Sarcelles : Yohan Ouratta né en 1989 à l’Ile de la Réunion, St Paul
Certains pensent que l’on a blanchi en venant en France, mais ils ne le disent pas.
Le club de rugby de Sarcelles est comme la vie. Toutes les origines sont là, mais ce n’est pas le cas de tous les clubs de Rugby. On a une mauvaise réputation. L’année dernière, quand Gargenville a entendu Sarcelles, ils ont dit « c’est un mauvais plateau ! ». On a une mauvaise réputation même au niveau des arbitres. C’est uniquement sur l’image. A part le sport, les jeunes de dix-sept, dix-huit ans vont encore en cours, certains travaillent, d’autres traînent. Ils ne mettent pas toutes les chances de leur côté pour réussir. Ma mère m’a dit de travailler à l’école et après le bac, je pense faire un DUT à Sarcelles. Il est classé huitième en Ile de France. Des gens des écoles d’ingénieurs ou de commerce viennent, ce qui va à l’inverse de ce qui s’est passé jusqu’à présent. A paris ce n’est pas la peine.
Yohan OURATTA
Je suis né en 1989, à l’Ile de la Réunion, à St Paul. Mes parents sont nés tous les deux là-bas. Mon père est né en 1971 et ma mère en 1972. Je suis l’aîné. Mon père est arrivé en premier pour son service militaire en métropole en 1992 et a vécu en métropole jusqu’à aujourd’hui. Je ne vis pas avec mon père parce qu’il est divorcé. J’ai fait juste un an là bas et je suis reparti. Mon père est resté en métropole et je suis retourné avec ma mère de 1992 à 2002 à la Réunion. Ça fait cinq ans que l’on est revenu ici.
La Réunion
Être enfant à la Réunion, c’est comme partout, on va à l’école, mais c’est une île de rêve. On va à la plage le week-end. On était à trente minutes de la mer en voiture. On regarde la mer c’est l’horizon. On regarde de l’autre côté, c’est la montagne. Nous vivions dans maison traditionnelle, en briques avec le toit en tôle. Nous avions le même confort qu’ici avec un jardin. Parfois je le regrette, parce que je fais mes études ici et je compte retourner bientôt là-bas si je trouve un job. Les jeux, c’est foot comme ici, sauf que l’on est plus en famille là-bas. Je vivais dans le village où vivaient mes grands-parents maternels. Mon grand-père maternel.
Ici c’est beaucoup plus dangereux que là-bas. J’ai ce sentiment là. Je regardais beaucoup la télé là-bas. Je voyais tout comme dans un film. Je ne voyais pas la délinquance dans ma tête. Pour moi la France c’était calme, c’était un rêve. Même si je vivais dans un univers de rêve pour certains ici. Les choses ici, ne sont pas comme je le voyais là-bas. Ma mère m’a demandé si je voulais partir et j’ai dit oui. Elle c’était pour le travail, moi c’était pour les études. Ici franchement c’est mieux que là-bas. C’est normal. Elle est arrivée, un mois après, elle avait du travail et moi j’ai fait mes études. J’ai une sœur de onze ans.
L’arrivée en France
Ma première image de la France, ce sont les immeubles ; je regardais partout ! Il pleuvait. Là-bas il faisait trente degrés ! Ici il fait froid. Je veux retourner.
Je suis venu d’Orly à Sarcelles. Je me rappelle de mon arrivée à Sarcelles. J’étais un peu perdu. Dans la maison déjà j’étais perdu. Je voyais les bus, les voitures. « Je ne vais même pas m’en sortir ici ! » et au bout de trois semaines, j’ai compris le système, j’ai compris comment prendre le bus, aller à l’école.
Je suis arrivé. J’ai déposé mes affaires, je n’avais pas le temps de dormir, je suis parti chez ma tante à Ecouen. Ma marraine nous hébergeait. J’ai laissé mes bagages. C’était la première fois que je rentrais dans un appartement, dans un immeuble de quatre étages. C’était petit, c’était restreint. Il ne fallait pas faire trop de bruit. Des voisins en haut, en bas à droite, à gauche ! On était entouré de monde. Ecouen, ce n’est pas comme Sarcelles. Ma tante vit en pavillon. Au début j’étais plus en contact avec l’île de la Réunion que Sarcelles. J’ai passé les premiers jours en famille. Je suis arrivé un jeudi de juin juste avant les vacances. Il ne faisait pas beau du tout !
Après je suis allé à l’école. Ils m’ont dit de revenir à la rentrée. C’était le collège Evariste Gallois à Sarcelles devant Vignes Blanches. C’était du préfabriqué. « Je ne rentre pas là dedans ! ». Après, je me suis intégré. Je me suis fait des amis vite fait. C’était le plus près. La première fois que j’ai été en contact avec d’autres gens, c’était un week-end chez ma tante à Ecouen. On est venu jouer au foot et j’ai découvert d’autres jeunes de mon âge. Il y avait des adultes même, ils m’ont demandé d’où je venais. J’étais encore petit, j’étais encore jeune, j’avais treize ans. L’accueil a été bon. Cet été 2002 je l’ai passé plus à Ecouen. J’étais plus chez ma tante, parce qu’il y avait un pavillon. Je revenais toujours à Sarcelles.
Je n’avais pas peur, je n’avais pas de notion de crainte à Sarcelles, au début ; parce que je ne voyais pas ce qui se passait derrière. Je me rappelle d’une baston en décembre 2002 à Sarcelles vers les Vignes blanches, aux poings mais aussi avec armes, battes de baseball… ça m’a refroidit tout de suite ! Je sortais du collège et je revenais vers la place A. Gide ; j’ai vu la bagarre un peu plus bas, vers le centre commercial codeca. Il y avait une bonne vingtaine de personnes ! Je suis parti, je ne préférais pas voir le truc. Je préférais ne pas être mêlé à des histoires comme ça. J’en ai parlé aux personnes avec qui je vivais. Ma marraine m’a dit « faut faire attention, ici c’est comme ça ». Ma mère aussi ; elle savait déjà. Elles m’ont dit de faire attention. En habitant dans le quartier A. Gide je ne suis pas rentré dans les bandes du quartier. Pour eux, c’est une fierté d’appartenir à un groupe. La plupart sont nés là. Il y a deux bandes différentes : la bande de potes et la bande de voyous.
Le collège
Le premier jour au collège, il y avait une baston. Les pompiers étaient là ! Ils ont pris quelqu’un. Au quotidien, au collège, ça dépendait des classes. Dans notre classe on était calme, malgré quelques petites querelles. Je n’ai jamais entendu un élève insulter un prof. Ça doit dépendre des classes. Je suis arrivé en classe en quatrième, je voulais être un grand sportif de handball. Après j’ai regardé la réalité en face. Je fais mes études. Je passe mon bac.
L’entraîneur décideur m’a fait changer de sport. J’avais déjà fait du rugby scolaire. Au bout d’un mois, j’ai arrêté. Je n’aime pas les coups ! J’étais en troisième quand j’ai commencé. J’ai eu ma licence en seconde. Dans l’esprit, il y avait une différence. Dans le rugby c’était plus convivial que le handball. C’était la troisième mi-temps. Tu retrouves l’adversaire et le repas après l’entrainement. C’est plus soudé aussi. Mais après la troisième mi-temps, c’est encore la mêlée !
Les vacances à la Réunion
A l’été 2003, je suis parti en vacances à la Réunion. Je me suis intégré ici en métropole. J’étais devenu plus sarcellois. La mentalité change. Tous les gens qui viennent en France changent de mentalité. Parce que cela fait longtemps qu’on ne les a pas vus. Il faut s’éloigner pour voir la réalité des choses. Quand j’étais à la Réunion, je pensais que la France était un beau pays. Depuis que je suis en France, ce n’est plus ce que je pense. Les gens sont contents de vous voir, mais ils sont un peu méfiants à partir du moment. Certains pensent que l’on a blanchi en venant en France, mais ils ne le disent pas. Ils n’ont pas le droit de dire que l’on a pris la mentalité de la métropole. Lorsqu’on arrive ici on est obligé de prendre un peu la mentalité de la métropole.
Études
Des gens s’en sortent et des gens sont là pour tenir le mur, le matin, le midi et le soir. C’est une bonne partie des jeunes. Je ne sais pas s’ils vont s’en sortir. Beaucoup de jeunes sont comme ça. Je n’en fais pas partie parce que ma mère m’a dit : « évite les mauvaises fréquentation ». Je me suis inscrit au lycée la Tourelle. Je fais du technique STI électronique. C’est au bout de la troisième que je me suis dit : « je vais faire de l’électronique plus tard » comme je voyais que je ne pourrais pas devenir un grand sportif. La Tourelle, c’est grand. Il y a des gens de partout ! Pas seulement de Sarcelles, mais aussi des villes à l’entour. Je ne fais pas de différence entre les jeunes de Sarcelles et ceux des villes à l’entour, mais les jeunes sarcellois, si !
Au bout de cinq ans, Sarcelles est une ville où toutes les populations sont mélangées. C’est ça Sarcelles ! Ça a aidé mon intégration à l’école. Il y avait des Juifs, des Musulmans des Chrétiens. De toute façon la religion, ce n’est pas mon truc ! Parfois ça peut aider d’être sarcellois. Parfois c’est bien vu, parfois c’est mal vu. Même au rugby, quand on va à l’extérieur, les gens ont parfois une sale image de Sarcelles. C’est un peu un handicap d’être jeune à Sarcelles. Pour un boulot, pour un stage, pour un lycée même, même si l’élève de Sarcelles a un haut niveau, ils préféreront prendre quelqu’un de Paris. Il n’y a pas d’égalité des chances. Paris, c’était trop loin pour s’inscrire.
Le rugby
Le club de rugby de Sarcelles est comme la vie. Toutes les origines sont là, mais ce n’est pas le cas de tous les clubs de Rugby. On a une mauvaise réputation. L’année dernière, quand Gargenville a entendu Sarcelles, ils ont dit « c’est un mauvais plateau ! ». On a une mauvaise réputation même au niveau des arbitres. C’est uniquement sur l’image. A part le sport, les jeunes de dix-sept, dix-huit ans vont encore en cours, certains travaillent, d’autres traînent. Ils ne mettent pas toutes les chances de leur côté pour réussir. Ma mère m’a dit de travailler à l’école et après le bac, je pense faire un DUT à Sarcelles. Il est classé huitième en Ile de France. Des gens des écoles d’ingénieurs ou de commerce viennent, ce qui va à l’inverse de ce qui s’est passé jusqu’à présent. A Paris ce n’est pas la peine.
Réunionnais et Sarcellois
Je suis réunionnais et sarcellois. A Sarcelles il n’y a pas d’association réunionnaise parce que les Réunionnais ne sont pas nombreux. Avec ma mère, ma famille, je parle créole. Ici dans la rue, je parle français. Entre jeunes originaires de la Réunion on parle créole. Il y a des fêtes réunionnaises dans le 93, 94, 77, à Paris aussi. Tous les membres de ma famille ont fait cela. Ils sont venus travailler ici et ont pris leur retraite là-bas. C’est normal. Je sais que je dois rester ici pour être ingénieur parce que il n’y a pas des boulots comme ça là-bas. J’irai là-bas en vacances et à la retraite. Ma sœur y retourne tous les étés. C’est ma mère qui lui propose : « Si tu veux partir, tu pars, sinon tu restes ici ». Elle préfère aller à la Réunion et moi je préfère rester ici. Les dernières vacances, je les ai passées en Vendée, à la Rochelle avec la famille. Pas avec des copains de Sarcelles. Les copains de Sarcelles, je les trouve plus au club, parce que les gens de mon lycée viennent de Garges, Villiers le Bel.
L’avenir
L’avenir, c’est faire mes études, tant que je peux. Je vois l’avenir positivement. Je sais que dois travailler ; c’est obligé. Parmi les jeunes de mon âge tout le monde ne pense pas comme ça. Ailleurs qu’à Sarcelles où il y a tout ce mélange de communautés, j’aurais eu plus de mal à m’intégrer. A Sarcelles ils sont déjà habitués à voir telle ou telle personne. Il y a plus de racisme ailleurs, notamment sur le terrain devant d’autres équipes unicolores. Avant j’avais plus une image toute faite que la réalité que j’ai trouvé sur place.
Sarcelles
Il faut remercier les anciens pour ce qu’ils ont fait parce que ce sont les anciens qui ont bâti cette ville. Sarcelles est une ville d’accueil. Je ne me suis pas fait rejeter. Je me suis fait intégrer partout, en faisant attention. Je vois des bandes, je m’en vais. Il n’y a pas tant de bandes que l’on dit. C’est minoritaire. Les grands disent aux petits de ne pas faire ça. Ceux qui traînent le plus, ce sont les grands, pas les ados. Il y a quelques ados mélangés parmi eux. Ils sont là. Ils ont du travail. Ils parlent entre eux. Ils veulent être des exemples, mais ils ne l’ont pas toujours été. Il y a des maisons de quartier. Ils accueillent les jeunes. Parfois je vais à la maison de quartier des Vignes Blanches. J’ai des potes qui font de la danse.
Je ne me suis jamais fait contrôler à Sarcelles. Je ne sens pas la pression policière autour de moi. Je sors de mon école, je rentre chez moi, je fais mes devoirs et ensuite je vais au club. Je m’entraîne avec ma catégorie et les CFA. C’est devenu mon univers. Le week-end je vais à Paris avec mes potes du lycée, pas obligatoirement du rugby, ou la famille. Quand c’est avec les potes du rugby, je parle rugby, avec le lycée c’est plus foot et nanas. Ma vie est tournée vers la métropole. Si je m’en sors bien, je compte vivre ailleurs, voire dans le Sud-ouest. Le rugby, ça fait une famille partout. Sur le terrain, c’est la solidarité et en dehors du terrain c’est aussi la solidarité. Il y a un aspect éducation dans ce sport.
Texte réalisé par Frederic Praud