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Sarcelles : Bridjo Mike né en 1984

On nous dit ce que l’on ne peut pas faire, pas ce que l’on peut faire

Je suis allé pour la première fois en Inde en 1990

jeudi 1er juillet 2010, par Frederic Praud

Il faut aussi que les jeunes ne soient pas bêtes dans leur tête. Il ne faut pas qu’ils suivent le mauvais troupeau. Parfois, il faut savoir prendre des décisions et il faut prendre les bonnes, parce qu’après on termine à Osny, à Fresnes ! Voilà, il faut s’accrocher, garder la tête sur les épaules, et ne pas écouter les gens. Écouter ce que l’on pense. Il faut avancer avec les bonnes personnes.

BRIDJO MIKE

Je suis né en 1984 à Gonesse, c’est juste pour l’hôpital ! Je suis né à Sarcelles au quartier des Chardo, comme nous tous. Je n’ai pas bougé des Chardo !

Les origines indiennes

Mes parents sont d’origine indienne, de Pondichéry. Ils sont nés en 1950 et 1951. Ils sont venus comme tout le monde pour travailler. Mes parents ont appris le français sur le terrain. A Pondichéry on parle le français, mais pas comme ici. Dans le quotidien ils parlaient le tamoul de Pondichéry. Ils sont venus dans les années 80. Je suis le quatrième enfant. Une sœur est née en 1976, une en 1978, une 1981, je suis né 1984, et un frère en 1986. Les deux premières sont nées au pays et ont eu la nationalité française sans problèmes. Mes parents avaient la nationalité française. Ils vivaient dans la ville même de Pondichéry. C’est une ancienne colonie française donc c’est normal que nous ayons la nationalité.

J’ai parlé de mes origines indiennes dans ma musique, mais aujourd’hui pas trop. Ce qui fait notre groupe Connexion Impossible, c’est aussi les différentes religions. On vient tous de pays différents. Ce n’est pas un rap stéréotypé. Il y a des Chinois, des Indiens. Je pense que l’on a grandi dans la même ville, mais on a nos origines. On perd ce truc et on gagne quelque chose d’autre.

La famille

Les parents reviennent des fois sur leur passé quand ils voient le quotidien, quand nous on se plaint pour rien. Eux, ce n’était que de la misère. Ils ont connu la misère et s’estiment heureux d’avoir chaque jour ce que l’on a : un toit, quelque chose à manger. On est assez libre dans ce pays.

Ils sont d’abord arrivés chez mon oncle. Il a pistonné mon père pour des petits boulots. Ils habitaient à Gonesse. Les Assyro-chaldéens, c’est plutôt famille, famille. Il y a vingt-six, vingt-sept ans c’était différent. Ils voulaient un grand flux migratoire, les travailleurs venaient en France. Il n’y avait pas seulement des Indiens, mais toutes les origines.

Education

Mes parents restaient à la maison. Ils ne se mêlaient pas trop de ce qui se passait dehors. Les lois, c’était à la maison. Ce qui se passe dans le foyer ça les regarde, ce qui se passe dehors ça ne les regarde pas. C’était à eux d’éduquer leurs enfants, de leur inculquer les bonnes notions, mais après ils ne pouvaient rien faire. A partir d’un certain âge, nous étions libres de penser comme on voulait, libres de nos actes. Bien sûr nos parents nous ont tout appris, nous ont dit comment faire. Après soit tu rentres dans l’engrenage, soit tu ne rentres pas ; tes parents savent aussi que c’est comme ça quelque part. Ils ne sont pas bêtes. Ils regardent à la télé.

Mes parents étaient partis faire les courses à Franprix, dans le quartier. Ils sortaient du magasin, et ont vu que ça se tirait dessus entre les jambes. Bang ! Bang ! Ils sont rentrés dans le magasin. Ils ne pouvaient rien faire. A part dire « ce sont des enfants et ça se tirait dessus… les vitres elles explosaient… ». Il y avait une période comme ça en 98. Dans tout Sarcelles il y a eu des morts. De 1996 à aujourd’hui. A partir de 2001, 2002 Sarcelles s’est calmé. On va dans un autre quartier, ils vont vous demander : « D’où venez-vous ? ». Au début ça surprend. Mes parents se sont habitués et ont vu que ça passait. Ils veulent juste que l’on ne soit pas dans les affaires. Ils essayent de nous protéger, que l’on n’y aille pas. Mais Dehors, ce n’est plus pareil.

Racines

Je ne pense pas qu’il existe des différences entre jeunes Tamouls de Pondy, et Tamouls de Sri Lanka. Eux doivent parler de cette différence, c’est tout une culture, ça peut être aussi une façon de parler, des coutumes. Ici on n’a plus de coutumes. Dans la famille au quotidien, je parle français. J’ai perdu quelque chose, j’ai gagné autre chose. J’ai toujours cette notion, la langue maternelle, mais je m’exprime en français. Quand les Tamouls s’expriment au quotidien en tamoul, je comprends. Il y a peut-être une frustration chez les parents. Je ne crois pas. Ce sont ensuite des habitudes.

Voyage à Pondichéry

Je suis allé pour la première fois en Inde en 1990. À Delhi, la cité de la joie. C’était vraiment la pauvreté ! Moi je kiffais. Il faut savoir que le billet c’était sept mille francs ! On était sept à partir ! Mon père devait faire je ne sais pas combien d’oseille. En plus là-bas, il fallait de l’argent ! On y allait tous les cinq ans. Dès qu’on y allait, c’étaient les vacances. Toutes les autres années, il fallait se serrer la ceinture. Mon père prenait tout en charge. Des crédits à droite, à gauche.

D’autres jeunes…

Les jeunes de là-bas nous voyaient comme des Français. Ici, on a tendance à nous prendre pour des étrangers. Ils essayaient de me gratter ! Ils se faisaient trop amis avec moi et à la sortie ils attendaient quelque chose ! Il faut les comprendre aussi, ils ont vécu toute leur vie dans la pauvreté. Ici si je m’habille en Adi, en Run up, là bas, je suis un beau gosse ! C’est vraiment la misère ! Là-bas, j’ai laissé toutes mes affaires ! Ils sont curieux. Tout le monde est là, « comment c’est la France, ci, ça, ça » ! Des fois j’étais gêné d’avoir des trucs et pas eux. Je n’aimais pas trop le montrer ; des fois j’essayais de cacher ce que j’avais, mais ça se voyait, rien qu’à l’allure, c’est clair. Ils se mélangent à vous, ils sont curieux, ils ont envie de connaître l’autre.

Traditions et réactions

Je pouvais rentrer chez n’importe qui, la porte n’était jamais fermée… à droite à gauche ! Au début je parlais bien, mais là je me débrouillais. Je mélangeais aussi l’anglais. Ça fait six ans que je ne suis pas parti là-bas. Question mariage, si je vais là-bas, après, c’est chaud ! Je vais me faire kidnapper ! Mes parents savent qu’ils ne pourront pas ! Je choisirai. J’ai des cousins dont le mariage a été arrangé. Mes parents disaient avant « tu vas te marier ! ». Ils ne rigolaient pas, « tu vas au bled… tu vas te marier ! ». Les parents de mon pays, dès qu’ils voient dans la rue une jeune indienne avec un Français, ils n’apprécient pas du tout ! Ils ne disent rien. C’est la France, c’est comme ça ! Pour moi, c’est normal, je m’en fous !

Les histoires de religions différentes, nous, on ne les a pas. Les jeunes qui disent qu’ils ressentent ça sont des menteurs ! Quand on est jeune, on est tous ensemble, on est tous de la même classe, on est tous du même âge. Il n’y a pas de différences. Je m’entends ou je ne m’entends pas avec lui, ce sont des histoires de personnalités. Il faut prendre le bien et le mal de partout.

Nous ne sommes pas retournés en Inde, même pas mes parents. Pourtant nous avons de la famille là-bas. Ils viennent parfois. Par contre, j’ai des cousins ici qui y vont. Avec le crédit de la maison, on n’y va pas. Maintenant on est plus que quatre. Mes deux grandes soeurs sont parties.

Etre indépendant

Je savais exactement ce que je voulais faire. Je me suis orienté vers la compta. Je voulais aller à Rousseau. C’était « non, ils ne te prendront jamais… ». Ils me disaient de ne pas mettre le truc, je l’ai quand même mis et j’ai été pris là-bas ! On ne nous ouvre pas l’esprit sur ce que l’on peut faire. On nous dit ce que l’on ne peut pas faire, on ne nous dit pas ce que l’on peut faire. C’est ça la vérité !

Lycée

Après le collège, j’ai fait Bac pro compta, mais je ne suis pas allé au bout. J’ai arrêté au bout de deux ans. Ensuite j’ai travaillé. Je n’ai pas été jusqu’au bout du bac parce que ça ne me plaisait pas. J’avais travaillé, je travaillais sur Paris : bagagiste...etc. Je n’ai pas travaillé sur le marché de Sarcelles, je n’ai pas essayé. En cours je m’ennuyais, ça ne m’intéressait pas. En cours je n’écoutais même pas…

Le Rap

Je rappais. J’aime les thèmes. Dans cette compil, par exemple le thème c’est état statique, parce que c’était une période, où j’avais l’impression que tout bougeait autour de moi, et moi, je ne bougeais pas. C’est un jeu de mot parce que je pense que la France est statique. Sarcelles, ça n’avance pas assez vite à mon goût. Sur la Connexion j’ai plus parlé de l’envie de réussir, et j’ai plus misé sur la technique que sur l’écrit. Ce n’est pas du thème. Il n’y a pas de thème précis. Je n’ai pas fait un texte sur Sarcelles en lui-même, mais tous les morceaux en parlent. Dans Connexion Impossible on n’a pas fait un morceau spécial sur Sarcelles parce qu’il suffit d’écouter la musique, on sent que c’est du Sarcelles.

L’âme de Sarcelles

C’est la richesse de la mixité. Lorsque l’on habite à Sarcelles on est obligé de vous supporter, de vous aider, de s’entraider et d’apprécier l’autre. Il faut penser avec celui qui est à côté de nous. T’es pas d’accord… c’est comme ça ! Chaque personne qui est à côté de nous peut nous donner quelque chose pour aller plus loin. Il faut savoir l’attraper et avancer ensemble sans limites.

Message à la mairie

La mairie est censée donner des moyens à tous les Sarcellois. Qu’ils avancent avec nous, parce que nous on ne ratera pas la vague… on avancera avec ou sans eux ! Lorsqu’on se produit quelque part, qu’ils nous subventionnent le car, pour le transport !

Message aux jeunes

Tout est possible, il faut croire en ses objectifs dans la vie, mais il ne faut pas tout mettre là-dedans. Il faut aussi travailler à côté. Pour être à l’aise dans la vie, pour avoir une certaine situation. Il faut se donner les moyens. C’est bien beau d’avoir un passeport. Il ne faut pas se dire « je vais faire de la musique pour gagner de l’argent », il faut le faire par envie, par passion, et à côté il faut avoir quelque chose.

Il faut aussi que les jeunes ne soient pas bêtes dans leur tête. Il ne faut pas qu’ils suivent le mauvais troupeau. Parfois, il faut savoir prendre des décisions et il faut prendre les bonnes, parce qu’après on termine à Osny, à Fresnes ! Voilà, il faut s’accrocher, garder la tête sur les épaules, et ne pas écouter les gens. Écouter ce que l’on pense. Il faut avancer avec les bonnes personnes.

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