THÉNESY - elle a été cachée pendant toute la guerre

Monsieur FOURTIER Raoul

Témoignage de Monsieur FOURTIER Raoul

Un petit village de Seine et Marne

Je suis né en 1930 à Pécy, à côté de Jouy Le Châtel. Je suis arrivé à Thénisy à l’âge de cinq ans, oui. J’y ai vécu jusqu’à aujourd’hui. Avant-guerre, Thénisy était un petit village composé principalement de petites fermettes. Il y avait sept fermes. Maintenant, il n’y en a plus que trois… Il y avait deux cafés, trois épiceries, un maréchal-ferrant, un plombier (mon père et moi après), deux maçons, un coiffeur hommes et une coiffeuse pour dames… pas mal de petits commerces ! Il n’y a plus rien aujourd’hui…

Le jeudi était le jour sans école. Dans les fermes, au moment d’« aller aux chardons », les fermiers faisaient venir des personnes du village pour aller aux chardons avec un manche comme un genre de petit couperet, de petite spatule pour couper les chardons. On pouvait y aller à dix ans et même avant. On était gamins et cela nous amusait ! Aller dans les champs, bah ce n’était pas fatiguant ! On y allait aussi au moment où ils arrachaient les pommes de terre, on y allait aussi ! On ramassait tout à la main.

Le jeudi, on allait glaner, ce qu’on ne peut plus faire maintenant avec les moissonneuses batteuses. La moisson était faite par une moissonneuse-lieuse qui coupait le blé puis le mettait en bottes. Des personnes devaient ensuite ramasser les bottes par terre et les mettre en tas. Huit jours après, ils les charriaient. Ils les mettaient en meule et là, on allait glaner les épis de blé qui étaient tombés par terre. On faisait alors des gerbes, comme des gerbes de fleurs, que l’on ramenait chez nous pour nourrir les poules.

Mon père m’a raconté la guerre de 14-18

En 1939, on avait que dix ans ! On écoutait ce que disaient nos parents ! Mon père avait fait quatre ans de guerre en 1914. Alors, automatiquement, il avait une petite haine. Il avait fait la Serbie, Verdun… Et cela ne l’a pas empêché, vers 1943, d’être réquisitionné pour aller travailler dans une usine à Melun.

Mon père s’était engagé ! Quand on les faisait monter sur le front, il m’a toujours dit qu’on les faisait boire du rhum pour attaquer. Ils étaient fous ! Inconscients ! C’est pour cela qu’il y a eu tant de boucherie ! Quand on leur donnait des rations pour boire, ils savaient qu’une heure après, cela allait cracher…

Le déclenchement de la guerre, l’arrivée des Allemands et l’exode

La guerre, on ne l’a pas vue… mais les réfugiés de l’Aisne arrivaient déjà chez nous ! Ils arrivaient en voiture à cheval. Il n’y avait pas encore beaucoup de moyens de locomotion. Ils sont restés peut-être deux ou trois jours. Il y avait même des enfants qui sont venus à l’école avec nous. On ne fait pas tellement attention à dix ans ! Notre tour est ensuite venu. Il fallait partir ! Nous sommes partis en exode parce que le bruit courait que les Allemands arrivaient et coupaient les doigts aux garçons pour qu’ils ne puissent pas tirer. Tout le monde avait peur ! On se sauvait !

Nous sommes partis en voiture avec toute la famille. Nous étions était six, mes parents, mon frère, moi, ma grand-mère et puis une petite nièce qu’ils avaient récupérée parce que ses parents avaient peur des bombardements à Paris. Il y avait des matelas, tout ça sur le toit…

Nous avons traversé le pont de Gien. Il avait été bombardé mais il n’avait pas encore sauté. Il y avait des cadavres sur le pont. Mes parents m’avaient mis une serviette pour que je ne les voie pas... Nous sommes allés jusque dans l’Ain à Leblanc, pas plus loin parce que les Allemands étaient arrivés avant nous…. Nous sommes restés là-bas au moins pendant deux mois parce que la voiture n’a pas voulu revenir. On couchait dans une grange sur des matelas. Après, nous avons trouvé une chambre chez un particulier où nous couchions ma grand-mère, sa petite fille, mon frère et moi. Mes parents restaient dans la grange eux. Nous sommes revenus après.

Je ne me rappelle pas tellement la réaction de mes parents. On était un peu inconscients, une curiosité d’enfant. On avait quand même une petite peur mais les Allemands n’ont pas été méchants à cette époque-là. On n’aurait même pas dû partir si on avait su ! Une fois de retour à al maison, les Allemands venaient de partir de chez nous ! On ne les a pas vu nous. Ils s’étaient installés mais ils ne sont pas restés longtemps, peut-être huit jours.

Ils étaient stationnés dans la cour. Ils sont rentrés dans la maison mais n’ont touché à rien du tout ! Nos voisins, des personnes âgées, ne sont pas partis. Le monsieur aimait bien discuter. Il parlait avec les Allemands. Il leur a dit que sa fille vivait là. Alors, ils ont épargné tous les meubles, tout… Ils n’ont pas fait de gâchis comme dans certains villages.

L’impact de la guerre dans un petit village rural

Je n’avais que dix ans et je n’avais pas peur ! Je suis allé en vacances chez mes grands-parents à Pécy où il y avait également des Allemands ! Ils logeaient dans leur maison… Il n’y avait pas de pression !

Il n’y en avait pas trop d’Allemands par là, dans les petites campagnes. Ils étaient dans les grandes villes. Il n’y en avait pas à Thénisy. Il y en a eu au début mais ils sont vite repartis. Pour les enfants, la vie reprenait comme s’il n’y avait pas de guerre.
Mon frère a été envoyé au Travail Obligatoire en Allemagne. Ils sont partis à plusieurs, pas mal de Donnemarie, une équipe qui travaillait chez Minost, deux de Luisetaines, un de Sigy. Mon frère était seul de Thénisy. Il était plombier. Ils l’ont mis dans des usines avec ceux d’ici. Ils sont tous allés à Magdeburg. J’ai eu des nouvelles d’eux quand ils étaient en Allemagne. D’autres sont ensuite partis. Pionner est reparti derrière mon frère. Ils sont revenus à la Libération, en 1945 ! Il est parti en 1942 pour revenir en 1945. Il a subi les bombardements. Il a été libéré par les Russes.

Mon père a été appelé à Melun, pour aller travailler à l’usine d’avions de Villaroche. Il a été réquisitionné pour y aller. Il voulait s’y rendre. Il y est allé ! Il est revenu le soir mais n’y est pas retourné le lendemain ! Il n’y est plus allé ! Il était recherché par la gendarmerie de Donnemarie qui en avait l’ordre mais ils l’ont prévenu car ils faisaient de la résistance. La gendarmerie de Donnemarie faisait de la résistance. Les gendarmes lui ont dit : « Bah, on a fait notre devoir en te prévenant ! Il ne faut plus qu’on te voie ! Après, ce n’est plus nous ! C’est la Gestapo qui viendra ! »

Cela tombait bien parce que c’était vers la fin, en 1944 ! Cela a duré peut-être un mois ! Il se planquait. La voisine disait à ma mère : « Mais, vous vous rendez compte ! Si la Gestapo vient et qu’il ne le trouve pas, ils vont emmener ton fils ! »
J’aurais pu être pris en otage. Heureusement, les Américains sont arrivés et il y eu la Libération… Il était temps que le débarquement arrive parce qu’il était recherché.

Une petite juive d’une dizaine d’années était cachée à Thénisy. Elle allait à l’école avec nous. Cela se passait bien. On savait qu’elle était juive ! Comme on savait que les Juifs étaient recherchés, personne ne disait rien. Elle n’a pas été dénoncée. Elle est restée là toute la guerre et puis, à la Libération, elle est partie en Amérique. Elle est revenue, l’année dernière, en 2003. Elle est revenue voir sa maison. Elle n’a pas pu la reconnaître ! Ceux qui l’avaient cachée sont décédés depuis longtemps… C’étaient des amis de ses parents qui venaient déjà à Thénisy avant-guerre.

Tout s’est bien passé pour la petite dans le village. Malheureusement, ses parents et sa soeur ont été déportés et ne sont pas revenus… Elle est passée au travers… On savait ce que les Allemands faisaient aux Juifs. On en était conscients, même à dix, onze ans ! On savait que les Allemands en voulaient aux Juifs, qu’ils ne pouvaient pas les voir. C’est tout ! Mais cette enfant était comme nous, comme vous tous ! On jouait avec elle ! Je ne me rappelle pas d’avoir vu l’étoile jaune. Elle ne la portait pas chez nous, à Thénisy parce qu’elle était cachée ! Elle était chez des amis.

Mes voisins ont eu leur fils qui a été pris en otage à Bordeaux. Les Allemands ont pris cent personnes à la sortie de son usine parce qu’un Allemand avait été tué. Il écrit à ses parents : « Je suis pris en otage et ce soir, je serai fusillé… »

A l’école, il fallait mettre l’horloge de la classe à l’heure allemande. La maîtresse avait commenté : « Je vais le faire parce qu’on ne sait jamais ! » Elle aurait voulu la laisser à l’ancienne heure, à la française mais elle avait peur que les Allemands ne s’en rendent compte. Il paraît qu’ils tiraient des coups de fusil dans l’horloge si elle n’était pas à l’heure allemande.

La Résistance

J’ai vu un aviateur américain caché dans une maison chez un nommé Aublé, à Thénisy, vers 1943. Son avion avait été abattu. Un jour, je suis allé chez eux mais les grandes grilles étaient fermées et je n’ai pas pu passer. Alors, qu’est ce que je fais ? J’ai regardé ! J’avais entendu parler dans la cour. Je suis monté sur une pierre, et, je l’ai vu en civil. La nièce de ce monsieur accueillait l’aviateur. Elle l’a emmené à Paris par le car Citroën…

Quand ils ont ramassé les hommes à Donnemarie, les otages. Monsieur Mary a réussi à se faufiler. Il est allé chez ses parents, chez sa mère qui habitait Thénisy. Il nous a prévenus : « Faites attention ! Ils ramassent tous les hommes à Donnemarie ! »
Mon père est alors parti dans les champs. Il se planquait dans les bosquets.

Que penser de Pétain ?

Pétain avait libéré la France et il a quand même arrêté la guerre en 1940 ! S’il ne l’avait pas arrêtée, il y aurait peut-être eu encore plus de soldats tués ! On voulait un responsable ! Pétain était un vieillard ! On lui a mis beaucoup de choses sur le dos… Des collaborateurs, il y en a peut-être un ou deux mais par chez nous mais, il n’y a pas eu de milicien.

L’arrivée des Américains et la Libération

On écoutait Radio Londres chez les voisins. On n’avait pas de TSF.

Quand les Américains sont arrivés vers Fontainebleau, on entendait les coups de canons. Patton nous a libérés. Ce sont les Américains. Le matin de la libération, les Allemands remontaient, se sauvaient. Ils ramassaient tous les chevaux pour partir. Dans les fermes du bas, de l’autre côté, à Thénisy, ils en avaient déjà récupéré dans deux fermes. Les autres agriculteurs, plus haut, quand ils ont entendu la nouvelle, ont emmené leurs chevaux dans les bosquets. Il n’y a pas eu d’exactions allemandes.

Après, les Américains se sont arrêtés à Sigy. Ils sont restés au moins huit jours dans les bois de Sigy ! Les Américains sont arrivés la première fois dans une jeep avec quatre bonshommes. Nous étions descendus en bas de la route de Thénisy. C’est là qu’on a vu les premiers. Nous sommes ensuite remontés dans le pays pour avertir de l’arrivée des Américains. Tout le monde est alors descendu pour voir !

On était contents ! On allait au devant d’eux ! Ils nous donnaient des chewing-gums, tout ce qu’ils avaient dans leurs rations : des chewing-gums, des petits sachets aussi pour mettre le café soluble jusqu’au papier hygiénique en paquets. Il y avait peut-être une dizaine de feuilles…On a commencé à fumer à ce moment-là, des petits paquets de quatre cigarettes, des Camel et des Chesterfield ! Ils nous les jetaient quand ils passaient. Je piquais des bouteilles de cidre bouché qu’on mettait en bouteille chez nous ! On leur portait et ils nous donnaient des boites de conserve. On emmenait des tomates et ils nous donnaient des boites de conserve en échange. On était heureux !

Pour nous, la libération était une délivrance ! La liberté !

L’après-guerre

Je n’ai pas eu trop à choisir, mon père m’a dit : « Tu bosses avec moi et puis voilà ! » Il était plombier. J’ai fait l’arpette et je suis devenu plombier. Je n’ai fait que cela toute ma vie. J’avais une lubie : celle de devenir boulanger...

Message aux jeunes

Vu l’évolution en soixante ans, nous voudrions dire aux jeunes d’apprécier ce qu’ils ont aujourd’hui. Ils ont la chance de pouvoir faire des études, d’avoir le confort, des loisirs, la santé, une famille, etc. Il faut savoir respecter le bien d’autrui car c’est une valeur complètement oubliée et penser que c’est grâce au Seniors qu’ils ont l’opulence qui existe au vingt-et-unième siècle.