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Paris, Je suis partie de sa maison le jour de ma majorité parce que je n’avais pas de liberté.
Mme Michèle Montet
jeudi 15 avril 2010, par
texte Frederic Praud
Une enfance marquée par l’Occupation
Je suis née dans le XV ème arrondissement de Paris en 1930. J’avais neuf ans à la déclaration de guerre. Je n’ai pas connu mon père car ma maman a fait quelque chose qui ne se faisait pas à l’époque : avoir un enfant sans être mariée. Mon père nous a donc abandonnées… Il est parti ailleurs mais ce n’est pas grave… C’est ma maman qui s’est occupée de moi avec mon arrière grand-mère et mon grand-père.
Tout le monde travaillait à ce moment-là ! Mon grand-père était tailleur mais il avait une particularité : il faisait des costumes pour le théâtre de l’Odéon, juste à côté de notre domicile. Je n’y suis jamais allée enfant mais j’ai été élevée dans les tissus ! Maman a d’abord travaillé dans les Postes, aux télécommunications, aux standards. Elle était demoiselle des Postes, comme on disait. C’est elle qui me l’a expliqué parce que moi, je ne m’en souviens pas. Les communications téléphoniques se faisaient manuellement avec des fiches et des écouteurs sur les oreilles ! Chacune avait des abonnés. D’ailleurs, maman recevait parfois des petits cadeaux de la part de gens qui ne la voyaient jamais, qui ne connaissaient que sa voix. Tout se passait de voix à voix et le travail était dur ! Ça fonctionnait tout le temps ! Maman travaillait autant de nuit que de jour par roulement…
Ensuite, elle a eu la chance de trouver un poste de secrétaire aux Halles, dans une maison américaine, la maison Swift. Ils faisaient des conserves de viande. Pendant la guerre, ils ne sont pas restés, ils sont partis et c’est une firme française qui a continué. Mais, lorsque maman est tombée malade, elle a été obligée de s’arrêter et elle les a quittés… Elle a fait une dépression nerveuse… Ma grand-mère et mon grand-père sont morts pendant la guerre, l’un en 1939, l’autre en 1941. Mon grand-père était déjà un émigré par ses parents qui venaient du Piémont en Italie.
Á ce moment-là, je suis allée en pension chez des religieuses à Meudon où maman était également soignée. J’y ai fait ma première communion. C’était comme une petite villa où nous n’étions pas très nombreuses. Il y avait quatre cinq religieuses ; pas plus. Pour les soustraire aux Allemands, elles ont recueilli trois quatre fillettes israélites. Dans la journée, elles étaient avec nous. On portait toutes une espèce d’uniforme, un sarrau noir avec un petit col rouge, et on nous faisait la classe à l’intérieur de la villa. On ne sortait pas, sauf pour la messe du dimanche.
Le soir par contre, les religieuses cachaient les fillettes car le plus souvent, c’était la nuit que les Allemands faisaient des rafles au couvre-feu. Le jour, s’ils étaient passés dans l’école, ils n’auraient rien remarqué ! Mais après, il y a eu des dénonciations et on a dû cacher ses pauvres petites filles nuit et jour, dans le poulailler du jardin… Je ne sais pas comment elles ont fait mais les religieuses avaient réussi à creuser un abri en dessous. Les Allemands n’ont jamais trouvé les enfants… Bien que, avant la fin de la guerre, la mère supérieure a été envoyée en camp de concentration et elle n’est pas revenue… Elle avait été dénoncée comme résistante… J’étais petite à ce moment-là et je n’étais pas encore très au courant de ce qui se passait. Quoiqu’il en soit, quand on a commencé à persécuter les Juifs, on a compris qu’il fallait protéger les enfants, les cacher.
En 1942, j’ai fait ma première communion à l’église de Meudon avec deux petites juives. Maman avait invité une jeune femme israélite portant l’étoile, qui était sa meilleure amie à ce moment-là. Elle avait deux sœurs de mon âge, à deux ans près et ce sont elles qui sont venues à ma communion. Alors, elles ont pris le train et elles ont fait preuve d’un courage formidable car elles avaient le couvre-feu ! Il fallait qu’elles rentrent avant une certaine heure, il ne fallait pas qu’elles travaillent, beaucoup de choses leur étaient interdites ! Mais, elles sont venues quand même.
C’était au mois de mai, il ne faisait pas trop chaud et ce dont je me souviendrais toujours, c’est qu’à la messe, la grande soeur a plié sa veste sur son bras pour dissimuler son étoile. Les gamines, de leur côté, n’avaient pas l’étoile. Elles avaient peur et ne voulaient pas la porter. Toujours est-il qu’on a fait un truc extraordinaire ! Quand on est innocent, on peut faire des choses incroyables ! Nous sommes allées prendre des photos à la terrasse de l’observatoire de Meudon où il n’y avait que des Allemands. On n’avait pas le droit ! Seulement, le site était très beau, la vue était superbe… Nous avons donc pris nos photos et à la fin, ils nous ont dit de circuler. Mais s’ils s’étaient rendus compte que nous étions de plus avec des Juives, nous aurions eu de graves problèmes ! Surtout que c’était déjà la fin de la journée ! Elles auraient pu être arrêtées ! On a eu de la chance…
Sous l’occupation, le quotidien était vraiment dur… On avait faim à Paris ! On voulait bien s’amuser mais on avait surtout faim… Nous étions tous maigres comme un clou… Le problème, c’était de trouver à se nourrir. Nous avons eu de la chance car quand maman a recommencé à travailler, au centre d’entraide des étudiants prisonniers, situé place Saint-Michel, notre vie a changé. Le responsable est devenu par la suite directeur du Parisien Libéré. L’objectif était d’envoyer des colis pour que les prisonniers puissent continuer leurs études dans les camps. Mais ça, c’était la couverture ! En réalité, je crois que ce monsieur était un résistant. En tous cas, il s’occupait beaucoup de ses employés parce qu’il avait des accointances en province et il leur trouvait de la viande et d’autres choses à manger.
Vie de jeune femme après-guerre
En 1945, la guerre terminée, j’avais quinze ans, on avait un peu moins faim… On se réunissait chez les uns et chez les autres ! Et puis, nous avons repris les études. Moi, je ne suis pas allée très loin, jusqu’au brevet élémentaire, que j’ai obtenu en 1946. Après, j’ai appris la sténodactylo, même si ce n’était pas du tout ce que je voulais faire… Mon souhait, c’était d’être étalagiste mais maman m’avait dit : « Il n’y a pas d’avenir là-dedans ! Il faut être secrétaire. » Á ce moment-là, on ne discutait pas ce que les parents disaient ! Il fallait obéir, point à la ligne… Ma mère m’a donc inscrite dans une école, située place Saint-Michel, près de chez nous. Nous habitions à Saint-Germain- des-Près, rue des Beaux-arts. Maman travaillait également dans le V ème arrondissement.
Sortie de l’école, en 1947, j’ai commencé à travailler au magasin du Printemps mais je n’y suis restée que très peu de temps, car c’était un truc absolument épouvantable. C’était un vrai cauchemar cet endroit-là… Moi, j’étais sténodactylo mais je ne faisais ni l’un ni l’autre. On m’avait mise sur un mécanographe. Á l’époque, c’était le début de ces machines. On avait de grands claviers énormes et on réalisait des tableaux avec des chiffres, rayon par rayon. Il fallait faire le compte-rendu de ce qui avait été vendu, etc. Maintenant, on passe tout ça dans l’ordinateur et ça va très vite mais à ce moment-là, on faisait tout à la main. Le chariot n’était pas électrique ! C’était un truc énorme qu’il fallait tourner comme ça et le rouleau avec. C’était très pénible comme travail !
Nous étions une trentaine dans une salle, toutes alignées les unes derrière les autres et il y avait une bonne femme au bout qui nous surveillait tout le temps ! Elle vérifiait qu’on ne parle pas, qu’on ne fasse pas ceci ou cela. Par exemple, si on avait besoin d’aller aux toilettes, elle veillait à ce que l’on aille pas avec une autre pour bavarder et elle regardait le temps qu’on mettait. C’était vraiment infernal ! Je suis donc restée huit jours ; pas un de plus… Je suis tombée malade et j’ai dit à maman : « Il n’y a rien à faire, je ne veux pas retourner travailler là-dedans ! » Elle n’était pas très contente. Mais, quand nous sommes allées voir la chef du personnel, elle lui a dit : « Madame, vous avez parfaitement raison d’enlever votre fille. Ce n’est pas un endroit pour elle… » C’était un bagne et il y avait des femmes qui étaient là depuis vingt ans !
En 1948 ma mère m’avait fait rentrer à la fameuse compagnie Swift mais je ne m’y plaisais pas. Je les ai aussi quittés. En 1952 j’avais vingt-deux ans et je n’étais plus chez ma mère, car je m’étais fâchée avec elle. Je suis partie de sa maison le jour de ma majorité parce que je n’avais pas de liberté. Maman me surveillait exactement comme la bonne femme du Printemps ! Il ne fallait pas sortir, il ne fallait pas fréquenter un tel ou une telle. Je lui avais donc dit :
« - Maman, ça ne peut pas continuer comme ça. Le jour de mes vingt et un ans, je m’en vais…
– Mais, ma pauvre petite, je ne sais pas comment tu vas faire !
– Je me débrouillerai… »
Je me suis occupée d’enfants chez un dentiste, qui en avait trois. J’étais logée et nourrie et ça me plaisait beaucoup. Je suis restée trois ans chez eux. C’est comme ça que je suis partie de chez ma mère…
Au moment de l’appel de l’abbé Pierre, je n’avais pas de problèmes de logement puisque j’étais chez ces personnes. De toute façon, je n’en ai jamais vraiment eu ! Sauf quand je me suis mariée, en 1958. J’avais vingt-huit ans et mon mari en avait trente-cinq. En 1956, lors de la création des grands ensembles de banlieue, je n’étais pas concernée. Je ne m’en occupais pas. Je travaillais à l’époque dans une maison d’édition, où j’ai d’ailleurs rencontré mon mari, et j’avais un petit studio près de la mosquée, dans le V ème arrondissement. J’étais une jeune femme célibataire et je m’y sentais très bien !
J’ai même pleuré quand je l’ai quitté, au moment où je me suis mariée. Il s’agissait d’une toute petite chambre, avec les waters sur le palier, mais ce qui était extraordinaire, c’est que j’avais une terrasse de trois mètres sur trois, qui donnait sur le Jardin des Plantes. C’était merveilleux ! Quand il faisait beau, mes collègues venaient chez moi entre midi et deux pour déjeuner sur la terrasse et prendre des bains de soleil ! Comme nous disposions de deux heures pour manger, nous avions largement le temps ! C’était génial…
De Paris à la banlieue, en passant par la belle mère
Dans ces années-là, je ne connaissais personne qui habitait la banlieue. J’avais des cousins que je voyais très peu et qui vivaient à Saint-Gratien. Quand on y allait, c’était encore la campagne ! Tout de suite après la guerre, lorsqu’on allait chez eux, on avait vraiment l’impression de passer une journée à la campagne. Ils avaient un petit jardin, une petite maison et en repartant, on revenait avec des fruits, des fleurs, etc. La banlieue, pour moi, c’était donc la campagne à cette époque-là. J’avais aussi des collègues qui commençaient à habiter la banlieue et on les enviait toujours parce qu’elles étaient toutes bronzées. Elles avaient une vie différente !
Je suis arrivée à Sarcelles en 1961. Je me suis mariée en 1958 et là, malheureusement, le logement que j’avais n’était pas assez grand, d’autant plus que j’étais enceinte de trois mois. Je suis donc allée habiter chez ma belle-mère et ça a été l’horreur… En général, les belles-mères n’ont pas bonne presse mais la mienne était vraiment spéciale… Elle avait un appartement rue Lamarck, dans le XVIII ème arrondissement mais chez elle, ce n’était pas grand ! C’était plus grand que chez moi ; d’accord ! Mais au fond, nous n’étions pas mieux logés ! Elle avait deux chambres, un salon, une petite cuisine, un cabinet de toilette et puis c’est tout ! Mon mari, ma fille et moi, nous logions dans une seule pièce ! Alors en plus, avec la belle-mère, ce n’était pas spécialement l’idéal…
Quand j’ai connu mon mari, j’étais chez un éditeur qui s’appelait Pierre Auray. J’y suis restée un an. Á ce moment-là, maman travaillait à Paris Match. Elle s’occupait des voyages des photographes. Un jour, l’un d’eux qui s’appelait Kitrosser est venu la voir et lui a demandé : « Écoutez, je travaille avec Sciences et Avenir et ils cherchent quelqu’un pour s’occuper d’une agence de photos. Vous ne connaissez personne que ça pourrait intéresser ? » Comme maman savait que je voulais quitter mon éditeur, elle a lui a dit : « Si, j’ai quelqu’un ! J’ai ma fille ! »
Je m’y connaissais un petit peu parce que pour me faire un peu plus d’argent, avant d’être mariée, j’allais parfois faire les piges au journal. Alors, je connaissais quand même les photographes et les photos, les formats et les papiers ! On prenait les photos et on les envoyait à l’étranger. J’aimais bien faire ça ! Et puis en plus, je gagnais des sous ! Je suis donc rentrée dans cette agence, qui s’appelait Atlas Photo. J’y suis restée presque neuf ans, jusqu’à la mort de mon patron, qui a coïncidé avec la naissance du quatrième de mes sept enfants.
L’image de Sarcelles
En fait, j’ai connu Sarcelles par la photo. Quand j’ai commencé dans l’agence, j’y ai remis un peu d’ordre parce qu’elle ne marchait pas très bien. Je crois que je m’en suis bien occupée. Des photographes m’apportaient leurs clichés pour que je les publie, pour que je les garde en archives et de temps en temps, j’allais en choisir chez eux. Un jour, un jeune photographe, Jacques Windenberger, m’a montré les premières photos de Sarcelles. Je lui ai dit : « Mais, qu’est-ce que c’est que ça ? » et il m’a expliqué. Il avait pris des clichés magnifiques ! Ils étaient tous en noir et blanc et ça m’avait ébloui ! C’était vraiment un très bon photographe et c’est toujours un excellent photographe !
J’ai donc ajouté :
« - C’est formidable ! On peut loger là-dedans ?
– Oui ! Et puis, il y a toutes les commodités ! Salles de bain, chauffage ! »
C’était extraordinaire car à Paris, on n’avait pas tout ça ! Très peu d’appartements disposaient de salle de bain ! Très très peu ! Alors, en définitive, j’ai dit à mon mari :
« - Écoute, j’ai trouvé où on va s’installer ! On va habiter à Sarcelles !
– Comment à Sarcelles ! »
Lui n’aimait que Paris. Moi aussi jamais beaucoup Paris ! J’adorais y vivre ! Mais, je ne pouvais plus supporter cette situation… J’ai donc été clair : « Chez ta mère, il n’y a rien à faire ! Moi, je n’y reste pas ! Je te préviens tout de suite. Tu fais ce que tu veux mais moi, je m’en vais avec ma fille et je m’installe à Sarcelles. »
C’est par maman que nous avons obtenu un logement. Á l’époque, ce n’était pas facile de venir ici ! Il fallait un certain piston ! J’ai eu mon premier appartement dans le grand immeuble de huit étages avec des balcons, qui se trouve au bout de l’avenue Paul Valéry, en face des Flanades. Maman connaissait quelqu’un au Ministère de l’Habitation.
Chez ma belle-mère, ce n’est pas qu’on était mal mais enfin, on n’avait pas beaucoup de place et ma petite fille faisait des cauchemars toutes les nuits… Évidemment, nous étions trois dans une petite pièce. Elle ne pouvait pas être bien dans de telles conditions ! La première fois que je suis venue à Sarcelles, j’ai donc choisi tout de suite.
Je suis arrivée avec elle qui était tout petite. Elle n’avait qu’un an. Nous avons débarqué là-haut, à la halte. Á ce moment-là, ce n’était pas une gare et le train ne s’arrêtait pas tout le temps. Il n’y avait pas encore le RER ! Toujours est-il qu’il faisait beau ce jour-là et quand j’ai lâchée ma petite fille comme ça sur l’herbe, quand elle s’est mise à courir et à crier de joie, je me suis dit : « Il n’y a rien à faire ! C’est là que je veux habiter ! » Elle était tellement heureuse ! C’est comme ça que j’ai choisi Sarcelles…
Ensuite, nous avons visité l’appartement et il était très beau ! Il y avait une grande pièce magnifique, un balcon, etc. Nous n’étions qu’au quatrième étage mais de notre fenêtre, on voyait jusqu’à la forêt de Montmorency. C’était superbe !
Sarcelles et les médias
Maman travaillait à Paris Match et des journalistes allaient faire un reportage sur Sarcelles. Elle leur avait dit : « C’est très bien ! J’ai ma fille qui habite là-bas ! » Maman aimait bien venir me voir ! Quand elle passait le week-end à Sarcelles, elle avait l‘impression de respirer ! Il est vrai que l’on avait de l’espace ! Ma fille avait une jolie chambre, on avait la salle de bain, on était très bien…
Toute une bande de journalistes est donc venue à la maison mais ils n’ont rien écouté de ce que j’ai pu leur raconter. Tout ce que je leur ai dit de bien sur Sarcelles, ils l’ont carrément ignoré. Juste à ce moment-là, quelqu’un venait juste de se suicider, en se jetant de la fameuse tour et au final, ils ont n’ont publié que des choses complètement fausses… Ils ont vraiment dénigré Sarcelles sans tenir aucun compte de ce que je leur avais dit… Maman avait d’ailleurs été outrée ! Mais, ce ne sont pas eux qui ont inventé la sarcellite.
Quoi qu’il en soit, cet exemple montre bien qu’il y a trente ans, les journalistes s’appliquaient déjà à dénigrer Sarcelles, parce que c’était la première ville champignon, comme on l’appelait à l’époque. Il est vrai qu’au tout début des années 60, l’avenue Paul Valéry n’était pas aussi belle ! Il y avait encore de la boue. La contrainte de partir en bottes et d’emmener ses chaussures à Paris pour travailler a duré un bon moment ! Mais en tous cas, ils ont tout fichu en l’air… Ils ont été très très décevants et maman était furieuse…
Ils ont publié un truc qui n’avait rien à voir avec ce qu’on leur avait dit, ni avec ce qu’on leur avait montré. Ils ont fait des photos qui n’étaient pas belles. Ils ont pris des chantiers, des choses comme ça. Á les entendre, on était vraiment dans la gadoue ! Alors que nous, on avait un appartement comme tout le monde, mais c’était ensoleillé, c’était propre, c’était bien !
En fait, ils ont procédé exactement de la même manière que les journalistes d’aujourd’hui, qui ne photographient que les voitures brûlées lorsqu’ils viennent ici. Le film continue… Ce ne sont pas les mêmes acteurs mais c’est la même manière d’appréhender la ville…
Un jour, concernant la sarcellite, un ami de mon mari qui était-là avait dit à maman qui nous rendait visite :
« - Mais, comment pouvez-vous venir nous voir ? C’est tout de même incroyable ! Vous savez, on est contagieux ici ! Il ne faut pas venir nous voir !
– Comment ça, vous êtes contagieux ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
– On a la sarcellite ! Il ne faut pas venir nous voir ! »
Bien sûr, il l’avait dit en riant ! Mais, c’est vrai qu’on n’aimait pas ça…
Mai 68
Pendant les grèves de 68, des camions militaires prenaient les gens à Sarcelles pour les emmener à la Porte de la Chapelle. Moi, je ne les ai pas pris parce que j’étais coincée avec mes enfants ! J’étais mère au foyer à l’époque. Par contre, mon mari travaillait à la télévision et en mai 68, je ne l’ai pas vu… Il n’était pas en grève ! Il était à la rédaction avec Igor Barrère et la bande de Pierre Sabagh, qui faisaient Cinq colonnes à la une. Il s’occupait plutôt de la partie technique. Durant un mois, il a donc passé tout son temps à la Tour Eiffel, par où passaient toutes les transmissions. Il est resté coincé à Paris. Il n’est pas revenu du tout pendant ce mois de mai…
Comme je n’avais pas d’argent, il m’en a fait parvenir par un coursier de L’ORTF et moi, pendant ce temps-là, je suis restée tranquille avec mes enfants. C’était superbe ! Il n’y avait pas cuisine à faire pour le mari, les gosses n’allaient pas à l’école et on allait pique-niquer où sont les Flanades. Á ce moment-là, il y avait une grande étendue d’herbe et comme j’avais un de mes enfants qui était petit, qui avait six mois, on transportait le bébé jusque-là. On disposait des couvertures et on passait des moments extras. C’était vraiment la belle vie ! On voyait ce qui se passait à la télévision mais ici, les évènements ne nous dérangeaient pas…
On avait l’impression d’être en vacances. Il faisait beau et très chaud ! Alors, les gosses restaient dehors et profitaient de la pataugeoire du parc Kennedy, qui était déjà aménagé. On y trouvait également des cages à poules, des toboggans, etc. Et puis, on allait derrière, dans les vergers ! On ramenait des fruits, on faisait des confitures, on cueillait des fleurs… Pour moi, mai 68 a vraiment été super ! J’étais en vacances avec mes gosses…
Relations de voisinage
Dans mon immeuble, on se connaissait très bien entre voisins. On allait chez les uns et chez les autres. On faisait beaucoup de choses qu’on ne fait plus du tout maintenant. Il faut dire qu’aujourd’hui, j’habite un bâtiment de quatorze étages, avenue Paul Herbé, dans lequel je dois être la seule Française chrétienne. Il n’y a pratiquement que des Israélites même si actuellement, il y a quelques africains qui s’installent. Nous ne sommes que deux ou trois à ne pas faire partie de leur communauté. Je m’entends bien avec eux ! Mais, j’avoue que parfois, ils sont assez distants. Bon, il est vrai qu’ils ont leur vie, ce n’est pas grave.
Par contre, j’ai perdu mon mari d’un cancer en 90 et lorsqu’il était malade, j’ai été très étonnée car plusieurs voisins sont venus sonner chez moi. Mon mari n’est jamais allé à l’hôpital ! Je l’ai entièrement soigné à la maison… Et les gens, sachant que je n’avais pas de voiture, sont venus spontanément sonner chez moi pour me proposer leur aide : « Madame, ne vous inquiétez pas… Si vous avez besoin que quoi que ce soit, de jour comme de nuit, il ne faut pas hésiter ! Venez me voir ou téléphonez. Je suis à tel endroit. » Sans que l’on se fréquente vraiment, beaucoup de personnes sont donc venues vers moi parce qu’ils ont vu que ça n’allait pas et ça m’a énormément touchée… J’ai trouvé ça formidable…
Vraiment, je m’entends bien avec la plupart de mes voisins. Par exemple, le vendredi soir, leurs histoires d’ascenseur dans lequel ils ne peuvent pas monter, la porte qu’ils ne peuvent pas ouvrir eux-mêmes, c’est tout un truc ! Et, j’avoue que ceux qui me battent froid, je ne leur ouvre pas la porte. Je ne l’ouvre qu’à ceux qui me disent merci et qui sont aimables avec moi. Il n’y a pas de raisons ! Lorsque mon mari est mort, mes enfants partis, je me suis retrouvée un peu seule… Mon chien que j’adorais était mon unique compagnie… Et bien, certains ne voulaient pas monter avec moi dans l’ascenseur en sa présence parce qu’il était impur ! Ils me faisaient vraiment la tête ! Et c’est quelque chose qui m’a marquée…
Message aux jeunes
Je trouve qu’ils ont énormément de chance d’être au XXI ème siècle car notre jeunesse a quand même été très dure…On pouvait peut-être trouver du travail facilement, ce qui n’est plus le cas maintenant, mais il a fallu beaucoup lutté, se battre, mettre le pied à l’étrier. Nous leur avons ouvert pas mal de portes ! Ils bénéficient aujourd’hui d’une liberté que nous n’avons pas connue et c’est déjà énorme ! Mais, il ne faut pas qu’ils en abusent. Ils doivent prendre conscience qu’il y a des limites. Il faut aussi qu’ils aient des ambitions et qu’ils aillent jusqu’au bout, malgré les obstacles. S’ils ont un but dans la vie, ils y parviendront ! Il n’y a pas de raison ! Tout le monde y est arrivé… Je leur souhaite donc de réussir mais il faut beaucoup travailler, la réussite n’est pas gratuite.
Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants