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DONNEMARIE DONTILLY - l’exode en 1940

Mme DIDIER Fille POISSON Suzanne née à Donnemarie en 1925

mardi 20 novembre 2007, par Frederic Praud

Mme DIDIER Fille POISSON Suzanne née à Donnemarie en 1925

Nous habitions rue de la porte de Melun, rue de l’ancienne gendarmerie, prêt de Méret l’ancien transporteur. Mes parents étaient négociants en société, « la maison Poisson-Guillaume », mon père avec sa sœur. Ils fabriquaient du cidre et recevaient du vin en Foudre. Ils les récupéraient à la gare du Tacot. Ma grand-mère paternelle avait fait construire en face de l’arrêt de la gare. Mes parents se sont mariés en 1923 et je suis née en 1925.

Mon grand père a été maire de Donnemarie. Ma grand-mère a eu six enfants en cinq ans, papa étant un jumeau avec sa sœur. Mon grand père était anticlérical et les enfants qui venaient demander de l’argent ou des œufs à Pâques ne recevaient rien. La porte restait fermée.

Quand l’eau a été posée à Donnemarie, grand père a payé le branchement… mais papa n’a pas voulu la faire venir jusqu’à la maison. Nous avions un puits avec une eau très bonne, très fraîche… Il disait « on va tirer de l’eau au robinet et le compteur va tourner ! » Il n’a pas voulu mais il ne s’est pas occupé d’aller chercher les brocs d’eau… J’en ai charrié des brocs d’eau… quand mon père a quitté Donnemarie pour aller à Nangis, il n’a jamais emporté son puits ! et nous avons longtemps tiré de l’eau à ce puits…

Raymond Béllager était un grand copain de pêche avec papa, quoi que bien plus jeune. Ils allaient amorcer la veille en pleine Seine, à Braye sur Seine. Aucun des deux ne savait nager. Ils mettaient des piquets pour faire des points des repères pour récupérer les poissons le lendemain. Ils ont voulu enlever les piquets mais ils ne venaient pas. A un moment, le piquet est parti d’un seul coup et Béllaguer s’est agrippé à papa qui était dans le bateau sinon il partait dans le bouillon. Papa lui avait dit, « tu m’as fait mal »… Il lui avait fêlé deux côtes. Papa a souffert toute la journée et est allé voir le docteur Debert le lendemain… « vous avez deux côtes de fêlées…
  rien que ça ? Il m’a fait mal…
  je vais vous bander… »
… des grandes bandes larges qui le gênaient pour respirer. Il est ensuite allé trouver Raymond au garage, à Dontilly…
« Ah dis-donc, tu m’as fait mal hier !
  oui tu m’as dit ça…
  tu m’as fêlé deux côtes !
  tu te fous de ma gueule…
  tiens je sors de chez Debert, et il m’a mis ça…
  j’allais partir dans le bouillon… »

Les clients des environs venaient avec leurs chevaux et leurs tombereaux de pommes. Papa et mon oncle écrasaient les pommes, puis les passaient dans les plots (de grandes poutres). Ils tournaient pour serrer et faire couler le jus de cidre.

Papa faisait venir le vin de corbières de l’Ayrault, du onze et douze degrés, du vin de bonne qualité. Ils déchargeaient à la gare de Donnemarie. Papa était toujours en colère quand il allait chez les cultivateurs, ses clients, pour prendre le fut et leur en remettre le plein. Il voyait les fûts bouchés avec des carottes ou des pommes de terre, « mettez-moi un bouchon de paille… la paille n’a pas de goût, pas d’odeur… Vous direz après que le vin a un mauvais goût mais je vous vends du vin de qualité ! »

Pendant la guerre, mes parents livraient par petits fûts, par petite quantité. Nous avons fini par ne faire que du cidre…

Papa allait rarement au cinéma mais quand il a vu le film les Croix de bois, il en a été dégoûté, « quand les obus tombaient, tous les soldats se relevaient… » ça l’a dégoûté de retourner au cinéma. Il n’y est jamais retourné… « j’étais dans les tranchées. On faisait onze kilomètres pour porter la nourriture aux soldats, mais sur dix gamelles laissées, on en récupérait trois au maximum. Les autres tombaient sous les obus… »

J’avais 15 ans à l’exode. Nous sommes partis en exode en famille, trois de chez nous, quatre de chez mon oncle plus un cousin et une cousine. Nous sommes partis chargés à blocs dans une camionnette et une petite Citroen. Nous avions tout emporté dans la camionnette, le linge, les vêtements… de trois ménages, dix personnes… Nous emmenions une centaine de kilos de sucre que nous avions en pris de gros à la sucrerie à Braye sur seine. Nous avons perdu gros… Une amie avait vu mon père pleurer en revenant d’exode. Nous n’avions plus rien, de l’argenterie jusqu’à nos certificats d’études…

Nous étions comme tout le monde sur les routes et nous nous sommes retrouvés sous les bombardements des italiens… Il fallait absolument passer le pont de Ghiens, ce que nous avons fait sous les bombardements, papa d’un côté, tonton Pierre de l’autre… Nous avons tout laissé dans le camion sur le bord de la route car il fallait traverser le pont. Tout est resté là-bas et il y en avait pour de l’argent… Tonton Pierre avait déjà connu l’emprisonnement derrière les barbelés en Allemagne. Il était en train de perdre la tête sous les bombardements. Il avait une peur terrible des allemands.

Après le pont de Ghiens, nous avons un moment entendu un sifflement et par miracle la bombe n’a pas éclaté. Elle est tombée dans un buisson et n’a pas rencontré de résistance sinon nous étions débarbouillés ! « on y est tous !
  oui
  ce n’est pas le moment de rester là ! »
Nous nous sauvions des allemands et sommes arrivés dans le Cher, à Barlieu, un petit patelin. Les allemands sont arrivés et nous ont remontés dans des camions jusqu’à Montargis. C’était bien la peine de se sauver des allemands et ils nous ont ramené jusque là… Nous n’avions plus rien…

Un de nos grands oncles, Lucien, n’était pas parti avec nous mais était venu chez nous. Il a surpris nos voisins qui commençaient à se servir chez nous. Papa avait un fusil et mon oncle Lucien a finalement emporté le fusil… et heureusement car maman disait que « papa s’en serait servi sur les allemands ! » qu’il n’aimait pas.

Je faisais des ménages à Donnemarie, chez le docteur Bouchard, des après-midis de raccommodages… et chez mme Sémerac… nous allions chercher directement notre nourriture chez les cultivateurs.

Papa savait que Béllaguer faisait partie de la résistance car il était ami avec Mr Guilvert, le maréchal, Marius Billard (un cousin à papa) son fils… Papa avait demandé à Guilvert qui était dans le groupe… mais quand il est arrivé au nom de Delacour, le garde-chasse… « je m’y mets, mais lui je n’ai pas confiance. Il chasse avec les allemands (il chassait avec la scierie Minot)..) »
Après on lui a dit, « tu vois ce n’est pas lui qui a trahi et, de toute façon, il savait ce qui l’attendait s’il l’avait fait !
  oui mais cela aurait été trop tard ! »
Celui qui a trahi est le saligot de Coignard qui a touché de l’argent pour avoir tué un allemand à Champigny sur Marne. Il allait aux parachutages avec les autres… Quand ils l’ont vu arriver en uniforme allemand venir chercher les résistants… Béllaguer, Marius Billards que l’on a retrouvé les yeux crevés dans une carrière de sable à Fontainebleau… Maurice Billard, le fils a été déporté en Allemagne.

Le camion est passé devant la mère de Raymond Béllaguer… « je ne reverrai pas Raymond » Son mari avait été tué à la guerre de 14. Son fils n’est jamais revenu. La mère de Raymond ne savait pas les activités de son fils…les femmes ignoraient tout de la résistance de leurs maris.

La rafle de 1944…

Papa était avec mr Gibaud, chez ma grand mère quand les allemands ont fait la rafle. Tonton Gaston avait dissuadé papa de faire une bêtise, de s’en aller, « j’ai fait comme toi les tranchées… J’ai horreur des allemands mais pour deux imbéciles, toi et moi, qui vont vouloir faire les marioles, tout le pays va prendre. Ils vont mettre le pays à feu et à sang. » Ils sont allés se rendre avec mon oncle. Ils sont passés devant une femme qui avait commenté, « je ne sais pas ce qu’ils attendent pour foutre un coup de fusil dans tout ce monde ! »

Nous avons après guerre entendu parlé qu’un homme de Gurcy avait tué un allemand en vélo, allemand qui venait donner l’ordre d’exécuter les otages de Donnemarie comme à Oradour sur Glane… Cela reste un ouie dire.

Nous ne pouvions pas dormir mais maman nous avait quand même fait coucher. Nous étions dans son lit. Nous avons entendu le fer forgé sur la porte… un allemand voulait rentrer… maman m’a dit, « ne descend pas !
 je descends, parce que une fois, deux fois mais la troisième fois la colère va l’emporter et cela ne va pas aller… »
Je suis descendue en chemise de nuit. J’ai ouvert. Il n’était pas content. Il a cherché avec sa torche dans la cuisine, la salle à manger… Il est monté en haut et a vu ma mère avec ma sœur… et est parti….

Les allemands étaient venus chez le maçon et avaient emmenés toutes les pelles et les pioches. Selon les propos de sa propre fille Adrienne, Candoret était devenu blanc…. C’était après Oradour. Ce même maçon avait caché des fusils dans un caveau dans le cimetière. Ils y sont peut-être encore dedans…

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