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Mme Martin née en 1922 à Paris

"tu voteras pour lui !" et j’ai écouté mon père

lundi 15 février 2010, par Frederic Praud

Madame Martin, née en 1922

J’ai habité dans le 19ème arrondissement jusqu’à l’âge de trois ans. Je suis ensuite partie en banlieue Est, puis à Paris. Ma mère ne travaillait pas et mon père était musicien. J’entendais donc beaucoup de musique. J’arrivais à danser sur les gammes des élèves, confinée dans la chambre, car je ne pouvais pas traverser la pièce où mon père donnait ses leçons. Jeune, je voulais être marin mais cela n’était pas possible à cette époque. J’étais fascinée par la mer.

Après j’aurais voulu être danseuse. Mon père était professeur dans un conservatoire municipal mais avoir sa fille "sur les planches", ça ne se faisait pas. C’était très mal vu. Les danseuses même à l’Opéra étaient considérées comme des femmes légères. Mes parents auraient voulu que je sois institutrice. J’aurais bien fait un professorat d’anglais mais avec l’occupation allemande je n’ai pas pu terminer mes études car le stage en Angleterre était impossible.

Quand j’étais petite fille, mes parents recevaient des amis et je restais un peu à l’écart. Je ne me mêlais pas aux adultes qui discutaient entre eux. Je me livrais à mes petites occupations. Mon père avait dû connaître ses amis parmi un milieu de musiciens assez restreint.

J’avais 14 ans en 1936. Je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. Il y avait des événements dans Paris et mon père allait travailler à pied parce qu’il n’y avait pas de transports. Mais c’est tout ce dont je me souviens. J’étais encore une petite fille.

Conflit 39/45

Lors de l’exode, mon père était absent car il avait été mobilisé en 1939. Il était bloqué en zone libre. Je ne voulais pas partir. Il avait fait promettre à un de mes oncles de ne pas nous abandonner s’il arrivait quelque chose. Mon oncle voulait nous faire partir, ma mère hésitait et moi je ne voulais pas. J’étais au Lycée et on nous disait "ne partez pas. Ce n’est pas la peine. Les Allemands se conduisent bien". Cela venait peut-être d’un professeur ami des Allemands. Finalement nous sommes partis trop tard. Impossible de trouver un moyen de transport. Nous n’en pouvions plus. Mon oncle nous faisait passer à travers champs parce que les routes étaient mitraillées par les avions.

On ne savait pas ce que l’occupation allait faire. J’ai fait des études jusqu’à 19 ans. Mes parents m’avaient élevée sous cloche. J’étais un peu inconsciente et j’ai pris des risques inutiles qui mettaient peut-être ma famille en danger. J’avais un morceau de craie dans ma poche et en revenant du lycée, dans les couloirs de correspondance du métro, je faisais des croix de Lorraine sur les plaques indicatrices en émail bleu. Le soir, en famille, nous avions l’oreille collée sur la radio. Nous écoutions la BBC. On essayait de déchiffrer les messages et personne n’y comprenait rien. À part "attention Franklin, Robert arrive". Ils ont répété ce message tant de fois que nous nous sommes dit, "là il va se passer quelque chose". "Mais où est-ce qu’il va arriver ce Robert ?" C’était le débarquement en Algérie.

J’ai commencé à travailler en 1942 dans un ministère. On travaillait ouvertement pour l’occupant, mais ce qu’ils ignoraient c’est que notre propre directeur passait quelquefois les nuits dans son bureau. On le retrouvait avec une barbe de deux jours le lendemain. Il y avait avec une corde à nœuds attachée à la barre d’appui de son bureau. Il était prêt à s’éclipser car il faisait partie de la résistance. Son bureau donnait sur une petite cour intérieure commune à 4 immeubles. Officiellement nous donnions des renseignements anodins aux allemands, mais nous ne savions pas ce que faisaient exactement nos chefs.

Pendant l’occupation, le quotidien des Parisiens était la course au ravitaillement. Nous n’avions rien à manger et rien pour se chauffer. Ma mère avait une cuisinière à charbon dans la cuisine. Il n’y avait pas de charbon. Elle faisait des boulettes avec du papier journal et de la sciure de bois. Elle les faisait tremper et les faisait sécher. Au moment de nous installer à table, elle mettait une boulette à flamber dans la cuisinière. Tant que j’y avais droit, j’ai eu la carte J3, une carte d’alimentation pour obtenir quelque chose de supplémentaire. Avec cette carte, on avait du sucre de raisin. Je ne sais pas comment il était fabriqué. J’étalais ça sur une tranche de pain et je mangeais ça. Au ministère, nous faisions la journée continue de 10 heures du matin à 18 heures avec un arrêt de 20 minutes pour déjeuner. J’emportais ma tartine de sucre de raisin et un thermos dans lequel il y avait des cosses de cacao que nous avions fait bouillir dans l’eau. En famille, au menu, nous avions pas mal de topinambours.

A la libération, ma mère avait trouvé des boules de teinture, des bleues et des rouges et nous avons teint des vieux rideaux tant que nous le pouvions. Nous avons eu des drapeaux un peu transparents. Pour faire le drapeau anglais nous avions cousu des bandes et pour faire le drapeau américain des petites étoiles une par une. Nous avions une fenêtre décorée de façon extraordinaire. Tout l’immeuble était décoré. Nous avons eu les félicitations du comité de libération.

Je ne me souviens pas de la première fois où je suis allée voter mais uniquement de mon père qui me disait "tu voteras pour untel". Et j’ai écouté mon père…

Salariée

J’ai toujours fait des horaires impossibles, au début quand j’étais jeune de 9 heures du matin à 7 heures du soir. On me demandait quelquefois de rester après l’heure car je faisais des travaux confidentiels. Je travaillais dans la partie droit des sociétés, préparation des Conseils d’Administration, des Assemblées Générales. Un jour que l’on me demandait de rester plus tard le soir, un administrateur avec lequel je travaillais souvent et qui était un très gentil grand-père, me demande "est-ce que vous voulez que je vous fasse un mot pour votre papa ?". J’avais bien 25 ans à l’époque et ça partait d’une intention gentille. Par la suite personne ne m’a jamais proposé de faire un petit mot pour ma famille.

J’ai quitté une société où j’ai fait face seule en l’espace de cinq années à trois contrôles des polyvalents. Ils n’avaient rien trouvé avec moi. J’ai donné ma démission en fin juillet car on ne voulait pas me donner le statut de cadre. C’était une filiale de société étrangère et dans le pays d’origine, il n’y avait pas de femmes cadres. J’ai trouvé un poste ailleurs. On m’avait répondu, "c’est l’habitude chez nous .. Il n’y a pas de femmes cadres". On voulait doubler mon salaire pour me garder mais j’ai dit, "non ! J’ai donné ma parole ailleurs et je ne reviendrai pas sur ma parole".

J’ai changé deux ou trois fois de société mais j’ai toujours fait ce même travail là. Dans l’une des entreprises je travaillais de 8 heures du matin à 8 heures du soir pour un grand laboratoire pharmaceutique. Un des médecins a pris pitié, "on ne peut pas la faire travailler comme ça !" Et on a essayé d’aménager mes horaires. Je venais plus tard le matin mais cela ne changeait rien le soir.

Après la guerre, je n’étais pas très informée. Je travaillais à Paris et vivais chez mes parents en proche banlieue. Je ne lisais pas la presse. On ne savait pas tout. J’ai vécu un peu la guerre d’Algérie en patriote idéaliste et je voyais l’Algérie nous échapper. Cela me consternait mais je n’étais pas suffisamment informée. Nous avons vécu cela comme une amputation. À travers les informations, j’ai assisté à la fin d’une guerre très violente et fratricide

Dans mon travail, il y a eu des rivalités avec les hommes cadres. Je sentais une certaine animosité de la part du chef du personnel mais on avait besoin de mon travail. De plus, j’étais au courant de choses qu’ils ne savaient pas. Je n’ai pas senti d’évolution dans les relations de travail homme et femme.

En 68, l’entreprise a été fermée, occupée. C’était un laboratoire. Le patron m’a téléphoné chez moi en me disant "J’aimerais que vous ne veniez pas travailler". "Pourquoi ?" je ne savais pas ce qui se passait, je n’avais pas la télévision. "Non. En ce moment restez chez vous. Je vous téléphonerai si j’ai besoin de vous" . Je suis restée plusieurs jours devant le téléphone. Il ne voulait pas que je participe à ces événements-là. Il n’y avait pas de train et les routes étaient bloquées. J’ai vécu ces événements enfermée chez moi sur ordre, pour me protéger. 68 n’a rien changé à ma condition. J’ai toujours fait le même travail, les mêmes horaires. De 68 à 88, tout s’est déroulé de la même façon, sauf que mon salaire n’a plus été augmenté. Parmi l’ensemble du personnel, je n’ai pas noté de changement.

J’ai acheté la télévision seulement en 76. Je rentrais tard chez moi et j’écoutais la radio. Cela me suffisait. Il y avait des pièces radiophoniques magnifiques. On imaginait le décor que l’on voulait. J’ai eu un arrêt de travail de 8 jours et j’ai eu envie de la télévision. Je suis alors descendue chez le marchand d’à côté et je l’ai achetée. La télévision ne m’intéressait pas. Quand on m’en parlait, je disais "j’achèterai la télévision quand elle sera en couleur et sur grand écran".

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