La bourgeoisie provinciale périgordine

Madame Thévenot alors Marguerite Gauthier, née en 1908 - domaine des Chaulnes

La tante Lhote

J’ai connu Suzanne, la fille de Paul Faure dans ma jeunesse mais je ne suis venue à Chaulnes que vers 1930. Une vieille dame, « la tante Lhote », tante de Paul Faure vivait alors dans ce domaine avec son chien. Avec Suzanne, nous étions envoyées à Chaulnes de temps en temps pour la distraire. C’était un devoir que l’on nous imposait.

Je considérais Chaulnes comme une veille maison dans la campagne. C’était une jolie propriété avec un jardin. L’entrée principale donnait sur un grand jardin avec un puits. Le jardin était fermé. Je devais avoir 23 ans. Suzanne était plus jeune que moi. Elle devait avoir 19 ans. C’était une très jolie fille, très brune. Elle ressemblait à son père. Je me rappelle les longues promenades dans les sentiers jonchés de feuilles mortes car nous y allions en automne. J’entends encore le bruit de nos pas dans ces feuilles qui craquaient sous nos pieds…

Nous rentrions raconter nos petites histoires à la tante Lhote qui n’attendait que cela Nous dînions avec elle. Mon amie Suzanne avait un réel talent de tragédienne. Après le dîner, elle nous déclamait « Les imprécations de Camille » « Rome, l’unique objet de mon ressentiment. Rome…. », récit que nous lui réclamions sans cesse. Et le temps a passé ! La tante Lothe est morte. Paul Faure a vendu le domaine. je n’y suis pas revenue depuis.

Paul Faure avait énormément de charme et beaucoup de succès. Nous étions toutes un peu amoureuses de lui. C’était un socialiste de la première heure, un homme intègre. Il venait au domaine pendant les vacances. Originaire du Pont Saint Mamet, Paul Faure était un véritable périgourdin. Il était très attaché aux coutumes de son pays mais était athée.

Ministre de Léon Blum en 1935, il lui arrivait lorsqu’une question politique lui déplaisait de donner sa démission que Léon Blum refusait à chaque fois. Il était très généreux. Je me souviens quand il a été nommé ministre. Nous avions un dîner donné chez des amis communs. Je revois encore la brassée de tulipes mauves qu’il avait fait envoyer à cet ami pour le remercier. Il s’intéressait aux autres.

Nous avions 20 ans !

Suzanne et moi avions alors 20 ans. Nous avions de petits flirts mais qui n’avaient rien à voir avec ceux des jeunes filles d’aujourd’hui. Un jour de fête communale, je me suis échappée seule pour aller au bal mais j’ai vu, tout à coup, la silhouette de mon père se profiler dans l’encadrement de la porte et j’ai compris ce que cela voulait dire…En Dordogne, nous nous invitions mutuellement chez nos parents. Suzanne avait un jour, invité une amie qui s’ennuyait un peu au Pont Saint Mamet, nous sommes alors allées à Vergt qui était un centre plus important. À cette époque, vers mes 17 ans, la mode était très très courte avec, vers 23 ans, une grande ceinture presque sur les fesses.

Marguerite Gauthier

Je suis née en 1908. Mon père était originaire de Saint Amand. Il remplissait les fonctions « d’Artiste Vétérinaire » comme on disait dans le passé. Ma mère originaire de Vergt était la maîtresse de maison accomplie d’alors.

Mon père, dont je me souviens du costume militaire avait été mobilisé en 1914. Il n’y avait plus de moyens de communication entre Saint Amand et Vergt et le ravitaillement était ainsi rendu impossible. Mon père a donc acheté un petit âne « Cadichon » que nous adorions. Nous l’utilisions ensuite pour aller faire des piques niques dans les bois avec des amis. Plus tard après la guerre, il a fait l’acquisition d’une des premières Ford « haut perchée » avec capote. Je regrette qu’on l’ait vendue.

Je suis périgourdinne depuis des générations. Mon grand père maternel, un radical socialiste, fut maire de Vergt pendant 22 ans.

Un autre aïeul maternel fut « quarante-huitard ». En 1848, il était parti à Paris fou d’enthousiasme et est revenu, paraît-il, fou de tristesse à la pensée que ses idées généreuses avaient abouti à un pareil carnage... Fils de cultivateur, autodidacte, il était régisseur d’une propriété à Saint Mamet. Il avait fondé un lycée à Vergt pour instruire les autres. Il haranguait les foules sous la halle de Vergt et nous avions de grandes tantes très riches avec de l’or caché dans leurs lessiveuses. Comme il clamait, « on ira chercher l’argent où il se trouve » nous avons vu petit à petit les tantes fermer les volets et l’héritage nous est passé sous le nez…

J’ai passé mon certificat d’étude à 12 ans puis suis restée chez mes parents. On ne poussait pas les filles à continuer leurs études. Elles devaient se marier.

J’allais de temps en temps à paris chez mon oncle et ma tante et chez des cousins à Bordeaux. Je jouais du piano comme toute les jeunes filles de l’époque. Je recevais des amis, des oncles, des cousins.

Une femme active

Une tante qui était allée en Indochine me dit un jour, « c’est ridicule. À 25 ans, tu ne te maries pas alors fais quelque chose, de la comptabilité, du secrétariat... Tu ne peux pas rester comme ça sans rien faire ». Je suis partie à Bordeaux où j’ai suivi les cours Pigier. J’ai eu les diplômes mais il a encore fallu me débattre pour que je puisse travailler. Mes parents ne voulaient pas. Cela ne se faisait pas à ce moment-là… J’ai donc travaillé.

Pendant mes études à Pigier, j’ai côtoyé la fille du directeur de la Compagnie d’Electricité et de Gaz d’Arcachon. Je me suis liée d’amitié avec cette jeune fille et quand son père a eu besoin d’une employée, sa fille m’a présentée. J’étais ravie d’aller à Arcachon. La guerre est arrivée et je me suis retrouvée en zone occupée et mes parents en zone libre. J’ai repassé la ligne deux ou trois fois en catimini.

Revenue ici, mes parents étaient ravis. J’étais retournée au bercail. Tout était parfait. Comme j’avais travaillé, je disposais d’un peu d’argent et trouvais ça très agréable. Grâce à une amie institutrice, j’ai obtenu un poste à la Société Générale de Paris, repliée à Vichy. J’étais encore ravie de partir à Vichy pour travailler. Mes parents m’y trouvaient encore trop loin.
L’hiver est arrivé et il n’y avait pas de feu à la Société générale et ayant toujours eu les mains fragiles, j’étais incapable de taper à la machine. Je ne pouvais donc pas rester là. J’ai annoncé au directeur de Vichy, « mes parents me réclament. Je dois rentrer ! » et… je suis rentrée.

Un mariage heureux

J’ai alors rencontré mon mari. Il était originaire de Belfort et comme beaucoup de parisiens, il était replié dans un petit château situé pas très loin de notre maison,. Comme il avait fait la guerre de 14, il n’avait pas du tout envie de revenir à Paris. Il avait donc proposé à ses amis retournés à Paris, « écoutez… Si vous voulez, je reste au domaine. Je m’occuperai de vos domestiques mais je ne veux pas céder le trottoir aux allemands que j’ai combattus dans les tranchées. » Il est donc resté mais étant seul, il a fallu qu’il se débrouille. Il allait déjeuner dans un restaurant pas loin de chez nous et passait devant notre porte. Nous parlions bien de ce monsieur du Janissou mais nous ne le connaissions pas. Je voulais quand même le connaître !

Les paysans vendaient leur lait au marché noir et les dames repliées dans le château n’avaient pas de lait pour leur petit-déjeuner. Comme mon futur mari adorait les chèvres, il leur en achèta pour avoir du lait. Mais un jour une chèvre tomba malade et il a fallu venir chercher Monsieur Gauthier, vétérinaire. Je faisais le ménage et ma mère m’appela, « si tu veux connaître ce Monsieur du Janissou, il est là avec ton père. » Nous nous sommes présentés. Par la suite, il est passé de temps en temps. Nous bavardions.

Je me suis mariée avec un grand blessé de la guerre 14. Il s’était engagé à17 ans comme volontaire. Il avait refusé tout avancement. Sa conduite seule lui a valu la Médaille Militaire et la Croix de Guerre. A Paris, où nous avons vécu 24 ans, il eut une certaine gloire comme artiste peintre entre les deux guerres. Nous avons fait un mariage heureux.


Vous pouvez récupérer l’intégralité des témoignages sur le domaine de Chaulnes dans un ouvrage pdf à cette adresse internet :
http://www.lettresetmemoires.net/domaine-chaulnes-histoire-perigord.htm