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CAMBODGE - J’ai quitté le Cambodge en 75 parce que les Khmers Rouges ont gagné la guerre

Mr Sin Tho

mardi 13 avril 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Je suis né en 1941 au Cambodge, dans un petit village de la province de Kandal, situé à soixante kilomètres au sud de Phnom Penh, la ville capitale. Je suis le cadet de la famille. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de mon village natal. Á ce moment-là, le Cambodge était peu peuplé. Il comptait environ vingt habitants au kilomètres carrés. Dans mon village, nous étions donc peu nombreux mais on vivait bien…

Mon père était agriculteur. Il a ensuite quitté la campagne pour faire du commerce dans la capitale. Mais à l’époque, à Phnom Penh, il n’y avait pas beaucoup de monde ! Je ne sais plus à quel âge je suis allé vivre en ville car j’ai tout oublié, à la suite des évènements…

Quand j’étais très petit, pendant la Deuxième Guerre mondiale, j’ai vu arriver des troupes françaises : des Marocains, des Sénégalais. Alors, les gens ont dit : « Mais, qu’est-ce que c’est que ça ? Qui sont ces êtres de couleurs noirs et aux dents blanches ? J’ai peur ! » Tous les villageois sont alors partis se cacher dans les forêts…

Comme beaucoup de villages, le nôtre était isolé. Nous étions à soixante kilomètres de la ville et au niveau communications, ce n’était pas facile… Á l’époque, il n’y avait pas encore de voitures ! Pour rejoindre la capitale, on remontait le fleuve avec des pirogues ou des bateaux. Alors, quand les gens voyaient des militaires, ils avaient peur ! Lorsqu’on voyait les Français, on se disait : « Oh ! Ce sont les Blancs ! » Nous n’avions pas l’habitude ! Une fois, ma sœur a même pleuré en voyant les soldats…

L’école

Au niveau éducation, de mon temps, peu d’enfants allaient à l’école parce que c’était très très dur… Il n’y avait pas beaucoup d’enseignants… Quand je suis entré à l’école primaire, j’avais déjà sept huit ans ! On commençait par appendre à lire et à écrire le cambodgien dans les pagodes, avec les bonzes et après, on passait à l’école gouvernementale, au cours enfantin. Là, on apprenait également le cambodgien et un petit peu le français.

Á l’école, on apprenait le français mais en dehors, on ne le parlait jamais ! C’est ça le problème ! On apprenait à lire et écrire un petit peu en classe mais dès que l’on sortait ou pendant la récréation, on parlait le cambodgien ! D’ailleurs, à la maison aussi ! C’est pourquoi à l’époque, la majorité des Cambodgiens savaient lire et écrire le français mais très peu le parler. Á mon avis, c’était la même chose pour les Vietnamiens ! Les gens qui parlaient couramment français étaient rares car pour ça, il fallait être venu ici pour développer la pratique de la langue.

J’ai fini mes études à la campagne, puis ma famille est remontée sur la ville. J’ai obtenu mon bac à vingt et un ans, en 62, puis en 64j’ai suivi une formation de trois ans à l’école des officiers avant de faire l’école d’application jusqu’en 70, date à laquelle les problèmes au Cambodge ont commencé…

La guerre au Vietnam voisin

Quand j’étais jeune, à ma connaissance chez nous, il n’y a pas vraiment eu de conséquences concernant la guerre au Vietnam. En 54, j’avais treize ans mais à l’époque, avoir treize ans, ce n’était pas comme ici ! Nous ne disposions pas encore de tous les progrès de la civilisation. Quand on prenait la douche, on se mettait la main sur la nouille parce qu’on était à poil !

Á treize quatorze ans, franchement, je ne rêvais à rien de particulier. La vie était belle et je ne pensais qu’à faire mes études. Au Cambodge, contrairement au Vietnam, il n’y avait pas la guerre ! Il y avait bien la résistance pour l’Indépendance mais elle a été obtenue dès le 9 novembre 53. J’étais encore jeune ! J’avais douze ans et ça ne voulait pas dire grand-chose pour moi…

Pendant la nuit, des groupes de Vietminh remontaient parfois le fleuve Mékong pour attaquer les villages cambodgiens. Il fallait alors partir se cacher dans la forêt. Dans cette région, la forêt était partout ! Il n’y avait pas beaucoup de population… La guerre est donc quand même venue chez nous mais ce n’était pas fréquent… Á part ces incursions, le reste du temps, c’était calme…

Avoir dix-huit ans au Cambodge

Le Cambodge étaient un pays très très paisible au niveau des jeunes. Á part les études, ils n’avaient rien à faire ! C’était le seul objectif… Il fallait travailler et ne rien dire… Il y avait bien des plaisirs, comme le cinéma ! Mais, les jeunes pensaient avant tout aux études, à l’école… Il y avait beaucoup de discipline au niveau éducation. Les jeunes filles portaient un haut blanc, une jupe bleue et les garçons, une chemise blanche et un pantalon. Il fallait être bien habillé ! Au lycée, c’était très strict…

Évidemment, on faisait quelquefois des bêtises comme tous les jeunes ! Mais au Cambodge, au niveau coutumes, c’était très sévère… Par exemple, on pouvait aimer une fille mais dans l’esprit seulement… Nous n’avions pas le droit de se contacter, de faire des choses ensemble… Sinon, avec les parents, c’était la fessée ! L’éducation des filles était très sévère…

Pour le mariage, c’étaient les parents qui décidaient. Il était très rare que l’on choisisse nous-mêmes… Ils avaient des idées bien arrêtées et avant de marier leur fils, ils regardaient la fille. Ils vérifiaient si elle était de bonne famille, si elle avait bon caractère, etc. Et c’était la même chose pour le garçon ! C’était réciproque.

Avant le mariage, on ne pouvait pas sortir avec une fille. C’était interdit… Il était donc très rare de réussir à faire un mariage d’amour, même à haut niveau… Garçons et filles pouvaient se rencontrer pour discuter, pour parler, mais ça n’allait jamais plus loin. Il était pratiquement impossible d’avoir des contacts physiques avec les jeunes filles. Par contre, il y avait des prostitués que l’on pouvait aller voir de temps en temps. Les jeunes filles devaient se protéger ! Si l’une d’entre elles faisait quelque chose avec un garçon, tout le monde le savait ! Et après, elle ne pouvait pas trouver un autre mari. Elle était condamnée…Chez nous, l’amour était donc très encadré par la coutume…

Á l’âge de dix-huit dix-neuf ans, je n’avais aucune idée particulière sur la France. Je faisais mes études, je vivais ma vie, je voyais des étrangers, surtout des Français… Il faut reconnaître qu’il n’y avait pas eu de guerre sanglante entre le Cambodge et la France ! L’indépendance avait été obtenue calmement, sans combats. Il n’y avait donc pas de conséquences dans les relations. Après 53, beaucoup de Français étaient restés là-bas, en particulier des missionnaires, des militaires et des professeurs.

La guerre civile

Les problèmes politiques ont commencé en 1970, avec le changement de régime et la guerre avec les Khmers Rouges, les communistes, qui se sont finalement emparés du pouvoir en 75. C’est à ce moment-là que j’ai quitté le Cambodge. J’avais alors trente-quatre ans et j’étais marié depuis six mois.

Au départ, les Américains étaient contre le prince Sihanouk et voulaient le renverser. En mars 70, pendant qu’il était en visite à l’étranger, ils ont donc profité de son absence pour monter un coup d’Etat avec le général Nol. Les Américains sont ensuite arrivés. L’insurrection des Khmers Rouges, aidés par les Vietnamiens, a alors commencé et la guerre civile a éclaté…

En fait, le conflit au Cambodge est assez compliqué. Les Khmers Rouges n’avaient pas vraiment de forces armées. Ce n’était pas prévu. Ils avaient seulement des milices. Mais, à la suite du coup d’Etat de 70, ils ont immédiatement reçu le renfort des forces vietminh déjà installées au Cambodge. D’ailleurs, c’est leur présence chez nous qui a servi de motif au renversement du prince Sihanouk ! Les Américains lui reprochaient de leur avoir donné l’autorisation de stationner à la frontière. Les Vietnamiens ont soutenu les Khmers Rouges jusqu’en 73 car à partir de là, ces derniers ont disposé de véritables de forces pour combattre l’armée gouvernementale.

Aux yeux de la majorité des Cambodgiens, le prince Sihanouk était très populaire et en 75, lorsque les Khmers Rouges ont été victorieux, ils ont cru qu’il reviendrait au pouvoir. Ils ne pensaient pas que Pol Pot allait s’en emparer. La population ne savait pas ce qu’était le communisme. Les Khmers Rouges avaient été formés par les Chinois.

La majorité des Cambodgiens sont des Khmers. D’ailleurs, le terme signifie « Cambodgiens ». L’histoire du Cambodge, contrairement à celle du Vietnam, est généralement peu connue en France, tout simplement parce que chez nous, il n’y a pas eu la guerre. Tous les Français connaissent Diên Biên Phu ! Et tout le monde sait qu’après 54, les Américains ont pris la relève, etc. Seulement, pendant le conflit au Vietnam, au Cambodge, c’était calme, il n’y avait rien...

Fuir le régime Khmer

J’ai quitté le Cambodge en 75 parce que les Khmers Rouges ont gagné la guerre. Á ce moment-là, je travaillais en province, à côté de la frontière thaïlandaise. Le 17 avril, la radio a annoncé la victoire finale des communistes. Toutes les forces gouvernementales avaient déposé les armes. Avec mon épouse, nous sommes restés encore une nuit à la frontière et le lendemain, nous avons rejoint la Thaïlande.

Nous avions déjà l’intention de venir en France car avant de partir, on s’était demandé : « Où va-t-on ? » S’installer en Thaïlande n’était pas envisageable ! Les Thaïlandais n’allaient pas autoriser tous les Cambodgiens à rester chez eux ! Et puis, comment allait-on vivre là-bas ? En tant qu’officier, je ne pouvais pas trouver facilement du travail ! Les 18-19 avril, le Haut Commissariat aux Réfugiés nous a pris en charge. Il nous a donné de la nourriture, etc. Ensuite, des représentants des ambassades de France et des Etats-Unis sont venus nous rendre visite et ont fait noter tous les noms.

Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas choisi les Etats-Unis. Á l’époque, mon beau-frère devait quitter le Cambodge pour aller étudier en France. On savait qu’il avait préparé son départ, qu’il avait demandé son visa, mais on ne savait pas s’il avait réussi à partir ! Et puis, la tante de ma femme était allée faire des études en France. C’est sans doute pour ça que nous avons finalement choisi ce pays…

Arrivée en France et conditions d’accueil

J’ai quitté la Thaïlande le 11 octobre 75 et je suis arrivé en France le 12 octobre. Nous avons été tout de suite accueilli à Créteil, dans un foyer pour réfugiés. Nous n’avions pas de bagages ! Nos seuls vêtements étaient ceux que nous portions… Je suis resté dans ce foyer jusqu’au 23 octobre. Á partir de là, j’ai commencé à travailler pour un sous-traitant des automobiles Chausson.

Nous sommes allées chercher des vêtements au siège d’une association franco-cambodgienne à Issy-les-Moulineaux. Je ne connaissais pas la France ! Je ne savais pas prendre le métro ! Mais nous étions cinq six personnes et on s’est débrouillé… En octobre, pour moi, il faisait très froid ! J’arrivais d’un pays tropical chaud alors passer de 30 à 5 °c, c’était un sacré changement ! En plus, nous n’avions que des habits légers !

Á l’époque, à Créteil, il n’y avait qu’un Monoprix. Le centre commercial n’existait pas encore ! Une fois, nous sommes sortis pour acheter quelque chose mais après deux cents mètres, demi tour ! « Oh la la ! Il fait froid ! » Nous sommes tous rentrés immédiatement. Ce n’était vraiment pas facile… Et puis, nous n’avions pas d’argent ! Rien ! Le foyer avait donné cinquante francs à chaque famille, pour manger et se loger…

Après, quelqu’un qui était déjà en France nous a dit : « Allez hop ! Au travail ! » Mais, nous n’avions pas encore de carte de séjour. Nous avons demandé le statut de réfugié, puis le directeur du foyer a tout envoyé à la préfecture de Créteil nouvellement créée. Nous avons finalement obtenu rapidement la carte de séjour, l’autorisation de travailler et j’ai alors été embauché à Gennevilliers, chez Chausson.

Par la suite, une association franco-cambodgienne qui logeait les réfugiés m’a contacté. J’ai été accueilli dans une famille française du XVI ème arrondissement de Paris. Je me suis installé dans la chambre de bonne, en haut. C’était très très bien ! J’y suis resté pendant deux ou trois semaines.

Chez Chausson, je travaillais comme portier, c’est-à-dire que j’ouvrais la porte aux clients. Et un jour, par hasard, j’ai trouvé l’adresse de mon beau-frère, qui vivait à Saint-Nazaire. Il était lui aussi logé par une famille française. Je l’ai donc contacté et il m’a dit : « Venez à Saint-Nazaire ! Vous pourrez travailler ! Alors, j’ai tout de suite laissé tomber Chausson, chez qui j’étais depuis à peine trois quatre jours, et j’ai prévenu le monsieur qui m’hébergeait que je quittais la chambre. Il m’a dit : « Bon, très bien mais vous pouvez revenir un jour si vous voulez ! Le logement sera toujours à vous. » Je l’ai remercié puis je suis parti à Saint-Nazaire.

Gardien des chantiers navals de Saint-Nazaire

La dame qui m’a accueilli était institutrice. Elle a contacté les chantiers de l’Atlantique pour un poste de gardien et j’ai tout de suite été embauché. J’étais arrivé en France le 12 octobre, j’avais commencé à travailler le 23, j’avais quitté Paris le 27 et le 1er Novembre, j’étais gardien des chantiers navals de Saint-Nazaire. La dame m’avait trouvé un appartement à louer mais comme je n’avais pas encore d’argent, elle avait payé un acompte.

Au bout de deux trois mois à Saint-Nazaire, j’en ai eu marre d’être en province. Il n’y avait pas d’autres Cambodgiens ! En plus, ma femme était enceinte de cinq six mois. J’ai donc contacté le propriétaire de mon ancienne chambre à Paris, qui était PDG de la société Columétal (Comptoir luxembourgeois des aciers). Je lui ai écrit que je voulais revenir dans la capitale et lui ai demandé s’il pouvait me trouver du travail. En 75, c’était plus facile qu’aujourd’hui ! Il m’a répondu : « Pour le moment, ce n’est pas possible. Patientez un petit peu et à la fin de l’année, je pourrai sans doute vous proposez quelque chose. » J’ai donc patienté mais en novembre, rien et en décembre, toujours rien… Début janvier, je lui ai écrit une nouvelle lettre et cette fois, il m’a répondu : « Vous pouvez retourner à Paris. Vous travaillerez dans une société. »

Alors tout de suite, j’ai démissionné de mon poste de gardien. On m’a dit : « C’est dommage que vous partiez maintenant ! Vous auriez pu devenir chef, responsable de tous les surveillants ! », mais je n’ai pas changé d’avis et j’ai trouvé des motifs pour noyer le poisson… Bien sûr, la dame regrettait beaucoup mon départ mais de toute façon, je ne pouvais pas rester…

Entrée chez Columétal

Je suis revenu à Paris le 15 janvier 76 au soir et j’ai repris le travail le 16. Je n’ai pas eu le temps de souffler. Normalement, en tant que réfugié, j’avais le droit de rester dans un foyer pendant plusieurs mois pour suivre une formation, faire quelque chose, mais je préférais travailler. Je parlais encore très peu français à ce moment-là. Par contre, il m’était plus facile d’écrire ! C’était juste une question d’application.

Á Paris, j’ai retrouvé la chambre de bonne que j’avais quittée quelques mois plus tôt. Le lendemain de mon arrivée, je suis descendu chez mon propriétaire, comme convenu à sept heures. Sa femme m’avait acheté une chemise et une cravate !!! Mais, dans la société, il fallait également porter une veste costume et je n’en avais pas ! Alors, elle m’en a prêté une appartenant à son mari. Seulement, il était gros et je nageais dedans ! Elle m’a dit : « Ce n’est pas grave. Provisoirement, vous la porterez comme ça. Avec un manteau par-dessus, ça fera l’affaire. » Á huit heures, le chauffeur nous a emmenés à la société dont il était président et j’ai commencé à travailler en tant que statisticien. J’y suis resté jusqu’à ma retraite.

Dans ce service, nous étions trois personnes. Avec moi, il y avait un monsieur français, qui habitait à Arnouville-lès-Gonesse, et un monsieur tunisien, rapatrié lui aussi. Comme je ne connaissais pas le travail, j’étais toujours le premier arrivé et le dernier parti. Mais, j’ai appris vite fait ! Le premier mois, il me fallait une semaine pour calculer les prix et tout ça. Nous étions donc obligés de travailler à trois ! Mais après, au bout de deux trois mois, les autres m’ont dit : « C’est bon. Désormais, vous vous en sortez très bien. » Á partir de là, j’ai pu travailler tout seul…

Installation à Sarcelles

Lorsque nous avons eu notre premier enfant, le patron m’a dit : « Maintenant, votre chambre est trop petite ! Il faudrait que vous trouviez quelque chose de plus grand. » Nous avons d’abord trouvé un appartement à Maisons-Alfort, où nous sommes restés de 78 à 82. Ensuite, j’ai acheté à Sarcelles, aux Chardonnerettes. Au début, j’avais contacté une agence à Créteil mais on m’avait dit : « Oh la la, il ne faut pas acheter ici ! C’est trop cher au niveau des impôts ! » J’ai donc laissé tomber… En fait, c’est un ami qui habitait à Lochères, qui m’a conseillé de venir voir à Sarcelles et finalement, j’ai acheté un appartement aux Chardos.

En général, les Cambodgiens achetaient à Lognes ou à Torcy. Ils sont très nombreux là-bas. Alors, les gens me demandaient :
« - Mais pourquoi tu ne t’installes pas à Lognes comme tout le monde ?
  Oh…, c’est trop cambodgien… Je préfère rester un peu à l’écart… »
Aujourd’hui à Sarcelles, il n’y a que six ou sept familles cambodgiennes.

J’ai quitté Maisons-Alfort parce que j’avais un trois pièces et comme j’avais trois enfants, ce n’était plus suffisant. J’avais fait une demande pour obtenir un logement plus grand et le maire m’avait dit : « Attendez un petit peu et vous pourrez avoir un quatre pièces. » Mais, nous avons patienté et ne voyant rien venir, j’ai acheté aux Chardonnerettes.

Á l’époque, en 82, il n’y avait autour que des champs ! Des vergers de pommes, de poires, de tout. C’était la campagne… Des pavillons et des tours se sont construits petit à petit. Le quartier s’est étendu de l’autre côté. Je vis aux Chardos depuis presque vingt-cinq ans et je m’y plais beaucoup. C’est très tranquille, il n’y a pas de problèmes…

Responsabiliser les parents

Mais, il faut reconnaître que de 92 à 2002 la situation a changé, en particulier au niveau des jeunes. Jusqu’en 92, c’était calme ! Dans la rue, on n’entendait rien ! Mais à partir de là, les choses se sont détériorées. Il n’y a pas eu de vols ou de voitures incendiées ! Nous n’avons pas connu ce genre de truc ! Seulement, les jeunes se sont mis à dessiner des graffitis partout, à faire des réunions tard le soir, jusqu’à deux trois heures du matin, etc. Cette situation a duré jusqu’en 2002, jusqu’à l’élection de Jacques Chirac, le changement de gouvernement et l’arrivée de Sarkozy au ministère de l’Intérieur. Depuis, le calme est revenu. Ça a changé d’un seul coup !

Pour moi, le problème vient de l’attitude des parents. Je suis là depuis plus de vingt ans et je me suis beaucoup impliqué dans les affaires de Sarcelles. Je suis président du conseil syndical de la résidence Bois Joli, j’ai été membre du Conseil des retraités citoyens, etc. Les jeunes me connaissent très bien ! Aux Chardos, ils me disent : « Bonjour Monsieur Tho ! Bonjour ceci, cela ! » Mais le problème, c’est avant tout la famille parce qu’elle laisse faire les enfants ! Les parents leur laissent trop de liberté !

Par exemple, dans mon immeuble, il y a deux ou trois familles africaines. Dans l’une, les parents ont des problèmes, ils sont au chômage, mais les enfants sont nickels… Ils réussissent à l’école et sont corrects… Même si les parents n’ont pas d’argent, même si leur appartement va être vendu aux enchères, ils s’occupent de leurs enfants ! Ils ne leur laissent pas faire n’importe quoi ! Tandis que dans l’autre, les parents travaillent tous les deux, ils ont des salaires, mais ne surveillent pas leurs enfants et ces derniers créent des emmerdements. C’est ça le problème ! ce sont les parents qui sont responsables !

Moi, je suis asiatique et dans ma famille, on surveille les enfants ! On leur demande : « Pourquoi tu n’es pas rentré à l’heure ? Pourquoi tu as des vêtements différents de ceux que j’ai achetés ? » Souvent, alors qu’ils n’ont pas d’argent, on voit les jeunes porter des Nike et des vêtements de marque ! Alors, qu’est-ce que vous voulez… Ce n’est quand même pas normal de laisser des enfants dehors à une heure du matin ! Même si les parents me disent : « Oui mais je suis au chômage, je suis dépassé… », je ne suis pas d’accord ! Il faut voir comment font les animaux ! Quand un bébé éléphant fait un petit écart, allez hop ! Sa mère le remet tout de suite dans le droit chemin.

Aujourd’hui, mes enfants parlent très peu le cambodgien. Il faut dire qu’à chaque fois que j’essayais de leur apprendre, ils me disaient : « Papa, j’en ai marre ! » Et maintenant, c’est trop tard… Avec ma femme, nous parlons cambodgien à la maison. Les enfants le comprennent très bien ! Mais, quand on s’adresse à eux, ils répondent en français…

Message aux jeunes

Je pense que le problème pour les enfants, est de trouver ce qu’il vont faire dans la vie et pour les parents, de les surveiller, de les diriger. Les jeunes devraient se soucier de leur avenir plutôt que de faire des bêtises ! Je ne m’adresse pas ici à ceux qui savent ce qu’ils veulent faire parce que les concernant, il n’y a rien à dire. Ils travaillent à l’école pour réussir ! Et à mon avis, c’est la seule solution. Sinon, c’est la pagaille…

Moi, j’ai travaillé dur ! Chez Columétal, j’étais le seul étranger à être entré par la grande porte. Mais, il m’a fallu de la volonté ! Si vous dites : « Oh, j’en ai marre, j’ai envie de dormir… », comment voulez vous que le patron vous donne une quelque chose ? Ce n’est pas la peine de demander une augmentation à la fin de l’année ! Alors, il faut avoir de l’ambition…

Par exemple, dans la société, nous travaillions à trois personnes au service prix : le chef, l’adjoint et moi, le petit employé. De mon côté, je savais très bien quelles étaient les exigences du patron ! Il voulait quelqu’un qui s’invertisse dans son travail sans faire de faute. Et bien, il faut aussi savoir profiter de ça ! Pendant que les deux autres passaient leur temps à boire le café et à discuter, moi, je travaillais ! Des clients nous demandaient des prix ! Il y avait des centaines de papiers à traiter ! C’est ça que je reproche aux gens. On ne peut pas boire le café et discuter sans s’occuper des clients ! Ce n’est pas bon !

Au début, je faisais le travail et ensuite, comme j’allais vite, vite, vite, le chef et l’adjoint vérifiaient les prix. J’ai commencé comme statisticien niveau 1, échelon 1. Tous les ans, j’ai grimpé dans la hiérarchie et au bout de cinq ans, j’ai été assimilé cadre. Un jour, le PDG m’a appelé pour me dire : « Vous passez cadre dans l’entreprise. Vous voyez, la porte reste toujours ouverte. » Dans une société luxembourgeoise comme celle-là, devenir cadre commercial n’était pas facile ! Il y en avait déjà une vingtaine sur un total d’une soixantaine d’employés.

Seulement, à ce moment-là, mon chef de service, qui avait soixante ans, partait en retraite. Son adjoint, le monsieur tunisien, était là avant moi ! Il travaillait dans la boite depuis au moins vingt ans et souhaitait naturellement être chef ! Mais, le PDG m’a téléphoné et m’a dit :
« - Monsieur Tho, est-ce que prendre la responsabilité du service prix vous fait peur ?
  Non, mais je crains que mon salaire ne corresponde pas à mon travail. Pour être chef de service, il faut être cadre ! Je souhaite simplement que la compétence et la récompense soit la même.
  Ne vous inquiétez pas pour ça ! Vous serez cadre. »

Passer cadre était très rare, même chez mes collaborateurs français ! Il faut dire aussi que ce n’est pas en passant leur temps à discuter, à boire le café, qu’ils pouvaient y arriver. C’est ça le problème ! Et puis, il faut savoir anticiper ! Par exemple, avec l’arrivée de l’ordinateur, j’ai compris que le service prix était appelé à disparaître et j’ai demandé à travailler au service commercial.

Ce que je conseille aux jeunes, c’est donc de travailler dur et d’avoir de l’ambition. Á partir de là, s’ils sont compétents, ils seront récompensés…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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