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Zig, Zig .... madmoiselle

MADAME ANDRÉE SCHIFFERS née en 1922 à Maison laffitte

dimanche 9 décembre 2007, par Frederic Praud

texte Frédéric Praud


Je suis née à Maisons Laffitte, le 30 juin 1922. Mon père était employé au Chemin de fer ce qui nous permettait d’aller, deux ou trois fois par an, voir notre famille en Normandie, pour y passer des vacances.

J’ai eu mon certificat d’études à douze ans. Une petite sœur est née vers la même période mais maman est restée un an malade car elle avait une phlébite. Elle a dû rester couchée pendant six mois. Je suis restée un an à la maison pour aider. J’ai voulu reprendre l’école mais je suis entrée en apprentissage de couture à quatorze ans car mes parents ne voulaient pas que je continue mes études. J’aurais aimé faire du commerce mais mes parents m’ont dit, « Non, la couture, c’est plus utile pour une femme ! »

Une adolescence dans les années 35/40

J’ai donc commencé à quatorze ans par travailler cinquante heures par semaine pour cinq francs la semaine, samedi compris. La deuxième année d’apprentissage, on gagnait dix ou quinze francs la semaine. On devenait ensuite petite main puis ouvrière. J’ai fait mes deux premières années à Maisons Laffitte chez une petite couturière également confectionneuse. Nous étions trois ouvrières avant d’entrer à la maison Paquin comme petites mains, rue de la Paix. La maison a fermé en 1940 car travaillant beaucoup avec les Américains, elle n’avait plus de commande ! J’ai ensuite bricolé, travaillé tout le temps pendant la guerre pour des voisins et voisines… On retournait les vêtements. L’envers valait l’endroit ; on cousait dans l’autre sens.

Jeune fille, on ne sortait pas. Nous n’avions pas de rêve particulier. Je suis allée au bal uniquement vers vingt-cinq, vingt-six ans… Notre seule distraction était le sport, le basket, deux entraînements par semaine ainsi que notre sortie du dimanche en vélo.

La déportation des Anglais

Nous ne sentions pas la guerre venir excepté quand nous voyions tout le monde stocker des denrées alimentaires au cas où ! Mon père qui avait été fait prisonnier en 14/18 parlait bien des Allemands mais nous étions loin d’un nouveau conflit. Nous avions un petit poste à galène où enfants nous cherchions les ondes avec une aiguille.

L’exode a consisté pour nous à envoyer mon frère aîné et ma petite sœur en Normandie. Je suis restée pour travailler à la maison. Nous avions une certaine peur des Allemands mais les anciens en avaient la haine.

Les Allemands se sont installés dans le camp de Maisons Laffitte. On les voyait, le matin, défiler dans les rues entre la forêt et le parc, en chantant.

J’avais une amie d’école anglaise par son mariage et ses parents, française par son lieu de naissance. En 1942, les Allemands ont interné tous les Anglais de Maisons Laffitte, plus de six cents, dont ses parents. Mon amie était mariée avec un Anglais. Comme celui-ci était le frère d’un grand entraîneur des courses de Maisons Laffitte, il n’est allé qu’à la prison de Fresnes mais les autres hommes ont été envoyés en Allemagne. Les femmes ont été envoyées en prison à Besançon ou à Vittel. Cette amie est restée huit mois en prison.

Je travaillais sur Paris. On essayait de vivre normalement. Si l’alerte nous prenait dans le train, il nous fallait descendre rapidement pour se mettre à l’abri. Ils nous faisaient tous descendre sur les rails, ce qui ne nous protégeait finalement pas plus. Le pont de la ligne Paris/Cherbourg a été détruit en 1944, ce qui a empêché tout déplacement. Il nous fallait alors prendre un bac pour traverser la Seine et aller prendre le train dans la gare suivante, à Sartrouville.

« Zig, zig, mademoiselle… »

On nous avait averties que si un Allemand nous disait, "Zig, zig, mademoiselle !" Ce n’était pas le moment d’y aller. C’était leur mot pour faire comprendre leur envie… Il fallait se sauver immédiatement !

Le rationnement était pénible. Nous n’avions le droit à quatre-vingt-dix grammes de viande par personne et par semaine, le samedi. Le lait n’était que pour les enfants. Nous fabriquions du savon avec du suif et de la soude… Il ne moussait pas vraiment.

Quand les courses de chevaux avaient lieu et qu’un cheval se blessait, il était abattu et on le retrouvait le lendemain dans la seule boucherie chevaline de la ville. Nous y étions à 5 heures du matin à faire la queue alors qu’il n’ouvrait qu’à 9 heures. Il faisait un froid de canard aussi nous mettions un papier-journal entre le manteau et les vêtements pour nous protéger.

Nous avons voulu fêter un anniversaire dans une salle d’un café à Carrière sous Poissy. Nous étions une quinzaine de jeunes. L’un avait amené son phono avec un disque. La porte s’est ouverte d’un seul coup devant deux Allemands. Ils voulaient tous nous embarquer parce que l’on dansait ! Le patron du café a expliqué, « Ils m’ont dit qu’ils voulaient le café pour un anniversaire. Ils ne m’ont pas dit qu’ils allaient danser. Ce n’est pas un bal ! » Il nous a défendu et nous sommes partis rapidement.

Les Allemands occupaient les belles villas qui étaient fermées, beaucoup de villas d’artistes.

Seul le pont de Maisons Laffitte a été bombardé. Nous regardions les avions piquer et lâcher leurs bombes. Ils remontaient en flèche. Cela faisait un peu spectacle.

Rien de spécial ne s’est passé au moment de la Libération.

On ne voulait surtout pas manquer la première fois où l’on votait, où les femmes votaient, en 1945. J’étais fière de voter. J’y suis allée avec une camarade de travail qui a dit, « Après tout puisqu’on a bien voté, on va se payer un gâteau en sortant ! » Nous voyions tous les messieurs aller boire un coup, aussi nous sommes allées chez le pâtissier.

Message aux jeunes :

La guerre nous a vieillis prématurément, car nous devions subir les contraintes imposées par les envahisseurs. Le jour de la Libération, nous avions tous notre cocarde bleu, blanc, rouge. Il y avait un grand bal populaire. Nous nous sentions libres dans notre pays.

Récit collecté par :

frederic.praud@wanadoo.fr

parolesdhommesetdefemmes@orange.fr

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Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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