mme Da Cuna née en 1908 à Paris

il ne fallait pas contrarier son mari

mère de famille au Maroc pendant la guerre

Je suis née à Paris en 1908, au boulevard de Strasbourg. J’y suis restée 18 mois. Nous sommes allés ensuite avenue de Wagram où je suis restée 15 ans pour enfin déménager rue La Fontaine dans le 16ème où je suis restée jusqu’à mon mariage. Mon père était orfèvre. La vie était délicieuse. Je suis allée en classe de 3 à 18 ans.

Je jouais à la poupée, avec mon bébé qui s’appelait Jacques. Nous jouions avec le train de mon frère. J’avais trouvé que ce n’était pas assez de le faire tourner, il fallait des blessés. Des soldats, cela sert à ça, alors j’avais cassé un peu de jambes et de bras. Nous fabriquions des civières. Maman me faisait remarquer : "tu casses tous les jouets de ton frère". J’ai connu les premières patinettes. Il y avait deux roues et on poussait avec les pieds. Mon grand-père médecin avait décrété que c’était très dangereux et il avait fait faire pour mon frère et moi des trottinettes à trois roues, deux roues derrière et une roue devant. Elle tenait debout toute seule. Nous étions vexés comme tout d’avoir trois roues au lieu d’en avoir deux comme tout le monde.

Nous ne commencions à aller à table que quand nous mangions proprement. Avant nous déjeunions dans la cuisine ou dans la chambre d’enfant. Je n’ai été à table avec mes parents quand ils invitaient des amis, que vers 15 ans. Auparavant quand il y avait du monde, je ne dînais pas avec eux. Quand mes parents étaient seuls nous pouvions dîner avec eux vers 6/7 ans. Nous allions alors en classe. Nous répondions uniquement quand on nous interrogeait. Nous nous tenions bien. Nous tenions notre couteau par le manche.

Je suis allée, avec mon frère, dans un cours privé. Nous y avons appris à lire. Ce cours était situé rue Jouffroy avec une directrice qui s’appelait mademoiselle Defacqz. Il n’y avait pas d’uniforme. Le premier mot que nous savions écrire était son nom "DEFACQZ". Je me le faisais répéter de temps en temps pour que ce soit juste. Il y avait différents niveaux d’âges, comme à l’école. Quand j’étais chez les jeunes, j’avais une maîtresse avec une robe à balayeuse, une grande robe que l’on ramassait pour traverser les ruisseaux. Elle s’appelait Mademoiselle Roger. Je la vois encore traverser en ramassant ses jupes et marcher dans la classe avec sa jupe derrière. Nous avions études pendant une partie de la semaine.

Une fois par semaine, un cours accueillait tous les parents venus pour voir les résultats de la semaine. Les cours se déroulaient dans un appartement. Il y avait une grande table de salle à manger et tous les parents étaient assis le long du mur. Les enfants étaient assis à la table et on les interrogeait pour voir les progrès de la semaine. J’avais de 5 à 7 ans. Les cours pour les petits étaient mixtes mais quand j’ai quitté le cours il n’y avait plus de garçons dans la classe.

J’y suis restée jusqu’à ce qui correspond à la sixième. Je n’étais pas très douée en calcul et en fin de semaine il y avait toujours un ou deux problèmes que je n’avais pas su faire. Au bout de 4 semaines, ça faisait 12 problèmes. Mon grand père qui habitait avec nous, disait "cela ne peut pas continuer comme ça !" Alors on m’a mise au lycée. Comme mes parents allaient déménager, je prenais le petit train de ceinture pour aller de Péreire à la Muette, au lycée Molière. Au Lycée il y avait une blouse obligatoire. Quand madame la directrice entrait tout le monde était debout sans qu’on ait besoin de dire "levez-vous !". Il y avait un respect du professeur. Quand le professeur disait quelque chose, il était pris au sérieux.

Rue La Fontaine, le samedi comme je n’avais pas cours au lycée, je me suis occupée d’une crèche en tant que bénévole. J’avais 18 ans. Elle accueillait généralement les enfants du personnel des immeubles du quartier. Nous avions des enfants qui, le lundi, arrivaient avec des brûlures aux doigts car les mamans ne pouvaient pas être au four et au moulin. Il fallait bien, quand les gens recevaient que les cuisinières fassent leur métier, donc les enfants étaient mis dans une crèche située juste en face de chez moi, avenue Périchon. Nous avions des cuisinières, des femmes de chambre Comme j’adorais les enfants, j’allais aider le personnel de cette crèche. Tous les enfants portaient une robe et pas de culotte. Quand ils faisaient pipi par terre, la personne qui s’occupait normalement des enfants lavait le sol. C’était plus pratique. Mon frère a eu une robe jusqu’à trois ans… mais avec une culotte !

Je n’ai pas passé mon bachot. Je me suis arrêtée avant. J’aurais pu si j’avais voulu mais cela ne faisait pas partie de l’éducation pour les filles, à ce moment-là.

Ma belle sœur qui vit en Amérique a passé son bachot. Elle voulait voyager et faire des études. Au moment de la deuxième guerre elle a été résistante et elle a été ramassée. Comme elle vivait avec sa mère, ils l’ont amenée avec eux. Ma belle sœur est allée à Ravensbrück et ma belle mère à Auchwitz. Comme elle était âgée avec des cheveux blancs, elle a été brûlée. Ma belle sœur s’en est sortie parce que les Suédois sont venus chercher 50 résistantes françaises. Les allemands ont choisi 50 femmes qui tenaient encore sur leurs jambes pour les donner aux suédois. Ma belle sœur a été sauvée grâce à deux de ses amies. Comme elle ne tenait plus sur ses jambes, qu’elle avait une dysenterie abominable, ses amies marchaient collées contre elle pour qu’elle puisse tenir debout. Après, ma belle sœur est venue sonner à la maison car elle n’avait plus rien quand elle a quitté la Suède et Ravensbrück.

Religion

Mon père était protestant depuis des générations. Etre protestant signifiait ne pas croire que la Vierge ait mis au monde un enfant grâce à un ange. C’était la grande différence avec le catholicisme mais c’était beaucoup plus simple que la religion catholique. Saint Joseph existe mais c’est le père du Christ, comme Marie est la mère du Christ. Tous les dimanches matins, nous allions au temple du pasteur Wagner. Il a créé le Foyer de l’Ame en 1900, dans la rue de ce même nom. Il avait fondé le Temple et en avait fait l’ouverture avec un prêtre, un pasteur et un rabbin. Il voulait ainsi dire que les religions étaient œcuméniques et que c’était le même dieu pour tout le monde. Il était en avance sur son temps.

Quand nous étions jeunes, nous allions au temple le dimanche matin à l’instruction religieuse. Nous apprenions un cantique et un chapitre de la bible épurée. Cette bible contenait des textes spécifiques pour les enfants. Nous étions par groupe de 5 à 10 et nous récitions notre chapitre à une monitrice, puis nous chantions. Le pasteur Wagner était aumônier pendant la guerre de 14. Il est venu une fois nous faire l’école du dimanche. Son gendre a pris sa succession, un homme remarquable lui aussi. Après nous suivions deux ans d’instructions religieuse avec des cours de morale la première année et l’histoire des religions en Chine, en Egypte, Perse etc… la seconde année. J’avais 15 ans. Nous avons fait notre communion comme chez les catholiques.

Mon grand père médecin était juif donc pendant la guerre, ce fut juste pour mes enfants. Si on cherchait un peu j’étais un petit peu mois que la moitié.

Premier conflit mondial

J’avais six ans en 1914. J’ai vu papa partir à la guerre. Il avait un cahier ou il notait où il était et ce qu’il avait fait. Il avait ça sur lui. J’ai encore le cahier. Il est parti simple soldat et ils ont remarqué tout de suite qu’il avait de l’instruction. Il avait son bachot. Il est devenu officier. Il a eu la légion d’honneur et la croix de guerre. Mon grand père a fait la guerre de 70, mon père a fait la guerre de 14, mon mari, mon frère et des cousins ont fait 39/45.

Pendant la guerre, maman a remplacé papa pour diriger le magasin d’orfèvrerie. Mais après c’est difficile de rendre son tablier. Ils ont du refaire un autre voyage de noce.

J’ai entendu le premier obus de la Bertha un jour de semaine. Il était deux heures moins le quart. Je devais avoir dans les 10 ans puisque j’allais en classe seule. J’embrassais maman pour partir en classe quand on a entendu ce Boum extraordinaire. Maman m’a dit "Reste… Ne va pas en classe. On ne sait pas ce qui se passe " Mon grand père est arrivé et a dit "Ca y est ! Maintenant ils bombardent Paris. Les boches sont à une longueur de portée de canon. Il faut envoyer les enfants à la campagne".

On a expédié les enfants, mon frère, moi et notre bonne, près de Fontainebleau, à Marlottes. Nous y avons passé tout l’hiver. Il n’y avait rien en pleine forêt de Fontainebleau. L’hôtel était fermé mais ils avaient ouvert une petite annexe. Nous nous trouvions avec des enfants de la famille du Tsar. Il y avait simplement deux garçons avec une gouvernante française et une nounou russe qui s’occupait d’un troisième enfant. Nous vivions dans l’annexe, en famille avec ces enfants.

Maman était infirmière au début de la guerre avant qu’elle ne s’occupe de la maison de papa. elle soignait les noirs et arabes comme les autres. Il ne devaient pas manger de porc. Les infirmières disaient "il y a du porc on leu dira que c’est du veau." Maman trouvait que ce n’était pas correct. Elle disait aux soldats "je vous préviens il y a du porc. Si vous ne voulez pas en manger n’en mangez pas." Il y en a un qui en revenant dans son pays lui a envoyé un porte-monnaie arabe brodé avec son nom derrière en remerciement de son geste, qui pourtant était normal.

Au courant de la vie

Nous n’étions pas du tout au courant de la vie. Je n’avais jamais vu une femme enceinte. Maman avait beaucoup d’amies et on était discret. Un jour, on vous disait "Tiens ! Il y a un petit cousin".

A la naissance de mon frère, une sage femme était venue s’occuper de maman puisqu’on mettait les enfants au monde à domicile. Mon grand père lui avait demandé de venir. J’avais dit "tiens il y a un bébé", "Oui c’est madame qui est venu avec sa valise et il était dedans". J’ai répondu "ha… il ne pouvait pas beaucoup respirer là-dedans".

Je n’étais pas au courant de la question des rapports entre homme et femme. J’avais 20 ans et je ne m’étais jamais préoccupée de tout ça. Quand mes filles ont eu 15 ans, je les ai un peu mises au courant. On avait une éducation ridicule même si c’est exagéré maintenant. Il y avait une sorte de pudeur exagérée autrefois.

Pendant la guerre alors que j’avais trois enfants. J’ai vécu 8 jours dans une maison de passe à Marseille parce que j’avais raté mon bateau pour aller rejoindre mon mari au Maroc. Et je ne savais pas que j’étais dans une maison de passe. Je ne savais pas que cela existait. On n’avait jamais parlé de tout ça autour de moi. J’étais dans un petit hôtel. Le chauffeur des amis avec qui nous étions dans le Lot avait habité Marseille. Il était au courant d’un grand nombre de choses. Il ne trouvait pas de chambre d’hôtel ni rien du tout. Il connaissait ce lieu-là et nous a dit" ne vous inquiétez pas, je vous trouverai une chambre". Je me suis donc installée dans cette chambre avec mes trois filles et j’y suis restée huit jours.

Je me disais " que c’est bien surveillé là dedans". Chaque fois que j’allais laver les couches de ma fille, un petit guichet s’ouvrait. Je disais "bonjour Monsieur…" Ce qu’il surveillait bien quand même ! Et le matin de mon arrivée, le monsieur me dit "vous gardez votre chambre toute la journée ? " "Mais bien sûr j’ai trois enfants, que voulez-vous que je fasse ?". Je prenais mes repas avec ces dames qui étaient charmantes dans un petit restaurant derrière cet hôtel. Elles étaient adorables avec les enfants. J’ai passé huit jours agréables en ne me doutant de rien. J’avais assez de choses à penser. C’est après la guerre que j’ai su que c’était dans une maison de passe, parce qu’un camarade à mon mari m’a demandé : "Mais sais-tu ou tu étais ? Tu sais que tu étais dans une maison de passe ?" C’est à ce moment là que j’ai appris ce qu’était une maison de passe.

Rencontre

Pour se distraire, on dansait. On allait au théâtre ou au cinéma. On allait en soirée ou chez des amis. Nous étions toujours accompagnées d’un membre de la famille ou d’un frère plus âgé. Comme mon frère était plus jeune, il ne venait pas toujours, mais maman était toujours là. Nous avions les frères de nos amies, de nos camarades, avec qui nous sortions. Il y avait des bals familiaux chez des amies de maman qui avaient des filles.

Mon mari était un ami d’enfance. J’avais treize ans quand je l’ai connu et lui en avait quinze. C’était un peu comme un frère pour moi. Au mariage d’un de ses amis, il m’a demandé si je voulais l’épouser, ceci 7 ou 8 ans après notre première rencontre. Il ne fallait pas contrarier son mari. Nous devions être du même avis que lui. Quand j’ai eu ma première fille, mon mari était assez dur avec elle. Il avait la main très leste. J’en étais révoltée mais je n’osais rien dire. Quand j’ai eu la deuxième et que j’ai vu que cela recommençait comme pour la première, j’ai dit non. J’ai commencé à m’opposer et mon mari m’a dit : "bon ! Celle-là, tu l’élèveras seule !". Et la guerre a commencé.

Ma fille aînée, qui avait trois ans à ce moment là, venait le matin dans mon lit quand son papa partait travailler. Un jour mon mari lui demande : "Quelle couleur est-ce ?" "Bleu clair ?". Il lui dit "Non je t’ai dit que c’était bleu marine et que celle là était la bleu claire". Elle recommence : " Celle là est la bleu marine et celle là est la bleu claire" Mon mari bouillait et comme il fallait qu’il parte…Il est finalement parti. La porte à peine fermée, Annette me dit, "ça c’est bleu marine et ca c’est le bleu clair"…

En 1936 je mettais au monde ma fille numéro deux et je me fichais complètement du reste. Martine, N°3, est née au mois d’avril 40. Pour mon troisième enfant, ce n’est pas son arrivée qui a compté le plus à ce moment là, mais le départ de mon mari à la guerre. Il a eu une permission pour la naissance. Il ne se rappelait plus sous quel nom il devait la déclarer. Il devait lui donner le prénom de maman et il s’est trompé. Il a donné mon prénom. Il n’avait pas l’esprit à ça. Il l’a déclarée et il y a eu la guerre.

Exode

Nous sommes parties de bonne heure en exode au moment ou les belges partaient. Dès que Martine a été en état de voyager Papa nous a amenés chez des amis dans le Lot au château de Cavagnès et j’ai eu une grande chambre avec mes trois enfants.

On nous avait dit "apportez des matelas". Alors papa avait fixé les matelas sur le toit de la voiture et à chaque coup de frein les matelas glissaient devant le pare brise. Papa descendait, les remettait en place et on repartait. J’avais mon bébé de trois mois et toutes les trois heures il fallait s’arrêter pour donner le biberon. Je faisais ce que je pouvais en matière d’hygiène, l’eau d’Evian, la lampe à alcool pour chauffer le biberon, les couches et tout le bazar que l’on peut trimballer avec trois enfants. Ma première fille avait peu de place pour s’asseoir à l’arrière avec les baluchons, la deuxième est restée deux jours assise entre moi et papa. Nous avons mis deux jours et avons donc dormi à l’hôtel. Mon père a couché avec la grande et moi avec l’autre. Nous sommes arrivés à Cavagnès et mon mari est parti avec ses hommes en Afrique à Rabat.

Vers la fin du mois de juillet, il me télégraphie en me disant "qu’attends-tu pour venir me rejoindre avant que l’on ne puisse plus partir". J’étais un peu perplexe car avec trois enfants et les allemands qui étaient alors là.. Papa m’a dit "c’est oui ou c’est non". C’est oui. J’avais pensé prendre le train de nuit. Nous sommes partis et arrivés à Cahors. Quand je me suis trouvée sur le quai avec ma fille sur le bras, le sac avec le biberon, la lampe à alcool et le saint frusquin, les deux autres se donnant la main et papa qui nous avait amenés en voiture allait repartir, me laissant seule… Je suis tombée dans les pommes.

J’ai eu tellement peur tout d’un coup. Papa a fourré tout le monde dans la voiture et nous a tous ramené à Cavagnès. Je me suis couchée et à partir de ce moment là , tous les soirs à l’heure où je me suis évanouie j’ai eu des vomissements. On a appelé le médecin militaire parce qu’il n’y avait plus que lui. Il m’a dit, "madame vous êtes entre deux solutions et vous ne pouvez pas arriver à prendre une décision tellement c’est risqué. Il faut en prendre une et aller jusqu’au bout". "Je veux partir rejoindre mon mari." "Alors, partez demain".

Et je suis partie le lendemain. Le chauffeur de nos amis était venu avec sa femme et son fils nous rejoindre. Il a dit "je suis marseillais. Je les accompagnerai comme cela elle ne sera pas seule et je les accompagnerai jusqu’au bateau". Nous sommes partis comme le train était en retard, j’ai raté mon bateau. En arrivant à Marseille, on avait plus le droit de sortir de la gare à 7h30 du soir, j’ai couché dans une salle spéciale avec des lits superposés. On avait mis mon bébé dans un lit. Je n’avais qu’une frousse, qu’on me le vole comme c’était une très jolie petite fille. Les deux autres ont été installées en hauteur. Puis il est sorti une personne et on m’a dit d’aller m’étendre si je le voulais. On l’a proposé à deux autres personnes mais il y avait un noir à côté. Les autres ont dit "non" à cause du noir. Moi, je le voulais bien. Cela m’était égal. J’avais toujours peur pour mon bébé et j’ai quand même passé la nuit là. Le lendemain matin, je les ai emmenées dans le petit restaurant de la gare pour les faire manger, mes petites. On m’a dit "madame il n’y a pas de lait, il n’y a rien". J’avais du lait pour le bébé et j’en ai donné à mes filles. Mon chauffeur marseillais est venu nous retrouver et nous a amenées à l’hôtel. Nous nous y sommes installées.

Le chauffeur, René, me dit qu’un autre bateau partirait dans huit jours. Il fallait aller acheter un billet pour moi et les enfants. Je n’étais pas douée, car je ne faisais jamais rien. C’est mon mari qui s’occupait de tout. Nous partons donc acheter les billets. Il me dit "vous prenez le bébé dans les bras et on y va". Alors nous sommes arrivés dans une pièce noire de monde. Tous voulaient une place. J’y serais allée seule, j’y serais encore. Mon chauffeur crie "Laissez passer cette dame avec un enfant dans les bras ! Laissez passer cette dame avec un bébé dans les bras" . Je me suis donc trouvée de l’autre coté de la barricade. On m’a offert une chaise et on m’a dit "bien sûr madame le prochain bateau est pour vous". Dix minutes après je ressortais avec les billets et tout ce qu’il fallait pour repartir.

Huit jours après mon chauffeur nous a accompagnées jusqu’au bateau. Je continuais à ne rien pouvoir manger le soir et avoir des vomissements. Une fois dans le bateau j’ai été guérie net. Mon bateau était plein de soldats. Ce qui fait qu’au lieu de voyager en seconde, on m’a mise en première. C’était plus confortable. J’avais laissé mon bébé dans la cabine et nous étions allées déjeuner au restaurant. J’ai pu constater, après, que la femme de chambre m’avait volé mon fil et toutes sortes d’ustensiles de couture que l’on ne trouvait plus en France. Quand je suis arrivée à Alger, je devais prendre le train pour aller à Rabat. J’ai eu 24 heures de train. Mon mari m’avait fait prévenir que des amis à lui me prendraient à la descente du bateau. J’ai été 24 heures dans le train avec eux. J’étais gênée, ennuyée comme tout parce que c’est gênant de déballer un bébé, de défaire les couches avec des gens qui n’ont pas d’enfants. Cela m’a été désagréable.

Je suis restée trois semaines à Rabat. Mon mari sortait tous les soirs et quand je demandais "ou est ce que tu vas ?" "Nous allons partir en Angleterre avec d’autres camarades " "Et qu’est ce que je deviendrai moi avec les trois enfants… Si tu pars en Angleterre, il vaut mieux rentrer en France".

Mon mari n’a jamais donné un biberon. Quand j’étais à Rabat, je suis allée une fois à la mer. J’ai porté mon bébé dans mes bras jusqu’à la porte de la ville et après mon mari m’a pris sa fille dans les bras. Pour revenir il me l’a redonnée avant de rentrer dans la ville. Là bas il se rendait tellement peu compte que c’était que la guerre, qu’il m’a demandé "as-tu emporté une robe du soir ?" "Mais tu sais, à Paris, en France… c’est la guerre !". Il avait oublié. Tous les gens qui étaient là-bas n’y pensaient pas du tout.

Je faisais évidemment mon marché comme tout le monde. J’achète des légumes, ce qu’il faut. Au bout de trois jours, le marchand me dit "tu me dois 9 francs seulement" et il était écrit 10 francs. "Oui, mais tu ne marchandes pas qu’est-ce que tu veux. Je suis bien obligé de faire le prix que je te ferais si tu marchandais" "Mais je n’ai jamais marchandé je n’ai pas l’habitude". J’ai trouvé cela très beau.
Au bout de deux jours mon mari me dit : "Tu sais que tu ne dois pas porter de paquets, les femmes blanches ne portent pas de paquets" "Comment peux tu savoir que je portais des paquets ? " "Je me suis renseigné". Sans frigidaire, ni rien on achète au jour le jour, donc le lendemain je vois quatre cinq petits garçons qui faisaient la queue pour pouvoir porter des paquets. J’en choisi un qui était un peu plus âgé que mes filles. Il était gentil. J’achète à goûter à mes filles, un petit pain au chocolat et un pour ce petit bonhomme, qui avait l’age de mes filles. Il m’amène les paquets jusqu’à la maison et je lui demande "qu’est ce que je te dois ?"" "Tu ne me dois rien" "Mais tu as porté mon paquet jusqu’ici. Tu travailles !" "Tu m’as donné un goûter. Tu ne me dois rien". Je n’ai eu à faire qu’à des gens comme cela pendant toute la période où j’étais au Maroc.

Il fallait que je pèse mon bébé. Je n’avais rien. Je vais donc au dispensaire. Toutes les femmes étaient assises par terre. Je m’assieds par terre comme les autres. Une infirmiere arrive et me dit "que faites vous là ?" "Je fais la queue pour peser mon bébé, comme tout le monde." "Mais vous êtes blanche !" "Mais oui je suis blanche." "Vous n’allez pas le droit de venir à cette heure là. Ce ne sont que des femmes arabes. Ce sont des marocaines. Il y a un jour pour les blancs". On m’a pesé mon bébé et je suis venue après le jour convenu pour éviter de faire des drames. Au bout de trois semaines quand j’ai dit à mon petit garçon qui me portait toujours mes paquets et mangeait son pain au chocolat, "Tu sais je m’en vais dans trois jours." "Comment tu t’en vas !.. C’est toujours comme ça. Les méchants, ils restent et les bons ils partent… Je porterai ta malle." J’avais ma malle qui m’avait suivie et je ne l’avais pas ouverte, par instinct. J’avais continué à garder mes baluchons. J’ai repris le bateau.

Nous n’avions pas d’argent. On a alors vendu tout ce que j’avais comme petit bijou de jeune fille et ma bague de fiançailles pour récupérer de l’argent et rentrer. J’avais l’argent dans mon sac et j’avais mis du papier hygiénique pour que le bruit des billets n’éveille pas des soupçons. J’avais le bras gonflé de porter ma fille. J’avais le mal de mer. Et chaque fois que je sortais parce que j’avais mal au cœur, j’avais un marin installé devant ma porte. C’est embêtant comme tout, quand on est malade de passer devant quelqu’un qui est planté là. Le lendemain, on m’a dit "nous avions mis un matelot à côté de chez vous car nous sommes passés dans un champ de mine toute la nuit s’il y avait eu quelque chose vous ne pouviez pas vous en sortir avec trois enfants. Vous aviez un marin à votre porte pour vous aider".

Je me suis retrouvée derrière la ligne de démarcation en revenant du Maroc et je me disais "comment vais-je pouvoir rentrer". J’ai retrouvé par chance ma belle mère que j’avais prévenue par télégramme. Elle nous attendait à Marseille. Je voulais rentrer à Paris et on m’a dit que cela ne serait pas possible. J’étais à l’hôtel et mes filles avaient commencé à aller en classe à l’Isle sur Sorgue. Je suis allée chez le pharmacien pour prendre du lait condensé, je luis dit "tout de même il n’y a pas moyen de rentrer à Paris. Il n’y a pas de laisser passer" "Vous en voulez un ? Ce n’est rien du tout j’en ai toute une pile. Prenez en deux parce que si vous ratez le premier vous prendrez le second" "Ce sont des vrais ?" "Mais oui" …J’avais du mal à le croire puisqu’on m’avait dit qu’il n’y en avait plus à la mairie.

Un de nos amis l’a rempli. Les gens me disaient vous allez voir "on va vous mettre dans un camp, vous allez mourir de faim". Nous avons pris le train et on m’a dit "plus vous voyagerez luxueusement, mieux vous passerez". Nous avions pris des couchettes confortables. Ma belle mère était allongée dans une couchette du haut avec une fille et moi dans la couchette du bas avec mon bébé contre moi et l’autre à mes pieds. Quand nous sommes arrivés à la ligne de démarcation et que l’on a vu les deux allemands à la porte, je me suis mise sur mes pieds pour donner les papiers. A ce moment-là le soldat a vu le crane du bébé qui n’avait pas un cheveux sur la tête. Il a vu également mes deux autres filles qui ont aussi levé la tête. Il n’a même pas regardé les papiers. Il a fermé la porte et est parti. Tout le reste est trop long pour être raconté….


Avancée techinque : le téléphone chez mon grand père, le frigidaireje n’avais pas la machine à laver. J’ai eu une période ouje lavais monlinge, j’avais une vie trop difficile à cemoment là quand j’étais séparée e mon mariavant de divorcer
Je n’ai pas pu acheter la machine à laver et le frigidaire en même temps.

Jeux à l’école "passe passera, le dernier y restera" on tenait le mur d’un côté
On se retrouvait dans la famille avec les oncles et tantes. On parlait.

En 68 il y avait surement besoin de quelque chose mais c’était top violent
J’ai eu ma quatrième fille quand je me suis remariré j’ai habité la banlieue et louvecienne.