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Mme Strasse née en 1919

Avant 1936, je n’avais jamais vu la mer

samedi 29 mai 2010, par Frederic Praud

Madame S. née en 1919

Je suis Amiénoise de naissance. Je suis née en 1919. Depuis l’âge de 9 ans, je suis sur Paris puis Enghien. Mes parents étaient décédés. J’étais unique. Je n’avais pas de frères et sœurs, alors c’était une grand-mère qui s’occupait de moi, mais comme elle vieillissait, il a fallu que je travaille, « travaille et puis c’est tout ». C’est comme ça que je suis venue à Paris, par l’entremise d’amis. Alors je suis descendue chez des gens à Paris, la dame m’a employée, et c’est de là je suis allée travailler à l’hôpital.

Quand j’étais môme, de l’âge de 5 ans jusqu’à 9 ans, j’allais au patronage. On chantait. On apprenait des chansons. On apprenait de la couture, du tricot. Ce n’était pas obligatoire, un plaisir, un passe temps… Je suis venue à 9 ans sur Paris en 1928. J’habitais dans le 9°. Je suis allée en classe jusqu’à l’âge de 11 ans et j’ai eu mon certificat. Après j’ai, j’ai travaillé dans une laverie. Et alors je portais le linge et on me donnait de l’argent. A tel point qu’un jour, une dame qui était dans ses règles me donne ses serviettes tout plein de sang. Et puis elle me demande : « vous êtes réglée ? » Ah puis je réponds : « Non, madame ne m’a pas réglée… ». C’est vrai ! J’étais innocente et pure. Il fallait gratter (travailler).

Je suis rentrée à l’hôpital à l’âge de 15 ans en 1933. J’ai travaillé sur le tas, jusqu’au jour où j’ai passé une examen d’aide soignante à Fernand Vidal. J’ai fait plusieurs services. Je travaillais de nuit. Tantôt j’étais en maternité, tantôt en chirurgie, tantôt en médecine. J’aimais bien être en maternité, et alors un jour… le soir, quand je prends mon service, il y avait un nouveau né, né avec une tumeur à la tête. La famille est venue. On avait le droit de visite jusqu’à 8 heures et demie le soir et je commençais à 7 heures.

Et il fallait présenter le bébé, alors je camouflais le mauvais côté et puis je le présentais du bon côté. Ce n’était pas à moi de le dire. Je travaillais en chambre chaude pour les nouveaux nés. Il faisait 40°. J’étouffais. Les nouveaux nées ne restaient pas avec leur mère. Ils avaient leur chambre à part. On les faisait voir aux mères de temps à autre. Chaque jour on les amenait pour donner à téter. Mais celui qui avait cette tumeur, on ne le donnait pas…J’ai changé de service, on me disait : « vous allez à tel endroit, tel service ». Je tournais.

Quand j’étais à l’hôpital, je riais beaucoup mais il y a toujours des récalcitrants au rire. Dans le temps ce n’était pas la même vie. Même pour la nourriture, on mangeait plus sainement qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas de vin tous les jours. Le pot-au-feu c’était pour le dimanche…pour ceux à qui ça plaisait. A l’hôpital comme je travaillais de nuit, j’apportais mon sandwich et à minuit, je tapais la cloche.

En 36, il y a eu une bagarre avec toujours les mêmes quoi, toujours la même politique. Il y a eu des blessés qu’on amenait à l’hôpital bien sûr mais ce n’était pas mon rayon … Ah les premières vacances en 36, c’était bien. Je n’avais jamais vu la mer. Ca fait des vagues « C’est ça la mer ? », ça ne m’a pas fait grand chose… Moi je me souviens, je suis allée dans la Somme près de Cayeux. Tout le littoral était superbe. J’avais lié amitié avec des pêcheurs et puis le matin à 4 heures ils disaient : « venez on va à la pêche à la crevette ». On buvait un verre de rhum comme ça, pour aller dans l’eau. J’étais pompette. Alors je faisais une bonne cueillette de crevettes, je les voyais en double ! C’était agréable…

Longtemps, je ne suis jamais allée à la campagne. Alors la première fois que je suis allée. « oh, ici il y a de l’herbe ! » Quelle cloche hein ! Je me rappelle plus en quelle année, mais je sais que j’étais tout baba de voir de l’herbe et des arbres. Des arbres non, il y en avait dans Paris, parce que j’étais dans un coin où il n’y avait pas d’herbe, alors pour moi ça me paraissait merveilleux.

Moi je travaillais c’était dimanche, je n’avais pas le temps de m’ennuyer. Mais j’aimais beaucoup l’opéra. Alors quand je pouvais, j’allais à l’opéra Garnier. Oh c’est chouette. J’aurais bien voulu vivre du temps de Napoléon, avec les bougies et tout le reste. Ca devait faire une bonne chaleur, et c’était beau. J’aime bien la grande musique. J’y allais parce que je connaissais une dame, une ouvreuse. Alors j’achetais un billet pas cher. J’allais à la poulaille et puis à l’entracte elle me disait : « tu descends, je te trouverai une place. » Finalement j’allais à l’orchestre en première ou deuxième. J’allais louer une robe, et puis j’achetais une rose ou bien une fleur, avec une épingle à nourrice.

L’opéra c’était un lieu de rencontre pour celui qui veut. J’y allais de temps en temps avec une cousine. Elle dessinait les robes de scène, alors je tenais la lampe de poche, pour qu’elle puisse voir, dessiner, et en une soirée elle avait fait sa semaine. Elle expédiait ça à Londres, dans les pays de l’Est et ainsi de suite. Elle prenait modèle sur les gens de scène. Elle était dessinatrice de mode. C’est vraiment merveilleux. Je ne sais pas aujourd’hui, mais en ce temps-là ça existait. Elle copiait les modèles portés par les acteurs sur scène. Elle dessinait très bien forcément. Avec des copains et des copines, on allait également danser à Nogent. Il fallait y aller accompagnée. Le cavalier qui venait, demandait la permission aux parents. On est plus ouvert aujourd’hui qu’autrefois. On n’avait pas le droit de parler, ‘tais toi, tais toi’. Vous n’aviez pas le droit de le savoir.

Le conflit

Pendant la guerre, je travaillais mais on n’était pas riche. Je crevais de faim, alors je suis allée au Racing Club de France comme serveuse. Là j’ai gagné du fric. Sur Paris à une époque, on crevait de faim a tel point que quand je voyais une gamine avec un petit gâteau, je ne sais pas ce qui me retenait de lui voler son gâteau. Paris n’est pas tout cuit, si vous ne grattez pas vous n’avez rien. Celui qui peut dépenser à Paris ça va, même avant la guerre, mais autrement c’est la galère. Paris n’est pas tout cuit. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil hein, ça a toujours été depuis que le monde est monde. Après la guerre, on a vécu un peu mieux, parce que c’était un renouveau de vie.

Je suis rentrée au Racing par l’entremise de parlotte. On travaillait de 9 heures du matin jusqu’à 2 heures du matin. J’avais loué une chambre rue de la Faisanderie, à côté du bois de Boulogne, au numéro 16. J’ai fait faut ce qu’il fallait avec débrouillardise… J’étais bien avec le cuisinier au Racing Club de France, alors il me donnait un peu de homard et ainsi de suite. A ce moment on ne nous donnait pas de viande du tout mais du homard, de toutes sortes d’aliments. Un jour alors que je servais un couple, un faux couple, une dame vient vers eux. Elle dit à l’autre dame : « mais madame c’est mon mari ». Alors celle-ci répond : « ben, c’est notre mari ». Il y avait un creux entre 2 heures et 5 heures de l’après-midi. L’hiver, je faisais le club restaurant de la gare Saint-Lazard, et l’été le Racing Club de France au Bois de Boulogne.

J’ai connu mon mari quand je travaillais au restaurant à Saint-Laz’. Mon mari était livreur. C’était en 1944, avant la fin de la guerre. Quand on arrivait à passer 25 ans, on se disait : « Oh !, on va se faire passer, je vais passer pour des voitures rangées… » J’ai fait la Sainte Catherine. Ca existait partout. A la libération, je travaillais toujours au restaurant du Racing.. Le Général Leclerc est venu avec sa troupe. Il était toujours à me délier mon tablier et il racontait des histoires, certaines fois un peu dégueulasses. Ce sont des grands hommes et puis ça parle comme ça .

Je traversais le bois de Boulogne à 2 heures du matin, j’avais loué une chambre rue de la Faisanderie numéro 16. Il y avait des cocottes, ça a toujours été réputé. Je n’ai jamais vu d’arrestations. Le panier à salade s’en fou pas mal…Ben oui… Hi ! Hi ! Il ne faut pas les déranger, messieurs les agents…

Enghien

Je suis venue à Enghien après la guerre. Je suis restée 50 ans rue de la Rivée. J’aimais bien Enghien, le soir, l’été. Il y avait un grand orchestre, alors on venait sur le lac, sur les quais et on écoutait la musique jusqu’à 11 heures et demie du soir, minuit. Avec l’écho de l’eau et ainsi de suite ça retentissait. Ils jouaient sur le balcon. Pour aller au casino on montrait patte blanche. Je suis allée au casino, quand on m’invitait. Les gens du casino ne parlaient pas aux gens d’Enghien, sûrement pas ! Et c’est toujours pareil.

On dansait pas loin de la rotonde. C’est là qu’il y avait de la musique, à l’orchestre. Le jardin des roses n’était pas comme aujourd’hui. C’était plus sympa. Je me souviens, que pas loin de l’orchestre, il y avait une dame. Elle était toujours habillée en mauve, le chef d’orchestre était l’amant de cette dame qui devait habiter le coin.

C’était de la belle musique avec de belles dames, des élégantes. Mais il n’y avait pas de mélange entre populations. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. La parade autour du lac a cessé depuis les années 60.Mistinguette était la reine ici. C’était une artiste décédée en 56. Elle vendait des fleurs, des violettes à la sortie du casino… Je l’ai connue. Je l’ai rencontrée, elle était de Soisy. Elle n’habitait plus Soisy, mais elle avait encore des parents à Soisy. Comme je soignais une dame qui était voisine de là alors c’est comme ça que je la rencontrais.

Le thermal, c’est ce qui faisait venir les gens. Il y avait une meilleure ambiance qu’actuellement. Les gens venaient de toutes les régions. Et il y avait beaucoup de maisons de pension, il n’y en a plus actuellement. Il y en avait une au coin de la Libération, dans l’avenue de Sinturne( ?) aussi et le Grand Hôtel… On pouvait y loger pour 6000 francs par jour. Il faut dire aussi que les personnes d’Enghien n’y allaient pas. Le climat d’Enghien ne convenait pas à ses habitants parce qu’il fallait changer de climat pour faire une bonne cure. Je suis allée pendant plusieurs années à Baniols de Lorme. Je me trouvais bien, j’étais trois mois tranquille. Ici, je ne trouvais pas de bien être parce qu’on ne repose pas comme il faut lorsqu’on est chez soit. On n’a pas le temps de se reposer.

On allait à Montmorency, avec le petit train. C’était agréable. Quand le train était plein, il arrivait une certaine hauteur et ne pouvait plus monter. On descendait et on poussait. Il s’est arrêté en 1954.

A la suite d’une grave maladie, je me suis retrouvée invalide. Lorsque que vous aviez une grave maladie, la sécu ne fonctionnait plus si vous repreniez votre travail. Vous retombiez à zéro. C’était mon cas. Par la suite les docteurs et les infirmières d’Enghien me donnaient du travail, des soins à domicile à effectuer. Etant aide soignante, je faisais des soins à domicile et les gens me parlaient de leur temps, de leurs 20 ans. Une centenaire me racontait que de son temps, on arrivait à la porte d’Enghien et sur la jetée on claironnait. Il y avait des grandes voitures, et ces dames bien habillées venaient pour la fête au casino. C’était une grande fête et un voyage sur l’eau. Le mari de cette dame était dans le pétrole, alors ça gazouillait au point de vue pognon. Dans les années 60, je m’occupais également d’un doyen du barreau de Paris. L’après-midi, on allait se promener. Il était si petit qu’on aurait dit que je promenais mon petit frère, là où il pouvait à marcher. Après on prenait le thé au casino…

J’ai soigné des petits mongols,, dont un particulièrement que j’appréciais beaucoup. Il s’appelait Daniel. Je l’appelais mon petit doudou. Il était gentil. Il m’appelait Tra, « t’aime Tra, t’aime Tra. Je t’aime ma chéie ». Et puis quand il était colère, ce n’était pas facile. Je me tenais à carreau, parce que ce gars là il était costaud. Quand il m’attrapait, il me coinçait dans un coin, je disais alors : « allons mon petit doudou, t’es mignon tu sais, je t’aime bien » . Il ne fallait pas le contrarier.

C’est l’ennemi de la ménagère… la mythologie, c’est l’ennemi de la ménagère… Ha ! Ha !
C’est vrai, c’est bien, bien sûr… J’ai une nièce qui est entrée en religion y’a déjà plusieurs années… puis elle me dit… ou, je lui dit : qu’est ce que vous faites ? –On fait de la théologie… -Non mais t’as qu’à venir à la maison, je te ferai un thé au logis…

De tout temps hein… Au début de l’Abbé Pierre…Au début bien sûr, les journaux… le disent…Ah la télévision en 54 elle débutait… Ce sont les gens qui avaient la télé…Mais de toute façon une époque tragique… C’était une tragédie… On vivait quand même, à part qu’on avait froid ; on s’en sortait quand même

… Ah oui, je saute du coq à l’âne… Alors je me souviens, un jour mon mari était malade, était à l’hôpital, puis un dimanche… je dis : oh, qu’est ce que je vais faire ? Je vois sur l’écho d’Enghien… randonnée pédestre, 7 heures, rendez vous à la gare de Saint-Prie. Alors je prends le train, j’arrive à 7 heures… oh ! 28 km ! Je ne savais pas le chemin, puis alors je pédalais parce que je suivais les autres ; je dis Carla( ?) je vais m’égarer… Oh ! J’ai dis : plus jamais je le fais… Et une fois, à la randonnée pédestre, c’était un rendez vous à Paris, bois de Boulogne… à 8 heures du matin y’en avait, ils étaient avec leurs manteaux de fourrure, à poil, qu’ils ouvraient comme ça. Ils faisaient une photographie… Ca fait bien une dizaine d’années…

Alors on disait, et les bourgeoises qui embauchaient les employés de Pontoise, ‘oh, faites pas attention, elle vient de Pontoise’ ; parce qu’elle avait laissé son bonnet… Alors j’entendais ça, je dis tiens… ‘faites pas attention elle vient de Pontoise’….Un patois…Du moment qu’on comprend…
On ne m’a pas parlé de mon accent, je n’y faisais pas attention… moi je dis toujours : ‘cause toujours tu m’instruis’… Ha ! Ha !Ah oui, parce que je suis d’abord du nord, mais enfin, y’a tellement longtemps que j’ai quitté…

Jusqu’à 18 ans ils… ils faut pas permettre aux enfants de sortir, après 18 ans on peut… on est majeur…

(Du côté de la Bastille) c’était beaucoup ouvrier…

Napoléon III… qui est très joli… ( ?) Quand on est arrivés y’a 50 ans, alors oui… Et y’avait, c’était une porte communicatif, y’avait des vases communicants, alors je dis : tiens, c’est des baisodromes… Ha ! Ha ! (C’est la maison de la princesse Mathilde) J’ai en location, non mais je veux dire c’était des vases communicants…
(A Enghien) c’était pas des industriels, c’était plutôt…

Des fleuristes déjà…

Oui, (moi j’ai voté en 45)…Ca m’a fait l’impression de dire ; tiens, on est en liberté maintenant… on peut dire son… son idéal…Oui (c’était important pour moi de voter) ; autrefois il y avait que des hommes qui avaient le droit de voter… Mais aujourd’hui qu’on vote et qu’on fait des faux votes…
(La majorité) c’était 21 ans. Etre majeur… : Pour des politiques… D’accord, c’est ce que je dis, (à 21 ans on pouvait décider)…
La liberté…Ben la liberté de ( ?)…Y’a rien de changé…… fraternité…

 : Y’avait de la joie pour certains mais pas pour d’autres…

C’était un homme de paille, on a profité de son grand âge.

C’est fatal mais on dirige pas le soleil malheureusement… Moi je retiens tout ce qui est arrivé jusqu’à présent…
Moi je trouvais que c’était bien, ça y’avait du mouvement bien sûr… C’était bien parce que… et puis même du temps de Mitterrand… les premières années qu’il était au pouvoir, la vie était plus heureuse… Il donnait la vie aux ouvriers plus vivante…. (68) moi j’étais à l’hôpital, je travaillais…
Ben c’est de la résistance hein… De la résistance… Des fois je plaisantais, oh puis je faisais des crasses !

Ils ( ?) parterre… On descendait au métro, c’était chauffé… Et puis quand on pouvait avoir un tuyau, quelque chose, une connaissance, on se faisait donner des… des papiers pour… chartron( ?)
Mais y’a la plupart qui était sur des… des comment même des grilles de métro, la chaleur donnait…

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