et que je suis passée par toutes les étapes : carte de réfugié, carte de séjour, je connais bien la question ! Je les aide donc dans leurs démarches. Et si l’un d’entre eux est malade, je l’emmène voir un docteur et je fais la traduction. L’autre objectif de l’association est de préserver notre culture car nous considérons que nos enfants ne doivent pas oublier leurs racines, que ce soient les fêtes du nouvel An et de la mi-automne ou certaines coutumes comme le culte des ancêtres. Nous essayons donc de leur transmettre cet héritage.

Enfin, nous faisons du soutien scolaire. On enseigne la langue vietnamienne aux enfants et des étudiants viennent les aider pour leurs devoirs. Mais ils ne les font pas à leur place ! Ce n’est pas comme à l’école ! Si par exemple, un enfant n’a pas compris le cours de mathématiques, il demande à Félix qui ensuite lui explique, comme peut le faire le professeur. Il se charge juste de la leçon que l’enfant ne connaît pas, afin qu’il puisse comprendre…

Au départ, les locaux de l’association se trouvaient dans le quartier Vignes Blanches. Mais, quand les travaux ont commencé, je ne sais plus en quelle année, nous avons déménagé à la MJC.

Pour le spectacle de la fête du Têt, les enfants commencent à répéter quatre ou cinq mois à l’avance ! Nous répétons tous les samedis, tout le temps…
 Au début, nous l’organisions dans la salle Pablo Neruda. Seulement, comme il était gratuit, il attirait beaucoup de monde, Vietnamiens et Français ! Alors, la salle était rapidement pleine et on ne pouvait plus bouger ! Nous avons donc demandé à Monsieur La Montagne, l’ancien maire de Sarcelles, de pourvoir disposer de la salle des fêtes au forum des Cholettes et depuis, nous sommes tranquilles, car c’est une grande salle.

Aujourd’hui, le spectacle est toujours gratuit mais comme nous avons eu des problèmes avec des jeunes qui se bagarraient, on a commencé à vendre des billets à dix francs, simplement pour filtrer un peu.
 Si on connaît la personne, elle peut rentrer gratuitement ! C’est juste pour éviter que certains jeunes viennent perturber le bon déroulement de la fête.
Comme ça maintenant, ils ne nous embêtent plus…
 Depuis la fermeture du forum des Cholettes, nous organisons le spectacle à la salle André Malraux…

Le samedi à la MJC, nous n’accueillons pas que des gens de Sarcelles, loin de là. Par exemple, les gens qui suivent les cours d’alphabétisation pour adultes viennent de partout ! Mais, nous avons volontairement voulu que l’association reste à Sarcelles, même s’il n’y reste plus beaucoup de membres de la communauté vietnamienne.

Nous par exemple, nous n’habitons plus Sarcelles mais nous y venons toujours…

Message aux jeunes

D’où que vous veniez, n’oubliez jamais vos origines. C’est très important… Essayez de toujours parler votre langue maternelle et préservez ce qu’il y a de bon dans votre culture, dans vos coutumes… Si certaines sont excessives, trop pesantes, il faut les adapter à la vie en France…

Je me souviendrai toujours du jour où j’ai posé le pied sur l’aéroport Charles de Gaulle. Je me suis sentie bien…
 Libre…
Je n’avais plus peur…
 Pour nous, tout était nouveau…
Tout était beau…
 J’ai pensé retourner un jour dans mon pays mais maintenant, je suis en France et j’y suis bien… La France est ma deuxième patrie.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

Messages

  • bonsoir heureuse de vous lire je suis rapatriee et arrivee a Sarcelles en 1976 je suis partie dans le midi en1990 c etait 1 dechirure de quitter Sarcelles car j avais fait des galas au forum des cholettes c etait toujours gratuit par l ancien Maire Raymond Lamontagne Ma Mere est decedee en mai dernier et avec respect de sa volonte j ai porte sa photo a la Pagode PHO DA a marseille et je passe faire la priere une fois par semaineJe desire avoir 1 contact avec vous pour pouvoir louer 1 salle pour feter notre jour de l An Vietnamien avec les Boudhiste et nous autres car notre Pagode a grand besoin de renovation car c est tres vieux et delabre je viens par ce biais vous demander de l aide en esperant d avoir votre reponse veuillez de bien vouloir nous tendre la main meme nous ne somme pas de meme religion Avec mes remerciements d avance.Cordialement

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