SOGNOLLES - village rural
MADAME LUCIENNE RENEE GOYOT, née en 1926
MADAME GOYOT LUCIENNE RENEE
Je suis née en 1926 à Sognolles dans une famille d’agriculteur. Nous étions trois enfants, j’avais deux frères.
L’école
On ne remarquait pas les choses quand on était enfant. On commençait l’école, alors mixte, à cinq ans. De cinq à treize ans, les élèves étaient complètement mélangés. La discipline était plus sévère qu’aujourd’hui. Le matin, l’instituteur regardait nos mains pour voir si elles étaient propres. Dans le cas contraire, on subissait une petite punition. On débutait la journée de classe par une leçon de morale, pour tous les élèves : une phrase était écrite au tableau. Après on étudiait le calcul, l’histoire ou la géographie… Dans la cour de récréation, les enfants jouaient tous ensemble.
Chez moi, mes parents ne marquaient pas de différence entre l’éducation des filles et celle des garçons.
Répartition des tâches à la ferme
Les femmes dans les fermes s’occupaient des tâches ménagères et des vaches. Chez nous, jamais aucun homme n’a trait les vaches. Ils s’occupaient des chevaux et des travaux des champs.
Les femmes allaient également travailler dans les champs pour les chardons, les foins… Les enfants petits ne faisaient pas grand-chose sinon apprendre déjà à travailler.
Je n’ai jamais pensé à exercer un autre métier. C’était ma vie, c’était normal. L’instituteur poussait certains à poursuivre leurs études, ceux qui avaient des capacités. Ainsi, une camarade est devenue institutrice, la fille d’agriculteurs voisins de mes parents.
Sognolles
Sognolles était un village d’agriculteurs. Mais, il comportait également beaucoup de petits commerces : deux épiceries, deux cafés, un boulanger, un menuisier, deux maçons, un marchand de vins en gros, un maréchal-ferrant, etc.
Il y avait eu beaucoup plus de vignes mais je ne les ai pas connues. Gautier cultivait la vigne. Mon frère en avait également planté. Les hommes se rencontraient surtout au café. Nous n’avons jamais fait de veillées. Quand on cassait les noix pour faire de l’huile, le travail se passait en famille. Nous amenions les noix et l’oeillette dans une huilerie à Thénizy, chez Delettre. L’oeillette est une forme de pavot, un coquelicot qui n’est aujourd’hui plus utilisé pour faire de l’huile. Beaucoup était planté dans l’Aube pour la pharmacie. A l’époque, on n’avait pas beaucoup de rendement. Nous étions satisfait quand on en récoltait cent kilos…
Une fête se déroulait deux fois par an au village, au mois de mai et au moment de Noël avec des manèges, des vrais chevaux de bois, une confiserie, un bal… On se rendait également aux fêtes dans les villages alentour.
J’étais adolescente en 1939 et pendant la guerre, les bals étaient interdits.
J’ai commencé à aller au cinéma vers quatorze ans. A l’époque, un cinéma ambulant venait à Sognolles mais on n’allait pas au cinéma chez nous. Mes camarades à l’école y étaient tous allés et pas moi. Cela me faisait envie.
Mon père et mon grand-père possédaient une voiture. C’était rare. Elle n’a pas été réquisitionnée. Mon père a toujours roulé avec. Il fallait un laissez-passer pour pouvoir circuler. Avec la voiture, il allait à Provins et à Montereau pour pouvoir ravitailler les épicières pendant la guerre. Cela a duré plusieurs années.
Les docteurs résidaient à Donnemarie. Il y en avait deux pour tout le canton. Il fallait vraiment être malade pour aller chez le médecin. Je ne me souviens pas avoir vu le médecin autrement que pour la varicelle ou la rougeole quand j’étais petite. Le docteur Debert était le médecin de famille de mes parents.
Il y avait un curé à Mons et plus tard, à Cessoy. La religion n’était pas essentielle. On nous baptisait, on faisait notre communion et puis c’était tout. Seules quelques familles étaient très croyantes.
Déclaration de guerre
Aucun homme de ma famille n’a été appelé à l’armée au début de la guerre. Mon père était né en 1898. Mon frère, Roger, commençait à travailler. Notre charretier a, par contre, été mobilisé. Avant la débâcle, la guerre n’avait pas de conséquence sur notre vie… J’ai arrêté l’école en juin 1939 après le certificat d’études.
L’exode
L’exode a commencé vers fin avril, début mai pour les gens de l’Est. Nous avons vu des gens évacuer vers ici. Une famille est restée trois ou quatre semaines chez nous. Nous sommes partis début juin ; cette famille de l’Aine était bien repartie une semaine avant nous. Ils étaient une dizaine : des femmes et des enfants (mais pas de notre âge) avec le grand-père car les hommes plus jeunes étaient mobilisés. Ils étaient arrivés avec les chariots et des tombereaux. Ils étaient agriculteurs. Ils avaient atterri chez nous par hasard, ou peut-être les dirigeait-on dans les mairies. De toutes façons, ils étaient obligés de rester dans les fermes avec leurs chevaux. Ils logeaient dans des bâtiments inutilisés. Ils se débrouillaient. Ils ne vivaient pas avec nous mais prenaient ce dont ils avaient besoins. Ils sont partis quand la débâcle a vraiment commencé.
Mon père est un jour parti à Donnemarie pour faire une course. Arrivé là, il ne restait plus personne, même pas les gendarmes. Il a décidé qu’il fallait que nous partions. D’autres avaient déjà fui. Nous avons quitté Sognolles dans le milieu de l’après-midi avec les chevaux, deux voitures, des charrettes, les sacs d’avoine, la literie… Nous partions comme des troupeaux de moutons.
Nous sommes partis avec une autre famille, des gens qui venaient travailler chez nous. Nous étions bien quatorze en tout avec les deux charrettes et les quatre chevaux. Nous voulions aller dans l’Yonne chez une sœur de mon père. Mais, nous avons été détournés. Il y avait tellement de monde sur les routes, sans compter les bombardements !
Nous sommes parvenus à Serbonne. Les Allemands étaient là. D’où venaient-ils ? Nous étions vraiment déboussolés à cause des mitraillages et des bombardements. Heureusement, personne n’a été blessé. Il n’y a pas eu d’incident. Nous ne sommes restés qu’une journée sur la route. L’exode n’a duré qu’une semaine. Il nous a alors fallu retraverser la Seine pour rentrer mais il n’y avait plus de pont. Mon frère m’a dit que nous avions pris un bac, mais je ne m’en souviens pas.
Mon père avait ramené les grands-mères la veille. Il possédait une automobile, une C4. Il paraît que c’était un chantier épouvantable à la maison, à notre retour, à cause des chapardages. Mais, nous n’avons pas eu de grosses surprises grâce à des gens du village qui étaient restés pour surveiller. Nous avions laissé les vaches à l’étable. Une voisine venait les traire et M. Loiseau les soignait. Il nous a raconté le drame du soldat inconnu, l’homme qui avait été fusillé par les allemands.
L’occupation
Les Allemands sont arrivés peu de temps après notre retour. Ils sont restés deux ou trois mois. La troupe s’est installée dans le village. Nous n’avons pas eu d’Allemand à la ferme. Par contre, ils avaient établi leur cuisine, leur roulante, chez ma grand-mère, dans la cour. Ils ont toujours été très corrects. Elle n’a jamais eu à se plaindre d’eux. Comme ils avaient des chevaux, ils achetaient du foin mais en volaient également… Ils faisaient des exercices ou je ne sais pas quoi.
Certains hommes de Sognolles ont été prisonniers à Meaux. Il était possible de les faire sortir des camps à condition de dire qu’ils avaient des emplois tel que cantonnier, par exemple. L’instituteur M. Dumont est resté prisonnier pendant tout le temps de la guerre.
Mon frère était né en 1924, il n’a pas été appelé au STO.
La guerre
Quand les Allemands sont partis, la vie normale a repris. A la campagne, on n’a jamais manqué de rien. Dans les bourgs, il n’y avait alors pas de pelouse mais des champs de pommes de terre. Même les gens qui n’avaient jamais rien cultivé se sont mis à plante leurs légumes, à élever des lapins et des poules.
Des Parisiens venaient chercher de la nourriture, ceux qui avaient de la famille ou des amis. Des familles du pays auparavant parties pour travailler sur Paris revenaient chez nous. Nous faisions un peu de troc car nous avions besoin de vêtements. On rendait un service pour un autre service.
Les hivers ont été rudes mais nous n’en avons pas plus souffert qu’avant. Il y avait beaucoup de neige l’hiver. Quand on allait à l’école, le cantonnier traçait un petit passage dans la neige en passant le traîneau avec les chevaux pour nous permettre de circuler.
La résistance, les parachutages
On était au courant de la Résistance et des parachutages parce que les gens parlaient. Ce qui s’est d’ailleurs produit à Donnemarie c’est parce que les gens ont parlé… Nous connaissions les résistants. Certains venaient chez nous pour essayer d’avoir de la nourriture mais ce n’étaient pas des gens du pays. On savait, je ne sais pas comment, mais on savait. Personne ne disait rien. Il y avait une unité dans le village.
On savait pour le boulanger de Sognolles. Il faisait des tournées à Lysines, à Savins,… C’était un homme normal. Il était impossible de soupçonner qu’il transportait des armes ou des choses comme ça. On a appris qu’il était résistant mais on ne savait pas précisément ce qu’il faisait. On l’a vraiment su au moment des coups durs. Un gars qui voyageait avec lui a été fusillé vers Meaux. Il avait besoin de beaucoup de farine pour faire du pain car il ravitaillait les résistants. Beaucoup de gens s’occupaient de la Résistance et essayaient de savoir. Mais, il n’y a jamais eu de problème avec la police allemande. Tout le monde savait tout sur tout le monde dans le village mais personne ne disait rien.
Mariage pendant la guerre
Je me suis mariée en 1944. Il n’y avait que la famille. Nous n’avons pas vraiment fait une noce. Mes parents n’étaient pas trop d’accord et mes beaux-parents presque moins… Je n’étais pas majeure mais ils ont dit oui quand même. Entre Cessoy où habitait mon mari et Sognolles, il n’y a que trois kilomètres… Je connaissais mon mari. Nous allions au cinéma à Donnemarie tous les dimanches soir. C’était notre sortie avec un bal de temps en temps. Aux bals clandestins, ne venaient d’une dizaine de personnes (l’équivalent de deux villages ensemble). Nous n’y étions pas quand il y a eu le fameux accident à Savins, l’effondrement du grenier mais, une jeune fille de Sognolles a eu un petit bobo.
Situation familiale
Je me suis mariée à Sognolles. En général, le mariage se passait chez la fille. Il n’y a pas eu de bal car c’était encore la guerre en mai 1944. Mon mari, né en 1920, était agriculteur chez ses parents. Il a travaillé chez ses parents jusqu’en 1950 où il s’est mis à son compte quand son père est décédé. Il avait une sœur avec laquelle il a fallu s’arranger. Sa ferme était plus petite que chez mes parents. Ils possédaient trente-cinq hectares alors que mes parents en avaient cinquante et un. Mais, le type de culture était identique : des céréales, de la nourriture pour les animaux. Il n’y avait pas beaucoup de vaches, six ; et, en 1950, il n’y en avait plus que trois.
On a appris le débarquement par la radio. Mes beaux-parents ne l’avaient pas mais mes parents si. Nous nous sommes installés dans une maison de mes parents après deux ans de mariage. Nous n’avons repris la ferme de mes beaux-parents que trois ans plus tard, soit en 1950.
Mon mari avait une carte de travail d’ouvrier agricole mais il avait quand même était recensé pour le STO. Beaucoup de personnes qui ne travaillaient pas dans l’agriculture s’étaient fait faire une carte pour ne pas partir.
La prise d’otages de Donnemarie et résistants
Mon mari était allé à Donnemarie à vélo, très certainement chez le maréchal ferrant. En descendant la côte de La Veillère, une dame que l’on connaissait très bien lui a conseillé de ne pas se rendre à Donnemarie car tous les hommes y étaient arrêtés. Dans les premiers temps, les hommes se sont cachés, même à Sognolles, en sachant ça.
Mon mari connaissait les résistants de Donnemarie : Bellaguer, le garagiste et Guilbert, le maréchal-ferrant. En travaillant avec eux, il l’a su. Ils en parlaient. Ils ne se cachaient peut-être pas assez. Mon mari ne faisait pas partie des réseaux mais il était au courant. La guerre aurait duré plus longtemps, il serait certainement devenu résistant. Beaucoup de gens ont été des résistants de la dernière heure.
Mon mari connaissait Picard qui a été déporté mais pas moi. Je ne connaissais personne à Donnemarie. Ma jeunesse s’est passée pendant la guerre. On était plutôt confiné. J’allais quand même à Provins pour le marché parce qu’il y avait des bus mais, les cars étaient bondés. Les voyageurs se tenaient debout et serrés les uns contre les autres. Cela faisait parti du folklore. Provins était la ville la plus éloignée dans laquelle je suis alors allée : quatorze kilomètres de chez moi !
Nous avions appris la nouvelle des avions abattus à Donnemarie mais sans avoir de précisions. Les parachutages, on ne les voyait pas mais on entendait les avions. Mon mari savait plus de choses que moi grâce aux gens de Donnemarie. Les voisins de la ferme en face allaient récupérer les containers vides pour les réutiliser. Tout se récupérait.
La Libération
Nous n’avons pas vu la débâcle des Allemands parce que nous étions légèrement excentrés rapport à Donnemarie. Quand les Américains sont arrivés, nous sommes allés sur la place pour les voir. La Libération signifiait le départ des Allemands. Même si on ne les avait pas sur le dos, on en subissait les conséquences : les réquisitions du grain, de l’avoine, des bêtes… Ils avaient réquisitionné un cheval chez mon beau-père. Un civil, Lamy, passait dans les fermes. Il fallait livrer un certain nombre d’œufs parce que l’on déclarait le nombre de poules.
Il y eut un petit bal pour la Libération mais pas grand-chose. Les privations, à la fin de la guerre, ont encore duré plusieurs années. La pression ne s’est pas envolée : il a fallu plusieurs années pour l’évacuer. Les cartes d’alimentation ont fonctionné jusqu’en 1948. Mon fils, Michel, est né en 1945.
Il fallait une carte pour pouvoir circuler, même pour les vélos. Les bicyclettes étaient immatriculées et on payait un impôt dessus, jusqu’en 1958. Cet impôt existait déjà avant-guerre. Je regrette de ne pas avoir conservé une plaque de cette époque. Les chambres à air manquaient pendant la guerre, nous ne pouvions alors pas utiliser les vélos. On allait donc au cinéma de Donnemarie à pieds, à cinq ou six kilomètres.
Message aux jeunes
Il ne faut plus jamais faire la guerre. Il faudrait que tout le monde s’entende. Je n’en ai pas gardé de trop mauvais souvenirs parce que j’étais à la campagne mais il faut également penser aux autres.