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Le train des haricots passait à Châteaudun

Mr Porte, né en 1931.

jeudi 16 novembre 2006, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Fils d’immigrés italiens, je suis né le 1er mars 1931. Mes parents sont venus entre les deux guerres. Mon père avait fait la guerre de 14-18 contre les Allemands mais la conjoncture économique et le fascisme qui commençait en Italie ont provoqué beaucoup d’émigration. De plus, l’hécatombe des jeunes Français pendant la guerre 14-18 a peut-être entraîné une demande de main d’œuvre étrangère. Mes parents étaient originaires de la Vallée d’Aoste. Je suis né à Levallois-Perret, qui est un peu la patrie d’origine des Valdôtains, les gens de la vallée d’Aoste, proche de la France.

Nous habitions Asnières et nous y avons gardé un petit logement par la suite, même quand nous nous sommes installés à Châteaudun. Que ce soit à Asnières ou Levallois-Perret, ma sœur plus âgée que moi de huit ans, a ressenti un racisme contre « les macaronis ». Quand elle a passé son Certificat d’Etudes, elle était toute fière d’être la première du canton. Elle en a mis plein la vue à sa classe.

J’ai peut-être un peu moins ressenti ce racisme qu’elle. J’allais à l’école maternelle, l’école Jules Ferry à Asnières…… Avant la guerre, pendant la récréation, nous avions droit à une cuillerée d’huile de foie de morue, à la queue leu leu… La maîtresse essuyait juste la cuillère ! On y avait tous droit… beurk !

Le début de la guerre

De 1939 à 1940, nous, les gosses, habitions dans un pavillon d’une tante qui avait de l’argent à Itteville, un pays en Seine-et-Oise. C’est là que nous avons assisté à l’exode… les malheureux qui passaient sur la route. On hébergeait des gens qui arrivaient à bout de souffle… et même deux soldats français complètement paumés qui passaient par là. Nous avons vu arriver les premiers Allemands avec des avions, des Messerschmitt, et des side-cars. Un side-car s’est planté dans un fossé, et ma sœur, qui avait appris l’allemand, a servi d’interprète. L’arrivée des Allemands ne s’est pas passée brutalement.

La famille – comme beaucoup d’immigrés – se réunissait beaucoup, peu avant la guerre et cela donnait aussi lieu à des zizanies. On parlait beaucoup de la guerre. Une caricature dans un journal m’avait même effrayé. J’avais 8 ans, en 1939. Cette caricature était une tête de personnage ensanglanté au bout d’un bâton. Elle représentait pour moi les Allemands.

Châteaudun

En 1940 mon père, opportunément, a trouvé du travail comme manœuvre dans le bâtiment à Châteaudun, dans l’Eure-et-Loire, le département où Jean Moulin était préfet. Là, les Allemands étaient déjà bien ancrés dans la vie courante. Nous habitions dans un immeuble locatif une petite mansarde, une chambre de 20 m2 sous les toits. Nous étions quatre personnes dedans : mon père, ma mère, ma sœur et moi. Nous avons vécu là pendant toute la guerre, jusqu’en 1944. On n’avait pas d’éclairage, rien qu’une petite lanterne qu’on appelait une lampe Pigeon, (du nom du fabriquant) que l’on allumait avec de l’essence minérale et qui dégageait une fumée noire ; au milieu de la pièce un vieux poêle à bois et charbon. L’éclairage de la lampe pigeon était faible avec en plus l’enfumage du verre …

A l’école, pour « nous faire tenir le coup », on nous donnait des biscuits caséinés et des pastilles. Ce n’était absolument pas bon !
Les punitions de l’époque consistaient à faire écrire des temps de conjugaison ex : Je raconte des histoires, je ne suis pas sage etc… à tous les temps. Des spécialistes qui savaient se débrouiller pour écrire rapidement, avaient des stocks de temps d’avance et se faisaient payer en biscuits. On marchandait : « Tiens ! T’as quatre temps à faire : 3 biscuits. »

L’occupation au quotidien : débrouille et restrictions

Mon père partait tôt le matin, ma sœur travaillait au terrain d’aviation pas très loin de Châteaudun, et moi j’allais à l’école. La principale occupation de ma mère était de trouver à manger. La plus grande hantise des Français était la faim, mais également les bombardements – pas vraiment dès le début de la guerre - mais plutôt vers la fin. L’obsession de la famine dépassait parfois la peur des bombardements ! Ma mère partait vers un petit pays, à quatre kilomètres, appelé la Fringale (un nom prédestiné). Elle en revenait parfois avec un œuf… parfois rien du tout. C’était effrayant ! Châteaudun est quand même une ville citadine. Les gens de la campagne vivaient généralement mieux. Ma sœur s’étant mariée en 1943, on a juste mangé du pain blanc acheté au marché noir ce jour-là. Son beau-père avait son plat de lard tous les matins pour lui tout seul. Les Beaucerons sont un peu durs… Nous, on pouvait se la serrer !

Un avion américain est un jour tombé sur la Fringale et avait brûlé en partie. Nous étions allés avec mon père et ma sœur sur les décombres car nous faisions « profit de tout ». Sur les ailes, on trouvait une épaisseur de cinq, six millimètres d’épaisseur de caoutchouc, que l’on découpait pour faire des semelles de chaussures. Rien n’était perdu ! Malheureusement, six ou sept gars étaient morts… Ma sœur avait trouvé des ossements en partie calcinés.

Un grenier jouxtait la mansarde dans laquelle nous habitions. Il y avait un petit jardin en bas de l’immeuble. Nous étions locataires. Mon père cultivait du tabac et faisait sécher les feuilles dans le grenier. C’était autorisé étant donné qu’il y avait une crise.
Beaucoup de bouteilles de boisson (limonade, bière etc…) avaient des petites rondelles de caoutchouc pour l’étanchéité. En les assemblant côte à côte avec un fil de fer, nous réalisions un pneu de vélo rudimentaire... et ça roulait.

Il fallait des bons pour tout : bons de textile, bons pour un pneu de vélo, bons de tabac etc. Pour les grossistes, il y avait des arrangements. Le marché noir fonctionnait à plein ! Regardons pour mémoire les cartes de rationnement. Les gens étaient classés selon leur catégorie. Ça partait de enfant jusqu’à 3 ans. J1, les jeunes de 3 à 6 ans ; J2, de 6 à 13 ans, etc. T, c’était travailleur de force ; C, cultivateur ; V, vieillard ; TF, travailleur de force avec des suppléments. Un enfant jusqu’à 3 ans avait droit à 125 grammes de pain par jour alors qu’un vieillard avait droit à 225 grammes… Pour le fromage, c’était 50 grammes pour tout le monde. Un enfant jusqu’à 3 ans avait droit à 1 kilo 250 de sucre par mois. Quand le lait arrivait chez l’épicier, il fallait faire une queue de trois quarts d’heure pour obtenir un quart de lait.

Mais le rationnement n’était pas pour tout le monde non plus. Un hebdomadaire (7 jours) paru pendant la guerre nous décrit le menu du 24 décembre 1941 du Ritz à Paris : potage Longchamp, dindonneau poêlé périgourdine, jardinière de légumes, mandarine glacée. Toutefois, on demandait quand même aux clients 20 grammes de tickets de matière grasse et 150 grammes de tickets de pain. Il fallait bien que les riches subissent un peu, eux aussi, la dureté de la vie !

Ma sœur nous ramenait parfois du camp d’aviation des tubes avec du fromage dedans… ou quelques nourritures de l’armée allemande… des bricoles. Quoi ! Cela compensait peu le pillage pratiqué par l’occupant. Les Allemands prenaient tout et en plus, la France payait une « dette » de guerre. Dans les écoles, avec la complicité du gouvernement de Vichy, ils demandaient de collecter la ferraille pour fabriquer des munitions, des armes pour l’Allemagne.

Il y avait peu de moyen de transport. Mon beau-frère utilisait le gazogène, procédé qui consiste à utiliser la combustion du bois en remplacement du carburant, pour travailler comme camionneur. On ajoutait simplement un ou deux blocs de chaudière aux voitures à essence. Le matin, il faisait chauffer le bois ou le charbon de bois pour récupérer le gaz. Mais c’était très long pou peu de rentabilité. Il fallait cent kilos de bois pour faire cent kilomètres ! Les seuls gens autorisés à disposer d’essence étaient les Allemands, évidemment, les docteurs, les infirmiers ou les pompiers. C’était vraiment pour des choses d’urgence. Les pompiers français avaient du matériel tellement vétuste, que le jour où un incendie s’est déclaré dans une ferme, les tuyaux étaient tous percés. Les pompiers allemands sont venus. Eux étaient bien équipés !

Nous avions gardé un petit logement à Asnières et venions parfois à Paris. Les autobus y circulaient avec un toit énorme. Ils fonctionnaient au gaz d’éclairage. La chose qui frappait en arrivant à Paris, était les dirigeables, les « saucisses », qui survolaient la capitale certainement pour empêcher les avions de passer ou pour observer.

Nous prenions le train dit des haricots pour venir de Châteaudun. Il arrivait à la gare Montparnasse où un octroi servait surtout à filtrer la population pour détecter les « terroristes » (résistants). L’octroi contrôlait ce que les gens amenaient. Ils venaient avec plein de sacs de haricots en grains. La faim était véritablement l’une des grosses préoccupations. Quelqu’un m’a même dit que l’on conservait les œufs dans un liquide en mettant un produit qu’on achetait en pharmacie…

Les batailles aériennes

Enfants, quand la D.C.A. (Défense Contre Aviation) tirait, des éclats d’obus tombaient autour de nous. Nous aurions pu être tués cent fois ! C’était tellement courant dans notre vie que l’on n’y faisait plus attention. Il y avait parfois des batailles aériennes. Un jour, un petit biplan allemand est passé en feu devant la fenêtre de l’école. Nous l’avons retrouvé calciné dans un terrain de sport à 300 m de là.

J’ai eu « la chance » de ne pas voir de morts pendant la guerre. Je n’en ai vu qu’à la libération, mais voir des moitiés de maisons restées debout ou des entonnoirs (trou de bombe) de 5 m de diamètre était chose courante.

On voyait souvent passer des raids de forteresses volantes (gros bombardiers) qui allaient bombarder des points stratégiques en France ou en Allemagne. Ils envoyaient des rubans d’aluminium. Nous nous disions : « Tiens ! C’est pour faire croire qu’ils ont été descendus et que descendent des débris ». J’ai appris plus tard que c’était pour brouiller les ondes radars et éviter d’être repérés.

La gare de Châteaudun n’était pas loin de l’école et constituait une cible privilégiée. Un terrain de munitions était proche du terrain d’aviation. Il était composé de petites cabanes pas plus grandes qu’une pièce, dispersées avec un intervalle de 20 ou 30 mètres entre chaque. Une nuit, une bombe est tombée sur une cabane qui a explosé et a ainsi mis le feu à une autre cabane etc…pendant plusieurs jours. Ca a fait un vrai chambardement !

Les bombardements plus intenses sont arrivés vers 1944. On allait souvent dans les caves, mais elles devenaient parfois des tombeaux parce que les maisons s’écroulaient dessus. Un boucher et sa famille ont tous été ensevelis de la sorte. Nous avons passé le certificat d’études en juin 44 dans la tristesse : un élève manquait en classe (il s’appelait Foi). Il venait d’être tué dans un bombardement la veille. Dans la classe, il y avait une sorte de « racisme » régional entre paysans et parisiens : « parigot, tête de veau. Parisien, tête de chien ». Ce n’était pas bien méchant. Une anecdote : pendant une accalmie, je voyait au loin les Allemands s’entraîner au saut en parachute. Les corolles blanches s’ouvraient sous l’avion et flottaient doucement…Et puis un point noir qui chute rapidement… vous devinez la suite ! Aujourd’hui, cela ferait un pincement au cœur, mais à l’époque…un de moins.

La résistance

Je n’entendais pas parler de résistance à Châteaudun même. Elle devait être aux alentours. La kommandantur était installée sur la place principale de la ville mais nous n’avons pas vraiment vu d’actes de sabotage. Cela se passait en d’autres lieux… On ne peut pas dire que la Beauce pouvait être une région de maquis, elle s’y prêtait mal ! Par contre le Perche, un peu plus vallonnée, n’était pas très loin et aurait pu abriter des maquis.

A côté de chez nous, il y avait une boutique de recrutement de la L.V.F. (Légion des Volontaires Français) qui appelait les Français à s’enrôler dans la Waffen SS, pour aller combattre sous l’uniforme allemand, surtout en URSS. J’ai vu le personnage qui tenait la boutique, fort heureusement, toujours vide. Il a eu quelques problèmes à la libération.

La libération

Il y avait des informations plus ou moins confuses sur l’avance des alliés. Nous n’écoutions pas Radio Londres. Nous n’avions pas de contacts, mais savions qu’ils approchaient. La veille de la libération de Châteaudun, j’allais me promener (inconscience !) sous un pont de chemin de fer ! C’est là que j’ai vu mon premier cadavre, un soldat allemand. Je suis passé, et un moment après, quand je suis revenu, il n’avait plus de bottes…

Châteaudun a été libéré avant Paris. Sur la place du pays, on recrutait des volontaires pour aller libérer la capitale. Et là, il y avait du monde à se présenter ! Châteaudun a dû être libéré autour du 20 août. J’ai vu la date quelque part mais ne m’en souviens pas avec exactitude.

La libération, pour moi, c’est l’image de ce soldat mort dont je viens de parler et une autre, quand même pénible… les femmes que l’on tondait, les femmes à qui l’on coupait complètement la chevelure et que l’on promenait comme ça dans les rues.
Elles avaient plus ou moins fréquenté des Allemands pendant que des vrais collaborateurs s’étaient enfuis depuis longtemps et ont échappé aux mailles de l’épuration. C’était vraiment triste de voir ça. La foule était déchaînée… Un maquisard a même dû tiré en l’air pour faire stopper l’hystérie.

Il y avait l’immense joie de la libération après toutes ces privations endurées pendant 4 ans, mais en même temps, des gens se rabattaient sur les petits, règlements de compte entre voisins, de ceci, de cela, des broutilles parfois ou des exactions beaucoup plus graves. J’ai vu de soi-disant « résistants » de dernière heure.

C’était l’euphorie quand les Américains sont arrivés. On leur lançait des pommes quand ils passaient en camion et ils nous jetaient du chewing-gum, du chocolat, des cigarettes. Il y avait des échanges…

Nous ne sommes pas retournés à l’école tout de suite après la libération. Cela nous plaisait bien !… Au printemps 1945, la guerre n’était pas encore finie. J’étais revenu à Itteville chez une autre tante. Je continuais à voir passer des raids de bombardiers qui allaient bombarder l’Allemagne.

Ces forteresses volantes n’avaient pas suffisamment de réserves de carburants. Elles utilisaient ce qu’on appelle des nourrices, des réservoirs oblongs d’à peu près deux à trois mètres de long. Une fois vides, ils les larguaient dans les campagnes. Des gamins s’en sont amusés. Ils en ont fait des pédalos, toutes sortes de trucs. Comme je gardais les chèvres de la tante, je ne trouvais rien de mieux à faire que d’accrocher la nourrice avec des cordes derrière elles. La tante disait : « Mais bon sang ! Elles ne donnent pas de lait ce soir. » Forcément, quand la chèvre traînait la nourrice, ça faisait du bruit. Plus elles couraient, plus ça en faisait… C’était un amusement comme un autre. La libération fut pour nous des vacances prolongées.

Un autre souvenir… dans la débandade, les Allemands ont abandonné des quantités de munitions, dans les rivières, par terre… Notre passe-temps était d’aller prendre des cartouches de mitrailleuse ou autre. On dessertissait la balle et on prenait la poudre.
On en faisait des petits tas et c’était un magnifique feu d’artifice ! Jusqu’au jour où l’un d’entre nous a pris une grenade qui a éclaté. Il eut les deux mains coupées. Je revois toujours ce gars-là avec ses moignons. Il n’y avait alors pas de chirurgie rétablie. Il a eu la chance de vivre mais avec quel handicap !

Les tickets de rationnement ont quand même continué jusque vers 1947, 48. Je suis allé en école d’apprentissage, avant d’entrer à l’usine. En 48, il y avait des restrictions d’électricité. Je travaillais dans une usine automobile, Talbot-Darracq, qui fabriquait des voitures de luxe. Un groupe électrogène fournissait l’électricité et il entraînait toutes les machines de l’atelier par des courroies et des poulies. On subissait dans toute la France de fréquentes coupures d’électricité. L’industrie ne s’était pas remise encore des dégâts de la guerre.

Ma femme et la libération

Ma femme, qu’à l’époque je ne connaissais pas, habitait dans l’Yonne, à côté de Sens. Son père était résistant. Il faisait partie des F.T.P.F., de tendance communiste : Francs Tireurs et Partisans Français. En voici le fonctionnement : les groupes étaient organisés par la méthode des triangles. Trois personnes se connaissaient. Une seule connaissait une personne d’un autre triangle et ainsi de suite…Ceci pour limiter la divulgation des noms en cas d’arrestation. Il faisait la réception et la distribution des tracts. Régulièrement, des résistants de Paris où d’ailleurs arrivaient, sans prévenir. Sa mère devait alors s’occuper de donner à manger à tout le monde ; tâche délicate. Quand les voisins regardaient, elle disait que c’étaient des Parisiens qui venaient au ravitaillement. Il fallait trouver quoi dire.

Malheureusement, l’un des gars du triangle a été arrêté. Il a craqué et a dénoncé. En mars 1944, la gestapo est venue chercher son père et il a été déporté. Ma femme avait 10 ans. Son père avait planqué des tracts sous le poulailler. Ma femme, sa sœur et sa mère ont passé la nuit à brûler les papiers. Un papier, c’est long à brûler, quand on veut qu’il brûle vite ! D’autant plus que pendant la guerre, on prenait du papier froissé mouillé pour faire des bûches… Mais là, même sans le mouiller, il avait du mal à brûler.

Son père a donc été déporté en Allemagne, à Buchenwald. Les nazis déplaçaient les prisonniers à mesure que le front se rapprochait. Son train a été bombardé. On a retrouvé l’un de ses compagnons de captivité, André Lenormand – qui a été par la suite député maire communiste de Dives sur Mer en Normandie – mais il l’a perdu de vue au moment du bombardement. Son père a donc été porté disparu….

Ma femme a ainsi vécu la guerre plus tragiquement que moi. Avec sa sœur et sa mère, elles allaient régulièrement à l’arrivée des déportés. Elles étaient bouleversées par l’aspect squelettique de ces malheureux rescapés des camps de la mort. Cela marque à 11 ans.

Etre italien à la libération

Mes parents étaient de nationalité italienne. Mon père n’a pas été embêté pour cela au début de la guerre, mais plutôt à la libération. Il n’a ni collaboré, ni fait de résistance. Mais, comme les Italiens en 1939-45 étaient les alliés des Allemands, cela lui a valu quelques jours d’internement… mais sans plus. Il n’avait que son passé de militaire pendant la Première Guerre mondiale. Il avait été médaillé dans cette guerre contre l’Allemagne.

L’après-libération

Une image qui a fait « flash » dans ma mémoire a été la célébration du 14 juillet à Paris. Une foule et une ambiance inimaginable. Sur les grands boulevards, les gens se bousculaient pour approcher le camelot qui vantait les qualités des premiers crayons à bille, qu’il vendait d’ailleurs bien chers. Sur le trottoir, une femme accompagnée d’un accordéoniste chantait des chansons nouvelles, reprises en chœur par le public. Elle vendait ensuite la partition.

Pendant la guerre, les gens circulaient beaucoup à vélo. Il y avait une plaque d’immatriculation à l’arrière. Sur les vélos de femme, des filets étaient accrochés au garde-boue de la roue arrière pour que la robe ne se « prenne » pas dans les rayons. Le pare-jupe rigide redevient à la mode.

Le port du jean est apparu après la guerre. Voici à ce propos une anecdote amusante : il y a bien des années, nous avons rencontré la petite fille de George Sand dans sa propriété – musée de Nohant. Elle fumait la cigarette, portait un pantalon noir et affirmait que sa grand-mère George avait été la première femme à se montrer en pantalon.

Message aux jeunes

Si vous avez encore la chance d’avoir des grands-parents, il faudrait si possible, qu’ils vous expliquent leur époque. Je sais que souvent les grands-parents sont assez réticents pour des raisons diverses. Vous les jeunes… essayez de faire le premier pas. Ma femme a longtemps eu du mal à entendre parler allemand. Cette langue lui sonnait mal à l’oreille… même si cela ne mettait pas en cause les générations qui sont venues après. On ne peut pas vivre sur la rancune. Les enfants et les petits-enfants allemands ne sont pas responsables de ce qui s’est passé avant eux. L’aînée de nos petits-enfants, qui a 20 ans, apprend l’allemand et est actuellement en stage en Allemagne. Nous sommes bien contents si cela peut lui procurer un bon métier et aider au rapprochement des peuples.

On s’aperçoit qu’actuellement il y a encore des guerres un peu partout dans le monde. Il y a la domination de l’argent, l’orgueil, l’intolérance. Il nous faut bannir la haine, le racisme, l’intégrisme, l’antisémitisme…

Il faut faire attention à tous les discours de haine qu’il peut y avoir. Aujourd’hui, des personnages, profitant du fait que les derniers témoins disparaissent avec l’âge, la maladie etc…, remettent en cause ce qui s’est passé : le génocide des juifs ou les déportations massives de populations. Nous devons être extrêmement vigilants car d’après une citation dont j’ai oublié l’auteur : « il est encore fécond le ventre d’où jaillit la bête immonde ».

Je sais que certains de mes petits-enfants s’intéressent, posent des questions, et d’autres moins. On ne force pas. Il y a peu de temps, ma femme a dit à notre petit-fils le jour de ses 10 ans : « Bien, tu vois, le jour où ils ont emmené mon père, j’avais ton âge. » Ca l’a frappé. Ce sont des images qui marquent.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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