Paroles de Femmes
ma mère m’avait dit qu’une femme était faite pour rester à la maison...
Mme Huguette Henry
Vous pouvez vous procurer l’intégralité des témoignages de femmes dans l’ouvrage réalisé par Frédéric Praud. Il est disponible sous sa version PDF à cette adresse internet : http://www.lettresetmemoires.net/vie-et-acquis-quotidiens-femmes-au-20eme-siecle-exprime-par-ainees-parisiennes.htm
Je suis née en 1923 en banlieue parisienne… Ma mère ne travaillait pas à ma naissance mais elle a été obligée de travailler comme coiffeuse dès son divorce. Elle a appris son métier toute seule. J’avais alors 4 ans et ma sœur six ans. La famille paternelle a mal pris ce divorce et ma mère fut un peu mise à l’écart. Ma grand-mère maternelle nous a gardés, nous a élevés pendant que ma mère travaillait.
Mon père n’a jamais versé de pension alimentaire pour ses deux enfants. Il avait disparu dans la nature. La loi existait mais n’était pas appliquée. Ma mère l’avait fait rechercher par la police, elle l’a retrouvé, mais il n’a jamais été contraint à verser la pension… Ma mère n’avait pas choisi son fiancé devenu ensuite son mari. On lui a présenté celui-là et, ne voulant pas rester à la campagne, elle l’a pris. Elle l’a épousé parce qu’il fallait se marier. Ma grand-mère avait vu son mari deux fois avant de l’épouser.
La vie étant difficile. Je me mets à travailler comme manucure jusqu’à l’âge de 20 ans. Mon souhait était de me marier. Je me marie avec un Roumain en 1953 et arrête immédiatement de travailler car j’ai aussitôt un enfant. On ne trouvait pas de crèche. J’ai donc élevé mon enfant. C’était mon désir. Je me suis mariée enceinte. Je n’aurais pas eu d’enfant en tant que mère célibataire. Je ne me sentais pas la force d’élever un enfant seule… J’ai eu un fils et une fille 13 mois après.
Je voulais être femme au foyer. Je tenais à rester chez moi, à tenir mon intérieur. J’ai totalement assumé ce statut mais j’étais soumise à mon mari. Je n’ai jamais cherché à savoir ce qu’il faisait dans ses commerces. Il sortait avec des amis le matin et revenait le soir, quand il le voulait ou pas du tout.
Il fallait l’autorisation du mari pour ouvrir un compte en banque. Il me l’a proposé. Il alimentait mensuellement mon compte, mais je n’ai jamais eu la signature sur son compte. Je le vivais comme ça, normalement.
Il ne voulait pas que je travaille. Cela aurait dérogé à sa position sociale de chef d’entreprise. J’ai quand même fini par travailler deux jours par semaine comme manucure chez un coiffeur du quartier qui me l’avait proposé, mais il ne fallait pas que ça se sache… Tout ça au moment où mes enfants sont allés au collège à 12/13 ans. Ce petit salaire me servait à m’habiller. Je recevais les allocations familiales mais mon mari me les retirait de la somme mensuelle qui m’était allouée.
L’évolution des lois et des mœurs m’a amenée à réfléchir sur ma situation. Les femmes se mettaient de plus en plus à travailler. Parmi mes relations, toutes les femmes étaient comme moi et le nombre de divorcées augmentait…
J’ai été patiente. Je me disais, "tu ne travailles pas depuis 25 ans, qu’est ce que tu vas faire ». Et je n’avais pas d’endroit où aller… J’ai divorcé à 57 ans après 27 ans de vie commune. Je suis partie de ma maison avec une valise pour aller chez ma mère. J’ai dû travailler immédiatement. J’ai trouvé une annonce dans un journal et heureusement la personne n’a pas regardé mon âge pour m’embaucher mais ce que je savais faire. Dans ce métier-là (manucure) on fait plus confiance dans une femme de 57 ans que dans une gamine de 20 ans. Comme je n’étais pas au courant des affaires de mon mari, et les impôts ont prélevé des sommes sur mes salaires pour payer ses dettes.
Mon fils avait plus de liberté avec son père que ma fille. Elle devait rentrer. Il n’était pas question qu’elle reste dehors ! Son père était très machiste. Je voulais qu’ils fassent des études pour avoir une situation.
Un jour, j’ai expliqué à mon fils et à ma fille comment on faisait les enfants. Je n’avais jamais discuté de ça avec ma mère. Ma grand-mère ne voulait pas qu’on en parle, c’était sale. J’ai expliqué à ma fille que si elle voulait prendre la pilule un jour, il fallait qu’elle me le dise et je l’amènerai chez un médecin.
Ma mère m’avait dit qu’une femme était faite pour rester à la maison, être une femme au foyer. J’ai dit à ma fille qu’il fallait qu’elle travaille en classe en lui précisant : " Tu continueras à travailler même si ton mari a une bonne situation pour assumer ton indépendance ! » Je lui avais dit que je l’aiderais si elle voulait prendre la pilule. Je voulais qu’elle soit indépendante, qu’elle ne dépende pas d’un mari. Elle a participé aux mouvements féministes de 68. Elle était étudiante. Je la soutenais. J’ai ensuite profité de ce qu’elles ont gagné quand j’ai divorcé…
Vous pouvez vous procurer l’intégralité des témoignages de femmes dans l’ouvrage réalisé par Frédéric Praud. Il est disponible sous sa version PDF à cette adresse internet : http://www.lettresetmemoires.net/vie-et-acquis-quotidiens-femmes-au-20eme-siecle-exprime-par-ainees-parisiennes.htm