GUADELOUPE - le choc des cultures à sarcelles

Mr Jocelyn Moradel

texte Frederic Praud


Je suis né en 1965 à Paris, mais je suis retourné en Guadeloupe à neuf mois, avant de revenir en France à l’âge de cinq ans, en 1970. J’ai atterri directement à Sarcelles. Mon père était venu en 64 faire son service militaire à Bordeaux et du coup, il était resté. Quant à ma mère, après avoir obtenu son Bac en Guadeloupe en 62, elle était venue en France pour suivre des études de puéricultrice. Elle a passé quelques temps en Vendée, avant de s’installer sur Sarcelles. Je ne sais pas trop pourquoi elle s’est retrouvée en Vendée ! Je pense que l’école de puériculture devait s’y trouver. En tous cas, j’adore cette région… J’y allais souvent il y a une vingtaine d’années !

Mes parents s’étaient rencontrés en Guadeloupe. Avant d’arriver en France, ils se connaissaient déjà. En fait, en 64, mon père est venu rejoindre ma mère à Paris. En 65, quand je suis reparti aux Antilles, mes parents sont restés là et c’est ma grand-mère qui m’a élevée. Mais, c’est chose courante chez les Antillais ! Ce sont souvent les grands-parents qui élèvent leurs petits-enfants. Á l’époque, en France, on trouvait facilement du travail mais les conditions n’étaient pas adéquates. Mes parents ont donc préféré me renvoyer en Guadeloupe… Il faut dire aussi qu’ils m’ont eu très jeunes ! Mes parents avaient une vingtaine d’années et comme ils travaillaient, ils n’avaient pas le temps de s’occuper de moi…

Je n’ai réellement vécu que mes cinq premières années aux Antilles mais attention ! Comme les autres jeunes qui arborent aujourd’hui leur tee-shirts Guadeloupe ou Martinique, j’étais fier de mon pays ! Pourtant, beaucoup ne connaissent même pas les Antilles ! Ou alors, ils n’y sont allés qu’une ou deux fois dans leur vie ! Même si j’ai quitté la Guadeloupe à l’âge de cinq ans, j’ai de grands souvenirs de cette période ! J’ai quand même vécu un cyclone ! C’est le genre de chose qui vous marque ! Et puis, de la prime enfance, la plupart des gens s’en souviennent.

Chaque année, à partir du mois d’août, ma grand-mère m’emmenait avec mes cousins à l’école de la commune pour nous abriter du cyclone… Ce qui marque souvent un jeune aux Antilles, ce sont les périodes cyclonique et carnavalesque. Évidemment, c’est à Sarcelles que j’ai vécu mon adolescence et ma vie d’adulte ! Mais, je ne dissocie pas mes souvenirs d’avant et d’après mon arrivée ici… Pour moi, ils ont la même importance…

Du reste, c’est important pour mes enfants ! J’en ai d’ailleurs envoyé un en Guadeloupe pendant toute une année, il y a deux ans mais il s’y est moyennement plu… Il était complètement imprégné de la vie sarcelloise. Donc forcément, il a fallu le « rapatrier »… C’est dommage ! J’aurais voulu qu’il profite davantage de la vie des Antilles, même si aujourd’hui, comme partout ailleurs, elle se rapproche beaucoup de celle que l’on connaît ici. C’était complètement différent à mon époque…

Arrivée à Sarcelles et conditions d’accueil

En 70, quand je suis arrivé à Sarcelles, j’ai vécu un véritable choc des cultures. Cette année-là, l’hiver a été très froid et j’ai vraiment souffert…J’ai fait la différence… Beaucoup de choses m’ont marqué… J’ai tout de suite incorporé la maternelle Anatole France. Je devais aller en grande section mais vu que j’avais un niveau moindre par rapport aux autres enfants, j’ai d’abord passé un mois en petite section, puis deux en moyenne section, avant d’atteindre le niveau requis. J’ai alors réintégré la grande section.

Ce qui m’a le plus marqué durant cette période, c’est que les métropolitains ne connaissaient pas vraiment les Antillais. Ils ne savaient pas ce qu’était un Guadeloupéen. En primaire, ça m’énervait ! En général, les gens savaient plus ou moins où se trouvent les Antilles et la Martinique mais en ce qui nous concerne, c’était le néant… Cela a vexé énormément de Guadeloupéens…

Quand, je suis arrivé, j’ai évidemment été confronté au racisme mais ce n’était pas tout à fait le même qu’on rencontre aujourd’hui. Dans toutes les écoles que j’ai pu fréquenter, j’étais à peu de choses près le seul Antillais. Nous étions au maximum deux ou trois, auxquels on peut ajouter quelques Africains. Alors, mes petits camarades m’appelait l’ « Africain ». J’avais beau leur dire : « Non ! Je suis Guadeloupéen ! », il n’y avait rien à faire. Quand on est gamin, on a sans doute du mal à saisir la nuance… Enfin, toujours est-il que je me battais souvent pour me faire respecter…

Actuellement, ce n’est plus le même genre de racisme ! Ça n’a plus rien à voir ! Á l’époque, il y avait très peu d’Africains et très peu d’Antillais ! Dans mon bâtiment, allée Jean La Bruyère, nous étions peut-être deux ou trois en 70 ! Et c’est vrai que mes camarades me touchaient la tête… « Tiens, on dirait de la moquette ! », ou se mouillaient les doigts… « Tiens, c’est bizarre ! Ça ne part pas ! » D’ailleurs, ça m’est arrivé aussi en Vendée ! Mais au fond, c’était sympathique. Ils étaient simplement curieux… Ce n’était pas le même racisme qu’aujourd’hui ! Bon, j’ai connu également des gens qui me regardaient de travers en disant : « Eh le nègre ! » mais j’étais très jeune. C’était dans les premières années, vers six, huit ans. Ensuite, j’en ai rencontrés un peu moins…

Lorsque je suis arrivé, c’est marrant car c’est un petit métis qui m’a accueilli. C’est la première personne que j’ai vue. Il était plus clair que moi mais j’étais content de rencontrer un autre petit black ! Nous sommes restés très bons amis depuis…

Être ado à Sarcelles à la fin des années 70s

Le phénomène des bandes a commencé un peu avant 80. Quand j’avais neuf ou dix ans, il existait déjà « la bande 41 ». Il s’agissait d’une quarantaine de jeunes qui circulaient dans Sarcelles. Mais, c’était sympa ! Ça n’avait rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui… C’étaient des jeunes qui se réunissaient ; point barre... Je n’ai pas fréquenté le collège Voltaire. Pour nous, c’était trop loin ! Par contre, j’ai connu Rousseau, feu Malesherbes, etc. C’est à partir des années 80s que l’on a commencé à beaucoup parler de violence mais personnellement, je rien remarqué de particulier. J’entendais souvent les médias dénigrer Sarcelles mais à moins que je sois aveugle, je n’ai rien vu ou très peu, du moins, pas plus qu’ailleurs…

Á l’époque à Sarcelles, les Antillais représentaient déjà la deuxième communauté, juste après les Juifs. Mais, la vie communautaire a réellement commencé à se développer un peu plus tard, dans les années 80s. En 75, il y avait encore très peu de fêtes. Il fallait aller sur Paris pour ça. Le lac n’existait pas ! Il n’a été aménagé qu’en 90 ! Auparavant, il n’y avait que des marécages, des champs, des vergers, jusqu’à Saint-Brice. J’y allais parfois avec des camarades manger des prunes et des poires et on se choppait de sacrées diarrhées ! Comme on ne nettoyait pas les fruits, forcément le soir, on y avait droit…

Quand j’étais ado, au risque de faire vieux con, je dirais que l’on était beaucoup plus libre que maintenant, même si je pense que mes parents étaient beaucoup plus sévères. Par exemple, je sais qu’à dix-neuf heures, il faillait que je sois chez moi. On faisait nos escapades, on allait jusqu’à Garges, au niveau de la Dame Blanche et à Saint-Brice, voir le mont de Gif. C’était notre limite. Mais à dix-neuf heures, chacun était chez soi !

C’est difficile de comparer ma jeunesse avec celle d’aujourd’hui. Je ne peux pas me mettre dans la peau d’un ado, quoique j’ai un fils de quinze ans ! Mais bon, en même temps, je ne peux pas me mettre à sa place. Très sincèrement, je pense nous étions beaucoup plus libres, que ce soit dans nos mouvements ou notre façon de penser. Je crois que nous avions un avenir alors qu’aujourd’hui, je répète sans cesse à mes enfants qu’il faut travailler très dur pour s’en sortir… Quand on voit que souvent, les jeunes n’ont pratiquement rien, même avec un Bac + 5, c’est inquiétant ! Alors que nous, on savait que l’on arriverait à quelque chose au final …

Lorsque j’avais sept huit ans, mon père se vantait d’avoir changé sept fois de métier ! Quand ça ne lui plaisait pas, il prenait ses clics et ses claques et partait… Il faut dire qu’il était souvent confronté au racisme ! Ayant une certaine fierté, il a donc arrêté un jour pour monter sa propre boite… Ce ne serait plus possible maintenant !

Á l’époque, nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêts que les jeunes d’aujourd’hui. Par exemple, pendant les vacances, mes enfants passent leur temps à jouer à la Play Station ou à surfer sur le net alors que nous, on allait manger des fruits, etc. On était dehors à longueur de journée ! Il n’y avait qu’une ou deux chaînes de télé, dont les programmes ne commençaient qu’à partir de quatre heures de l’après-midi, et nous étions plus souvent à l’extérieur de la maison que dedans ! Tandis que mes enfants, sortir ne leur dit absolument rien ! Ils préfèrent rester enfermés à chatter avec leurs camarades…

Peut-être y avait-il moins de danger pour nous ! Certainement ! C’est sûr même ! Voilà pourquoi je pense que nous étions beaucoup plus libres avant. Á mon avis, la jeunesse actuelle est complètement aliénée par le progrès… C’est bien Internet ! Je n’ai rien contre puisque c’est mon outil de travail ! Mais, il n’y a plus autant d’échanges qu’auparavant… Je sais, je fais vieux con, mais j’ai prévenu !!! Bref, notre quotidien d’ado n’avait rien à voir avec ce que vivent les jeunes sarcellois d’aujourd’hui…

Quand on avait quinze ans, on rêvait d’évasion. Comme tous les ados, on voulait voyager plus ou moins. C’est vrai qu’à cette époque, je rentrais en Guadeloupe voir mes grands-parents tous les cinq ans et je n’avais qu’une hâte, c’était d’y retourner ! Ce qui marque ici, c’est quand même la grisaille de l’environnement ! Donc, dès qu’on en avait l’occasion, dès que les beaux jours arrivaient, on allait dans les vergers. Nous n’avions pas tous la possibilité de partir en vacances ! Alors, on faisait des escapades à droite à gauche. Nous n’étions jamais chez nous ! Mais, chaque fois que je devais quitter les Antilles, c’était très difficile pour moi… Je n’avais pas envie de rentrer… J’aimais Sarcelles ! Ce n’est pas la question ! Seulement en Guadeloupe, il y avait les senteurs, les couleurs… Ici, tout était plus fade et gris… Quand je revenais, il me fallait deux trois mois pour m’en remettre !

Gamin, je serais volontiers retourné vivre au Antilles… Ensuite, adolescent, avec les copines et tout ça, ce n’était plus pareil. Á partir de là, j’ai complètement changé. Y aller pour deux mois me paraissait amplement suffisant ! Mais, je n’envisageais plus de m’y installer définitivement… D’ailleurs, je disais là-bas des choses qui choquaient mes cousins, même mes parents : « Le métro me manque… Paris me manque… La grisaille me manque… » C’est assez amusant quand j’y repense ! Mais, si les îles sont souvent synonymes de soleil, de lagons et de plages de sable fin, on en a vite fait le tour !

Le développement du communautarisme dans les années 80s

Avant les années 80s, à Sarcelles, il n’y avait pas ce communautarisme que nous connaissons aujourd’hui. Ça n’existait pas encore ! Tout le monde se mélangeait sans aucun problème. Par contre ensuite, de plus en plus d’Antillais sont arrivés. Dans les années 90s, ce fut le tour des Indiens, des Pakistanais, des Chaldéens et c’est vrai qu’à ce moment-là, tout s’est plus moins sectorisé, ce que je n’avais pas connu jusque-là…

Á l’époque, j’allais de temps en temps au Village mais il y avait une sacrée différence avec le reste de Sarcelles. C’était la zone pavillonnaire. Quoi qu’il soit, dans les années 70s, cette histoire de communautés n’existait pas… Je crois que les associations antillaises ont commencé à se monter au début des années 80s, lorsque le flux migratoire a commencé à vraiment devenir important. Je peux en parler car mon père en a une sur Sarcelles, le CROMVO. Forcément, dès lors qu’une communauté commence à grossir, les gens aiment à se retrouver entre eux et c’est ce qui finit par créer ce communautarisme que l’on trouve un peu partout en France. Mais, je n’ai pas connu ça au départ. Nous étions alors deux ou trois Antillais dans le quartier et on était content de se parler en créole, même si mes parents me l’interdisait.

Cette histoire de privation dont j’entends parler actuellement, je l’ai vécue ! Mon père comme ma mère me donnaient des claques quand je parlais en créole ! « Non, tu dois parler français ! » Et même aux Antilles ! N’importe quel jeune de mon âge devait parler français à la maison… Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il me semble d’ailleurs que c’est tout à fait le contraire. Il y a une résurgence des racines. Maintenant, on enseigne le créole aux Antilles alors qu’avant, c’était complètement aberrant !

Mais là-bas, les gens des villes ont de plus en plus tendance à y incorporer beaucoup de mots français. Lorsque je revenais de temps en temps là-bas, il m’arrivait de ne plus comprendre mes grands-parents qui habitaient à la campagne… Le créole a donc plus ou moins tendance à se dénaturer… Il faut dire qu’il y a une communauté haïtienne plus ou moins récente, installée depuis une dizaine d’années, venue rejoindre les Guyanais, Martiniquais et Guadeloupéens. Alors, les jeunes Antillais nés ici mélangent tous les créoles ! Quand vous faites attention à leur langage, à leur verlan, c’est un mélange d’arabe, de wolof, de lingala et de créole antillais ! Il y a un peu de tout ça quand j’entends parler les gamins !

Malgré le communautarisme que l’on connaît aujourd’hui, je côtoie régulièrement des gens d’autres origines. J’ai par exemple des amis indiens musulmans qui viennent de Caracal. Ils ont la nationalité française. Il y également beaucoup d’Indiens à la Réunion ! Et aux Antilles, le tiers de la population est indien. Mais là-bas, ils sont plus où moins indous. Ils ne sont pas de religion musulmane.

J’ai rencontré ces amis au boulot. Ce sont des collègues. On s’invite souvent et on s’échange des recettes. En général, les Antillais adorent la cuisine indienne ! Il ne faut pas oublier que la moitié de notre cuisine est originaire des Indes !

J’ignore si le CROMVO organise des contacts interculturels avec d’autres associations car je n’en fais pas partie intégrante. En tout cas, je sais qu’ils mettent des choses en place à travers le sport.

Améliorer Sarcelles

Je pense que pour améliorer Sarcelles, il faudrait développer davantage les relations interethniques. Mais, ce que je voudrais dire sur le plan politique, c’est que le maire que nous avons là, contrairement aux deux précédents, fait beaucoup moins de clientélisme. Par contre, je crois qu’il pourrait en faire plus au niveau des jeunes, même s’il a déjà commencé à entreprendre des choses. Il faut reconnaître que cela a bien évolué par rapport à ce que j’ai connu dans les années 80s ! Il y a eu un réel effort engagé par cette municipalité !

Mais, il faut toujours en faire plus pour les jeunes, pour les aider. On sait très bien que socialement, ils ont beaucoup moins d’avantages aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années ! On les lâche aujourd’hui dans une société qui n’est pas prête pour eux et je pense qu’ils sont un peu perdus… Par exemple, j’ai deux jeunes à la maison et ils ne savent toujours pas ce qu’ils vont faire demain ! Ils ne savent pas… Mais, ce n’est pas spécifique à Sarcelles…

Au niveau du civisme, il y a beaucoup à faire ! Je trouve que les jeunes sont un petit peu largués… Du moins, bien plus qu’auparavant… Personnellement, j’étais beaucoup plus concerné que mes enfants par la vie ! Par mon entourage ! Et quand je vois leurs camarades, c’est un peu la même chose ! Alors, il est vrai que la mairie fait du bon travail mais je pense qu’il reste encore des choses à réaliser…

Message aux jeunes

Il ne faut pas qu’ils perdent espoir même si aujourd’hui, les adultes leur demandent beaucoup plus que par le passé car nous vivons dans un monde où la concurrence est partout. Il faut donc qu’ils s’accrochent, qu’ils foncent mais qu’ils vivent aussi leur jeunesse jusqu’au bout parce que maintenant, dès quatorze quinze ans, on leur demande de trouver un boulot. Ce n’est pas ça la vie ! Je pense que les jeunes doivent vivre leur jeunesse avant tout car ils n’en auront qu’une… Malgré les discours pessimistes, malgré les statistiques, il ne faut pas perdre espoir et foncer…