Louis Suarez Autobiographie
1917 - 2000 traversée d’un siècle de conflits
Dans ce XXme siècle, à dater de l’année 1917 à l’an 2000, j’en aurai donc traversé les trois- quarts, avec encore des aptitudes physiques et intellectuelles, pour ( si Dieu le veut ) entrer un temps dans le XXIme siècle, duquel je ne suis plus qu’à une petite marche !
En attendant, il m’a paru utile pour ma descendance, de retracer dans les différents chapitres inscrits dans les pages qui suivent, tout le cours de cette vie qui aura été la mienne, en y énumérant les faits et leurs conséquences à chaque étape et à chacune des différentes périodes auxquelles j’ai été confronté et parfois difficiles à franchir.
Dans leur nombre, deux périodes auront été pour moi, difficiles à surmonter : en premier lieu, le cours de mon enfance, en second lieu, celle que je nommerai : les années noires. A part ces deux périodes décrites dans le récit, ma vie dans ce siècle n’a pas eu à affronter trop d’embûches et même dans les pires des cas, aucune n’aura été insurmontable !
Cela, je crois le devoir en grande partie, à toujours ma volonté d’agir pour atteindre le but que je m’étais fixé, autant dans les responsabilités en son temps de chef d’entreprise, que dans celui de chef et père de famille. A cela, y a contribué aussi, le maintien d’un bon état physique, sans toutefois figurer dans les grands ni gros « gabarits » : 1m.62 sous la toise, 57 à 60 kg sur la balance et une tension artérielle qui a été en général de 12 / 8 et qui s’y maintient encore aujourd’hui à l’âge de 83 ans ! Attribuons à cela peut-être, le fait que j’ai toujours évité le tabac et l’alcool !
J’ajoute aussi : que j’ai été très bien secondé le moment venu dans les responsabilités familiales par la compagne de ma vie, prenant sur elle les tâches ménagères et l’éducation des enfants durant leur jeune âge et même partie de leur adolescence. Cela dit en préambule, toute ma biographie se trouve écrite, énumérée et détaillée dans les pages du présent récit.
J’y relate aussi, les immenses progrès qui se sont déroulés au cours de ce siècle dans tous les domaines, à partir des années 1920 et dont j’ai été le témoin. Jusque-là, ce siècle débutait à la cadence de son prédécesseur, pour acquérir très vite la vitesse de croisière, bouleversant totalement dans sa lancée toutes les techniques de la science, de la médecine, des transports, des communications, jusqu’à en arriver aux exploits de « Jules Verne », les pieds de l’homme se posant sur le sol lunaire !
Oui ! je suis de cette génération qui de l’enfance à l’âge adulte a assisté successivement aux immenses progrès dans ce siècle et aussi hélas au deuxième grand cataclysme auquel j’ai été confronté avec les risques pour ma vie !
Réchappé sans dommages de cette épreuve, je ne puis oublier que des millions d’hommes de femmes et d’enfants y ont été sacrifiés, morts ou estropiés pour le restant de leur vie !
Elle restera gravée :Cinq années Noires dans le siècle !
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1 - Naissance et Origines
L’année 1917 et le 8 octobre marquent la date de ma venue dans ce monde ! Le lieu : Sagra, un petit village en Espagne et situé dans cette région au nord-ouest de la péninsule, la Galice ( Galicia en espagnol ) et dans l’une des quatre provinces régionales : Orense ! A cette époque, région pauvre et déshéritée, sans cultures agricoles et sans industries !
Ma Mère, âgée de 23 ans a pour prénom « Préciosa », elle est filles cadette de Rosa SOTO et de José SOTO. Elle a, au cours de son enfance fréquenté l’école, ( sans obligation à cette époque en Espagne ) et donc acquis un minimum d’instruction. Au cours de son adolescence, elle a appris le métier de couturière et elle œuvre déjà sur machine à coudre, ce qui la classe à un échelon supérieur parmi les jeunes filles de la région, à cette époque pour la plupart sans la moindre instruction et vouées aux travaux pénibles ou à la domesticité au service de la classe bourgeoise !
Mon Père, âgé de 20 ans a pour prénom « Victor » ( Victoriano en espagnol ). Il est fils de Ramona VILLAR et de José SUAREZ. ! N’ayant pas fréquenté l’école, sans la moindre instruction, il a été mis au travail dès l’âge de 12 ans, dans une petite exploitation de carrière de granit, dans laquelle son père (mon grand-Père ) lui a appris le métier de tailleur de pierre.
C’est de leur union célébrée par acte de mariage au cours de l’année 1916, que je dois ma naissance survenue le 8 octobre 1917 à 12 heures. La déclaration figure dans le registre d’état-civil de la commune, livre 39, folio 49 Vt. N° 98, à la date du 10 octobre 1917 ( indications extraites du certificat d’acte de naissance, que je détiens dans mes archives ) j’y suis inscrit sous le prénom de Luis ( Louis en français ) !
Sans perte de temps, eut lieu le baptême, célébré dans l’église de la paroisse ( San Martin de Sagra ), le 12 octobre, l’acte également détenu dans mes dossiers mentionne : N°4, folio 86 N°152. Y sont également mentionnés, les noms et prénoms de mon parrain et de ma marraine : CASTRO Luis et SUAREZ Hermélinda ( deux apparentés de baptême, que je n’ai jamais connus ) !
Suite à la décision de mon Père à opter pour l’exil, je n’ai également pas eu la chance ni l’occasion de connaître mes grands-parents. Du coté paternel, je ne connais le prénom de mon grand-Père José ( Joseph en français ) et le nom et prénom de ma grand-Mère VILLAR Ramona ( Raymonde en français ), que pour les avoir relevés sur les actes d’état-civil. Il en est de même du coté maternel, apprenant par les mêmes actes, que mon grand-Père José SOTO, était déjà décédé durant l’enfance de ma Mère et que ma grand-Mère, se prénommait Rosa ( Rose en français ), avec nom de famille également SOTO.
Sans avoir eu la joie de les connaître, j’en ignore même les dates de leur décès. Seule à quelque chose près, celle de mon grand-Père, dont la mort a été annoncée par lettre lue par ma Mère et que je situe dans les années 1928 ou 1929. Outre mes grands-Parents, je ne dois pas occulter les nombreux oncles et tantes, dont cependant j’ignore les prénoms : cinq du coté de mon Père, trois ou quatre autres du coté de ma Mère, dont parmi ces derniers, un oncle exilé en Amérique latine ( sachant qu’il a eu deux fils, je ne me suis jamais intéressé à son héritage ) !
Il ne fait aucun doute, que toute cette « armada » d’oncles et tantes ont également procréés, me donnant un très grand nombre de cousins et cousines, autrement dit, une imposante parenté portant les patronymes de SUAREZ et de SOTO, avec lesquels, par le choix de mon Père, j’ai été séparé par une frontière entre pays dès l’âge de 18 mois, rompant ainsi toutes relations familiales, rupture entretenue par mon Père et ma Mère durant mon enfance et mon adolescence !
Ce mois d’octobre en cette année 1917, s’il marque pour moi la date de ma naissance, non relatée dans l’histoire, il marque aussi, la date mémorable d’une tout autre naissance pour l’histoire du monde : « le bolchevisme en Russie », y instaurant pour 70 années un régime communiste et tyrannique, avec à son actif de triste mémoire et seulement pour la Russie, l’hécatombe de 20 millions de morts !
Cette même fin d’année portera encore et pour un an, les plaies humaines et matérielles, issues du conflit mondial qui se déroule depuis septembre 1914, en majeure partie sur le territoire français et dont l’Espagne est restée neutre. Dans un tel contexte, le couple SUAREZ-SOTO, augmenté de ma personne, ne peut encore donner suite à ses projets d’exil vers la France. Il devra pour cela, attendre la fin de cette guerre, sans en connaître la date.
Sur ce projet, j’ai été amené au cours des ans, à me poser la question : en effet, pourquoi la France ? Alors que la plus grande partie des hommes et des femmes quittant à cette époque, cette région déshérité de l’Espagne, traversant l’Océan, mettaient le cap au sud-ouest avec pour objectif, ces pays de l’Amérique latine, découverts par le navigateur Christophe COLOMB, sous le règne de la reine : Isabelle de CASTILLE, en 1492 et occupés ensuite par les « conquistadores » qui les colonisèrent au profit de l’Espagne, y introduisant par la même occasion, la langue espagnole.
Dans ce « nouveau monde » les pays de leur choix étaient : l’Argentine, Cuba, le Mexique, la Colombie et même pour certains, le Brésil, où la langue portugaise s’apparente au dialecte régional de la Galice et ne présente donc aucun obstacle à s’y exprimer. Il m’est arrivé parfois de supposer mon Père s’exilant vers l’un de ces pays et de m’imaginer ainsi, ma vie au cours du siècle, avec pour nationalité : Argentin, Cubain, Colombien ou même Brésilien !
Tout cela, n’est toujours resté que suppositions ou rêves, chassés par la seule voie du destin, qui a été tracée pour moi, avec l’exil en direction de la France et sans que j’ai pu y faire mon choix ou donner mon avis. A ce destin, l’enfant ne peut déroger au choix de son Père et je n’avais que 18 mois !
La Voie de l’Exil
Fin de l’année 1918, le calme était revenu sur l’Europe, laissant après un conflit de quatre années, les pays engagés, exsangues de leurs hommes, tombés dans les combats ou mutilés à vie. De cela, la France avait payé un lourd tribut. Le pays, manquant de bras, était à reconstruire. Il accueillira pour cela, ces autres bras valides franchissant les Pyrénées, à la recherche du « pactole » que dans ses besoins semble leur offrir cette « République française mutilée », fille d’une révolution avec laquelle elle inventa la « machine infernale à décapiter les hommes au chant de la Carmagnole », tranchant même la tête du roi et de la reine les exhibant au bout d’une longue pique, à la foule des « citoyens et citoyennes » avides de sang et en demandant toujours plus !
Déclarée : « Patrie des Droits de l’Homme », elle inscrivit aux frontons de ses édifices publics, ces trois mots magiques : « Liberté-Egalité-Fraternité »
attirant à eux seuls l’exilé du pays voisin, tel que le pot de miel ouvert, attire à lui les mouches. Dans le nombre des exilés ainsi attirés, mon Père fut du nombre accompagné de ma Mère et de moi-même dans leurs bras. La période choisie pour cela, fut l’année 1919 et le mois de mai.
L’Espagne à cette époque, était une monarchie sur laquelle régnait le roi ALPHONSE XIII. La rigueur des lois imposées au peuple, interdisait toutes délivrances de visas ou de passeports pour ces candidats à l’exil. C’était donc, clandestinement qu’il fallait tenter l’aventure à travers ces montagnes pyrénéennes. Les lieux de passage dans ces conditions, peu nombreux, étaient parfaitement connus par les « contrebandiers-passeurs », qui moyennant grosse rétribution, se chargeaient du convoyage de ces candidats à l’aventure, jusqu’au franchissement de la frontière !
Après un long voyage par train depuis la gare de départ et terminé en charrette attelée d’un mulet jusqu’au lieu de rencontre avec le passeur, contact pris avec ce dernier, entretien et accord sur le montant à payer, compte tenu du risque pris pour le passage de deux personnes et un enfant, ce fut par une nuit sans lune, qu’un homme ( mon Père ), une femme ( ma Mère ) et moi dans ses bras, précédés du passeur, prirent les sentiers escarpés en direction des sommets frontaliers. ( altitude à atteindre : 2500m. ).
Avec les charges emportées par mon Père : ( une machine à coudre pesant une quinzaine de kg), dont ma Mère n’avait en aucun cas voulu se séparer, tantôt portée à bout de bras, tantôt d’une épaule sur l’autre, ajouté à cela, deux ballots ficelés à une corde passée sur les épaules, les pentes à gravir étaient exténuantes. Elles l’étaient davantage encore pour ma Mère, femme de constitution fluette, qui devait porter dans ses bras l’enfant que j’étais, avec la hantise d’une chute dans ces lieux escarpés, beaucoup plus accessibles aux chèvres qu’à une femme en charge de son enfant !
Après de nombreuses mais courtes haltes de repos, avec les premières lueurs de l’aube perçant à peine les brumes d’altitude, le passeur, insensible à la fatigue extrême de ces êtres partis pour l’aventure, annonça le franchissement de cette ligne invisible, tracée par l’homme et que l’on nomme frontière entre pays. Se trouvant en territoire français, il leur indiqua le chemin à suivre pour atteindre le premier village « Aragnouet » et distant encore de quelques kilomètres !
A peine foulé le sol français, à quelques centaines de mètres seulement de leur « patrie délaissée », dans les froides brumes d’altitude, par un matin du mois de mai, un homme, une femme et un enfant en bas âge, seront désormais qualifiés dans ce nouveau pays qu’ils ont choisi : « d’immigrés clandestins » !
Encore une halte afin de retrouver des forces après tant d’efforts exténuants et aussi, attendre la levée complète du jour, dissipant en même temps les brumes matinales. Le froid de la nuit encore vif à cette altitude, se manifeste pour moi, même enveloppé dans une couverture. De plus, je pleure aussi de faim, la réserve de lait emportée la veille a été épuisée depuis des heures !
On ne peut donc s’attarder longtemps à chercher un refuge, qui ne peut se trouver que dans ce village indiqué par le passeur, où leur dit-il, avec son expérience, vous trouverez accueil parmi les habitants. Je devais apprendre plus tard, que dans cette « galère », pas plus mon Père que ma Mère, n’avaient été épargnés, se posant même la question : « avons-nous bien eu conscience de toutes les difficultés à affronter dans cette expédition ? »
Quoi qu’il en fut, en ce petit matin froid du mois de mai de l’année 1919, il était trop tard pour retourner en arrière !
Dès ce jour et sur cette décision, par la volonté de mon Père, mon avenir et ma vie, étaient dans cette France !
Après le lever complet du jour, dès les premières heures du matin, un homme, une femme et un enfant, ( trois êtres exténués de fatigue, de froid et de faim ), furent accueillis par les habitants de ce premier village français !
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2 - Le Temps de mon Enfance
Gens compatissants, ils s’empressèrent de venir en aide à ce couple et surtout à moi-même, transit de froid et pleurant de faim. Dans la hâte, on me rassasia au lait de vache ou peut-être même de chèvre. Trop de quantité ou trop vite avalé, d’après ce que devait me raconter plus tard ma Mère, je fus pris quelques heures après, de violentes coliques et une forte diarrhée.
Craignant pour ma vie, ma Mère fut au désespoir, non seulement de me perdre, mais aussi de devoir m’ensevelir dans ce petit cimetière de haute montagne, dans lequel, certaines tombes étaient recouvertes d’herbe que venaient brouter les chèvres ! Dans ses lamentations, craignant le pire, elle ne pouvait savoir que j’étais depuis le jour de ma naissance, programmé pour la durée du siècle et peut-être même au-delà, ( n’en étant aujourd’hui, novembre 2000 qu’à une petite marche du prochain ) ! Quoi qu’il en fut, après deux jours de diète me dit-on, j’avais retrouvé ma santé et mon appétit !
Dans ce village où ces immigrés, trouvèrent accueil et premier gîte dans un local vétuste ayant servi de bergerie ( mais que pouvaient-ils espérer d’autre)
Ce fut sur intervention du Maire, que les services préfectoraux leur délivrèrent une première carte de séjour temporaire, portant : assignation à lieu de résidence. Nantis de cela, ils n’étaient plus « immigrés clandestins ».
On s’adaptera tant bien que mal à ce lieu, par le travail mon Père dans les travaux de maçonnerie, ma Mère dans la couture pour les femmes du village, ayant pour cela, peu de loisirs ou pas de compétences à tirer sur l’aiguille. Ce fut là, au mois de mars de l’année 1920, que naquit mon frère, suivi l’année d’après par ma sœur, mais déjà dans un autre lieu. En effet, la famille comptant deux enfants, nécessitait pour ses besoins de meilleurs gains en salaires. Dans ce but, commença alors ce que j’appellerai : « le temps des pérégrinations ». Il s’étalera sur sept années, portant préjudice à mon enfance et surtout à mon instruction !
Première Etape
Au cœur des montagnes pyrénéennes, mon Père et ma Mère, furent chargés de la gestion d’une cantine pour le compte d’une grande entreprise de travaux publics, ayant entrepris les ouvrages concernant : barrages, conduites en galeries et centrales hydroélectriques, devant fournir les énergies nécessaires au développement des industries dans le pays.
Ces installations de chantiers en pleine montagne, étaient constituées de grands baraquements de planches, à proximité du lieu de travail et servant aux dortoirs du personnel ouvrier ( une centaine d’hommes ), aux salles de réfectoires, aux locaux des cuisines, au logement du cantinier et sa famille, ainsi qu’aux locaux de matériel et entrepôts !
Un village de planches, dans lequel j’atteindrai l’âge de cinq ans, au milieu d’hommes rustres, en grande majorité espagnols, dont parmi les célibataires, un grand nombre expatriés sans leur femme ni leurs enfants, tous venus là attirés par l’appât du gain, malgré un travail à la fois pénible et dangereux. ( j’en garde le souvenir, de morts et de blessés à la suite d’explosions mal programmées dans les tirs de mines en galeries ) !
Mon frère et ma sœur, âgés de trois et quatre ans de moins que moi, étaient le plus souvent assignés à surveillance des parents et à l’intérieur de l’habitation. Pour ma part, les déchargeant d’un surcroît de travail à devoir surveiller mes actes quotidiens, je jouissais d’une grande liberté que je mettais à profit, côtoyant ces hommes, dont certains me manifestaient leur sympathie presque paternelle, leur rappelant peut-être leur propre enfant resté au pays.
Un sujet d’intérêt pour moi, était : « les colporteurs ». Ils arrivaient toujours, les lendemains de paye avec leurs étals, en général deux grandes valises, proposant à ces ouvriers éloignés de tous lieux d’approvisionnements, leurs nombreux articles, tels que : couteaux, pipes, briquets à mèche de coton, pierres à briquets, lacets de chaussures, graisses à chaussures, savon, rasoirs et lames, fil à raccommoder, boutons et j’en passe, tant la liste serait longue !
Tous ces articles provenaient des récupérations laissées par les troupes américaines au moment de leur rembarquement, après leur participation aux combats de 1917-1918 et payés certainement à bas prix, mais proposés à la vente et sans les moindres scrupules, cinq ou dix fois leur valeur d’achat. A coté de tous ces articles, de ( vente légale ), ces colporteurs ( contrebandiers ), proposaient aussi « sous le manteau », ces autres articles interdits de vente dans l’enceinte du chantier, tels que : alcools, armes de poing ( pistolets, revolvers, couteaux à cran d’arrêt, poignards et munitions de divers calibres ) le tout en provenance des mêmes sources : « Stocks américains » !
Un parmi ces « négociants », a particulièrement marqué ma mémoire. C’était un grand gaillards, maigre, au visage buriné de teint brun et à qui il manquait un œil. On l’appelait dans ce milieu : « el tuerto » ( le borgne ) mais son vrai nom m’est resté en mémoire : « Pallas » . Je me le remémorai plus tard dans certains acteurs de « westerns » tournés dans le Far West !
Pour l’enfant que j’étais, déjà curieux de tout, il était un lieu qui m’attirait particulièrement. C’était le grand local dans lequel, jour et nuit trépidaient les groupes des grands compresseurs, actionnés par de puissants moteurs à explosion, le tout fixé sur leurs socles. Ces machines à grands volants, dans un bruit assourdissant, tournaient sans arrêt. Elles étaient le « poumon du chantier », par leur alimentation en énergie « air comprimé », actionnant les perforatrices faisant les forages dans la roche et dans lesquels l’artificier introduisait les charges d’explosifs.
A l’entretien et surveillance de ces machines, un homme faisait l’objet de mon admiration. Ses mains toujours luisantes d’huile, tenaient sans arrêt une grande burette, avec laquelle il versait le lubrifiant dans les pignons et les paliers de ces machines, desquelles, sans m’en interdire visite, il me tenait toujours à distance, malgré les grillages de protection interdisant toute approche dangereuse.
Dans ce site de haute montagne, le gros matériel y était acheminé par une route spécialement aménagée pour le service du chantier et partant depuis la vallée, à quelques dizaines de kilomètres. Evitant cette distance, le petit matériel, l’approvisionnement en nourriture et les déplacements du personnel, se faisaient au moyen d’un téléphérique, d’une longueur de 250m environ, reliant la route longeant la vallée et franchissant cette dernière sur une hauteur en son milieu, de 80m environ.
Un poste de manœuvre se trouvait à chaque extrémité d’embarquement ou de débarquement, avec un homme aux commandes des treuils et reliés entre eux par téléphone, ce qui n’excluait pas des pannes de moteurs en cours de transbordements et dont ma Mère un jour en fit l’amère expérience. Revenant du village voisin ( Gabas ) distant d’une dizaine de kilomètres, elle se trouva stoppée par une panne de treuil, au milieu du câble. Seule dans la benne métallique suspendue à 80m du sol, la réparation pour elle, fut longue à venir, malgré toute la diligence du mécanicien à rétablir le fonctionnement. Longue aussi pour mon Père, anxieux de l’angoisse de sa femme en pareille situation, sans autre possibilité de secours, que l’attente de la remise en action du treuil de traction.
Outre cette anecdote, j’ai aussi gardé en mémoire, le récit de ma Mère, qui toujours revenant seule du village, sur cette route, fit la rencontre avec un ours. Le plantigrade, à sa vue, se dressa sur ses pattes arrières, poussa un grognement et disparut dans les hauts taillis bordant la route. Essoufflée et tremblante de peur, elle arriva en toute hâte au poste du téléphérique, où elle fit le récit de sa fâcheuse rencontre à l’homme en charge des manœuvres, qui s’efforça de la calmer avant transbordement.
Ayant atteint l’âge de cinq ans, dans ces décors de hautes montagnes, je fus inscrit à l’école maternelle située dans le village de Gabas. Durant les jours de classes, j’étais hébergé chez des amis de mon Père, dont la famille comptait deux enfants, un fils de mon âge et une fille plus âgée de deux ans.
Ce furent là, mes premières initiations à la langue française. Jusque-là, je n’avais eu connaissance que de la langue espagnole, la seule pratiquée en famille et la seule entendue aussi dans ces milieux ouvriers, dont le plus grand nombre était de cette même nationalité. Je découvrais alors, les premières difficultés à devoir m’adapter, non seulement à cette langue, mais aussi aux insistances de l’institutrice et aux moqueries des autres garçons et filles avec lesquels, je ne pouvais m’exprimer correctement dans leur langue.
A ces difficultés, qui n’auraient été que passagères, d’autres plus grandes encore devaient marquer toute la période de mon enfance et même, celle de mon adolescence et cela, par un fait banal, qui n’aurait du être qu’un simple petit incident. Toutes les fins de semaines, l’école terminée, je regagnais le foyer familial, y recouvrant ma liberté dans mes lieux et mes décors familiers.
Là, à la belle saison, je savais où trouver les framboises et les myrtilles. Mangeant ces dernières à pleines mains, je rentrais au logis, les lèvres, la langue et les mains entièrement colorées presque de noir. Dans ces forêts de montagne, je savais déjà distinguer le chêne du hêtre, sous lesquels je savais aussi trouver les cèpes même dissimulés par les fougères. Je savais aussi, trouver le noisetier et ses noisettes à l’automne.
Dans la faune animale, je découvrais la grenouille et le crapaud et aussi, la salamandre bariolée de couleurs jaunes et vertes. La couleuvre se glissant à mon approche dans les hautes herbes ou les fourrés, ne m’impressionnait pas. Habitué à toute cette faune, je prenais un malin plaisir à toujours taquiner les bestioles, ce qui me valut le handicap de ma vie.
M’acharnant un jour sur un gros bourdon noir et velu, le taquinant sans arrêt avec une badine, à chacun de ses arrêts sur une tige ou une fleur, l’insecte harassé par mes taquineries répétées, porta sa défense sur moi. Comme je portais alors mes mains en protection de ma tête, il s’accrocha vigoureusement à un doigt de ma main, me provoquant une très violente douleur, qui eut pour effet, de m’enfuir à toutes jambes, appelant ma Mère et poussant des cris de terreur.
A la vue de cet insecte accroché à mon doigt, ma Mère me trempa la main dans de l’eau très chaude. Débarrassé de l’insecte et retrouvant mon calme, l’attaque à première vue, ne parut me laisser qu’une enflure sensible dans la zone touchée, qui devait disparaître après quelques jours. Devais-je en rester là ?
A première vue, tout pouvait le laisser croire !
Hélas, il n’en fut rien ! Ce qui n’aurait du être qu’un incident sans suites, s’avéra être le drame de mon enfance et de mon adolescence. Jusqu’à ce jour, comme tous les autres enfants, je m’exprimais verbalement, sans la moindre difficulté et de manière normale d’élocution. J’étais même facilement porté à vouloir m’exprimer ou à questionner afin de satisfaire à ma soif de curiosité. Dès lors, tout avait basculé !
Dans les jours qui suivirent, certaines syllabes et certains mots à prononcer, ne sortaient plus de mon larynx, me laissant sans voix et désemparé devant mon interlocuteur et même devant mon Père et ma Mère. Pour comble de ridicule, ces derniers ne cessaient de me réprimander, mettant ces attitudes au compte de mon espièglerie, dont j’étais coutumier en d’autres domaines, consistant à faire des niches, même parfois mal venues mais dont je tirais satisfaction.
J’étais donc victime là, de ce dont j’étais parfois coutumier. Le sérieux de la situation, ne me fut admis, qu’à la suite des remarques faites par mon institutrice et par les amis de la famille qui m’hébergeaient à leur domicile, en période scolaire. Un médecin, contacté alors et constatant mes difficultés, se prononça pour une paralysie des cordes vocales, empêchant les prononciations de certaines syllabes.
A la question : qu’elle pouvait en être l’origine, étant donné mes facilités de parole auparavant, le praticien mit cela au compte d’un possible traumatisme nerveux, pouvant avoir pour origine, une grande frayeur ou un moment de terreur. Ma Mère se remémora alors, mon instant de terreur, accourant à grands cris, avec cet insecte velu accroché à mon doigt et hurlant à la fois de douleur mais aussi de peur.
Faisant part de cela au médecin, ce dernier fut convaincu de la cause et de ses suites. Il ne sut pas cependant donner le moindre traitement, se contentant de dire pour tout apaisement, que cette difficulté de caractère nerveux, devrait s’atténuer sinon disparaître avec l’âge, sans toutefois préciser : quel âge ! Sortant de là, l’enfant espiègle que j’étais, à la parole facile dans les questions et les réponses, n’était plus qu’un handicapé durant toute la période de son enfance et de son adolescence !
A ce handicap, ( pour moi infirmité ), qui devait déjà à lui seul, compromettre non seulement mon épanouissement dans une partie de ma vie, mais aussi, mon degré d’instruction, s’en ajoutèrent deux autres, contribuant à augmenter le cours de mes difficultés. Tout d’abord, les fréquents changements de lieux décidés par mon Père, à la recherche toujours, d’un « mieux vivre », entraînant pour moi, à chaque fois une école nouvelle, dans laquelle, nouveau venu, j’étais relégué au fond de la classe, oublié le plus souvent, par le nouvel instituteur et aussi, par les autres élèves.
A cela, s’ajoutaient les quolibets et les insultes racistes dont j’ai été longtemps victime par ma nationalité. Aussi, j’ai toujours en mémoire les appellations de : « sale espagnol », souvent répétées, non seulement à mon encontre, mais aussi, à l’adresse de mon Père : « espagnol venu manger le pain des français, retourne donc dans ton pays ! »
Aussi, arrivé en fin de ce siècle et entendre aujourd’hui les français faire campagne contre le « racisme » et prétendre la main sur le cœur qu’ils ne sont pas « racistes », me laisse ironiquement sourire, à l’idée que ma famille et moi même en avons été longtemps victimes, ne pouvant contre cela, que « serrer les dents, nous taire et encaisser ».
Pour ce qui me concernait personnellement, j’étais traité, non seulement de : « sale espagnol, mais aussi de bègue », ce qui durant toute mon enfance, m’a tenu à l’écart de toute camaraderie et de toute considération pour certains enseignants, me jugeant incapable de répondre aux questions orales. Pire encore, ces questions m’étaient souvent posées, dans le but de satisfaire à la dérision de la classe, ajoutant ainsi un degré de plus à mon humiliation par le rappel de mon handicap et de ma nationalité, justifiant ma tenue à l’écart, autant du maître que des élèves.
Deuxième Etape
Après deux années passées au sein de ce chantier pyrénéen, ma Mère marquant des signes de grande fatigue altérant sa santé ( elle avait du faire face à deux accouchements sans soins et, en un an d’intervalle ), mon Père prit la décision de changer de lieu et aussi d’activité par la même occasion.
Il décida, de s’installer dans la petite ville de : « Laruns » à quelques kilomètres de « Pau » et dans laquelle il avait négocié l’achat d’un fond d’exploitation de « café restaurant ». Son choix, lui avait été guidé, par le fait que la majorité de la clientèle était constituée de "« compatriotes espagnols », pour la plupart, ouvriers dans les constructions des centrales hydroélectriques, actionnées par l’eau des barrages situés en haute montagne.
La décision, partait aussi du principe : permettre à ma Mère, avec du repos, de recouvrer sa santé. J’avais atteint l’âge de huit ans, mon frère cinq ans et ma sœur quatre ans. Ayant été admis à l’école située proche du domicile, j’étais tous les jours au sein du foyer et donc proche de ma Mère. Contrairement aux prévisions, je la voyais décliner tous les jours davantage.
Elle représentait pour moi, « une femme alitée », d’un visage pâle et amaigri, ne prenant pour toute nourriture quotidienne, qu’un ou deux bols de bouillon de poule, que lui préparait mon Père. De l’avis des médecins spécialistes qui l’avaient auscultée à Pau, elle était épuisée et atteinte : d’une « descente d’organes » due à ses deux accouchements sans soins ni repos. Leurs diagnostics, ne laissaient espérer aucune amélioration et ils ne pouvaient rien pour elle. Agée de vingt-huit ans, elle était pour eux incurable !
Malgré mon jeune âge et ignorant tout de la médecine, j’étais dans la hantise de voir mourir ma Mère. Aussi, souvent auprès d’elle ou dans ses bras, je ne pouvais retenir mes larmes, lui arrachant en même temps les siennes ! Pouvais-je alors prédire pour elle le destin ? Elle a en effet vécu jusqu’à sa 91me
année, malgré sa frêle constitution, assurant au foyer les tâches ménagères, afin d’élever dignement ses trois enfants. Ses dix ou quinze dernières années, elle les a vécues dans le calme et la sérénité, proche de ses enfants, mais en l’absence de l’homme de sa vie ( mon Père ) décédé lui, dans sa 76me. Année.
Pour l’heure, dans cette triste ambiance familiale, avec les tourments de mon Père se voyant déjà seul avec ses trois enfants à charge et à s’occuper de son négoce, j’étais, en dehors des jours et heures de classe, libre de mes mouvements. Dans la salle du café, trônait un grand piano mécanique, actionné au moyen d’une grande manivelle servant de remontoir au dispositif mécanique. Il fallait au préalable, introduire une pièce de cinq sous dans la fente prévue à cet effet.
Après quoi, je me proposais souvent, d’en tourner la manivelle. Le mécanisme remonté, s’égrenait toujours le même répertoire avec les airs en vogue de l’époque, tels que : « la Madelon, Nuit de Chine, le Beau Danube bleu et autres valses de Vienne ». Au son de ces airs, des couples alors virevoltaient sur la piste de danse, non sans consommer vins et liqueurs. Le « bistrot » faisait ainsi son petit chiffre d’affaires et mon Père semblait s’en satisfaire.
De mon coté, je découvrais avec beaucoup d’attention, les périodes de transhumances, qui avaient lieu au printemps et à l’automne, rassemblant les grands troupeaux sur la place du foirail, proche de notre « bistrot ». C’était au printemps, pour les départs vers les pâturages des hauts sommets et à l’automne pour les retours avant l’apparition des premières neiges.
Ces mouvements de troupeaux, « bovidés et ovidés », à chacune des saisons, duraient plusieurs jours, soulevant une grande animation dans le bourg, ce qui amenait aussi pour mon Père, un supplément de clients dans les consommations de boissons, liqueurs et aussi restaurant. Dans ce spectacle, j’affectionnais surtout, les troupeaux de chèvres, avec leurs grandes cornes et leurs mamelles gonflées, traînant presque jusqu’au sol et que je prenais plaisir à téter, en me couchant sous elles.
De cela, j’avais gardé pendant longtemps, un goût préférentiel pour ce lait, qui était normalement distribué de porte en porte par les bergers, transportant leurs bidons dans une voiturette tirée par un âne et dont le passage était annoncé au son d’une trompette en corne. Un récipient d’un litre fixé au bout d’un long manche, plongé dans le bidon servait de mesure et l’on était peu regardant sur la quantité servie, y en mettant toujours un peu plus.
Malgré une hygiène douteuse dans les différents récipients, personne parmi les consommateurs ne se souciait de contamination, ni de fièvre de Malte. A croire que la nature exempte de tous apports chimiques à cette époque, ne transmettait aucun germe dans ses produits ! Dans cette ambiance, pour moi remplie de nouvelles découvertes, s’écoulait le temps, avec cependant l’inquiétude sur l’état de ma Mère, qui à mes yeux ne cessait d’empirer.
Il me suffisait pour cela, de constater qu’elle ne prenait absolument pas part aux tâches ménagères et donc encore moins au service du restaurant ou du bar. Tout cela était à charge exclusive de mon Père. Face à cette situation imposée durant plus d’une année, il décida à nouveau, d’un changement de lieu. Après avoir pour cela, négocié son commerce, tel qu’il l’avait acquis, la famille quitta les lieux, avec valises et malles !
Troisième Etape
L’ère des « pérégrinations », était commencée et avec elles, mes fréquents changements scolaires dans cette vie « d’errance ». Le point de chute, fut la petite ville de « Castelnau-Magnoac », toujours encore à cette époque, dans le département des « Hautes Pyrénées » ( aujourd’hui : Midi Pyrénées ).
Habitat : dans un logement vétuste situé dans le bourg, avec pour tout mobilier, table, banc et lits faits avec des planches brutes assemblées par mon Père. Pour literie, des matelas de paillasses.
Rien de plus, qu’un campement rudimentaire, dans lequel, une femme malade, avec ses trois enfants, devait subvenir aux tâches du foyer, avec seuls moyens : la volonté, la ténacité et sans aucun doute, l’ardeur de vaincre, qui déjà avait été le but du choix à l’exil vers ce pays, pour y découvrir que rien n’y était facile sans travail, sans lutte et sans persévérance.
Travail pour le chef de famille : profession, tailleur de pierre ( son vrai métier de base ), dans les entreprises chargées des ouvrages d’art ( ponts, viaducs et murs de soutènement ) nécessaires à l’extension du réseau ferroviaire dans ces régions. Salaire unique dans le ménage, aucune rétribution en cas d’arrêt de travail, pas la moindre aide sociale, tout frais médicaux à charge, ( ces derniers lourds dans l’état de ma Mère ), A tout cela cumulé, pouvait venir la question : Allait-on de l’avant, ou bien était-ce un retour en arrière ?..
Pour ce qui me concernait, j’étais là, admis dans ma troisième école, avec bien entendu : nouvel instituteur et nouveaux élèves, que je m’abstenais de désigner : « camarades de classe », n’étant pour eux et dès mon arrivée, que « l’Espagnol et le bègue » et donc tenu à l’écart des jeux au cours des récréations.
Même attitude de la part de l’instituteur, qui constatant mon incapacité à répondre oralement aux questions posées, me relégua au fond de la classe, tel un sujet pour lui, « sans intérêt ». Il devait en être ainsi, dans les trois autres écoles suivantes qui devaient suivre. Je ne devais trouver compréhension des maîtres et camaraderie dans les jeux, que dans la sixième et septième école !
( cette dernière ayant été la préparation au certificat d’études ) !
Jusque-là, pour moi tout ce qui touchait à la scolarité ou à la camaraderie, n’était que « néant » ! Pas d’instruction suivie, pas d’admission dans les jeux, je n’étais que sujet aux sarcasmes et aux brimades, non seulement par les autres élèves, mais aussi paradoxalement par certains instituteurs, qui se joignant à leurs autres élèves, faisaient preuve d’un ironisme commun envers moi.
Pour preuve de cela, je cite un extrait des œuvres de « Victor Hugo », que je ne considère pas comme une de ses meilleures et qui a pour titre : « Après la Bataille » et traitant ( comme chacun sait ), de la guerre menée par les armées de Napoléon en Espagne, dans laquelle l’auteur, contrairement à la réalité fait état de la « déroute » des troupes espagnoles, constituées « d’espèces de mores » !…
Le sujet étant approprié, à l’unanimité générale, « Maître et élèves », j’étais désigné pour réciter le texte. Riant de mon incapacité verbale à m’exprimer, un autre était alors désigné à ma place. Arrivant à la fin du vers : « Vise au front mon Père en criant », toute la classe en chœur, y compris l’instituteur clamaient : « caramba », avec une joie communicative marquée envers cet « espagnol et ce bègue » !..
Impuissant contre de tels comportements, serrant à la fois les poings et les dents, j’imaginais au fond de moi, la réalité des jurons espagnols qu’aurait pu prononcer ce blessé imaginaire et qui n’auraient en rien été ce mot anodin de « caramba », mais que l’auteur Victor Hugo, n’avait pu écrire dans son récit, tant ils sont offensants et vulgaires dans la langue espagnole et que j’avais eu l’occasion d’entendre prononcer dans les milieux que j’avais côtoyé, où ces jurons étaient du vocabulaire courant !
Ayant tout de même appris cette récitation par cœur, je devais me la remémorer quelques années plus tard, où le destin fit de moi : « cet autre espagnol, d’une autre armée en déroute » et que je relate ici, dans le chapitre 4 :
« les Années Noires ». N’en étant pas encore là, c’est ainsi que s’écoulait pour moi la période scolaire, où ne pouvant rien ou très peu apprendre en classe, je ne pouvais trouver aucune compensation auprès des miens.
En effet : jusqu’à l’âge de 14 ans, la seule langue pratiquée au sein de la famille, fut toujours l’espagnol. Je n’en ai jamais eu le moindre regret, compte tenu, que grâce à cela, j’ai pu tout au long de ma vie, me considérer « bilingue » français espagnol, sans la moindre difficulté, à parler, lire et écrire dans la langue de « Cervantès » et cela, je le dois à mes parents, qui faute de mieux m’ont inculqué cette langue au cours de mon enfance.
En plus de cela, bien d’autres qualités m’ont été inculquées par eux et dans leur exemple : en premier lieu, la persévérance à réussir par le travail, avec démonstration à l’appui, en second lieu, le respect du bien d’autrui et aussi : le respect des voies hiérarchiques et des ordres qui en découlent, avec en conséquence, le respect des lois en vigueur dans ce pays, dans lequel ils n’ont jamais oublié leur statut d’étranger !
S’étant toujours considéré comme tel, mon Père n’a jamais pris part aux affaires politiques du pays. Durant toute sa période de salarié en entreprises, il n’a jamais été syndiqué, il n’a jamais revendiqué quoi que ce fut et il n’a jamais pris part à une quelconque grève. Mis en présence de ce dernier cas, il quittait le lieu, dans le but de trouver du travail ailleurs. C’est dans cette voie et dans son application, que mon Père et ma Mère, ont gardé leur statut d’étranger, jusqu’à leur mort, malgré même, avec une parfaite intégration dans le pays d’accueil et trois enfants non seulement de culture française mais aussi de nationalité.
Je dois reconnaître, pour ce qui me concerne, n’avoir jamais oublié les racines de ma naissance. Aussi, franchissant la frontière à l’occasion de vacances en Espagne, je n’ai jamais pu occulter au fond de moi, le souvenir pour cette terre dans laquelle ont vécu mes Aïeux « souche de mes racines » et dans laquelle ils reposent.
Pour l’heure : étant le fils aîné des enfants, j’ai du très tôt participer aux tâches, sinon aux travaux du foyer et cela, surtout dans le but de soulager ma Mère. C’est ainsi, qu’abattre un lapin, le dépouiller, le vider de ses viscères, extraire délicatement (sans la crever ), la bile de son foie, le découper ensuite, tout cela, ne présentait pour moi, aucune difficulté. L’anatomie de l’animal dans son utilisation, je la connaissais bien. Il en était de même pour ce qui concernait les volailles. Ces tâches terminées, il ne restait à ma Mère que celles de les cuisiner !
Dans un autre domaine, lorsque le logement était pourvu d’un jardin, il me revenait aussi, de bêcher la terre, sarcler et récolter le moment venu, scier et refendre le bois de chauffage ou de cuisinière, ramasser les herbes pour les lapins, les glands pour le cochon ( lorsqu’il y en avait un à nourrir ). Tout cela était aussi au programme de mes occupations en dehors des jours et heures scolaires. Pour tout dire : étant le plus souvent voué à la solitude (mise à part la compagnie de mon frère et ma sœur ), cela faisait partie de mes dérivatifs, sans rien de très contraignant.
De toute manière, il me valait mieux en accepter le rôle, car même considéré comme contrainte, les contestations aux ordres, n’étaient pas admises par le chef de famille, qui exigeait obéissance dans les tâches à exécuter et discipline au sein de la famille. En application de ces règles, je tremblais toujours, lorsque ma Mère envers qui je m’étais montré insolent ou désobéissant, me menaçait d’en informer mon Père.
Je le voyais alors, débouclant sa ceinture et m’en cingler les jambes sinon mon dos, y laissant les zébrures rougeâtres sinon violettes marquées par la lanière de cuir. Châtiment de l’époque, les « psychiatres » aujourd’hui, l’auraient fait condamner pour maltraitance à enfant, pouvant entraîner chez le sujet, des « traumatismes graves ». Pour ce qui me concerne, malgré quelques corrections de cet ordre, je ne pense pas avoir été atteint de tels traumatismes.
Il faut cependant, savoir aujourd’hui vivre avec son temps et les mœurs qui lui sont coutumières. Aussi : je n’ai jamais appliqué de telles méthodes ou corrections à mes enfants, tout en leur ayant exigé obéissance et respect aux ordres et consignes données. Cela dit, je me garderai bien d’émettre des critiques sur les méthodes d’éducation appliquées par mon Père ; à fouiller dans son enfance, il en avait subi de pires encore et donc à bien y réfléchir, il n’en connaissait pas d’autres.
Revenons à ma Mère : « miracle, force de constitution ou volonté de vaincre », sa santé jusque-là vacillante sinon compromise, assez rapidement semblait se rétablir, malgré les tâches ménagères à accomplir, dans des conditions difficiles, sans le moindre confort ni mobilier adapté et même inexistant. Elle avait repris sa machine à coudre, afin d’habiller au moindre coût ses trois enfants. J’en entendais les cliquetis, souvent tard dans la nuit, travaillant à la lueur d’une lampe à pétrole.
Au cours de la journée, cette tâche était accompagnée de chansons, lui remémorant le temps de son adolescence et aussi son pays. Elle les interprétait avec une très jolie voix et je l’écoutais toujours avec plaisir, m’efforçant même d’en retenir les paroles et les airs. Si bien qu’aujourd’hui encore, il m’arrive de fredonner deux de ces couplets et refrains, revoyant ainsi ma Mère, tournant la manivelle de cette machine à coudre.
L’une de ces chansons, avait pour titre : ( traduit en français ) « La Captive » Elle évoquait la fillette enlevée à ses parents par les « Maures » et retrouvée par son frère des années plus tard, à l’âge de jeune fille. L’autre avait pour titre : ( traduit en français ) « La fille du pénitencier » Elle évoquait, la fille du gardien éprise d’un détenu purgeant sa peine, pour avoir assassiné le traître ayant abusé de sa sœur.
J’imaginais déjà dans ces couplets, à la fois les sentiments d’amour, d’aventure et d’héroïsme, sur des airs nostalgiques, ramenant ma Mère à ses années de jeunesse et de romantisme ! Je me souviens cependant, que ces moments de gaîté, furent troublés durant quelques jours, alors même que le ménage s’était installé dans un logement beaucoup plus convenable que la précédente masure et au centre même du bourg.
Je ne saurais dire dans quelles circonstances, mon Père avait disparu du domicile conjugal et familial ! Discordes, querelles entre époux ou liaison fortuite, j’étais à cet âge, incapable d’en discerner la cause ayant entraîné la séparation. Je n’en ressentais pas moins les pénibles effets qui se manifestaient chez ma Mère, ne pouvant souvent dans ses sanglots, cacher ses larmes !
La fête foraine, battait son plein dans le village et sur la place proche de notre habitation, quelques manèges faisaient la joie des enfants. Désireux d’en profiter aussi, je ne pouvais, pas plus que mon frère et ma sœur, en demander le prix à notre Mère, qui manifestement avait beaucoup de mal à payer de quoi nous nourrir.
De retour au foyer, après quelques jours « d’incartade », la sérénité retrouvée pour ma Mère, mon Père nous amena tous les trois sur cette place tant convoitée, où il nous offrit ces tours de manège, que je ne voyais accessibles qu’aux autres, de meilleures conditions familiales.
Son attitude envers ses enfants, lui était-elle commandée par un sentiment de repentance ou bien par la satisfaction à vouloir les élever au rang des autres enfants ? Peut-être les deux hypothèses étaient-elles réunies ! De toute manière, l’harmonie fut de retour au sein du foyer et ma Mère, avec les cliquetis de sa machine, tel le rossignol au printemps revenu, reprit aussi le chant de ses couplets et refrains !
Quatrième Etape
A peine une année s’était écoulée, et l’on refermait valises et malles. Destination : la petite ville de Sarancolin. Mon Père, parti comme chaque fois en « éclaireur, » y avait négocié, comme à Laruns, la gérance d’un café restaurant, fréquenté là aussi, par une clientèle surtout composée en majeure partie d’Espagnols, hommes seuls, venus en France travailler dans les chantiers des entreprises de travaux publics, chargées des constructions de barrages, canaux, routes et voies de chemin de fer !
Toute cette main-d’œuvre étrangère, venue du pays voisin, était appelée à suppléer à cette époque à la pénurie de main-d’œuvre française, décimée par les années de guerre. Mon Père y retrouvait là son milieu national, parmi ces hommes, dont un certain nombre, peu scrupuleux, à la limite des règles légales, étaient pour ma Mère, peu fréquentables. Aussi, dans ce négoce, souvent seule parmi ces hommes, elle en manifestait souvent son mécontentement.
Pour ma part, j’intégrais là, ma quatrième école, toujours dans les mêmes conditions, c’est à dire : relégué aux places du fond de la classe, sans intérêt pour le nouvel instituteur et très peu admis par les autres élèves. Espagnol et bègue, j’en avais pris mon parti, avec au fond de moi, la satisfaction, que je n’étais pas là, pour très longtemps. En effet, dans mon esprit, je me voyais par décision de mon Père, errant d’un lieu à un autre, découvrant à chaque fois : une nouvelle école, un nouvel instituteur et de nouvelles têtes d’élèves, avec toujours ce même accueil, porté sur les moqueries, les sarcasmes et au bout du compte, l’indifférence à mon égard.
Je ne retrouvais, chaleur, amour et compréhension qu’auprès de ma Mère, qui s’apitoyait sur mon handicap, quelle savait responsable de ma solitude et de mes difficultés scolaires, contre lesquelles, malgré sa bonne volonté, elle ne pouvait rien. Elle s’efforçait cependant, de me donner confiance ; de mon coté, je ne ménageais pas mes efforts afin de lui venir en aide, essayant de la soulager dans ses travaux ménagers et pour lesquels elle savait pouvoir me confier certaines tâches.
L’habitation et la salle « bar restaurant » était un grand baraquement, ayant été installé par l’une des entreprises œuvrant sur le lieu et pour ses propres besoins. Tout y était rudimentaire et peu ou même pas adapté à un logement et exploitation d’un commerce. De ces situations, nous avions déjà l’habitude, auxquelles, mon Père, s’adaptait mieux que ma Mère !
De plus, la fréquentation du lieu par sa clientèle, n’était pas des plus recommandables. Beaucoup de ces hommes, sans scrupules et peu soucieux du respect, se montraient souvent, fort entreprenants envers ma Mère, seule femme dans cette « communauté. » d’hommes. Aussi, même évitant autant que possible leurs contacts, elle craignait les « foudres » de mon Père envers ceux qui se montraient « hors normes » et qu’il aurait pu défier en bagarres sanglantes !
S’ajoutaient à ces difficultés, les fréquents contrôles par les services des douanes, qui suspectaient ce bar, de ventes illicites d’alcool de contrebande, ainsi que de nombreuses enquêtes effectuées par la gendarmerie, diligentées vers certains clients à la suite de plaintes par les habitants, pour vols, dégradations, bagarres et blessures. Tout acteur reconnu pour de tels actes, après enquête, était passible d’expulsion et reconduit à la frontière.
Dans un tel « panier de crabes », le gérant lui-même espagnol, se trouvait dans le « collimateur » à la fois des douanes et de la gendarmerie. Il pouvait être à tous moments accusé de fraude, de contrebande ou de complicité, encourant les mêmes risques d’expulsion. Aussi, ma Mère supportant mal cette clientèle et avec elle, les risques encourus, vivait là, dans une angoisse permanente, qui dans son état de santé précaire, pouvait entraîner sa rechute.
Ne voulant peut-être courir ce risque, un an s’était à peine écoulé que l’on bouclait à nouveau, valises et malles !
Cinquième Etape
En ce mois de juillet de l’année 1926, mon Père porta son choix sur la ville d’Albi ( préfecture du département du Tarn ). Je n’ai jamais cherché à comprendre, d’où cet homme pouvait puiser les informations relatives au choix de tel ou tel autre lieu propice à y installer nos « pénates ». Quoi qu’il en fut, comme il le faisait avant chacun des transferts, il partit au préalable afin de s’assurer d’un logement et d’un emploi. Il savait déjà, je n’ai jamais su comment, car il n’avait aucune capacité à lire une quelconque presse d’informations, que dans cette ville, on y recrutait de la main-d’œuvre dans le bâtiment.
De retour quelques jours après, avec mission accomplie, la famille et les bagages sommaires furent embarqués, direction le nouveau lieu de son choix. Arrivé là, on avait quitté un baraquement de planches, pour se loger dans un local : quatre murs sans fenêtres, supportant un toit et au sol, de la terre battue. Cela, tenait d’une masure, plus que d’une habitation ! J’étais déjà, en âge de me poser des questions, me demandant : où nous conduisait cette errance ?
Là aussi : quelques planches brutes, une scie, un marteau, des clous, ainsi était reconstitué en quelques heures le mobilier du ménage. L’eau se trouvait à la fontaine distante d’une centaine de mètres. Un bidon de 100 litres récupéré et bien lavé par ma Mère, servait de réserve pour la toilette et la cuisine. La corvée d’eau à transporter dans des bidons d’une dizaine de litres, était à ma charge.
Etait également à ma charge, l’approvisionnement du bois qui devait alimenter le petit fourneau en fonte, sur lequel ma Mère, faisait la cuisine. Je récupérais ce bois, dans les planches abandonnées à proximité des chantiers qui se trouvaient dans le voisinage. Ces planches, je devais ensuite les débiter en petites parties afin de pouvoir les introduire dans le foyer réduit du fourneau.
A satisfaire à toutes ces tâches, j’avais devant moi du temps libre, du fait que notre venue dans ce lieu, coïncidait avec la période d’été et donc aussi, avec les grandes vacances scolaires ; de plus, mis à part mon frère, je n’avais aucun contact avec d’autres garçons de mon âge.
Ma situation sociale « fils d’espagnol » liée à mon handicap à ne pouvoir m’exprimer, me tenaient toujours à l’écart des autres. Cet état de solitude, je le consacrais donc à apporter mon aide aux tâches ménagères, avec la satisfaction de pouvoir ainsi, soulager ma Mère, que je voyais toujours astreinte aux même travaux « préparer les repas, laver vaisselle et linge, nettoyer tant bien que mal la masure », tout cela, dans des conditions toujours plus difficiles, avec des moyens rudimentaires et qui de toute manière, ne pouvaient pas apporter le moindre confort.
Mon Père avait repris là, la profession de maçon, dans une entreprise locale, qui œuvrait surtout pour le compte des houillères. Le ménage, ne pouvait subsister qu’avec son seul salaire. Il ne pouvait compter à cette époque, sur aucune aide sociale. Etaient également à charge : tous les soins médicaux en cas de maladie « médecin, remèdes, hospitalisation etc. »
Tout arrêt de travail, consécutif à : « perte d’emploi, maladie ou intempéries » entraînait la perte de salaire, sans la moindre indemnité. « L’épée de Damoclès était ainsi en permanence pointée sur nos têtes » et ma Mère ne devait cesser d’en tenir compte, gérant au plus près les dépenses du ménage. Aussi, j’ignorais tout des moindres friandises et il en était de même pour mon frère et ma sœur. Hormis cela et avec un seul salaire, les repas préparés aux moindres frais, par ma Mère, étaient toujours suffisamment copieux et chacun se levait de table, rassasié.
Afin d’occuper mes rares moments de temps libre, j’avais trouvé une astuce « lucrative » .A proximité de notre habitation, « dans ce quartier dit de Pélissier », se trouvait le « champ de tir » de la garnison militaire. Défiant comme tout gamin curieux, les panneaux « d’entrée interdite », j’y avais découvert sous les cibles des tirs, les balles de plomb tirées au cours des exercices. Récupérées et fondues sur un feu de bois, le plomb transformé en plaquettes, était ensuite vendu aux chiffonniers récupérateurs de passage.
N’ayant aucune connaissance des valeurs concernant les métaux, je me contentais de l’offre faite par l’acquéreur, qui sans aucun doute, profitant de mon ignorance totale, m’escroquait à la fois sur le poids et sur le prix. Mal placé pour discuter ou contester l’offre faite, j’étais cependant fier de remettre à ma Mère mon maigre pécule, conscient de soulager son budget.
Tâches ménagères et « trafic de métaux » m’occupèrent le temps des vacances scolaires. J’avais été inscrit pour la rentrée des classes dans ma cinquième école, avec toujours les mêmes appréhensions que pour les précédentes. Nouveau venu, retard en instruction et handicap d’élocution, nul en réponses orales, je ne voyais l’instituteur, que depuis le fond de la classe où j’étais relégué.
L’appel de mon nom, pour une récitation ou une réponse à une question orale, me terrorisait, me laissant sans parole, entraînant les rires et les ricanements de l’ensemble de la classe, avec le plus souvent du coté de l’instituteur, aucun signe d’indulgence à mon égard, pas plus que de réprobation envers les autres élèves, me laissant l’impression d’être pris pour un sujet d’amusements. Aussi : l’école pour moi, loin d’être un plaisir, était non seulement une contrainte, mais un supplice à supporter !
Craignant de voir arriver l’hiver et de le vivre péniblement dans cette masure, mon Père se mit en quête d’un logement mieux adapté. L’ayant trouvé à proximité, la famille s’y installa. Profitant aussi de cela, on fit acquisition de quelques meubles, literies, sièges, table et ustensiles de cuisine.
Le tout fut payé au comptant, sur quelques économies réalisées ;la formule d’achat à crédit à cette époque, était peu répandue et d’ailleurs, mon Père de part sa condition sociale et étrangère, n’avait aucune chance de pouvoir en user.
La famille ainsi mieux installée, ma Mère soulagée dans ses tâches ménagères, reprit sa machine à coudre, dont j’entendis à nouveau le cliquetis rapide, accompagné par les couplets de ses chansons, que je m’efforçais d’enregistrer dans ma tête. Confectionnant ainsi, non seulement les tabliers noirs pour moi-même et pour mon frère et que tout élève portait en classe à cette époque, elle confectionnait aussi, nos chemises et nos culottes.
La voyant ainsi à l’œuvre et la sentant revivre, elle mettait en moi, la joie au cœur. En plus de cela, elle trouvait le temps de confectionner aussi, pour le voisinage, habillant d’autres enfants et même certaines femmes, ce qui lui apportait un gain supplémentaire au salaire de mon Père. Après avoir ainsi passé l’hiver, arriva le printemps et avec lui, les beaux jours. Aussi, à l’instar des hirondelles, il fallait changer de lieu
Sixième Etape
Le nouveau « transfert » décidé, comme à l’accoutumé, mon Père partit en précurseur. Il avait porté son choix, sur la ville voisine : « Carmaux » autre centre de houillères, où lui avait-on dit, on manquait de main-d’œuvre dans les travaux du bâtiment.
Rendu sur les lieux, il fixa le choix d’habitation, non pas dans un logement en ville, mais en pleine campagne, dans un hameau ayant pour nom : « la Cambouralié » et distant de trois kilomètres du quartier dit : « Ste. Cécile » ce dernier attenant à la ville. S’étant également assuré d’un travail dans sa profession, la famille fut transportée ainsi que les quelques meubles, dans le nouveau lieu de résidence.
Dans ce hameau constitué de quelques maisons anciennes et vétustes, notre habitation située en étage sur dépendances dans l’une d’elles, était une vaste pièce rustique, avec grande cheminée. Un grand rideau tendu au travers de la pièce, délimitait la partie « dortoirs ». Au logement ainsi défini, était rattaché un très grand terrain propice à la culture maraîchère et que l’on n’allait pas manquer de mettre en exploitation pour les besoins de la famille !
C’est ainsi, que débuta pour moi, le travail de la terre et avec lui, l’initiation aux élevages de volailles, de lapins et même de porcs à engraisser, l’un pour la vente, l’autre pour la consommation de la famille. Aussi : ramassage d’herbe pour les lapins, glands tombés des chênes à l’automne pour les cochons, coupes de fougères sèches pour leur litière, tout cela, avec aussi la participation de mon frère, devait constituer une grande partie de mon emploi du temps.
La propriétaire de notre « domaine », était une fermière nommée : madame « Grimal » ; veuve, elle exploitait ses terres avec son fils, un adolescent du prénom de « Marcel ». Pris en considération par ces gens, j’entrais auprès d’eux, de plein pied dans le monde rural. Très vite je m’accoutumais au contact des animaux de la ferme, un cheval de trait et six vaches laitières, que parfois on attelait par couples de deux à la charrue au moment des labours.
Je m’initiais alors à les conduire, marchant devant les bêtes, les appelant par leur nom et les activant de temps à autre, à l’aide de l’aiguillon. Au contact de ces gens, avec lesquels en dehors du temps d’école et participation aux travaux de la maison, je passais le reste de mon temps, je m’efforçais d’apprendre leur langage rural.
On commençait, au sein de la famille à parler le français, étant donné que les trois enfants étions scolarisés. Malgré cela, mon Père et ma Mère, dialoguant entre eux, utilisaient encore l’espagnol. C’est d’ailleurs ce que je faisais aussi, m’adressant à eux seuls. A l’écoute du « parler patois » dans le hameau, je me mis très vite à l’adopter aussi, l’utilisant dans les ordres donnés aux bêtes de somme, dans le travail ou dans le gardiennage et aussi, dans les dialogues avec les gens du lieu.
A leur contact, je n’étais plus « l’espagnol ni le bègue » ( ces deux tares que je traînais sans cesse ), j’étais au contraire, considéré un garçon affable, toujours prêt à venir en aide et s’adaptant fort bien à la vie rurale, avec une bonne utilisation de leur « patois », appelé aujourd’hui, « langue occitane par les régionalistes ».
Tout cela, m’ayant permis la découverte d’un autre monde, ( qui m’acceptait fort bien ), ne m’excluait pas de la fréquentation de l’école, qui se trouvait dans le quartier « Ste. Cécile », à trois kilomètres de notre domicile. Elle était pour moi, la sixième, dans laquelle cependant, je découvrais une autre ambiance auprès des élèves, dont un grand nombre étaient comme moi-même issus de familles espagnoles, nombreuses dans cette ville minière.
Dans ce contexte, l’instituteur de la classe, ne semblait manifester la moindre différence entre les élèves et je me sentais donc, bien plus à l’aise dans la classe, où je n’étais plus : « le sale espagnol ». Restait cependant, toujours présent, mon handicap d’élocution portant préjudice à mon avancement scolaire, si bien que les annotations portées sur mon carnet, mentionnaient : « difficulté à s’exprimer sur les questions orales ; rien de particulier sur les leçons écrites ». Résultat : j’étais toujours gratifié de notes moyennes, me positionnant très en retard sur l’ensemble de la classe.
Par contre, la camaraderie et la participation aux jeux dans les récréations, ne tenaient plus compte de mon handicap. J’étais admis dans les équipes constituées pour s’affronter aux parties de billes, essayant chacune de « rafler la mise » de l’équipe adverse. Ainsi au cours des parties réalisées, avec acharnement, passaient de main en main des centaines de billes aux couleurs différentes et à contenir dans des sachets de toile.
Les enjeux, étaient souvent sujets à bagarres entre équipes, l’une accusant l’autre de tricherie dans le jeu ou la mise. Participant alors à la mêlée, j’en sortais parfois saignant du nez, la lèvre fendue ou l’œil tuméfié, sans pour autant, avoir moi-même ménagé mes coups sur ceux du camp adverse et y constatant les dégâts ! C’était devenu pour moi, une manière de me mesurer vis à vis de l’autre et aussi, de prendre enfin ma revanche sur les moqueries et les sarcasmes endurés au cours des précédentes périodes !
Le chemin à parcourir pour se rendre à l’école ou retour au foyer, « distance trois kilomètres », était à faire à pied, le matin à l’aller, l’après midi au retour. Le repas de midi, préparé par ma Mère, emporté dans un panier était pris dans une des salles de l’école. Le temps de parcours, était fixé par mon Père, à une demi-heure. Ce laps de temps, était rigoureusement respecté le matin à l’aller. Par contre, il se trouvait souvent allongé en fin d’après midi sur la voie du retour, surtout à la belle saison, où les moments de longues flâneries étaient propices à laisser s’écouler le temps !
Ces retours au logis, accusant de longs retards sur les horaires, m’étaient sévèrement sanctionnés par un surcroît de travail à accomplir et fixé par mon Père. Je devais alors sans protester, « mettre les bouchées doubles » afin d’accomplir les tâches qui m’étaient imposées dans les répartitions de chacun appelé à participer ! C’était pour la famille, le moyen de subsister dans des conditions acceptables et je n’en soulevais aucune contestation !
Afin du maintien en « bonne forme » et peut-être sur conseils médicaux, je fus soumis ainsi que mon frère, au traitement à : « l’huile de foie de morue » qui consistait à avaler une cuillerée à soupe de ce liquide gras au goût désagréable, avant le repas du soir. Je m’empressais de l’ingurgiter d’un trait, faisant suivre immédiatement une cuillerée de potage afin de ne pas en détecter le goût !
Autre traitement imposé dans le même but : la purge périodique au printemps, à « l’huile de ricin » ; opération faite par ma Mère, sans préavis, au petit matin et dans l’obscurité, tel le réveil du condamné. La potion à avaler était mélangée à du café, suivie immédiatement d’une deuxième tasse de café pur, afin de ne pas en garder trace ni goût désagréable dans la bouche. Opération faite, je devais le plus longtemps possible m’abstenir de manger au cours de la journée, afin disait ma Mère, que la purge fasse son effet !
Dois-je attribuer à ces méthodes, les résultats de ma résistance physique à surmonter les épreuves auxquelles je devais être soumis quelques années plus tard ? Je n’en exclus rien, car je devais les surmonter, sans trop de difficultés, contrairement à d’autres, soumis comme moi-même à ces épreuves souvent épuisantes. Pour l’heure, âgé d’une douzaine d’années, tout cela était encore imprévisible dans ma tête et j’en étais à mes leçons de catéchisme, en vue de la préparation à ma « Première Communion ».
En effet, ma Mère qui malgré ses racines croyantes, n’avait pu depuis son exil, assister aux offices religieux, avait tenu à ce que j’obtienne un minimum d’instruction religieuse et que je sois admis aux différents sacrements de l’église et particulièrement à celui de la « Première Communion » ! Ce fut dans ce but, que ma Mère me présenta au prêtre de la paroisse !
Toujours complexé par mon handicap, je me voyais là, confronté à de nouvelles épreuves devant cet homme en soutane noire. Au constat de mes difficultés d’élocution, je fus pour lui, l’élève de toutes ses attentions, s’efforçant de me mettre en confiance. Dans ce but, il m’apprit dans mes réponses aux questions posées, à m’exprimer lentement en détachant les syllabes de chacun des mots et d’abandonner mes complexes d’infériorité.
Ce furent pour moi, les premiers signes d’une rééducation, que personne encore n’avait tenté, pas même mes instituteurs, me jugeant certainement irrécupérable et donc, sans intérêt. Après les leçons de catéchisme, j’étais admis à écouter la radio sur un poste à galène, au moyen d’un casque avec écouteurs sur les oreilles. Ces voix transmises par les ondes et captées au moyen de ce simple appareil, cela relevait pour moi, du mystère.
En ces années 1927 – 1928, comment pouvais-je imaginer les immenses progrès dont je devais être le témoin au cours du siècle et cela dans tous ces autres domaines relevant de la science, de la médecine, des communications, des transports, des satellites avec installation dans l’espace et même l’homme posant ses pieds sur la lune ?
Rien n’en était encore là et pour l’heure, jugé apte au sacrement de ma Première Communion, ma Mère ne fut pas peu fière de confectionner elle-même le costume traditionnel, dans un beau tissu bleu marine soigneusement choisi par elle et qui fut agrémenté du beau brassard blanc, pour lequel elle n’avait pas ménagé le prix. A cette occasion, rien non plus n’avait été épargné dans les dépenses pour la célébration de la fête et du repas auquel furent conviés la propriétaire madame Grimal, son fils Marcel et autres amis voisins.
La fête, fut aussi pour moi, l’occasion de recevoir des cadeaux (dont jusque-là, j’ignorais la coutume ) et parmi eux, un plumier d’écolier, avec peint sur son couvercle : « l’Empereur Charlemagne se portant au secours de Rolland à Roncevaux. » Je devais garder ce plumier si longtemps, que la gravure sur son couvercle était à la fin, à peine visible.
L’occasion me permit aussi, de goutter à certains fruits, tels que les bananes, que je voyais en régimes dans les épiceries, sans en connaître leur saveur. Cette période, marqua aussi, au sein de la famille la célébration des fêtes annuelles que sont : Noël, Jour de l’An et Pâques, qui jusque-là, passaient inaperçues. Je n’en entendais parler, que par les autres enfants de mon âge, s’émerveillant des cadeaux reçus, principalement à l’occasion de Noël. Chaussures mises en attente devant la cheminée et manifestations de joie au réveil, étaient pour moi inconnues.
Inconnu aussi, le temps des vacances passées à la montagne ou sur les plages, que pour ma part, je passais dans le travail familial. Aussi, à la rentrée des classes, pour moi, aucun voyage, aucun séjour à raconter ! Tout ce temps, avait été monotone, passé dans le périmètre du logis ! A l’écoute des autres, racontant leur séjour, en éprouvais-je de la rancœur ? Pas le moins du monde ! J’étais heureux ainsi et je n’enviais pas ces autres, dont certains « fils de familles » qui exposaient leur opulence avec un certain dédain marqué, pour ces autres fils d’ouvriers ou d’immigrés tels que moi !
Une crise de travail dans le bâtiment, avait contraint mon Père à s’embaucher dans les houillères comme « mineur de fond » dans l’un des deux puits de mines dit : « la Tronquié. » Après seulement quelques semaines de ce travail de « taupes, » il fut victime d’un éboulement de galerie. Extrait de justesse mais blessé au dos, il devait garder le restant de sa vie, des zébrures noires, depuis les épaules jusqu’à la ceinture. Remis de ses blessures après quelques jours de traitement hospitalier, ma Mère s’opposa vigoureusement à un retour dans la mine. Cela, d’autant plus que le bâtiment était sorti de la crise, ce qui lui permit de reprendre son activité dans sa profession.
Après à peine un peu plus d’une année de cette vie rurale, mon Père décida du retour à la ville. Toutes récoltes de jardinage terminées, la famille s’installa dans un logement du quartier « Ste. Cécile. » j’étais alors, à proximité de l’école et exempté des travaux quotidiens après les jours et heures de classe, ce qui me permettait des contacts plus fréquents avec les quelques camarades que je n’avais l’occasion de rencontrer que dans les récréations.
Cela dura, jusqu’à l’éclatement d’une grande grève touchant le secteur du bâtiment. Privé alors de salaire et ne voulant pas participer aux manifestations protestataires, mon Père décida d’un nouveau changement de lieu. A nouveau parti seul en « éclaireur, » en quête de travail et de logement, ce fut dans la ville de « Mazamet, » distante d’environ 70 km, qu’il transporta ses « pénates. »
Septième Etape
Mission accomplie, de retour au foyer quelques jours après, on entreprit le déménagement, avec cette fois, transport du mobilier. Le tout entassé dans un petit fourgon, parmi lequel tant bien que mal trouvèrent place les membres de la famille, on arriva ainsi dans ce nouveau lieu de résidence, choisi une fois de plus par mon Père ! Je ne pouvais moi aussi, une fois de plus, que me poser la question : « pour combien de temps ? »
A la périphérie de la ville, lieu dit : « Bonne-Combe » une maison seule, entourée de champs et de prairies devait être notre logement. Au voisinage, de grands locaux et habitation d’exploitation agricole étaient distants de quelques centaines de mètres. A notre maison était attenant un grand jardin à mettre en culture, dans lequel je vis aussitôt, l’occupation de mes loisirs dans les travaux de jardinage, auxquels je m’étais initié durant les mois précédents.
Accolés à la maison je remarquais aussi, des locaux dépendances, dans lesquels j’imaginais déjà : « lapins – poules – canards et même un ou deux cochons à y engraisser » . A proximité de la ville, j’étais à nouveau à la campagne, pour y retrouver occupation dans le jardinage et élevages divers. En attendant la mise en œuvre de toutes ces occupations à venir, l’année scolaire n’étant pas terminée, ce fut un établissement privé qui accepta mon intégration, pour les quelques semaines avant les grandes vacances « septième école » !
Dès les premiers jours, je fus « pris en grippe » par ce nouvel instituteur, à qui d’ailleurs, commençant à m’insurger, je rendais la pareille, acceptant mal ses sanctions, m’intimant ordre de sortir de la classe, pour des motifs injustifiables et que je mettais sur les comptes à la fois du « racisme et de mon handicap, refaisant surface chez cet instit. à binocles pincés sur le nez » . Il était désigné dans l’école, sous le sobriquet de : « fritz », dont je n’ai jamais connu la cause. Curieusement cependant, j’ai été amené quelques années plus tard, à le comparer à « Himmler » ( chef de la gestapo nazi ) encore pourtant, inconnu à cette époque !
Dans cette ambiance, réciproquement détériorée, arriva la fin de cette année scolaire et avec elle, les grandes vacances, que bien entendu je passais comme les précédentes, dans les occupations et les travaux familiaux ; autrement dit, vie quasiment rurale. Le temps de ces vacances terminé, je me refusais à réintégrer cette école privée. Je fus alors admis dans l’école publique, dite du « Gravas » ; elle était la huitième et elle devait aussi, être la dernière !
J’y fus admis en classe de seconde (désignation à cette époque) avec pour instituteur « Mr. Cros ». Le directeur de l’école était « Mr. Guiraud », qui instruisait en classe de première « préparation au C.E.P. ». Immédiatement, je retrouvais là, une excellente ambiance, tant en camaraderie qu’au-près des maîtres. Je n’étais là l’objet d’aucune discrimination, ni par ma nationalité ni par mon handicap.
Après une première année passée dans cette classe, où déjà dans une bonne ambiance, j’avais réalisé quelques progrès, j’intégrais l’année suivante dans cette classe de première, avec pour objectif l’examen au C.E.P. auquel, je ne croyais guère, tant je m’estimais en retard d’instruction par les difficultés attribuées aux nombreux changements scolaires et plus grave encore, à l’indifférence manifestée à mon égard par les précédents instituteurs, me considérant irrécupérable par mon handicap d’élocution !
Contrairement à cela, je me sentis très vite pris en bonne considération par mon nouvel instituteur. Aux questions posées, je n’étais plus le « bègue » incapable de réciter ou de répondre oralement, mais dans ce cas, celui à qui l’on demandait, d’une part la réponse écrite et d’autre part, la lenteur de parole avec détachement des syllabes, permettant mieux dans le calme leur meilleure prononciation. Je retrouvais dans cette méthode à appliquer, les conseils de mon curé de catéchisme.
Avec la confiance rétablie, vinrent aussi les progrès d’instruction et avec eux, les avancements dans le classement vers les premières places. En plus des méthodes pédagogiques appliquées à mon égard par ce nouvel instituteur, comment pouvais-je supposer en cette année 1930, que cet homme était apparenté ( cousin au deuxième degré ) avec celle qui des années plus tard, devait être mon épouse ( 1954 ). ( je n’en étais pas encore là, car, en plus de mon jeune âge, bien des épreuves me restaient encore à franchir le moment venu et que nul ne pouvait pas même supposer en ce temps là ) !
Dans l’immédiat et en cette année 1930, arrivé au terme de l’année scolaire, considéré apte à me présenter à l’examen de fin d’études primaires, j’obtins avec mention mon « Certificat d’Etudes ». Ne pouvant cacher ma joie, je ne pouvais en outre, oublier que je devais ce succès à mes deux derniers instituteurs et principalement au tout dernier, Mr. Guiraud, le seul au cours de toute ma scolarité, qui se soit autant intéressé à moi. Malheureusement, entré dans sa parenté, par les liens de mon mariage, il était décédé à la date de mon union !
Ayant obtenu brillamment l’examen, cet instituteur à qui je le devais, s’adressa à mon Père, dans le but de me faire poursuivre la scolarité, dans les études secondaires. Me laissant le choix, je répondis à mon Père par la négative. Je me refusais à devoir affronter encore les difficultés et faire face aux sarcasmes que j’avais du supporter au cours de ces années passées, avec ce handicap, que je traînais toujours et qui avait tant soulevé dans mon dos : rires et moqueries !
« Avec plus tard des regrets », j’abandonnais là, la poursuite des études, leur préférant l’activité dans le travail, aux cotés de mon Père, dans cette profession du bâtiment et dans laquelle je devais poursuivre jusqu’à la fin de ma carrière, à l’âge de « 65 ans en 1982 » ! En récompense de mon succès scolaire, mon Père m’offrit une bicyclette neuve, qui me valut plusieurs chutes, avec genoux et coudes écorchés, avant que j’en aie obtenu le parfait équilibre !
Fier de tout cela, j’entrais de plein pied dans ce monde du travail, que sont les chantiers de constructions. Je ne tardais pas, après quelques mois d’activité, à constater mes faibles capacités intellectuelles dans l’exercice de cette profession et qu’il m’était nécessaire de combler. Je décidais alors, de poursuivre des études par correspondance, ayant trait au dessin, à la géométrie et aux mathématiques, tout cela, restant encore et malgré tout, dans le domaine de l’élémentaire, ce qui apparaîtra des années plus tard, lorsque s’imposeront les études techniques en résistance des matériaux et des bétons armés !
Afin de compléter, toujours dans l’élémentaire, je m’inscrivis aussi, à des cours du soir « de 17 à 19 heures », donnés par : « l’école Pigier » et concernant des études comptables et commerciales. J’en sortais après une année, avec un diplôme de : « Teneur de livres ». Malgré ces modestes connaissances acquises et facilitant momentanément l’exercice de mon travail, je découvrais très vite mes lacunes dans les matières : « connaissances générales », traitant des œuvres littéraires, des grands classiques, poètes et écrivains ! Bref : tout ce que j’avais abandonné après de difficiles études primaires ! Oui ! Tout cela je l’ai regretté, mais il était trop tard !
Dans l’insouciance de l’âge et du moment, je trouvais satisfaction et liberté dans le travail, sur ces chantiers, parmi ces hommes, pour le plus grand nombre : « italiens et espagnols ». Ces derniers, me rappelant ceux que je côtoyais dès ma première enfance ! A présent, les uns et les autres, me servaient de « Maîtres Compagnons », avec lesquels, j’apprenais le métier et même leur dialecte avec les Italiens. J’étais fier aussi, de percevoir mon salaire, qui s’ajoutait à celui de mon Père et que par fierté aussi, je remettais intégralement à ma Mère, gérante du budget du ménage !..
Deux salaires, jardinage et élevages « volailles et cochon », ce n’était pas l’opulence dans la famille, mais il y avait tout de même un peu plus d’aisance, « non sans travail » ! Mon Père cependant, toujours à la recherche d’un complément de gain, décida de ce que je devais nommer : « opérations vendanges » ! A la saison venue : « septembre », toute la famille, « enrôlée dans des côles » ( terme donné aux groupes de vendangeurs ), prenait le train, destination gare de Narbonne, où les propriétaires viticoles prenaient possession de leurs équipes recrutées !
Amenés à la propriété, hommes, femmes et enfants, ces derniers aptes au travail, étaient tous ensemble, sans distinction de sexe ou d’âge, cantonnés dans un même local, avec pour literie, de la paille à même le sol. Repas du soir à prendre autour d’une grande table. Le repas de midi était servi dans les vignobles, avec repos d’une heure.
Programme de « campagne » : réveil dès le matin 6 heures, direction le vignoble à vendanger, prise d’une rangée de ceps par personne munie d’un sécateur ou d’une serpette, ainsi que d’un seau d’une vingtaine de litres, devant contenir les grappes coupées et à vider ensuite dans une « comporte » placée à proximité, dans un « couloir élargi ». Cette dernière, après remplissage, était enlevée par deux hommes « porteurs », au moyen de deux longues barres de bois, passées sous les poignées de la comporte. Sortie en lisière du vignoble, elle était chargée sur les charrettes pour le transport vers la cave de traitement !
Dans toute la hâte à rentrer sa récolte, le propriétaire exigeait de ses « esclaves », sans les moindres scrupules et par tous les temps, une cadence soutenue, menée par la « mouseigne », ( femme de confiance ) toujours en tête de rangée, invectivant les retardataires, sans se soucier de leur fatigue ou des difficultés à travailler sous un soleil torride ou sous la pluie, dans un sol détrempé et boueux, collant aux semelles des chaussures et rendant la tâche plus pénible encore !
Conscient dans ces conditions, de la fatigue que devait supporter ma Mère, à surmonter ses efforts, je prenais toujours la rangée voisine de la sienne, afin de lui vider le seau après remplissage, surtout dans les circonstances pénibles, ce qui était souvent le cas ! Un tel travail, que je qualifiais de « galérien », imposé sans les moindres règles sociales et humanitaires, durait une quinzaine de jours, sans interruptions !
Une seule satisfaction était à mettre à l’actif ! Le travail, payé une partie en salaire fixé d’avance par journée et une partie en quantité de vin à emporter, également basée sur les journées de travail et par personne, représentait pour la famille, un gain appréciable. Aussi, ces « opérations vendanges », furent entreprises durant trois années consécutives !
J’en termine ici, avec la période de mon enfance !…
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3 - Le Temps de mon Adolescence
Huitième Etape
A l’arrivée de la famille dans cette ville de « Mazamet », je fus en mesure de me poser la question : « pour combien de temps » ? Après trois années passées là, ( ce qui n’avait encore jamais été le cas ), tout pouvait laisser croire, que l’installation y était définitive ! Eh bien ! Il n’en fut rien !
Cette fois encore, les circonstances devaient intervenir dans la situation ! L’entreprise pour laquelle nous travaillions, mon Père et moi, avait été chargée des reconstructions d’ouvrages, « digues et ponts » emportés par les grandes inondations de mars 1930, dont certains dans ce secteur de Mazamet et les environs. Ces travaux terminés, la dite entreprise fut appelée sur d’autres ouvrages dans les environs de « Castres », où mon Père décida de la suivre.
Reprenant les habitudes précédentes, il partit dans cette ville, distante à peine de 20 kilomètres, à la recherche d’un logement. Le nouveau déménagement fut organisé quelques jours après et la famille s’installa dans cette ville de « Castres ». Elle devait être pour moi seul, enfin ma ville d’adoption, après éparpillement des autres membres de la famille survenue au cours des années qui suivirent : ( 1947 et 1948 ) !
En cette année : 1932, âgé de 15 ans, j’entrais dans cette période de l’adolescence, sans la moindre expérience. Elevé dans la naïveté, sous l’autorité du Père et les petits soins de ma Mère, me considérant toujours de constitution fragile et délicate, avec en plus sa constante compassion pour mon handicap, dont elle connaissait mes angoisses, à ne pouvoir m’exprimer comme mon frère et ma sœur ainsi qu’envers les autres de mon âge, j’étais pour elle, le sujet fragile de la famille, nécessitant plus d’attentions que les autres, ce qui avait pour effet en moi : d’augmenter davantage, mes complexes !
Dans un tel état d’esprit, je ne recherchais en dehors du cercle de famille et de l’ambiance dans le travail sur les chantiers, aucun autre contact en camaraderie ou amitié parmi ceux ou celles de mon âge. Le fait de devoir engager ou accepter et entretenir un dialogue, me terrorisait, surtout, si la personne était une femme ou une fille. J’imaginais toujours, dans mon dos, les sourires, sinon les rires et les moqueries qui ne pouvaient que s’en suivre !
Ainsi s’écoulaient pour moi, ces premières années de jeunesse, empreintes de solitude, dans une ambiance aussi pénible et accablante que le temps de mes années scolaires, mise à part le fait, que je n’étais plus soumis aux réponses orales sur les questions posées. L’appellation de : « sale espagnol », n’était plus ma hantise, mais le handicap du « bègue », me poursuivait toujours !
Atteignant ainsi, l’âge des 17 – 18 ans, il fallut bien me décider à sortir de ma « coquille » et aussi, du « carcan du travail et du cocon familial ». Je m’inscrivis alors, dans un club de : « cyclo- tourisme », dont les membres étaient des jeunes de mon âge : « garçons et filles », mais aussi : des personnes plus âgées et couples mariés !
Dans une ambiance de bonne camaraderie, situation sociale ou handicap physique ( ce dernier, n’entravant pas ce genre de sport ), tout cela était relégué au « vestiaire ». Au cours des longues randonnées et des kilomètres à parcourir, les entraides et les encouragements dans les situations de fatigue et défaillance pour certains, étaient de rigueur. Nul n’était laissé en arrière !
Les efforts à surmonter sur un vélo, m’étaient déjà coutumiers. J’avais déjà été mis à l’épreuve au coté de mon Père, avec lequel, durant quelques mois, je devais parcourir des dizaines de kilomètres pour nous rendre sur les lieux du travail et cela, par tous les temps. Dans le club, les longues randonnées en équipes rendaient moins pénibles, les kilomètres à franchir jusqu’au but à atteindre, même fixé parfois au sommet des cols pyrénéens !
Non seulement, je testais là, mes capacités physiques, mais je mettais à l’épreuve ma volonté à vaincre l’obstacle, même dans les situations les plus difficiles, fatigue, chaleur, pluie ou vent de face, je m’interdisais de mettre « pied à terre », avant le but fixé ! Je reste persuadé, que cette volonté forgée et mise à l’épreuve au cours de ces longues et parfois pénibles randonnées, m’a permis de vaincre les difficultés, qui devaient, 2 ans plus tard se dresser sur ma route et dont en ces moments, je ne soupçonnais même pas l’éventualité !
Aux contacts de la société, où se mêlait le sport et la franche camaraderie, s’estompait la hantise de mon handicap. Avec un peu plus d’assurance en moi, je commençais alors, à fréquenter les fêtes et les bals de quartiers. Je n’hésitais plus, à aborder la fille avec laquelle je désirais danser. Ne pouvant garder le mutisme durant le temps d’une danse, avec toujours la crainte de buter sur mes difficultés, je tâchais de garder l’initiative par des questions posées, plutôt qu’à devoir faire des réponses. Cela me permettait de rechercher les mots et les syllabes qui m’étaient faciles à prononcer. Malgré ces précautions, je ne pouvais de toute manière parer à quelques « accrocs », qui dans la plus part des cas, n’étaient pas soulignés par ma partenaire. Ainsi : petit à petit, au cours des années, s’installait la confiance en moi !
Choix de Nationalité
L’année 1936 portait avec elle, mon dix-neuvième anniversaire et aussi, le moment « charnière » de mon choix de nationalité. Français de cœur et de « culture », je ne l’étais nullement de « droit » ! Soumis aux statuts d’étranger, devais-je en rester là ?.. Mon Père consulté sur le sujet, me laissa libre choix !
De cette Espagne où j’étais né et de laquelle on m’avait enlevé l’année d’après, je ne connaissais rien. Pour comble, une guerre civile venait d’y éclater, qui devait durer trois années et qui sans le savoir encore, devait être le prélude au « cataclysme », qui allait bientôt s’abattre sur l’Europe et le reste du monde ! Aucune « fibre patriotique » pour ce pays, n’ayant germé en moi, je pris la décision d’opter pour la France et sa nationalité !
Ayant dans ce but, établi ma demande de naturalisation, j’en obtins le titre suivant décret, N° 14290/37, le 28 janvier 1938. Une page était tournée ! J’étais « Citoyen français », sans cependant, perdre de vue : que ma carte nationale d’identité, mentionne toujours : « lieu de naissance Sagra Espagne » ! N’ayant jamais eu l’intention de renier ni d’occulter mes origines, « il était inutile de me rappeler » !..
La famille, installée semblait-il définitivement dans cette ville de Castres, après cependant trois changements de logement, recherchant dans chacun d’eux, un meilleur confort, mon Père décida la construction de sa propre maison. Il fit donc l’acquisition d’un terrain, non seulement pour y édifier la demeure, mais aussi pour y avoir un jardin potager. La construction, décidée en 1936, fut édifiée après les journées de travail chez l’employeur, avec pour toute main-d’œuvre, mon Père et moi. Inutile de dire, que les journées, surtout en été, étaient longues à la tâche. Quelques camarades de chantier, venaient nous prêter main-forte les dimanches et jours fériés !..
La maison terminée ou en état d’y loger la famille, au cours de cette année 1937, mon Père à la recherche de son autonomie et s’appuyant sur mes capacités professionnelles et quelques connaissances de gestion, décida de créer sa propre entreprise. J’entrais ainsi, dans le cycle des responsabilités, que cependant, je devais interrompre au mois de novembre de l’année suivante et cela, sans m’en douter encore : « pour sept longues années » !
En attendant, je fus appelé à devoir me présenter au « Conseil de Révision » où en tenue « d’Adam », après examen par le Major, je fus déclaré : « bon pour le service armé ». Ayant fait part au Major, de mon handicap à m’exprimer correctement, cela n’eut pas l’air de le préoccuper. Non seulement, j’étais « citoyen français, mais aussi conscrit de l’armée française » !
L’examen terminé, toute la troupe des appelés « une trentaine de jeunes conscrits », rubans tricolores à la boutonnière, respectant la tradition, entreprit le défilé dans les rues de la ville au son du clairon et airs d’accordéon. La fête devait se poursuivre durant la soirée et la nuit qui suivit. Avec diverses haltes dans les cafés et débits de boissons, on ne pouvait clôturer la nuit, sans rendre visite : « aux belles locataires des maisons closes », qui à cette époque, n’étaient pas encore prohibées.
Cette ville de garnison, avec dans ses murs, un régiment d’artillerie, comptait dans un de ses quartiers, trois de ces maisons, aux enseignes : « le Chat Noir, le Moulin Rouge et l’As de Pique ». Chacun dans le groupe, ayant fait son choix de la « maison », mon choix se porta sur « l’As de Pique ». Dans ma naïveté, je n’avais sur le sujet, aucune connaissance. Toutes mes approches avec les filles, n’étaient que platoniques au rythme d’un orchestre sur une piste de danse. Pour la première fois, j’étais dans le « vif du sujet », livré aux attentions de la « dame » qui m’avait prise sous sa « protection »,usant de toute son expérience à m’initier à l’accomplissement de « l’acte sexuel » !
Cela fait, sortant de là, j’us l’impression de me sentir quelqu’un d’autre et d’entrer dans un autre cycle. La fête terminée, reprenant mes occupations dans le travail, il me restait à attendre l’ordre d’incorporation. Pendant ce temps, mon Père ayant fait acquisition d’un véhicule camionnette pou les besoins de l’entreprise, je préparais mon examen au permis de conduire, avec leçons de conduite et étude du code de la route. Convoqué à me présenter, je retombais dans la hantise des réponses aux questions orales posées par l’examinateur. Ayant échoué à la première tentative, pour avoir calé le moteur sur une marche arrière et non sur le code, j’obtins le « carton rose » au deuxième passage, au mois d’août 1938 !
Je n’étais pas peu fier, d’exhiber mon « permis de conduire ». A cette époque, les voitures et leurs conducteurs, n’encombraient pas la ville. On ne parlait pas des « bouchons » sur les routes, même pour les départs ou retours du « week-end » ! Je me sentais avec cet avantage, un peu au-dessus de la moyenne et j’en éprouvais un sentiment de « revanche » sur ceux pour qui j’avais été : « cet espagnol et ce bègue », durant la majeure partie de ma période scolaire !
L’année 1938, arrivait à son terme, avec le mois de novembre et avec lui, l’ordre pour moi, d’incorporation et pour le temps à accomplir au « service militaire ». Unité d’affectation : « 22me. Bataillon de chasseurs Alpins, en garnison à Nice ». Je ne pouvais cacher ma joie, de servir la France dans un de ces bataillons considérés : « unités d’élites » et pour comble : dans la ville de Nice, sur cette côte d’Azur, dont je ne connaissais l’existence, que par mes livres scolaires de géographie et où j’avais à présent hâte de me trouver.
Les quelques jours avant la date fixée : « 12 novembre », je les passais à rendre visite à mes amis et aux préparatifs avec l’aide de ma Mère, prenant grand soin au contenu de ma valise et à me faire toutes les recommandations de prudence en ne manquant pas de donner souvent de mes nouvelles. Rien de moins me disais-je, que ce que font toutes les Mères pour le fils quittant le logis familial pour la première fois.
Au jour du départ, ma séparation marqua la première phase de la dispersion familiale, qui devait s’accentuer au cours des mois qui suivirent et en premier lieu, par le départ de mon frère : « engagé volontaire », dans le conflit qui devait suivre. En second lieu, par le départ de ma sœur, admise à « l’école Normale » afin d’y préparer sa carrière dans l’enseignement ! Le « bloc » familial, jusque là « soudé », était désormais « fissuré », sinon même « éclaté » !
Le voyage par train : « Castres Nice » représentait pour moi, déjà, un long périple ! Comment pouvais-je alors supposer, qu’un beaucoup plus long voyage devait m’être imposé, suite au déchaînement des événements, dont certains signes apparaissaient déjà à l’horizon des situations internationales et notamment, du côté de l’Est.
Au cours des fêtes foraines, se déroulant au mois de juin, dans un quartier de la ville, une « cartomancienne », consultée par curiosité et aussi par jeu, lisant les lignes de ma main, m’informa d’un long voyage en préparation. Traitant cela, avec incrédulité et indifférence, je venais de le commencer en ce mois de novembre 1938. Destination pour le moment : la ville de Nice !
Le train, longeant la Méditerranée, je découvrais bientôt les charmes de cette côte d’Azur, dont je ne connaissais que le nom. Arrivé en gare, je fus comme tous les autres conscrits débarqués du même train, pris en charge par le « service d’accueil » monté dans un camion militaire qui prit la direction de la caserne. Faisant connaissance en cours de route, je me trouvais là, avec trois autres nouvelles recrus venant aussi de Castres et une autre, des environs. Passé le grand portail au dessus duquel était inscrit : « Caserne des Diables bleus et 22me.B.C.A. » et le poste de garde, la grande cour était bordée de deux rangs de palmiers. Rien de semblable aux chênes, hêtres et châtaigniers de ma région ; j’étais dans un autre univers, où même le climat en ce mois de novembre était très agréable.
Arrivé là, le groupe accompagné d’un « gradé, caporal ou : caporal-chef » ( je ne distinguais pas encore les grades ), fut conduit à la chambrée, au premier étage d’un des grands bâtiments. Grande salle avec deux rangs de lits alignés dont je pris possession de l’un d’eux. L’heure marquait bientôt la fin de la journée et la consigne fut d’attendre le lendemain matin pour la distribution des « paquetages » !..
Déjà me parvenaient aux oreilles, les premières sonneries du clairon auxquelles, je devais bientôt m’adapter en bien les distinguant, telles que : « Réveil à 6 heures – Relève de la garde et montée des couleurs à 8 heures – Appels des consignés à 8 heures 30 – Vaguemestre, distribution du courrier à
9 heures 30 – La soupe, à 11 heures 30 et 18 heures – Coucher et extinction des feux à 21 heures ». Chacune de ces sonneries, était précédée du refrain du bataillon, dont les paroles étaient : « Encore un biffin tombé dans la merde ! Encore un biffin d’emmerdé ! » Paroles peu orthodoxes diront certains ! Mais, quelle orthodoxie pratique-t-on dans l’armée ?..
« Travesti » dès le lendemain en « soldat de l’armée française dans l’uniforme Chasseur Alpin », ( drap bleu foncé – pèlerine bleu horizon – coiffure grand béret noir – bandes molletières noires et brodequins aux pieds ) tel était le déguisement militaire qui devait m’habiller durant deux ans ! C’était là, l’hypothèse normale, dans l’ignorance générale des événements et de leurs conséquences, qui devaient tout bouleverser !..
En attendant, jouissant de cette « insouciance », c’était pour moi, l’hiver sur la côte d’Azur. Exercices, marches d’entraînement et défilés au pas rapide des Chasseurs ( 162 pas à la minute ), au rythme de la clique et sous les applaudissements du public, tout cela était pour moi les vacances que je n’avais jamais connues ! Efforts à supporter, horaires, discipline et hiérarchie à respecter, tout cela m’avait déjà été imposé dès mon enfance. Aussi, je m’en accoutumais fort bien, sans nostalgie pour la vie civile ! « J’étais un soldat fier et heureux de l’armée française », avant de devoir en déchanter quelques mois plus tard !
J’étais d’autant plus fier, que j’avais été affecté, dans la compagnie « Hors rang » et : paradoxe de l’armée, au groupe téléphoniste, malgré mes difficultés à devoir dialoguer avec un interlocuteur à l’autre bout du fil ! Ayant signalé ce handicap au sergent-chef chargé de l’affectation, ce dernier, n’en tint absolument pas compte ! En fait, mon rôle, se limita toujours, à dérouler et à enrouler des bobines de câbles, dans les installations des lignes en campagne ! Deux des nouvelles recrues, originaires de Castres, « Monssarat et Lavigne », furent également affectés dans cette « C. H. R.. », section des transmissions !
Ainsi, l’hiver s’écoulait pour moi, dans cette ville au climat de rêve, dont j’arpentais les grandes avenues, sa majestueuse « Promenade des Anglais », ses grands casinos, dont encore, celui de la Jetée, construit sur l’eau, son splendide marché aux fleurs, inondé à cette époque de grandes corbeilles d’œillets, aux couleurs chatoyantes et aux parfums capiteux. Ville fréquentée en cette période de l’année, par les personnalités et les grandes vedettes, j’eus l’occasion d’y rencontrer parmi ces dernières, « Tino Rossi en compagnie de sa première épouse et aussi vedette du cinéma : Mireille Ballin, dans leur somptueuse voiture rouge décapotable ». De tout cela, je n’en avais même jamais rêvé !..
L’hiver terminé, fit place au printemps et avec lui, les fêtes de Pâques. Après demande faite, j’obtins ma première permission pour dix jours. De retour parmi les miens, fier de servir la France, pas question de quitter l’uniforme. Tous mes amis et connaissances dans ma ville, devaient voir le « fils de l’Espagnol » en tenue militaire au service du pays dont il avait choisi lui même la nationalité !
Choyé par ma Mère, heureuse de retrouver son fils aîné absent depuis six mois, s’inquiétant toujours de ma santé et de mon handicap, je la rassurais par mon affectation au groupe téléphoniste, ce qui, sans intérêt dans la réalité, avait pour objet de lui prouver mes progrès et mes capacités d’adaptation. Cette première permission, rapidement écoulée, sans avoir vu passer les jours, je retrouvais la Côte d’Azur, sa ville de Nice, sa caserne des « Diables bleus », la chambrée, les sonneries du clairon, les ordres gutturaux du caporal-chef ( il était alsacien et se nommait Herdmann ), ceux de l’adjudant, pestant toujours sur les manques d’alignement, les pas mal cadencés au cours des exercices.
Venaient aussi, les marches d’entraînement et les défilés à l’occasion de la visite d’une personnalité dans la ville ou commémoration d’un anniversaire ! En somme, toute la panoplie du « soldat Chasseur » en début de cette année 1939, ce qui pour moi, était agrémenté par les magnifiques paysages de cette côte et son climat de rêve ! Les mois s’écoulant, on arrivait ainsi au mois de juillet, marquant la période des manœuvres en haute montagne et prévues jusqu’à fin septembre !
Lieu de cantonnement : « Cabanes Vieilles », au pied de la « cime du Diable ». Altitude respective : 2000 et 2600 mètres. Départ donné dès le matin, marche en colonne, Colonel ( chef de bataillon ) en tête. Distance à parcourir en deux étapes. Première halte pour la nuit : « Peira-Cava ». Deuxième journée, par le col de « Turini », avec arrivée à destination en fin de journée. Installation par compagnies dans les locaux ( bâtiments en dur ). Rassemblement et montée des couleurs au sommet du mat, avant la soupe ! Désignation des piquets de garde et nuit de repos bien mérité pour les autres, en attendant la sonnerie du réveil dès 6 heures !
Dans ce paysage alpestre de haute montagne, je me remémorais mes premières années vécues dans ces autres paysages pyrénéens, y retrouvant à peu de chose près, la même flore et la même faune. Seule différence dans la flore, la présence ici de « l’Edelweiss », que je me faisais une joie, d’aller cueillir tout au sommet d’un piton escarpé ! ( J’en garde encore aujourd’hui, un spécimen sous verre ) !
Les différentes sonneries au son du cor, dont l’écho se répercutait de sommet en sommet, étaient pour moi, un enchantement ; une escalade au sommet de la cime du Diable, un exploit ! Découvrant là, un véritable attrait pour la montagne, je fis la demande d’affectation dans la section des « éclaireurs skieurs », cantonnée en période d’hiver, à « Peira Cava ». Je me voyais déjà, dévalant ces pentes enneigées, avec bivouacs la nuit dans les refuges !
Hélas, ce ne fut là, qu’un rêve chimérique et « châteaux en Espagne » ! Les événements qui allaient suivre, me réservaient d’autres sortes de « bivouacs », en d’autres lieux moins cléments et moins bucoliques ! Après quelques semaines que je qualifiais pour moi, de « vacances », arriva la deuxième quinzaine du mois d’août, annonçant la « sonnerie du tocsin » et le retour précipité du bataillon devant rejoindre ses quartiers à Nice ! Les menaces de guerre jusque là, tenues occultes, sinon improbables, apparaissaient soudain de plus en plus certaines !
Politiques et diplomates, français et anglais, semblaient échouer dans leurs tentatives de conciliation avec le « Maître du Reich », dans ses ambitions hégémoniques à vouloir conquérir son « espace vital » au centre de l’Europe, ainsi que « Danzig et son couloir » ( ce dernier, ouvrant à la Pologne, accès à la mer Baltique ). A tout cela, s’ajoutait la menace de l’union Soviétique, s’alliant à l’Allemagne, par le pacte : « Germano-Soviétique », unissant ainsi, « deux rapaces » avides à se partager dans l’immédiat, les territoires convoités : « Pologne – Bessarabie et même le Finlande » !..
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4 - Les Années Noires
De retour en caserne, je tentais une demande de permission, que j’obtins pour dix jours. Reprenant contact avec les miens et avec mes relations dans la ville, je constatais : très peu d’inquiétude dans l’opinion publique. Dans la majorité des cas, on faisait toujours confiance aux hommes politiques et aux diplomates, pour écarter les risques de guerre !
En cette deuxième quinzaine du mois d’août, les vacances « congés payés » décrétés depuis 1936 par le gouvernement socialo-communiste « Front Populaire », battaient leur plein et l’on se « dorait » sur les plages, profitant de ces acquis sociaux, octroyés par un gouvernement généreux ! Aussi, était-il très mal venu de parler : « menaces de guerre » en ce mois des loisirs, chèrement obtenus ! D’ailleurs, qui savait où se trouvait « Danzig et son couloir » ? N’étant pas à cette époque, très fort en géographie, ni très instruit sur ce qui touchait aux complications de l’Histoire, je n’en savais trop rien moi-même !..
Mes dix jours écoulés, je quittais la maison, laissant ma Mère dans l’inquiétude. Peu instruite aussi, de ce qui se tramait dans les sphères internationales, les mots de « guerre », prononcés ça et là, ne pouvaient la laisser indifférente. Me sachant dans ce cas, en « première ligne », il était normal qu’elle ait eu à craindre pour moi, le pire. De ce train qui me ramenait, côtoyant les bords de mer et ses plages, j’y voyais les « estivants » allongés sur le sable ou barbotant dans l’eau. Mêlant mon esprit à leur insouciance, je n’imaginais pas non plus, que pour certains d’entre eux, c’était pour longtemps, la fin des vacances !..
A peine avais-je franchi l’entrée de la caserne, que j’y constatais déjà une grande « effervescence » parmi les hommes. On y procédait en effet, à un total changement des uniformes, qui passaient du bleu foncé « Chasseur », au drap de teinte kaki. La pèlerine bleu horizon, était remplacée par la longue capote, également de drap kaki. Abandon aussi, des bandes molletières, avec le pantalon serré à la cheville. Changement aussi dans l’équipement. Le sac à dos carré, fut remplacé par un double sac, « d’un parfait encombrement », dont la partie basse qui pendait en dessous de la ceinture, battait les fesses en marchant !
On battait le rappel de tous les permissionnaires, « j’avais terminé la mienne in extremis ». Dès le lendemain, arrivaient en caserne, les premières classes rappelées, hommes ayant terminé leur temps normal de service, l’année d’avant. L’ordre de mobilisation générale ne devait pas tarder pour les hommes des classes précédentes. Ce n’était pas encore la guerre, mais tout en prenait le chemin.
Précipitant les événements déjà compromis, les troupes allemandes, « sans préavis, violaient » la frontière polonaise, pénétrant en force sur son territoire ! Sous couvert de cet acte, le 3 septembre, la France et l’Angleterre, déclaraient la guerre à l’Allemagne, ainsi qu’à son alliée : l’Italie ! « Le coup de gong était donné et comme tant d’autres, j’étais sur le ring » !..
Après les changements d’uniformes et de l’équipement, l’autorité militaire procéda à la réorganisation des unités avec incorporation des réservistes rappelés. Suite à cela, je fus versé au 65me. B.C.A. dans la 6me. demi brigade et rattaché à la 29me. division Alpine, « dite de réserve » et maintenue dans les Alpes Maritimes, contre une attaque possible de l’Italie !
Sortie de l’euphorie et de l’insouciance des jours précédents, la France était en guerre. Afin de tranquilliser l’opinion publique mise devant le fait, politiques et chefs d’états-majors, lancèrent les fameux slogans : « Nous vaincrons, parce que nous sommes les plus forts ! La route du fer est coupée pour l’Allemagne ! Notre ligne Maginot est inviolable !..
La Drôle de Guerre
Pouvait-on supposer, que « forte de telles affirmations », l’armée française venait d’être engagée pour huit mois, dans ce qui devait être à la fois, « l’immobilisme et la drôle de guerre » ! Partant de là, commença alors le « périple » de mon unité, que j’avais pu croire affectée à la protection de la frontière franco-italienne !..
Fin novembre, hommes et matériel furent embarqués dans des trains en gare de « Cagnes sur Mer ». départ par la vallée du Rhône, direction : frontières de l’Est, plus exactement : secteur de : « Forbach » en prévision pouvait-on supposer : d’attaque sur le territoire allemand ! Mon unité, procéda simplement, à la relève de troupes coloniales, portées en « première ligne » dès la déclaration de guerre et qui ne pouvaient supporter le froid de cet hiver, qui s’annonçait rigoureux !
Pour ma part, je débutais cette campagne, avec une bronchite doublée d’une forte sinusite, le tout contracté au cours des marches de nuit, depuis le lieu de débarquement en rase campagne, jusqu’au lieu de cantonnement et cela, par un vent glacial venant de face. Si le médecin major, vint facilement à bout de la sinusite, il n’en fut pas de même pour mes bronches et je gardais durant tout l’hiver, mes quintes de toux !
Comme tous mes camarades d’unité, je passais l’hiver dans cette région enneigée, face à cette ville de « Forbach » ( ville française et paradoxalement occupée par des troupes allemandes ) sans autres opérations, qu’une désastreuse tentative d’incursion dans la ville décidée le 8 février, par une section de « Corp-franc », qui eut pour résultat : « la perte de huit hommes et d’un officier ». Le reste du temps, ne fut qu’inaction et attente dans l’immobilisme et cela, dans tous les secteurs !
Afin de palier à ce « désœuvrement », on trouva le « théâtre aux armées », présentés par des comédiens, des chanteurs et des humoristes, donnant des spectacles dans les cantonnements ! Fin mars, sonna pour mon unité, l’heure de la relève et je me trouvais cantonné au repos, dans un village du Juras, proche de « Montbéliard ». Je m’empressais alors, de déposer une demande de permission, qui me fut délivrée pour dix jours. En camion militaire jusqu’à la gare proche, et par train ensuite, je regagnais mes « pénates », dans ma ville de Castres !
Arrivé là, ma Mère s’inquiéta aussitôt de me voir amaigri et surtout, de constater mes quintes de toux, fréquentes pendant les nuits et troublant mon sommeil. S’ingéniant à y remédier ( il n’était pas question pour elle, que je reparte dans cet état ), cataplasmes, ventouses, sirops et boissons chaudes, furent de la partie, avec effets positifs au bout de quatre à cinq jours !
Au cours des entretiens que j’avais auprès des habitants dans ma ville, j’y constatais un certain désintéressement pour cette guerre, qui effectivement, avait prise des formes « folkloriques ». La population dans l’ensemble, s’accoutumait fort bien à cette « guerre sans guerre ». On la voyait même terminée par des voies diplomatiques, sans l’avoir commencée. Dans la vie économique du pays, n’apparaissait aucune marque de restriction et nul ne paraissait en soucis pour l’avenir !
La Pologne depuis huit mois, « écrasée » et occupée par l’ennemi, était oubliée ! Danzig ! Nul ne voulait mourir pour ce port de la Baltique, perdu dans la géographie des français ! Son couloir ! La France n’en avait rien à faire ! Telle était la mentalité de l’opinion française après huit mois de déclaration de guerre pour les motifs cités !
Au cours de cette permission, rencontrant parfois des « poilus » de la dernière, je me vis questionné, avec une certaine ironie : « combien de boches as-tu vu ? » Ce fut dans cette ambiance d’insouciance et de confiance aveugle, que je passais mes dix jours de cette permission, qui devait être ( sans le savoir ) la dernière avant mon retour parmi les miens, cinq années plus tard (juin 1945) !
A l’heure de mon départ, je ne pouvais me libérer de l’étreinte de ma Mère, qui avec des sanglots dans la voie et les larmes coulant sur son visage, me répétait ses conseils de prudence, me demandant la promesse de toujours la tenir informée par lettres. Dans cette pénible situation, il me fallut à moi-même, tout le courage et la force de volonté pour enfin arriver à me détacher de ses bras et m’engouffrer, sans me retourner au fond du car qui devait me conduire en gare de Toulouse !
Jusqu’à disparition de ce dernier après le premier tournant de la rue, j’imaginais, sans me retourner, son bras tendu, agitant dans un dernier adieu, son mouchoir mouillé de larmes. C’était là, l’intuition d’une Mère, inquiète pour son fils aîné, d’autant que le cadet, lui aussi, s’était porté « engagé volontaire », pour la durée de la guerre et que je n’avais pu rencontrer durant cette permission. Deux fils dans les risques de la tourmente, c’était beaucoup pour elle !..
Ma feuille de route jointe à mon titre de permission, mentionnait pour le retour : « Castres – Montbéliard via Vitry- le-François », où je devais changer de train. De Toulouse, je devais d’abord, me rendre en gare de : « Palaiseau », banlieue Sud de Paris et centre directionnel pour tous les militaires en transit, qui devaient trouver là, leur train les conduisant à leur destination. Arrivé là, je découvrais dans cette gare, la « Tour de Babel » de l’armée française, y concentrant toutes les armes, dans toutes les catégories sociales et régionales.
Dans cette foule « cosmopolite », venant des diverses régions de France, se mêlaient les différents « jargons » régionaux, ainsi que les jurons prononcés par certains, dans les difficultés à trouver leur train avec l’incompréhension des indications transmises par les haut-parleurs de la gare. Seul vrai moyen, pour sortir de ce « labyrinthe », le bureau des renseignements, à condition d’attendre son tour dans la colonne faisant queue, à l’unique guichet !
Me « faufilant » tant bien que mal parmi tous ces hommes, les uns partant en permission, les autres comme moi-même étant sur le retour, je trouvais enfin, mon train en partance dans ma direction. En compagnie d’autres hommes regagnant la même unité, j’arrivais en gare de « Montbéliard ». De là, par camion militaire, je regagnais au jour fixé, mon cantonnement. Après restitution de mon titre de permission au bureau de la compagnie, je regagnais ma section.
Tout était encore calme et je croisais en arrivant, les partants permissionnaires, leur titre en poche, normalement pour dix jours. Pour les autres, c’était le repos dans ce village paisible, où la clique « trompette et accordéon » ouvrait le bal du soir sur la place, y attirant les filles du lieu et celles des environs. Dans la joie et la fête, certaines d’entre elles, se laissaient entraîner après une valse ou un tango, dans les frondaisons des sous-bois, enivrées de promesses éphémères !
Ephémères aussi, furent les divertissements et les illusions des premiers jours du mois de mai ! En ce mois de Marie, où fleurissait le muguet dans les sous-bois, retentit aussi le « tocsin », annonçant l’incendie ! Les « bruits de bottes » soudain retentissaient aux frontières des « Pays-Bas et de la Belgique » ! L’aigle Allemand, avec dans ses serres la croix gammée, avait pris son envol, guettant sa proie !..
Alors, brusquement réveillée de sa « torpeur » et de son « immobilisme » l’armée française, dans tous les secteurs, sonna le « branle-bas de combat ». Le « coq gaulois sortit ses ergots, face aux serres du rapace allemand », qui dès le 9 mai, lançait ses attaques sur la « Hollande », les poursuivant ensuite sur la « Belgique » !.. Dans la précipitation générale, mon unité, loin encore des secteurs « névralgiques », fut mise en état d’alerte. Rappel de tous les permissionnaires et hommes consignés dans les cantonnements !..
Le 12 mai, fut donné ordre à cette unité de se mettre en mouvement. Les moyens mis à disposition, me remirent en mémoire, mes livres d’histoire, dans lesquels j’apprenais la participation des « taxis parisiens » appelés au transport des hommes de troupes lors de l’offensive de la Marne, en septembre 1914 ! Autre période ! Autres moyens ! Dans la précipitation du moment, on avait réquisitionné pour le transport de cette unité, les « cars parisiens de la R A T P »
Au nombre de 50 hommes par véhicule, le convoi des cars, aux couleurs voyantes : « blanc et vert », s’étala le long des routes, présentant une cible repérable et vulnérable à une attaque aérienne ! Il n’en fut rien, car sans aucun doute, en ce début d’offensive, l’ennemi avait d’autres objectifs beaucoup plus stratégiques pour ses aviateurs ! Aussi, le long convoi, arriva sans encombres dans le département de la « Marne » !
Les hommes, furent déposés là, dans une région boisée, favorable au camouflage, dans l’attente des mouvements à effectuer ! Marchant de nuit et restant le jour dans les sous-bois, il n’en restait pas moins, que l’ennemi était informé des mouvements de cette unité. On pouvait en juger, par les survols fréquents de ses avions bombardiers dans les secteurs, y larguant même quelques bombes, faisant déjà dans nos rangs les premières victimes ! Il fallut, pour éviter le pire dans ces cas, apprendre à se plaquer au sol au moment du « sifflement » des bombes larguées et attendre, « la peur aux tripes » les explosions au sol, au lieu de courir dans tous les sens pris de panique !
Quoi qu’il en fut, de déplacements en déplacements dictés par des ordres, le plus souvent contradictoires, l’unité prit enfin position le 20 mai dans un secteur du département de la « Somme », au Sud du fleuve, à 100 kilomètres au Nord de « Paris » ! Ma section, installa son cantonnement, dans le village de « Liancourt-Fosse », situé sur la R. N. 17, dans des locaux d’exploitation agricole et d’élevage, à la sortie Sud de l’agglomération !
La Grande Débâcle
Les informations communiquées sur la situation des événements, étaient déjà : « catastrophiques ». On y apprenait : que la Belgique était occupée et évacuée par nos troupes ! Que la frontière des Ardennes était franchie par les forces blindées allemandes ! Que le gros des armées du Nord battant en retraite, était encerclé dans « la poche de Dunkerque » ! En gros : les troupes allemandes « bousculaient » dans tous les secteurs, les troupes françaises, les forçant aux replis !
Résultat d’une telle situation : par cette route nationale sur laquelle je me trouvais, déferlait en colonnes continues, les populations de tous âges et de toutes conditions, fuyant terrorisées, devant l’avance ennemie, les zones des combats ! Beaucoup plus grave encore, mêlés à cette « lamentable cohorte », fuyaient aussi, « sans armes ni barda », de nombreux militaires de cette « invincible armée française ». Ils fuyaient à perdre haleine, la terreur aux trousses, avec un seul slogan : « les boches arrivent » et un seul but à atteindre : « la rive Sud de la Loire » !
Malgré cela : les communiqués lancés par les hommes politiques et les hauts états-majors, étaient de l’ordre : « nous tiendrons ! Et c’est parce que nous tiendrons, que nous vaincrons ! » Dès le début du mois de juin, pouvait être posée la question : « nous devions tenir : avec qui ? Et avec quoi ? » Déjà parvenaient dans mon secteur, les signes rapprochés, des affrontements ! Le réseau téléphonique de campagne, s’en trouva détruit par les tirs d’artillerie, privant de ce fait les liaisons entre les différents secteurs d’unités, avec interdiction d’utiliser les systèmes radio !
Afin de rétablir ces liaisons, le 5 juin, à la demande de mon officier de section, je me portais volontaire à la réinstallation des lignes à travers la campagne et cela : en compagnie de quatre de mes camarades, eux aussi volontaires à l’opération, qui devait se dérouler, sous le feu de l’artillerie ennemie. Effectivement, repéré au cours de l’action, par un avion de reconnaissance, notre groupe fut pris pour cible et attaqué par des tirs à obus de fragmentation, faisant un mort et un blessé ! La mission fut accomplie, au nombre de trois hommes !..
Cet acte, accompli « sans résultat », me valut : « citation à l’ordre du régiment et décoration de la Croix de Guerre avec Etoile » ! Il me restait l’amère satisfaction d’y déplorer la blessure de l’un mes camarades et la mort de l’autre, « tous deux sacrifiés pour rien dans un acte volontaire » !..
En effet : le 6 juin, le secteur étant encerclé et donc sans moyens de repli, l’unité reçut de son officier supérieur, « l’ordre de reddition » ! Je ne connaissais rien de l’Allemand et je ne savais donc, devant lui qu’elle contenance tenir ! A ma grande stupéfaction, ce fut lui qui s’adressa à moi, en excellent français, avec ces mots : « la guerre est terminée pour vous ! » Seul le respect des convenances et la situation tragique du moment, m’interdisaient de lui « serrer la main » !..
J’étais donc, comme tous les Français, soumis à la loi du vainqueur, par cette guerre, dans laquelle je n’avais même pas eu le temps de combattre, non par fuite devant l’ennemi, « comme tant d’autres », mais sur ordre de reddition par mes officiers commandants d’unité ! Je découvrais alors, l’énorme potentiel militaire, de cette armée d’en face, tant décriée par nos politiques et pour laquelle : « la route du fer était coupée » !
Face à cette « pauvre armée », le « coq gaulois », venait de perdre en un mois, non seulement son « orgueil et sa fierté » mais aussi : « ses ergots, ses plumes et sa crête et ses cocoricos, n’étaient plus avec des cris d’angoisse et de terreur, que des sauve qui peut devant les boches ! »
Non encore conscients d’une telle débâcle, « la guerre terminée » ces soldats de l’armée française, « et moi-même dans le nombre », allions retourner chez nous, où chacun se voyait déjà reprendre la vie civile, avec le plaisir à jouir des acquis sociaux, durant cet été dont les ardeurs du soleil poussaient à la baignade et au bronzage sur le sable des plages !..
De telles chimères et « rêves en Espagne » ne furent pas du goût de ce « Maître du Reich », déployant sa « croix gammée » au sommet de la tour Eiffel, y remplaçant les « trois couleurs françaises » ! Disposant de ces hommes vaincus, ce fut par étapes de 20 kilomètres par jour, sous la canicule, sans eau ni nourriture, que, faisant partie de cette « armée en guenilles » je fus emmené jusqu’à : « Aix la Chapelle » !..
Ces épreuves, qui m’étaient imposées par cette véritable débâcle d’une armée vaincue, me remirent en mémoire, mes années scolaires, durant lesquelles, je dus supporter les moqueries et les ricanements envers : « l’Espagnol que j’étais », contraint à devoir réciter les vers contenus dans : « Après la Bataille » de Victor Hugo, citant cet « Espagnol de l’armée en déroute » et terminant par l’exclamation : « caramba », clamée alors, par toute la classe, à la satisfaction « satyrique » de l’instituteur !..
Retournement de l’histoire, j’étais bien là ! Cet espagnol dans cette autre armée en « déroute », qui non seulement se traînait lamentablement sur les routes, mais où j’allais moi même « crever de soif » au bord de l’une d’elles ! Mon écœurement, aurait été atténué, si j’avais pu retrouver en ces circonstances, les élèves de cette classe, à qui j’aurais pu clamer : « non pas caramba mais bien kaput », tel que prononcé par les allemands, désignant l’armée française et son invulnérable « ligne Maginot », qu’ils avaient contournée et prise à revers !..
Pour l’heure, tous dans la même « galère », à 50 hommes dans des wagons à marchandises, portières verrouillées et lucarnes grillagées, traversant l’Allemagne depuis le Sud jusqu’au Nord-Est, j’étais rendu le 2 juillet 1940 à mon lieu de « destination » fixé par le vainqueur à savoir : « Prusse Orientale, camp de prisonniers : Stalag 1 B » !..
Il était temps ! J’étais exténué ! Toutes mes réserves physiques avaient « fondu » durant ce mois d’épreuves imposées, auxquelles, nombre d’entre nous, n’avaient pas survécu ! « Tout homme tombant épuisé au bord de la route, était un homme mort » ! Ayant surmonté ce risque, je reste persuadé le devoir, durant les pénibles étapes de marches, non seulement à ma résistance acquise, mais aussi, à une « réserve de sucre et à un flacon de menthe Riclès » ! En effet, me sentant au bord de l’épuisement, je versais quelques gouttes de menthe sur un morceau de sucre, que je laissais fondre dans ma bouche ! Malheureusement : la petite réserve, même parcimonieusement économisée, ne dura que les quelques premiers jours ! Après cela, ma seule volonté fit le reste !..
Le Compte à Rebours
Franchissant le portail du camp, j’entrais dans cet « univers concentrationnaire », que le « Reich vainqueur » avait installé, afin d’y « loger » tous ces français : « soldats loqueteux, résidus de cette invincible armée française » et abandonnés à ce triste destin, par le « gouvernement de la France, seul responsable de leur sort » ! Dans ce « chaos », moi « l’Espagnol volontairement naturalisé français », j’étais du nombre, avec le matricule : 30143 ! Quelle « connerie » pouvais-je dire alors !..
Je découvrais là : « l’entassement » des hommes, de toutes conditions sociales, les bousculades sinon même les bagarres, pour une maigre ration d’un liquide qui n’avait de soupe, que le nom. La promiscuité, au nombre de 100 hommes par baraque. Une hygiène précaire et même, totalement délaissée pour certains, abandonnant leur corps aux parasites que sont les poux et les « morpions ». Témoin de tout cela, je n’eux aussitôt, qu’une idée en tête : trouver le moyen de sortir de là !..
J’en saisis l’occasion : le 7 juillet, me portant volontaire à une demande de main d’œuvre, correspondant à ma profession « maçon » ! M’estimant trompé et abusé par l’Etat Français, sans les moindre scrupules, j’allais « travailler pour l’Allemagne », en y attendant sans risques, la fin de cette guerre !
Comme tous les autres, tombés dans ce même piège, j’ignorais à cette date, que cela allait durer « cinq longues années » ! En attendant : sorti de « l’enclos à bétail » et du « spectre des miradors », je me trouvais à la campagne, dans une grosse exploitation agricole nationalisée et dont le régisseur, « celui-là même qui m’avait recruté », parlait très correctement le français !..
Dans le groupe de « professionnels » recrutés ce même jour, se trouvait : « un peintre en bâtiment, un menuisier, un forgeron, un cuisinier, un jardinier et un conducteur de tracteurs » ! Cette équipe ainsi constituée de « volontaires » pour le travail, devait compléter un groupe de 60 autres « prisonniers français » de diverses conditions sociales et affectés aux divers travaux agricoles de l’exploitation ! Je n’étais déjà pas seul, à avoir opté pour cette formule, qui consistait à vouloir sortir du système ayant pour but : « l’avilissement de l’homme par l’homme » !
Personnellement satisfait d’en être sorti pour le moment, je n’en étais pas moins préoccupé par les soucis des miens à mon égard et principalement de ma Mère ! Je n’en avais aucune nouvelle, depuis le début du mois de mai « ma dernière permission ». J’imaginais leur angoisse, à l’écoute des informations « catastrophiques » de la situation avec certainement sans nouvelles des deux fils ! Aussi : sitôt reçu dans le camp, les formulaires spéciaux de lettres à écrire, je m’empressais de donner de mes nouvelles !
Attendant réponse avec impatience, ce ne fut que le 15 juillet, que mon nom figura à l’appel de distribution du courrier par le régisseur. Une lettre des miens, était enfin entre mes mains et que je n’osais décacheter ! Qu’allait-elle m’apprendre ?. Inquiétude et appréhension remplaçaient à présent l’impatience dans l’attente ! Assis seul sur un banc de pierre, à l’écart de tous, « l’angoisse au ventre », j’en pris enfin connaissance. Les premières lignes m’annonçaient le « retour de mon frère », rescapé sain et sauf de la tourmente. Ne pouvant de joie, retenir mes larmes, je lançais du fond du cœur l’exclamation : « Au moins un, qu’ils n’auront pas eu ! »
Lisant ensuite, l’angoisse de ma Mère à mon sujet, je m’empressais de la rassurer, sur mon état de santé « satisfaisante » et sur ma situation, que je pouvais déjà juger « privilégiée » ! L’acheminement du courrier, semblait bien établi. Nos lettres respectives, n’avaient mis que trois jours à parvenir à leur destinataire ! Aussi : à dater de ce jour, 15 juillet, mon moral fut au « zénith » et j’entamais le « compte à rebours », dans une totale sérénité, bien décidé, sans les moindres scrupules, à ménager ma situation et ma santé jusqu’à l’heure de sortie de ce « traquenard où l’on m’avait poussé »
Echelonnement du Calendrier
Sentant bien déjà, que le dénouement du conflit, n’était pas programmé pour le lendemain, patiemment, j’allais laisser se dérouler le calendrier, comptant les jours, les semaines, les mois et ensuite, les années qui devaient marquer l’enchaînement des événements !..
Arrivé au terme de l’année 1940, le « bastion de l’Angleterre » s’avérait imprenable pour le Reich ! Les seuls bombardements aériens de ses villes, ne faisaient apparaître aucun succès stratégique ! Passé le premier hiver nordique dans de bonnes conditions physiques, malgré les basses températures auxquelles, je n’étais pas accoutumé, arriva le printemps plus clément et avec lui, la date du 21 juin 1941, marquant sans préavis, l’attaque des troupes allemandes, contre l’union soviétique ! Ce fut l’extension de la guerre à l’Est !.
Le 7 décembre de cette même année, l’aviation japonaise, par surprise attaqua la base navale américaine de « Pearl - Harbor » ! Ce fut le déclenchement et l’extension du conflit dans le Pacifique et en Extrême Orient !
Arriva ainsi, l’année 1942, durant laquelle l’armée allemande « Afrikakorps », engagée en Afrique du Nord, maintenait les forces anglaises en difficulté, avant de subir elle même les premiers revers, marquant un retournement de situation dans cette zone du conflit !..
Cette même année, dans sa période de juillet, m’offrit un changement total de situation ! Déjà favorisé par le sort, contrairement à d’autres, sans soucis familiaux et travail peu pénible, organisé à ma guise dans ma profession, j’entrais dans les « grâces » de la propriétaire du domaine, ayant pour titre « baronne », qui dut faire appel à mes services dans les entretiens de sa demeure ! Elle avait à son propre service, une jeune fille de mon âge, avec laquelle, débutèrent très vite, des relations amicales, qui ne devaient pas tarder à s’amplifier et même se transformer en relations amoureuses et intimes !
Dès ces instants, mon temps de captivité et son compte à rebours, n’avaient plus d’importance ! Vivant là, ma première passion amoureuse, rien n’interrompit nos rencontres intimes, malgré les risques encourus, autant pour elle que pour moi-même. La sévérité du règlement allemand portant sur les relations des prisonniers avec les femmes allemandes, mentionnait « Streng Verboten » ( traduction : Strictement interdit ) ! C’était : « l’épée de Damoclès » suspendue sur nos têtes !..
L’amour, n’ayant ni frontières ni lois, ma captivité en fut atténuée, avec cependant, au bout du compte, la tristesse et le déchirement d’une séparation forcée par le déroulement des événements ( novembre 1944 ), entraînant le départ précipité de ma « compagne » avant l’arrivée des troupes soviétiques dans la région ! Pour l’instant, en cette fin d’année 1942, la « Croix Gammée » flottait sur tous les pays de l’Europe centrale et le peuple allemand, ne pouvait douter de la victoire !
Pour autant, tout n’était pas en situation de victoires sur le front de l’Est, où déjà, l’armée allemande piétinait dans les vastes plaines soviétiques. En ce deuxième hiver de campagne, Moscou n’était pas atteint, pas plus que Leningrad ! Le « général hiver », marquait déjà des points sur cette armée, mal préparée à l’affronter !
Année 1943, le 2 février, la 6me. armée allemande, capitulait devant Stalingrad, après des mois de combats meurtriers ! Ce fut le tournant de la guerre à l’Est et le début de l’interminable et terrible retraite jusqu’aux frontières du Reich !
Année 1944, le 6 juin « jour anniversaire de ma reddition », fut aussi le jour du débarquement des armées alliées sur les plages françaises de Normandie ! Le 20 juillet, ce fut l’attentat manqué contre Hitler, dans son quartier général de « Prusse-Orientale » ! Le lieu étant situé sur les limites du domaine dans lequel je me trouvais, j’entendis aux environs de 12 heures, l’explosion de la bombe prévue pour « supprimer le Maître du Reich » !
Le 25 août, j’apprenais la « libération de Paris », suivie au cours de ce même mois, par le débarquement de troupes françaises sur les côtes de Provence ! A dater de ces informations, sur tous les fronts du conflit, la « pieuvre nazie » perdait un à un ses « tentacules visqueux » ! Ainsi : le déroulement du film au cours des mois et des années, avec parfois de sombres perspectives, semblait tourner à mon avantage ! Déjà, les sombres perspectives, avaient été atténuées, par mes amours passionnés et qui se poursuivirent jusqu’en novembre de cette année 1944 !
Ma rencontre avec les « Cavaliers de l’Apocalypse »
Entrant dans la nouvelle année, avec à l’horizon « l’espoir », comment pouvais-je supposer, que d’autres risques encore me restaient à affronter ?.. Devant la menace de l’armée Rouge, ayant depuis quelques jours pénétré en Prusse-Orientale, l’autorité militaire allemande, décida l’évacuation du domaine, non seulement par les sujets allemands, mais aussi par les prisonniers français !
La date en fut fixée au 26 janvier, mettant sur la route de « l’exode », par une température de moins 25°, toute une cohorte de charrettes, de femmes, d’enfants, de vieillards et de français prisonniers, partis pour une destination inconnue ! J’avais ainsi, quitté ce lieu, dans lequel j’avais passé presque cinq années et où j’avais aussi, « paradoxalement » vécu le « premier amour de ma vie », terminé tel qu’il avait commencé, dans le « paradoxe » des événements, que ni l’un ni l’autre n’avions pu contrôler ni même prévoir !
Après cinq jours de marche forcée, sans repos, par chemins et routes encombrées de charrois de toute nature, ( même d’hommes et matériel militaire, traînant les signes de la débâcle ) tout un peuple était là, luttant contre la fatigue et le froid glacial ! S’ajoutait à cela : la mort d’enfants et de vieillards, qui étaient abandonnés sur le bord du chemin. Le sol, gelé à un mètre de profondeur, interdisait toute tentative de sépulture !
Dans cette fuite éperdue, sans destination précise, la lamentable cohorte, fut rattrapée par les « avant-gardes de cette armée Rouge », que j’avais espérée, la considérant « libératrice de ma captivité » ! Hélas : plus grand était l’espoir ! Et plus grande fut la déception ! Les « Tovaritskis » ( amis ), tant attendus, ne furent en réalité : que les « descendants en ligne directe des Huns, conduits : non pas, par Attila mais par Staline, leur Maître vénéré » !..
Avec son approbation, « ces hommes, venus d’un autre siècle », déferlaient sur l’Europe, avides de razzias, de pillages, de viols et de terre brûlée ! Ils usaient pour cela, de la mort au bout de leur mitraillette ! Dans cette furie déchaînée, ils n’épargnaient personne ! Tout être devant eux, était un ennemi, à dépouiller, à violer s’il était une femme, ( fille de 15 ans ou sexagénaire ) et pour assouvir leur « bestialité », à abattre !
Face à de tels « énergumènes » sortis du fin fond de la steppe, la seule tentative de survie, fut de lever les bras, en prononçant aussitôt les mots appris en russe : « Franzouzki, Tovaritsch » ! Malgré cela, l’un de ces hommes, « mongol aux yeux bridés et le nez aplati », pointant sur mon torse sa mitraillette, il me fit lui remettre ma montre bracelet, ainsi que ma bague chevalière ! « A aucun moment de ma captivité, je n’avais autant senti ma vie en danger » ! Vidant ensuite mon havresac dans la neige, qui depuis la nuit tombait à gros flocons, il fouilla avec avidité dans les affaires éparpillées, s’appropriant une glace, une boite en métal contenant mes objets de toilette, ainsi qu’un cadre de photos ! « Prise de guerre a t’il du dire ! Pour moi ce fut : risque de mort ! »
Durant ces instants à « hauts risques », j’assistais non loin de moi, aux scènes d’horreur commises par cette « soldatesque ». Les femmes de tous âges, violées à plusieurs individus et hurlant de terreur à la limite de la démence ! Les exécutions sommaires d’enfants et de vieillards, abattus à la mitraillette, avec les vociférations sauvages de : « germanskis ! germanskis ! » J’étais en présence, d’un de ces tableaux « dantesques peints par Goya » !
Ayant assisté à tout cela, j’imaginais plus tard, les « quatre cavaliers de l’Apocalypse » ayant déferlé sur le monde, tels que les décrit l’écrivain espagnol : « Blasco Ibanez » dans son ouvrage du même titre et relatant un épisode de la guerre en 1914 ! Le premier, montré en « Légionnaire, brandissant son glaive maculé de sang » ! Le second, en « Archer, avec son arbalète, lançant ses flèches contaminées propageant la peste » ! Le troisième, en « Avare hirsute et répugnant, avec son fléau de la balance, distribuant plus de famine que de pain » ! Le quatrième, en « Squelette au galop sur sa monture décharnée, brandissant sur son passage, sa large faux semant la mort » !
« La guerre ! La peste ! La famine ! La mort ! » Tout y était rassemblé là, en cette journée du 31 janvier ! Aussi : par quel miracle ais-je été épargné ? Un simple geste mal interprété par l’un de ces « Mongols » avides de tueries et je tombais sous la rafale de sa mitraillette ! Tel fut hélas le cas pour un grand nombre de français qui, comme moi-même attendions depuis cinq années ce moment de la libération par ceux que nous considérions nos « Amis » !
« Après la Peste Noire ! Le Choléra Rouge »
Après de tels actes, l’opinion prestigieuse que je m’étais faite sur « l’armée Rouge », dans sa capacité à vaincre « l’armée allemande », tomba d’un seul coup dans les « abysses », pour ne plus refaire surface ! Pour plus de certitude, je ne tardais d’ailleurs pas, à découvrir dans cette armée, l’importante aide matérielle Américaine, qui sans aucun doute avait largement contribué à ses succès de reconquêtes, après des mois de défaillances ! J’imaginais alors : « Roosevelt disant à Staline : j’apporte le couvert et tu apportes la viande ! »
Dans l’immédiat, confronté à une telle situation, me vint ainsi qu’à mes camarades, la question : « Quel allait être notre devenir ? Libérés d’un coté, était-je et étions-nous prisonniers de l’autre ? » Ce fut un officier, de type européen, s’exprimant assez bien en français, qui nous laissa quelques espoirs !
Observant en premier lieu ( et sans étonnement ), le tableau apocalyptique laissé par ses hommes, il nous déclara : « libérés des Allemands ! »
A la question : que devions nous faire ? Il nous indiqua le lieu de rassemblement, à savoir : la ville de « Sulinkemen », qu’il situa sur sa carte, à la frontière « Lituanienne », soit à environ 50 kilomètres du lieu où nous nous trouvions ! Autre question : par quels moyens atteindre cette ville ? Réponse : par vos propres moyens ! « Autrement dit : à pied ! »
Nouvelle question : moyens de ravitaillement ? Réponse : à se procurer sur le terrain ! Autrement dit : « après la razzia de cette armée : rien ! » Nantis de ces renseignements « réconfortants », route à suivre : direction Nord-Est ! Par : chemins enneigés, défoncés et jonchez de matériel militaire de toute sorte, ainsi que de cadavres, soldats russes et allemands, ces derniers entièrement détroussés et même pour certains, mâchoires fracassées pour extraction des dents en or !
Les villages, bourgs ou hameaux traversés, n’offraient que le spectacle d’habitations incendiées après pillage, habitants pendus ou fusillés, cadavres de femmes à demi dévêtues, parfois même, jambes écartées et un manche d’outil ou un goulot de bouteille enfoncé dans le sexe ! Ruines, incendies, pillages, viols et meurtres, telle était l’œuvre de cette « armée Rouge en pays conquis » !
Parti, avec mon groupe, le 31 janvier dans l’après-midi, à travers un paysage dévasté où les seuls êtres vivants étaient les corbeaux s’abattant par vols entiers sur les cadavres « congelés » par le froid ( moins 25° ), avec pour tout ravitaillement, quelques patates et betteraves trouvées ça et là, non gelées dans des silos, parfois une poule ou un lapin égaré, cerné à plusieurs et abattu à l’aide d’une pelle, bivouaquant la nuit dans des ruines, couchant parfois sur de la paille échappée des incendies, le groupe dont j’étais, arriva le 3 mars dans la ville indiquée au départ. Au cours de ce périple, le seul avantage à noter, fut la possibilité de pouvoir faire du feu la nuit dans les lieux de « camp ». Le bois était à discrétion et miraculeusement certains parmi nous avaient pu sauver leur briquet du pillage !
Arrivé là, amaigri et fatigué après des jours et des nuits, sans alimentation normale et souvent sans sommeil, je constatais, comme mes camarades, que le lieu, était bien le « centre de rassemblement » de tous ces français « libérés », dans cette région de la « Prusse-Orientale » ! C’était aussi, le centre de concentration de l’armé pour ce secteur du front, sur lequel flottait le « drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau » !
Nul doute ! C’était le début de mon « séjour chez les Soviets » et qui devait prendre fin : le 6 juin 1945 ( jour anniversaire de ma captivité ) ! En attendant : « libéré du nazisme », j’étais soumis : « aux décisions du bolchevisme » ! Autrement dit : j’avais quitté « la peste noire » pour trouver : « le choléra rouge » ! Dans l’aide américaine déjà constatée, même l’alimentation distribuée, était estampillée : « made in U.S.A. » ( viandes en boites et grains d’orge ou de sorgho à cuire ) ! Seul, le pain était de fabrication russe, « d’ailleurs noir, aigre et infect » !..
Embarqué par train, le 26 mars, sans destination déterminée, le voyage prit fin à « Vilno », (capitale de la Lituanie), où mon séjour dura jusqu’au 11 mai, dans un lieu de « rassemblement », sous surveillance soviétique, ( presque un camp d’internement, pour ces « franzouskis » libérés ).
Durant cette période, je fus soumis au « matraquage » quotidien vantant l’idéologie « communiste et la gloire de l’armée Rouge », sur laquelle, mon opinion était déjà faite ! Il en fut de même pour l’idéologie communiste, sur laquelle je m’étais déjà faite une idée du « paradis soviétique » !
La guerre n’étant pas terminée, j’appris là, le 26 avril la jonction sur l’Elbe, des troupes américaines et soviétiques ! Le 30 avril, la mort par suicide de Hitler ! Le 4 mai, l’arrivée des troupes françaises à « Berchtesgaden » ( le Nid d’Aigle ) sur lequel flottait à présent, le drapeau tricolore ! Les 7 et 8 mai, tombait enfin l’annonce de la capitulation des armées allemandes, « signée successivement à Strasbourg d’abord, à Berlin ensuite ! »
Oui ! Cette guerre était enfin terminée ! Mais : qu’en était-il de ma libération, sinon même de mon obscure situation, depuis le 31 janvier, où je me trouvais pris dans le « régime soviétique », sans issue apparente ?
Pour qu’apparut enfin un éclaircissement, je dus attendre jusqu’au 11 mai mon départ par train avec destination « Odessa » ! Distance : environ 1200 kilomètres, via « Minsk et Kiev » ! Arrivée dans le port de la mer Noire, le 14 mai dans la matinée ! Débarqué là, je fixais la ligne d’horizon sur l’étendue des flots, au-delà de laquelle, je devinais « Marseille, la France et ma ville de Castres » ! Il restait encore pour cela, l’attente du navire qui devait m’y conduire !..
Dans cette attente, un premier navire de rapatriement, arrivé le 2 juin, ne fut destiné qu’aux hommes : malades aux blessés et aux déficients, qui se trouvaient là, en très grand nombre, victimes non seulement d’une longue captivité, mais aussi pour certains, des mauvais traitements infligés par nos « libérateurs », qui dans de nombreux cas, ne firent aucune différence entre : « germanskis et franzouskis » !..
Comme tant d’autres dans mon cas, je dus attendre le prochain navire, qui fut annoncé le 5 juin ! Après de longues manœuvres avant les amarrages à quai, je prenais pied à bord, le lendemain 6 juin ( cinq années, jour pour jour après ma captivité ) !
Foulant le « sol anglais » de ce grand navire ( trois ponts) avec pour nom : « Harawah », je me sentais déjà, avec satisfaction, sorti du « danger soviétique », qui disposait de moi, depuis le 31 janvier ! Quittant sans regrets, ce port d’Odessa, où m’avait conduit le destin, je débarquais à Marseille le 14 juin !
Après les formalités de rapatriement accomplies, auprès des autorités françaises, et envoi d’un télégramme à l’adresse des miens, « suis à Marseille stop ! Arrive demain stop ! » je descendais du train en gare de Castres, le 15 juin, pour être enserré dans l’étreinte des bras de ma Mère, après cinq longues années d’absence et d’incertitudes qui se lamentait de mon état d’amaigrissement et de la perte avancée de mon « opulente chevelure », ce à quoi, je lui rétorquais : « il fallait bien leur laisser quelque chose ! »
C’était la fin des années noires ! Le long voyage prédit sept ans auparavant par ma « cartomancienne », était terminé ! J’avais fait le tour de l’Europe, découvert d’autres pays et rencontré d’autres peuples ! Parti : « conscrit, inexpérimenté et naïf » en novembre 1938, je revenais « un homme mûr et endurci » en juin 1945 !..
Dans les difficultés, les risques surmontés, les épreuves endurées et les expériences acquises, il n’en restait pas moins :
« Que l’on m’avait volé les sept meilleures années de ma jeunesse ! »
J’allais, avec toute mon énergie et ma persévérance, tout faire pour les rattraper !.
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5 - Réintroduction dans la Société
Une France nouvelle
De retour après ces années d’épreuves imposées, j’estimais avoir ainsi, suffisamment payé, pour être ce « citoyen français », dont j’avais volontairement demandé le titre ! Aussi : j’entendais bien à présent : « en revendiquer et faire valoir tous mes droits » !..
Dans l’immédiat, je me retrouvais dans une « nouvelle France » ayant du mal à sortir de la tourmente qu’elle avait été incapable d’éviter en mai et juin 1940 et dans laquelle apparaissait encore un certain désarroi, malgré les airs de victoires revendiquées ! C’est ainsi, que j’y entendais parler : « du collaborateur » qu’il fallait condamner ! Et : « du résistant » qu’il fallait glorifier !
Ayant été témoin et victime de la « mémorable et honteuse défaite », j’avais beaucoup de mal à discerner : « ce collaborateur et ce résistant » ! Je les voyais très certainement, l’un et l’autre, cinq ans auparavant, dans la même panique, fuyant sans arme, devant l’arrivée du « boche », avant même de l’avoir vu !..
Je découvrais aussi : ces tribunaux d’exception « tribunaux du peuple », que je comparais à ceux qui se trouvaient relatés dans mes livres scolaires d’histoire au temps de la « terreur », avec leurs jugements expéditifs et les exécutions sommaires ! En parallèle de cela : se déroulaient aussi, d’autres procès, instruits par des juges, chargés de condamner les hommes ayant participé au « gouvernement de Vichy » !
Parmi eux, se trouvait dans le prétoire des accusés, celui qui avec courage et abnégation, avait mis fin à la « catastrophe et à la débâcle générale », mettant ainsi un « palier momentané » aux malheurs du pays ! Il avait eu pour cela : le soutien et l’approbation de la quasi-totalité des français désemparés par la situation du moment ! Condamné à la peine de mort pour « haute trahison », il en fut gracié pour son grand âge, assigné à résidence et destitué de tous ses droits civiques et militaires ! Nombre d’autres, condamnés à mort, furent exécutés, tombant sous les balles des pelotons d’exécution ! En justification de tout cela, pour moi excessif, on me rétorquait : « Le pays fait le nettoyage ! »
Au constat, de cette situation « délétère », je me prenais à réfléchir, pour en conclure, le « bien fondé » qu’avait été pour moi : « cette absence imposée » loin du pays, m’évitant ainsi, dans cette « France vaincue et occupée par l’ennemi », d’avoir été mis devant ce choix qui s’imposait : « résistant ou collaborateur ? » Convaincu de « trahison d’un coté et mensonges de l’autre », témoin « des abandons et fuite devant l’ennemi », écœuré par une telle « débâcle », je me posais la question : « Quel aurait été mon camp ? » J’avoue, qu’aujourd’hui encore je n’en ai pas la réponse !
Dans une totale indifférence, pour un tel contexte de situation, je m’abstenais simplement, de « juger l’un ou l’autre », ne gardant dans mon esprit : « que ces sept années que l’on m’avait volées ! », et les moyens à mettre en œuvre pour les « récupérer » ! Dans ce seul but, après quelques semaines d’orientation et aussi, de repos imposé par ma Mère, mon physique rétabli par ses soins, je décidais de me remettre au travail !
L’entreprise fondée par mon Père en 1937 et que j’avais quitté en 1938, dans un état encore embryonnaire, avait durant mes années d’absence, pris de l’extension ! En vue d’un nouveau départ dans l’économie nationale, pour une France à reconstruire en partie, il fallait se mettre : « dans la course » ! L’entreprise, jusqu’alors en nom personnel, fut constituée en société : « Père & Fils » dont je pris la gérance !
Occupé par le travail et les responsabilités, je n’en oubliais pas moins, « les années perdues de ma jeunesse » et avec elles : perdu aussi : mes « libertés et mes plaisirs » ! Je n’en gardais pas moins aussi : « le souvenir et la nostalgie de mes premières amours, restées où en Allemagne ? Perdues dans la tourmente et dans la nuit des temps ! ». En présence de ces souvenirs et gardant cette nostalgie, malgré mon âge « 28 ans », je n’aspirais pas au mariage ! Les contacts et les fréquentations féminines, restaient sans suite !
Avançant ainsi, dans l’âge et dans le célibat, « je consommais mes jours et je brûlais mes nuits », dans des plaisirs éphémères ! J’entrais ainsi, dans l’année 1953 avec mes 36 ans ! A vouloir fonder un foyer, il était temps de « changer de cap ! »
Le Couple et la Famille
Trouver la compagne « digne à mes yeux » pour instaurer le couple et fonder une famille, telle fut dès ce moment, l’idée à poursuivre. Aussi : après quelques rencontres et tentatives jugées négatives, arriva le moment du choix, qui devait créer cette union et avec elle, le foyer familial ! Elle a pour prénom : « Marie-Antoinette » et pour nom de famille : « Gayraud » ! en cette année de rencontre, elle est âgée de 24 ans « 12 années d’écart nous séparent » ! Elle est la fille cadette de quatre enfants « un garçon et trois filles » !
Originaire de « Murat sur Vèbre », gros bourg de montagne situé à 60 kilomètres de ma ville de « Castres », elle y est issue d’une famille honorable ! Son Père y exerce la profession d’horloger lunetier, l’un de ses oncles y a exercé la médecine, ainsi que les fonctions politiques de Maire de la commune et conseiller général du canton ! Un deuxième oncle entré dans les ordres, a été « missionnaire » en « Syrie », où il y a fondé le collège « Français de Damas » et où d’ailleurs, il est décédé et inhumé !
De telles origines « de terroir , avec même des Croisés pour ancêtres », comparées à celles de ma famille, d’origine étrangère exilée en France, auraient pu constituer une entrave à mon choix ! Après étalement de ma situation familiale et de ma situation personnelle, rien ne sembla faire obstacle à notre union ! « la tare d’espagnol imposées durant mon enfance, avait disparue » Décision mutuelle prise, ce fut la présentation de l’élue et de l’élu aux familles respectives ! Suivirent quelque mois de fréquentations régulières, pour en arriver aux fiançailles officielles, dans toutes les règles de « bienséance » ! Le mariage civil et religieux, fut célébré en grande cérémonie, dans son village, le « 8 juillet 1954 » !
J’étais dans ma 37me. année, mon épouse dans sa 25me année ! Le nouveau couple, à songer fonder une famille, ne devait pas s’attarder longtemps ! Ainsi orienté dans cette voie, le 13 juillet 1955, naquit un garçon, qui reçut le nom composé de : « Louis-Paul » ! Il fut suivi par son frère arrivé le 28 novembre 1958, avec le prénom de : « Philippe » ! Le couple réuni, avait constitué la famille ! Il lui restait à si consacrer !
Chef d’Entreprise et Père de Famille
Si tout allait pour le mieux au sein de mon foyer, il n’en fut pas de même dans les rapports avec mon Père, concernant la gestion de la société d’entreprise, dont j’étais le gérant en titre ! Parler de : « Bilans, Comptes d’exploitation, Investissements, Amortissements, Crédits bancaires » toutes ces formules incontournables et à mettre en application, étaient pour lui, difficiles sinon même incompréhensibles à coordonner !
Malgré ses difficultés à s’adapter à la gestion comptable imposée dans les nouveaux statuts de l’entreprise, il était toujours flagrant dans son esprit, l’idée d’en avoir été le créateur et donc d’en prétendre à la « paternité », sinon à la gestion, dont il s’estimait « écarté » ! De fréquentes altercations rendant difficile sinon impossible les décisions à prendre, la rupture entre Père et Fils eut lieu au cours de l’année 1956 ! Sur les conseils du notaire et de l’expert comptable, la société fut dissoute et je pris seul en nom personnel, la direction de l’entreprise !
Mon Père, ayant négocié son départ, moyennant rachat de ses parts en paiement : « partie immédiate et partie en rente à vie, il était alors âgé de 60 ans », je me trouvais dès lors, dans cette nouvelle formule, en difficultés de trésorerie, à négocier sans cesse avec les banques, moyennant frais de crédits et agios de découverts de comptes ! Les techniques de travaux, évoluant rapidement dans le bâtiment, ajoutèrent à ces difficultés, les frais d’honoraires à payer aux bureaux d’études chargés des calculs dans les éléments de bétons armés et imposés dans les « cahiers des charges pour mise en œuvre » !
Je ne pouvais occulter alors, mes faibles capacités d’instruction, m’obligeant pour la gestion de l’entreprise, à faire appel, non seulement aux ingénieurs pour la technique, mais encore aux banques pour la trésorerie, avec les frais accumulés. Persévérant tout de même, je travaillais dans l’optimisme, pour le « bien-être de ma famille » ! Quoi qu’étant dans une époque différente avec un autre mode de vie, je ne voulais pas pour mes fils, de la rigueur ni des contraintes qui m’avaient été imposées au cours de mon enfance !
Dans cet état d’esprit, les difficultés et les soucis émanant de mon travail, restaient enfermés dans mon bureau à l’heure de le quitter ! Rien de cela, ne franchissait le seuil du logis familial ! Au sein de ce dernier, tout devait y être convivial et chaleureux ! Mon seul but dans le travail, était le « bien-être » pour mes deux fils et aussi, celui de leur Mère, qui dans la gestion du ménage, participait elle aussi à mes efforts et à l’effort commun, prenant en charge, l’éducation des enfants et la gestion budgétaire du foyer, « avec lequel souvent, elle devait jouer serré afin de joindre les bouts ! »
D’un commun accord, nos ambitions, étaient pour nos fils, l’accès à des études supérieures et dans ce but, rien ne leur fut refusé ! Loisirs, vacances et frais de scolarité furent mis à contribution ! Pris dans cette ambiance, à vouloir pour eux, ce que moi je n’avais pas eu, je poussais même, le moment venu à les suivre et à assister aux épreuves orales dans leurs concours d’accès aux grandes écoles ! « Ecole vétérinaire pour l’aîné : Louis-Paul en 1971 et école des Hautes Etudes Commerciales pour son frère Philippe en 1974 » !
Entre ces deux périodes, 1971 / 74, face aux difficultés croissantes dans la gestion de l’entreprise : « concurrence toujours plus forte et souvent déloyale, grosses créances perdues sur des clients défaillants », j’en décidais la clôture, par : « dépôt de Bilan » ! Afin de parer au pire, j’avais auparavant, constitué une société, avec pour but uniquement, la commercialisation sur plans, de logements individuels à construire en « sous-traitance et à livrer clef en main » !
Dégagée de la charge des enfants, absents du foyer, leur Mère entra dans l’activité de la société, prenant à charge, le contact avec les clients, ce dont elle s’acquittait parfaitement, « usant auprès d’eux, de ses intuitions féminine ,introduisant dans les entretiens, des questions sur les enfants et leur situation scolaire » pendant que de mon coté, j’assurais la gestion des réalisations avec les entreprises sous-traitantes ! Tout cela, donnait d’excellents résultats, sans comparaison avec les années précédentes ! Fort de cela, voyant venir mon âge de la retraite, j’en négociais la vente à un acquéreur, intéressé, suite à des annonces publiées dans les revues professionnelles !
Après négociation conclue et transfert de gestion, le dit acquéreur, s’avéra être un parfait escroc ! S’emparant à mon insu, de toute la trésorerie disponible dans les comptes bancaires, il disparut sans laisser d’adresse, mettant la société en liquidation ! Suite à mon dépôt de plainte auprès des tribunaux, pour escroquerie et abus de biens sociaux, les enquêteurs à ses trousses, ne parvinrent à l’identifier que cinq années après les faits !
Accusant cet échec à l’âge de 61 ans et démoralisé, j’en avais terminé avec l’espoir de poursuivre dans le Bâtiment ! Un de mes anciens clients, directeur d’une société privée, connaissant mes « quelques capacités », m’engagea en qualité de « cadre, avec le rôle d’agent technique », en charge du contrôle et surveillance des travaux, relevés topographiques dans les conduites d’alimentations d’eau et tracés de ces dernières !
Le Devoir Accompli
Avec les études supérieures terminées pour nos deux fils, j’estimais accomplie, la mission que je m’étais fixée, non sans mal, mais aussi, avec abandon de certains de mes propres plaisirs et que je pouvais récapituler !
Au retour de mes « années Noires », durant lesquelles, risques et privations furent de la partie, je m’étais promis rattrapage de ces « années volées » ! Mettant en œuvre mes actions de revanche, je poussais la porte de certains cercles mondains, y pratiquant l’équitation, avec concours hippiques et autres rencontres équestres ! Habillé du « Smoking », j’étais présent aux grandes soirées mondaines données dans la ville, pour diverses occasions y côtoyant sans les moindres complexes, même la haute société, savourant ainsi, ma revanche !
Attiré par les voyages, j’entrepris deux croisières en compagnie d’amis et amies, visitant les grandes villes et les capitales des pays méditerranéens et prenant part aux plaisirs de la vie à bord des paquebots, y côtoyant là aussi, sans les moindres complexes, le milieu mondain ! Entraîné dans la « soif de vivre sans bride », et dans le sillage de certains amis, je tentais aussi, l’aviation ! Inscrit dans le cercle de « l’aéro-club local », j’y prenais avec le moniteur, les cours de pilotage sur des appareils biplan et cela, dans le but d’obtenir le brevet de pilote sur avion de tourisme !
Après cinq heures de cours, je décollais seul sans intervention du moniteur aux commandes et j’en étais bientôt à la manœuvre d’atterrissage sans son concours, avant abandon de ces entraînements, par limitation de dépense et temps à consacrer à ma famille ! Jusque là, célibataire et disposant de l’argent nécessaire, je ne limitais pas mes dépenses !
« Adhésions aux différents clubs, Achat et entretien d’un cheval, Equipements en tenues vestimentaires, ( bottes, culotte, veste d’équitation, complet smoking pour les soirées mondaines, spencer blanc dans les croisières, pour les soirées à bord et repas à la table du commandant ), le tout confectionné sur mesure et par un tailleur couturier », Rien ne manquait à la panoplie du parfait fêtard en goguette, donnant libre cours à ses plaisirs et savourant le rattrapage des années perdues !..
Décidant du mariage, création d’un foyer et d’une famille, tout cela, n’était plus conciliable, non seulement par le manque de temps à y consacrer, mais aussi et surtout par le manque des moyens financiers, qui ne pouvaient plus être ainsi dilapidés en plaisirs personnels, mais à consacrer entièrement à la famille ! Sans regrets et par la force des choses, l’esprit fixé sur un autre but, je tournais donc la page et je « rentrais dans le rang » y trouvant d’autres satisfactions ! Quoi qu’il en fut : de tout ce temps passé, sans en garder la nostalgie, il m’en reste les souvenirs ! De plus, j’ai aussi la satisfaction d’avoir transmis à mes fils, la passion du sport équestre, qu’ils ont aussi pratiqué et qu’ils pratiquent encore dans les occasions propices !
L’heure de la Retraite
Avec les années écoulées, arriva le moment propice à récapituler le temps de mes activités ! Je débutais dans le travail, en 1931, à l’âge de 14 ans dans une entreprise de travaux publics aux cotés de mon Père ! 1934, toujours dans le Bâtiment je poursuivais mon apprentissage dans une entreprise locale et je secondais mon Père, qui avait créé sa propre entreprise, de 1937 à 1938 ! Passé les « années Noires », je repris l’activité, toujours dans la branche Bâtiment, en qualité de chef d’entreprise, de 1945 à 1975 ! Face aux circonstances déjà mentionnées à cette dernière date, je poursuivis mes activités dans une entreprise privée, jusqu’en 1982 !
« 65 ans ! La boucle était bouclée ! » A l’horloge du temps, l’heure de la « Retraite » avait sonné, m’ouvrant grande la porte d’entrée dans la « cohorte du troisième âge » ! N’étant ni fatigué ni malade, la situation « d’inactivité », m’était pénible, sinon même insupportable ! Ayant négocié les locaux « entrepôts et bureaux », dans lesquels j’avais exploité mon entreprise, je transférais mes accessoires et mon mobilier de travail, dans l’une des pièces libres du logement familial, d’où étaient absents les enfants !
Gardant ainsi, une partie du cadre de mes activités antérieures, je me posais cependant les questions reprises dans une chanson :
« Et maintenant ! Que vais-je faire ? »
« Et maintenant ! Que sera ma vie ? »
Je n’étais membre, d’aucune forme d’associations ! « Anciens élèves ? » Je n’étais issu d’aucun lycée encore moins d’une école supérieure ! « Anciens prisonniers de guerre ? » Je m’étais refusé à leur association ! « Anciens combattants ? » Je n’en avais retiré que la carte, me donnant droit à des abattements fiscaux et à en percevoir la « retraite, 2600 frcs.annuels » Autres formes : « Les cérémonies et commémorations anniversaires de victoires ? » Je n’ai gardé en souvenir : que la date du 6 juin 1940 où je reçus l’ordre par mes chefs, de « déposer les armes » devant l’ennemi ! Pour les victoires : « je n’y ais pas pris part ! » ( ce qui n’exclu pas mon respect pour ceux qui y ont participé et qui même s’y sont sacrifiés ). Rien de tout ce qui précède, n’était inscrit dans mes programmes et ne pouvait donc faire partie de mes occupations !
Je prêtais alors « bénévolement », mon concours à l’organisme : « Entente des générations pour l’emploi et l’entreprise », dépendant du ministère du travail, avec siège régional installé dans la préfecture du département, à Albi ! Les différentes réunions et rencontres de travail, me permettaient des contacts avec d’autres membres, retraités aussi, venant de plusieurs branches d’activité et soucieux comme moi, de ne pas sombrer encore dans cette « oisiveté », destructrice de l’homme ! Cette activité, devait durer pour moi : trois ans !
Restant dans la « nostalgie » de mes activités professionnelles, je profitais de l’occasion que me fournit mon fils « Philippe », dans ses projets de logement à Paris ! Reprenant la « table à dessin », je lui élaborais les plans définissant les transformations à réaliser dans l’appartement à aménager ! Ayant eu à traiter ainsi, deux appartements, avec plusieurs déplacements à Paris afin d’y suivre le déroulement des travaux, je reprenais ainsi contact avec cette profession qui fut la mienne !
En définitive, mes craintes à entrer dans cette nouvelle tranche de vie, s’estompaient dans le temps ! Bricolages de ci de là en menus travaux d’entretien, gestion de trois appartements en locations ! Entretien d’un assez grand jardin « d’agrément » ! Dans tout cela déjà je ne me voyais pas inactif, mais je découvrais encore un autre domaine où meubler mes loisirs !
Remettant à flot mes mémoires du temps passé et ayant retrouvé mes « carnets de route » relatant mes étapes à travers l’Europe, je décidais de mettre tout cela en écrit ! Il me fallut, pour cela n’avoir aucun complexe ! Aucune notion littéraire ! Médiocre en orthographe ! Pas de sens dans la ponctuation ! Nul en application de la syntaxe ! Incapable de faire aujourd’hui, une analyse grammaticale correcte ! Où dans ces conditions allais-je me fourvoyer ?..
Avec l’idée, de n’étaler cela que pour ma descendance, j’estimais ne courir aucun risque ! Ecrivant mes textes, en premier lieu, sur une machine à écrire, avec des corrections impossibles à effectuer le cas échéant, je tentais de m’initier à l’utilisation de l’ordinateur, pour lequel je n’avais aucune connaissance ! Avec quelques leçons d’initiation par des professionnels, je m’en sortis fort bien au bout de quelques jours, dans la formule qui m’intéressait, « le traitement de texte » !
Usant de ce nouveau moyen, me facilitant les corrections de textes et pouvant corriger les fautes d’orthographe ainsi que les ponctuations, j’ai ainsi écrit plusieurs ouvrages, basés sur un même thème, mais de manière différente !
Ils ont pour titres : « Ma traversée du Siècle »,en hommage à mes parents durant leurs années difficiles ! « Sept années volées à ma Jeunesse », relatant mes années noires ! « La déroute de l’invincible armée française », portant sur la débâcle de juin 1940 ! « Streng Verboten » titre en allemand, traduction : ( strictement interdit )Racontant mon aventure amoureuse en Allemagne ! « Bâtir ! La grande mutation au cours du Siècle », décrivant les immenses progrès dans cette branche du bâtiment ! « Au travers d’un Siècle d’événements », récit repris dans des ouvrages, de 1900 à 1999 ! « Quatre générations dans le Siècle », description généalogique, depuis mon Père et ma Mère, jusqu’à leurs arrières petits enfants ! Trois de ces ouvrages, ont leur site dans Internet : « Sept années volées, La Déroute et Streng Verboten » !..
Poursuite de la Vie : à Deux
Arrivé à ce stade « fatidique mais immuable » de la retraite en cette année 1982, me vint aussi en mémoire : « le compte à rebours » ! Depuis 10 ans déjà, les enfants avaient quitté le foyer ! En premier lieu, dans la poursuite de leurs études supérieures, ensuite : dans l’exercice de leur vie professionnelle ! Dans les deux cas, pour eux, l’heure de l’éloignement du foyer familial, avait sonné !
Avec la « nostalgie » des années passées en famille, et gardant « l’espoir » sur l’avenir, il fallut concevoir et organiser la « vie à deux » ! Dans la maison, où ne résonnait plus l’activité des enfants, la table de la salle à manger, s’est avérée trop grande ! Pour leur Mère, leur lit n’était plus à faire dans leur chambre et le désordre qu’ils y laissaient, n’était plus à ranger ! Dès lors : leur présence quotidienne, n’est plus marquée dans la maison, que par quelques photos encadrées, fixées aux murs ou posées sur un meuble, sinon sur une étagère !
Coïncident avec cette situation, les soucis quotidiens pour leur « bien-être » ou la réussite dans leurs études, ont aussi disparu, laissant encore place aux préoccupations sur leur avenir et celui de leurs enfants : « nos petits-fils », avec pour y faire face : des aides matérielles sinon financières, dans la mesure des moyens ! Difficile d’éviter parfois conflits et discordes, ( le plus souvent, toujours réconciliables ! )
A la réflexion : comment éviter et ne pas admettre, « les conflits des générations qui s’avèrent aussi normaux et parfois néfastes, que le nuage de grêle amené par l’orage ? » ! D’autre part : n’ayant fait pour chacun d’eux, que mon devoir de Père, je ne saurais en revendiquer la moindre « redevance », les laissant seuls juges de leur comportement envers celui et celle qui les ont élevés !
Ecrivant ces lignes, en novembre de l’an 2000, « le compte à rebours », marque à son cadran, pour le couple : 46 années de vie commune, à répartir : 18 années en charge des enfants et déjà : 28 années de vie à deux, avec la satisfaction mutuelle de la « mission accomplie », dans les devoirs de famille et la joie d’accueillir deux petits-enfants du coté de Louis-Paul, « Arthur et Marianne », dans la maison qui a vu naître et grandir leur Père !..
Matériellement, dans cette vie à deux, prestations de retraites et revenus immobiliers, « même modestes », s’avèrent suffisants à notre train de vie, organisé : sans « exubérances, mais aussi : sans restrictions » ! Intimement : le couple poursuit dans cet « amour conjugal », qui se manifesta dès le premier jour, voici 46 ans, s’étant maintenu sans failles et qui ne cesse de se renforcer, à mesure que s’écoule le temps !..
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Conclusion
Espérant, sinon persuadé, d’avoir tout au long de ma vie, accompli mon devoir : « de fils, d’action civique, de chef d’entreprise, de conjoint et de chef de famille », je ne clôturerai pas mon autobiographie, sans y relater : « une sortie de route », dont je me confesse suivant les règles de la liturgie : « Oui ! J’ai péché, en pensée, par action et par omission ! »
Attiré par des « sentiers tortueux », à la découverte de « paysages ensoleillés et mirifiques », je me suis pour un temps, « écarté de la ligne droite », au risque de me « déséquilibrer et de dévaler dans les éboulis bordant le chemin emprunté, avec toutes les conséquences possibles ! » Analysant les risques encourus, pour des plaisirs et des joies éphémères, abandonnant les « mirages », je repris la « grand-route », celle qui m’a toujours été tracée, conduisant à la morale, au devoir et à la prise en charge des responsabilités, quel qu’ait pu en être, le « poids de l’aveu et le prix de la confession ! »
Que puis-je encore écrire sur le récit de ma vie ? Sinon faire état de ma santé, depuis mon enfance à ce jour « novembre 2000 » ! Rien de préoccupant puis-je dire jusqu’ici ! Trois interventions cependant, m’ont amené sur le « billard », qui en définitive ne m’ont pas laissé de suites ! Juin 1980 : « opération du ménisque externe dans le genou gauche » ! Octobre 1984« opération d’une hernie inguinale du côté gauche » ! Décembre 1989 : « opération à la suite d’un décollement de rétine dans l’œil droit » !
Concernant mes facultés physiques, je bénéficie « correctement », de mes capacités visuelles et auditives, ainsi que de mes réflexes, ce qui me permet encore, la conduite automobile, « sans tentatives de performances et sans prises de risques » ! Adepte de « culture physique », j’en ai toujours pratiqué les différents exercices, sans autres méthodes, que la simple application en chambre et sans accessoires particuliers ! Marche à pied, « quatre à cinq kilomètres par jour » et vélo d’appartement, sont encore aujourd’hui, mes moyens d’exercices d’entretien physique, ainsi que les montées d’escaliers, « ignorant volontairement l’ascenseur » !
Sans pouvoir préjuger de l’avenir, reste posée la question :
« Tout cela, pour combien de temps encore ? »
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Pour Terminer
Dressant ici, le « Bilan de ma vie », je ne puis qu’y noter dans son résultat : « Rien de particulièrement négatif », même si certaines périodes ont présenté des risques ! Ayant franchi le siècle et étant à ce jour, à une « petite marche » du troisième millénaire, je note que : nombre de mes amis, « camarades de régiment et de captivité », n’ayant pas eu cette chance, arrivent à ce stade, infirmes ou malades ou même, ne sont plus de ce monde ! Partant de ce constat, toutes mes rétrospectives remettent en surface mes souvenirs !
Ainsi : plongeant dans mon enfance, j’y retrouve : « la marque de l’exilé », à cette époque déjà, pénible à assumer et en plus aggravée par mes difficultés d’élocution, s’ajoutant aux fréquents changements de lieux, le tout ayant porté préjudice à mon instruction, restée à l’état élémentaire !
Poursuivant dans mon adolescence, je ne puis en oublier : « l’épreuve imposée des années Noires », qui malgré tout, cette expérience vécue et les risques encourus, ont totalement transformé : « le naïf et l’inexpérimenté » que j’étais, en « homme mûr, endurci et décidé à affronter la vie » ! Entrant ainsi, dans la période à devoir assumer les charges, à la fois de « chef d’entreprise, de chef et Père de famille », je m’y suis totalement consacré ! Seul dans la première charge, mais avec l’aide de mon épouse, elle aussi, Mère de famille et totalement investie dans cette deuxième charge !
Avançant ainsi dans le temps, avec l’impression d’avoir accompli mes devoirs, arrivé dans cette période de la « retraite » et encore en « bonne forme physique », j’y appréhendais : « le spectre de l’oisiveté et de l’ennui », dans le triste décor d’une maison déjà vide des enfants ! Aujourd’hui, ayant chassé ce « spectre tant appréhendé », dans une entente et un parfait amour conjugal, c’est à deux que s’écoule le temps présent, avec pour chacun, la conviction d’avoir réussi l’œuvre entamée le 8 juillet 1954, par un « Oui » mutuel à devoir affronter la vie matrimoniale et à assumer la charge des enfants à venir !
Toutes missions accomplies, dans ce « train de la vie », où je pris place le 8 octobre 1917, me vient la question : Quelle distance me reste-t-il aujourd’hui à parcourir, jusqu’à l’arrivée à cette station, à laquelle, tout être doit se rendre un jour, sans billet de retour et marquée sur son fronton du mot : « Terminus ? »
Avec l’aide soutenue, que Dieu m’a apporté depuis ma venue au monde et pour terminer : à cette question, Lui seul en a la réponse !..
Décembre 2000
Table
N° Chapitres Page
Préambule ----------------------------------------------------------------------------1
1 - Naissance et Origines --------------------------------------------------------------- 3
2 - Le temps de mon Enfance ---------------------------------------------------------- 8
3 - Le temps de mon Adolescence ------------------------------------------------------34
4 - Les années Noires ------------------------------------------------------------------ 42
5 - Réintégration dans la Société ------------------------------------------------------ 58
Conclusion ------------------------------------------------------------------------- 67
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Etymologie des noms de famille
SUAREZ : Nom Castillan ( suffixe de filiation – ez )
Du nom de baptême SUERO
Anthroponyme d’origine Germanique, latinisé SUERIUS
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SOTO : Nom de famille Espagnol ;
C’est un toponyme issu du latin SALTUS, qui pouvait avoir deux sens :
Soit une gorge, un défilé, soit un lieu boisé.
Forme Portugaise : SOUTO
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