Accueil > Un service d’ÉCRIVAIN PUBLIC BIOGRAPHE - biographie familiale > Un service traditionnel d’ECRIVAIN PUBLIC, un service à la personne et à (…) > mon réseau de résistance a été dénoncé

Mme Messager née en 1920 à Paris

mon réseau de résistance a été dénoncé

j’ai diminué de taille sous les coups

lundi 15 février 2010, par Frederic Praud

Madame M., née en 1920

Enfant je voulais être assistante sociale. J’étais fille de militaires, père et mère. Ma mère avait le matricule 17 comme infirmière militaire à la guerre de 14. J’ai été élevé dans un style militaire. À la fin de la guerre 14, ma mère a été désignée Patronne du Val de Grâce et j’ai donc toujours baigné dans le milieu social.

Mon père était officier à la légion. Il était très fier d’être ancien combattant de 14. J’ai été élevée dans cet esprit de patriotisme. Dans l’ensemble les anciens combattants ne faisaient pas état de leurs exploits, souvent involontaires. Être fille de militaire signifiait ne voir que le drapeau français, le petit doigt sur la couture du pantalon. Mes réseaux d’amis faisaient partie du même milieu. J’ai été mise en pension pour fille de militaire à trois ans et demi et j’en suis sortie à 16 ans. Les bonnes sœurs étaient presque toutes filles de militaires. La pension se situait à la gare de Lyon.

J’ai connu le maréchal Lyautey et Jean Mermoz. Le maréchal Lyautey dormait quatre heures par nuit. Il avait dû me dire cela alors que j’étais sur ses genoux et c’était rentré dans ma tête de gamine. J’ai ainsi dormi quatre heures par nuit pendant des années. J’étais la première petite fille à me rendre à Dakar en avion du courrier normal. J’étais dans l’avion à hélices entre deux sacs de courrier avec tonton Jean, Jean Mermoz. Il n’était pas mon oncle, mais on l’appelait comme ça. Tout à coup, à Toulouse, Latécoère dit "C’est drôle. Il y a quelque chose de bizarre dans l’avion". Mermoz répond : "Tu nous laisses. Allez, on décolle". J’avais 8 ans. On faisait escale à Casablanca et il me demande "Tu restes là. Tu ne bouges pas ! Je vais t’apporter un pot où tu feras pipi". Tonton Jean, c’était quelque chose. Nous repartons et nous arrivons à Dakar. Il a fallu me sortir de l’avion. Mon père qui était sur le terrain d’aviation dit, "C’est marrant, on croirait ma fille !" "Papa.. Papa..".

Ma mère était à Paris. Elle était furieuse que Mermoz m’ait emmenée. Je suis retournée par le même chemin pendant les vacances de Pâques. Mermoz m’avait demandé "qu’est-ce que tu fais pendant les vacances ?" "Rien." Comme les bonnes sœurs le connaissaient, elles m’ont laissée partir avec lui. J’étais entourée d’hommes comme ça et c’était donc normal que je fasse la guerre.

Ma mère ne m’avait jamais pardonné d’être une fille. Il fallait que je sois un garçon a tel point que j’étais allée trouver le patron des services de radio de Bichat pour lui demander "fais- moi une petite greffe pour que je sois un garçon". J’avais 17 ans. Mon père en a entendu parler par ce médecin. "Ta femme est complètement con". J’ai entendu vaguement la conversation parce que j’écoutais à côté du bureau. J’ai vécu comme un garçon.

Mermoz est mort en 36. Mermoz et mon père étaient aux Croix de Feu. C’était l’époque du Colonel de La Rocque. Mon père avait quitté l’armée à cette période-là-là en 36. Il était chef du personnel d’une grosse usine de Clichy. Il s’était inscrit aux Croix de Feu en tant qu’ancien combattant car au départ c’était avant tout une association d’anciens combattants. C’est devenu politique après. Mon père a dit à Mermoz, "tu es un homme ou une lavette". Ils étaient amis. Mon père continue, "Tu es vraiment une lavette si tu restes avec la Rocque", que l’on connaissait également très bien. "Maintenant, il devient un salaud". Il tournait à l’extrême droite. Mon père conclut, "je m’en vais". Beaucoup d’officiers sont partis en même temps. J’ai donc toujours baigné dans la politique.
Nous vivions dans Clichy la rouge. Après avoir obtenu mon brevet en juin, je suis retournée vivre avec mes parents. Je sortais juste du pensionnat. J’ai vécu 36 et 37 au milieu d’une usine de 2000 ouvriers. Ce n’était pas triste. Je me suis payée une crise de paralysie faciale. J’avais tout le côté paralysé dans une usine occupée. Les ouvriers bâtons en mains ont laissé rentrer le docteur. Mon père en tant que chef du personnel avait un logement au milieu de l’usine. En 36 les ouvriers et les employés occupaient. En 37, il y eut un lock-out. L’usine était évacuée et les grévistes étaient dehors avec la police. Cela a duré 80 jours en 37. Nous vivions dans un pavillon et la fenêtre de ma chambre donnait sur la gorge, la grosse cheminée d’usine où l’on mettait le charbon. Quand je secouais mes draps pour faire mon lit, je voyais les ouvriers qui me faisaient bonjour.

La résistance

Mon père est mort le 24 mai 1938, le jour de mes 18 ans. Un mois avant il nous a annoncé la date de déclaration de guerre. Les guerres se faisaient toujours entre la fin des moissons et le début des vendanges. Cela s’est passé comme ça pour la guerre de 70, de 14 et de 39. Un mois avant mon anniversaire, mon père m’a fait jurer : "Tu te comporteras en vraie française à l’automne prochain et tu le jures !". Je l’ai juré et je suis rentrée dans la résistance très vite en 1942.

En 40, pendant l’exode, j’étais responsable des scouts qui aidaient les gens à partir en exode. J’étais responsable de nuit à la gare d’Austerlitz. Je faisais trois nuits de suite et dans la journée j’étais au Printemps. Je ne pouvais plus suivre les études d’infirmière car l’école était fermée. Je suis rentrée à Clichy. On n’entendait plus rien. D’un côté il y avait l’usine ou je demeurais et de l’autre côté l’usine à gaz. J’arrive avec mon trousseau de clés. Il n’y avait plus de gardien, plus personne. J’étais toute seule dans cette usine de 3000 ouvriers. L’usine était fermée. Ce 15 juin 40 j’ai tellement eu peur que je suis allée me réfugier au commissariat de police. Tous les policiers m’ont reconnue "Ah mademoiselle Geoffroy". C’était le nom de l’usine, une tréfilerie de câbles. "J’ai trop peur, je suis venue." "Où est ta mère ?" "Je n’en sais rien." Elle était partie en ambulance avec des malades. "C’est tellement triste. J’ai peur !". Nous vivions dans le milieu de l’usine. Je m’étais mis dans la tête que les allemands allaient venir pour prendre l’usine et qu’ils allaient m’étouffer entre deux matelas.

Le commissaire de police, qui a fait partie de mon réseau demanda si tout se passait bien au commissariat. "Oui… On a seulement mademoiselle Geoffroy qui est là". "Quoi, Zette est chez vous ?" "On ne sait pas si elle s’appelle Zette mais c’est la fille du chef du personnel". Ils nous connaissaient car ils étaient tout le temps chez nous en 36 et en 37. "Je viens la chercher". C’est comme ça que j’ai vécu ma première nuit d’occupation.

Je suis rentrée dans la résistance en 42. J’étais cheftaine de scout et mon aumônier a été mon chef de réseau. J’ ai vu Hitler à ’hôpital Beaujon qui était le quartier général de la Luftwaffe pour toute l’Europe. C’était là que demeurait Goering. En haut de l’hôpital, au milieu, il y avait comme une espèce de petite tour carrée pour que les petits avions viennent se poser, normalement avec des grands malades. Pour cette raison Hitler avait choisi ce bâtiment comme QG. Les deux premiers étages étaient restées en hôpital et le directeur du personnel était rentré dans notre réseau. A cette époque il fallait être infirmière d’état pour être assistante sociale et ma mère ne voulait pas. Je travaillais trois jours par semaine comme apprentie vendeuse au Printemps pour payer mes études d’infirmière. J’ai pratiquement exercé la profession d’assistante sociale pendant la guerre sans avoir de diplômes.

Je suis rentrée dans la résistance en 42 et je me suis fait arrêter à la fin de la même année. J’ai eu une chance extraordinaire. J’étais enfermée dans une caisse et envoyée au camp du Strudhoff. En arrivant au camp le train s’est arrêté. J’ai braillée comme un âne. J’avais une voix de stentor. Des cheminots sont arrivés, "Que se passe-t-il ? Il y a quelqu’un ? Vous êtes française ?" "Bien sûr que je suis française…" "Bon, vous vous taisez. On fera en sorte que le train ne reparte pas mais il faut que l’on trouve une caisse pour vous remplacer". Je ne les ai jamais vus. Ils m’ont fait sortir de ma caisse en pleine nuit et m’ont dit du vent. Je n’avais pas d’habits. Je suis partie et me suis réfugiée à droite et à gauche. Je suis revenue sur Paris et j’ai continué la résistance.

Je vivais de bric et de broc dans la clandestinité. Nous étions quelques jeunes qui ne nous connaissions pas, de réseaux différents. Le soir nous allions à la gare de l’Est, à la gare du Nord et nous nous glissions sous les trains en partance pour l’Allemagne, trains pleins de gens en partance pour le STO. Nous donnions des faux papiers à ceux qui le voulaient et ils n’avaient plus qu’à y mettre une photo. Il pouvaient ainsi partir vers le Vercors. Presque tout mon réseau a été vendu par un homme qui avait sept enfants. Il s’était infiltré dans notre réseau. On l’a arrêté à la fin de la guerre en 45 et a été fusillé en 51. Son seul prétexte était "il fallait bien que je nourrisse mes enfants". Il avait fait fusiller et déporter un grand nombre de personnes.

De l’occupation, je garde le souvenir d’un événement qui a eu lieu dans une certaine avenue de Clichy. J’avais un fusil et de l’autre côté un allemand. Nous tournions autour d’une voiture. J’ai tiré la première et je l’ai eu.

L’élue de cinq heures

En 1945 nous avons voté pour la première fois. Je venais d’être catherinette. J’étais très connue dans Clichy de par mon père déjà. C’était une armoire normande et il était adoré de tout le monde. Je demeurais toujours à Clichy. Nous avions quitté l’usine en 41. Ma mère était chef du service social de l’usine. A ce moment-là, la Rocque continuait à faire le bazar.

Clichy était rouge. On m’a dit "vous verrez qu’avec la fin de la guerre ça va tourner". Il s’est créé un nouveau parti politique le MRP. Il y avait beaucoup de catholiques pratiquants. On a proposé "C’est la première fois que les femmes votent, il faut mettre une jeune". Mon fameux abbé dit "On va mettre Zette. On va mettre mademoiselle Georges". "Non vous n’allez pas me mettre sous ce nom là." C’était mon nom de guerre, "et je suis top jeune. J’ai 25 ans." "C’est comme ça et pas autrement ".

Le soir des élections nous étions tous anxieux. Nous avions deux élus MRP têtes de liste, deux députés MRP dans un fief archi communiste. Nous continuons donc les dépouillements "Mais non. Il y a une troisième élue. C’est mademoiselle Georges". Tout le monde dit, "on va au siège du MRP". Il se trouvait au coin de la rue du 4 septembre et de l’avenue de l’Opéra. Il y a un beau balcon. On y va en voiture. Il y avait tous les dirigeants du MRP, y compris Bidault. Voilà les trois clichois accueillis comme des rois. On boit le champagne.
Bidault me dit, "Mademoiselle, je suis fier de vous". Il était Premier Ministre. "Vous venez à l’Assemblée Nationale avec moi et je vous fait inscrire comme députée. Je vous emmène". "Non, Monsieur le Ministre". Je n’ai pas voulu y aller. Il me répond, "Vous paierez votre tête de cochon. Demain matin rendez-vous ici à 9h30". Nous repartons dans une voiture de la police.

Le lendemain matin j’arrive avenue de l’opéra. Je vois des têtes longues comme ça. "Vous n’êtes plus députée. Les communistes ont refait faire un pointage…" Ils avaient bourré les urnes et alors c’est une dame, Madame Rose Guérin qui a été élue à ma place avec 15 voix de plus que moi. Dans le journal du MRP, l’Aube, il y avait ma photo "la députée de cinq heures". Bidault m’a dit après, "Mademoiselle vous êtes vraiment gourde, parce que si vous étiez venue avec moi à l’Assemblée Nationale vous auriez été inscrite comme députée et à 65 ans, vous auriez eu une retraite de députée !". je n’ai donc pas été élue députée mais conseillère municipale.

Vie professionnelle

De par ce que j’avais vécu pendant la guerre, je m’occupais quand même indirectement de politique pour éviter de nouveaux gros malheurs. Je me rappelle des manifestations de la faculté de droit. Il y a eu des tuées dans les manifestations de 1950. Les étudiants étaient les plus vindicatifs, les plus regardés et écoutés. J’observais tout ça. Je vivais dans un univers un peu spécial parce que j’avais fait la guerre. Et lors de la guerre d’Indochine nous avons cru que nous retournions vers une troisième guerre mondiale. Les gens davantage ont été marqués par la guerre d’Indochine que par la guerre d’Algérie et pourtant il y a eu beaucoup plus d’appelés en Algérie. En Indochine, on envoyait uniquement les militaires de carrière.
Pendant la guerre d’Algérie, les gens voyaient que l’on perdait notre empire colonial mais ne cherchaient pas à en savoir les conséquences. Nous suivions cela de très près car j’avais la chance de côtoyer Monsieur M, mon patron, et beaucoup de monde.

Nous avons eu un attentat où l’on nous a accusés d’avoir tué un membre de l’OAS, Il avait été tué et quelqu’un avait ramené son cadavre dans le hall d’entrée. Je lâchais petit à petit la politique car certains événements ne m’avaient pas plu. Il y eut des règlements de compte pas très jolis, notamment ce cadavre que l’on a retrouvé. Etant mariée depuis très peu de temps en 1955, j’ai tout laissé tomber. L’atmosphère était malsaine.

Je n’ai plus d’odorat suite aux coups que j’ai reçu par les allemands pendant la guerre. J’ai alors rapetissé de 10 centimètres en un an. J’ai mis le feu chez moi à cause d’une fuite de gaz. Je n’étais pas assurée contre l’incendie. Mon patron a été formidable avec moi. Au service des grands brûlés de l’hôpital Cochin, le patron du service est venu me trouver un jour à ma sortie du coma. Il me demanda "qu’est ce que tu faisais chez cet éditeur ?" "J’étais près du bon dieu".
Il avait fait envoyer aux 21 infirmières et infirmiers du service des brûlés le petit dictionnaire de l’année grand format et un dictionnaire de mots croisés, car j’avais dit que quand elles faisaient la pause les infirmières la passait à faire des mots croisés. Mon patron a été très gentil avec moi pendant cette période . J’ai eu un salaire complet pendant six mois et un demi salaire pendant les six autres mois. En 68 j’étais chez les grands brûlés.

J’ai voulu prendre ma retraite et mon directeur m’a dit "tant que Mitterrand est là, le patron désire que vous ne partiez pas". Lors des inaugurations, je devais m’occuper de Mitterrand, mais j’ai finalement réussi à prendre ma retraite au début de son second septennat.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.