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LES ORMES - travail des enfants

MONSIEUR LEROY William NE EN 1930

mercredi 21 novembre 2007, par Frederic Praud

Mon père est arrivé aux Ormes en 1939. J’avais vécu dans l’Yonne, à Villemanoche où mon père était maçon pendant toute cette période. Il a participé au chantier de Pont sur Yonne, à la construction du grand pont qui va de Montereau à Sens. A l’époque, trouver un travail n’était pas un problème. Quand j’ai commencé en 1945, la situation restait la même. Les patrons venaient nous débaucher sur les chantiers en nous proposant un salaire supérieur à celui que l’on gagnait.

Je suis né à Juvigny-sur-Orne. Nous nous sommes installés à Heurtebise dans l’Yonne puis à Villemanoche, puis Ormes et à Coureton vers 1941-42. J’habite Savins depuis 1942.

Intégration

Je n’avais pas de racine. Les autres enfants me le faisaient sentir. En plus, la guerre avait commencé et les agriculteurs refusaient de nous vendre de la nourriture. J’ai même dû manger des betteraves à vache.

Ecoles

Finalement, dans ma vie, je ne suis allé à l’école que deux ans et demi. J’étais toujours tout seul. A Heurtebise, il fallait faire quatre kilomètres à pied pour aller à l’école en passant dans les bois alors, je restais à la maison. Je m’y rendais juste le jeudi parce c’était le jour du boulanger et qu’il m’y emmenait.

A Villemanoche, je ne suis presque pas allé à l’école. Le garde-champêtre du coin est venu me chercher pour m’amener à l’école parce qu’au bout d’un mois je n’y avais toujours pas mis les pieds. Là, j’ai appris en deux ans et demi, de douze à quatorze ans tout ce que j’ai pu savoir. Le maître s’appelait M. Legueux. Il s’est énormément occupé de moi parce qu’il savait que j’avais beaucoup de retard. J’avais un copain qui demeurait juste au-dessus. Il m’aidait à apprendre mes leçons. J’étais complètement perdu car ma famille avait déménagé tous les deux ans.

J’étais le plus jeune de la fratrie. J’avais deux sœurs et un frère. Ma mère restait à la maison. Le métier de maçon ne payait pas très bien à ce moment-là. On vivait la misère. Mon père travaillait à Longueville dans l’entreprise Delafont. A la fin de l’école, je voulais devenir menuisier mais comme il fallait deux ou trois ans d’apprentissage sans être payé, mon père m’a fait rentrer chez Delafont. J’ai commencé comme ça.

Début de la guerre et exode

Mon père n’a pas été mobilisé. Il avait fait la guerre de 1914. Il avait eu le tétanos quand nous étions à Villemanoche. On l’entendait hurler de loin tellement il souffrait. Ils ont dû brûler la plaie. Mon frère qui avait huit ans de plus que moi travaillait un peu à droite à gauche.

J’étais aux Ormes quand les Allemands sont arrivés. Le matin, nous entendions beaucoup de bruit. De nombreuses personnes partaient en exode. Nous étions pour ainsi dire les derniers à partir. Le maire est venu chercher mon père et mon frère pour les aider. Il fallait porter les personnes âgées de la maison de retraite des Ormes pour les mettre dans le train afin qu’elles puissent partir. Une fois les personnes âgées installées, ils ont appris que le train finalement ne partirait pas, à cause des Allemands. Il a fallu ramener tout le monde à la maison de retraite. Nous ne sommes pas partis en exode parce que l’on avait dû aider. En plus, nous n’avions pas de cheval et nous ne connaissions personne dans le village.

Nous sommes donc retournés chez nous. Arrivés à la carrière de sable, nous avons vu plein de soldats français à vélo, une centaine, qui passaient mais, les soldats Allemands étaient déjà en haut de la carrière. Quand ils ont vu les Français, ils ont tiré sur les soldats avec leurs mitrailleuses. Mon père nous a projeté, ma mère et moi, dans le fossé pour nous protéger. Nous entendions des soldats blessés qui hurlaient. C’était une catastrophe.

Une fois chez nous, nous nous sommes enfermés dans la cave. Mon père sortait, de temps en temps, pour nous ramener de l’eau. Nous sommes restés enfermés quatre jours dans la cave.

Un jour, nous avons entendu taper à la porte. A l’école, ils avaient annoncé que les Allemands coupaient les seins de femmes même si ça n’était pas vrai. Quand j’ai vu des Allemands entrer, je me suis précipité sur ma mère pour la protéger mais, finalement, ils nous emmenaient à manger. Ils avaient tué des moutons de la ferme en face. Ils s’étaient aperçus de notre présence. Nous étions sacrément soulagés. La guerre, c’est la guerre mais, ils ont été rudement sympas. Ils avaient leur roulante en haut de la côte où je me rendais avec une gamelle qu’ils me remplissaient quand les soldats étaient servis.

Une dame de Provins qui revenait à pied d’exode, Mme Delagrange, est restée deux ou trois jours chez nous avant de rentrer chez elle. Seul, le maire était resté dans le village. Les Allemands ont réquisitionné mon père et mon frère pour enterrer les soldats français qui avaient brûlé dans des chars. Ils ont dû creuser une tranchée en bord de route où ils enteraient les corps. Ils mettaient leurs bracelets dessus leurs tombes. Quatre ou cinq chars avaient brûlé.

Occupation

Les Allemands avaient leur Kommandantur aux Ormes dans une ferme chez un marchand de porcs, pourtant les soldats résidaient à Courton à côté de chez nous. Les policiers allemands passaient dans les maisons, pour voir. Un jour où nous mangions de la salade, ils ne savaient pas ce que c’était. Ils ont voulu y goûter. Nous en avons pris un peu pour montrer que l’on ne voulait pas les empoisonner. Ils ont fini le saladier. Ils ont toujours été corrects. On n’a jamais eu de problème avec eux.

Mon père a recommencé à travailler à Longueville chez Delafont. C’est pour cette raison que nous sommes venus à Couture. Avant, nous vivions dans une maison isolée dans la nature sans eau ni électricité. Arrivés à Savins, nous avons toujours habité dans cette maison rue de l’Allet. J’y suis toujours aujourd’hui mais, j’ai tout refait. A l’époque, nous n’avions que deux pièces pour vivre : la cuisine et une chambre. Ma sœur avait déjà trouvé quelqu’un. Elle avait rencontré un des Belges qui venaient pour presser les betteraves. Elle s’était mise avec lui. Nous nous chauffions avec les branches mortes que je ramassais et que je ramenais dans une voiture à bras.

Travail des enfants, éducation rigoureuse

On commençait à travailler à huit ans. J’allais faire du bois avec mon père même s‘il y avait cinquante centimètres de neige. Nous mangions sur place dans une petite cabane que l’on avait construite. Il fallait faire trois stères de bois pour en avoir une. Un cultivateur ramenait le bois ici avec ses chevaux. Parfois, trois bêtes étaient nécessaires à cause de la pente de la forêt. J’aidais le dimanche ou le samedi. Je bêchais aussi le jardin.

Mon père avait acheté un cochon mais pour avoir de l’orge il fallait que je paye un cultivateur en travaillant. A la sortie de l’école, j’allais remplir les tombereaux de fumier avec son fils. Je devais aussi faire la moisson. Je coupais la périphérie du champ avec une faucheuse à main puis, on faisait les gerbes.

Quand j’étais élève, les enfants allaient ramasser les doryphores dans les champs de patates. A l’école, les élèves faisaient le feu, balayaient la classe, etc. Chacun avait son travail. M. Legueux n’était pas sévère mais sa femme était méchante. Les premières années, tout le monde était mélangé ; après, la classe était séparée en deux.

L’instituteur ne nous parlait pas de la guerre. Le curé de Savins était le même que celui de Mons. Je n’allais pas à la messe. Je n’y suis allé qu’une fois quand j’étais aux Ormes. Je n’apprenais pas à l’école, ce n’était pas pour aller apprendre le catéchisme !

Les seuls jeux avaient lieu à l’école. On s’amusait bien quand il y avait de la neige. On faisait des luges de fortune pour glisser sur les pentes. Les femmes venaient jouer avec les gamins.

Quand les femmes allaient au lavoir, elles avaient une occasion de communiquer. Les hommes étaient au boulot et elles restaient à la maison avec les gosses. Le travail et les rencontres au lavoir ont continué après les années soixante.

Un des enfants Romilly allait à l’école pieds nus. Je lui ai donné des godasses dont je ne pouvais plus me servir. Les gens s’échangeaient leurs affaires.

Très peu d’enfants continuaient leurs études. Une réelle amitié régnait entre les jeunes. Après la guerre, quand on a commencé à sortir, on partait par groupe de quatre ou cinq. Parfois, on rentrait à trois ou quatre heures du matin mais on allait travailler quand même.

Le premier mai était la fête des jeunes filles. Les gars accrochaient des bouquets de lilas devant les portes ou sur les toits. Une semaine après, ils retournaient dans les maisons et la famille de la fille leur payait un coup. J’avais alors été puni par mon père : je devais bêcher le jardin et j’ai vu passer les autres jeunes qui suivaient le musicien sur une charrette…

Souvenir marquant

Un matin, allant à l’école, je pensais devant la kommandantur. J’ai vu un cheval qui tournait avec un homme tout nu dessus. J’ai appris par la suite que ce soldat avait manqué de respect à ma sœur. L’officier était venu chez nous pour dire que le soldat avait été bien puni parce qu’il allait être envoyé sur le front russe. Trois semaines plus tard, ce même officier est venu nous dire que le soldat avait été tué.

Le monde du travail pendant la guerre

J’ai commencé à travailler juste après le départ de Allemands. J’étais manœuvre. Je devais obéir à un maçon qui n’était pas toujours gentil. J’allais à Longueville à pied parce que je n’avais pas de vélo. J’ai aussi travaillé longtemps à Couture chez Legrand. Je devais aller aux Ormes à pied. Quand il faisait beau, je coupais à travers champs.

On travaillait sur une cheminée, le maçon me faisait monter à l’échelle avec le mortier. Je devais aussi transporter les seaux qu’il me renversait parfois sur la figure. Les commis devaient faire tout ce qu’on leur disait : amener le mortier, transporter les échafaudages…. Il y en a même un qui me demandait de regonfler les roues de son vélo deux fois par jour.

Le travail ne manquait pas mais cela ne payait pas. Je travaillais donc le samedi pour faire des heures supplémentaires. J’ai travaillé trente ans sans prendre une journée de vacances. A 18 ans, j’étais déjà chef de chantier. Je travaillais pendant les vacances pour gagner plus d’argent. On ne s’arrêtait pas même quand on se blessait. On attendait le soir pour se soigner. J’ai cassé le nez d’un copain en travaillant. il ne s’est pas arrêté pour autant.

Quand j’ai travaillé à Provins, j’y allais tous les matins avec une voiture à bras pour transporter cinq sacs de ciment. Il me fallait une heure et quart. J’avais quinze ans. Les cultivateurs amenaient du sable avec leurs tombereaux. A quinze ans, il fallait pouvoir monter un sac de ciment de cinquante kilos à l’échelle. On montait les uns derrière les autres, on devait, en plus, supporter l’odeur des pieds des autres. Ça sentait fort.

Je devais aller travailler à Vimpelles mais, je ne pouvais y aller à pied, ça faisait trop loin. Je m’étais monté un vélo avec des pièces à droite à gauche et mon patron m’avait fourni des pneus mais il les a récupérés dès que j’ai eu fini mon travail là-bas. A Vimpelles, j’avais connu un artisan qui fabriquait des semelles en bois et des pneus de vélo à partir d’anciens pneus de voiture. Je suis ensuite retourné à Viimelle pour lui acheter des pneus.

Résistants et Libération

Il ne s’est rien passé de particulier. On savait qu’il y avait des résistants. Certains s’en vantaient. Ortensi Antoine, « Tosi », s’était ramené avec un revolver.

A part les bombardements à Longueville, il ne s’est passé grand-chose à Savins. Il en est tombé un sur la route de Four à côté de la maison du cantonnier, le père Duval. Il n’a même pas été réveillé. Il devait en tenir une bonne. En 1944, une bombe était rentrée chez Julliard mais sans exploser.

Pour moi, la Libération n’a rien apporté de plus. Je suis allé voir les Américains passer sur la route de « Four » mais, la vie n’a pas vraiment changé.

Travail après-guerre

Pendant longtemps, je n’ai pas pu aller travailler en voiture, même quand j’en avais une, parce que le patron ne voulait pas. J’y allais en mobylette jusqu’en 1973 au moment de mon accident.

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