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Crécicultrice, marché d’Azebrouck le lundi, Auchy le mardi, jeudi Fauquembergues...

Madame Marcelle Petit née à Norrent Fontes le 28 juillet 1925.

samedi 6 mars 2010, par Frederic Praud

J’étais crécicultrice, travaillais à la culture du cresson. Il fallait nettoyer le terrain, le mettre bien à sec, semer le cresson. Une fois divisible, le cresson était repiqué de place en place. On le soignait selon la température. Arrivé au temps de la cueillette, nous allions le ramasser avec mon mari. Nous le cueillons l’après-midi pour le vendre le lendemain et tous les jours comme ça, pendant toute la saison. Nous vivions de cette culture et de plans de légumes à repiquer, céleris, poireaux, légumes de jardin. La saison du repiquage est plus courte que la saison du cresson qui reste variable selon la température. Il fallait toujours être présent. Alors que nous déjeunions à Cassel, la fille qui était restée à la maison nous a téléphoné pour nous informer que la température allait trop baisser. Nous avons quitté le repas et sommes retournés chez nous pour surveiller le cresson que nous n’avons pu cueillir pendant un certain temps en attendant un temps plus clément. Nous avions 27/28 bassins de cressons et étions considérés comme maraîcher et agriculteurs. Nous faisions partie de la MSA d’Arras. Une fille de Radinghem mariée et mère de quatre enfants a travaillé chez moi à Lugy.

Quand on fait du commerce, on doit savoir causer et savoir se taire ! Nous allions vendre le cresson au marché d’Azebrouck le lundi, à Auchy le mardi mais nous n’y vendions pas de cresson, Audruick le mercredi, jeudi Fauquembergues, vendredi Lumbres et le samedi Fruges. Nous ne passions pas régulièrement à Radinghem. Il n’y avait pas de marché mais nous pouvions quand même y aller en voiture et ce, uniquement de maison en maison, quand nous n’avions pas tout vendu notre marchandise. Nous essayions de liquider ce qui restait dans les villages environnants du lieu de marché en attendant de préparer la marchandise du lendemain. Nous allions souvent seuls au marché, car une personne suffisait. Mon mari allait faire un autre marché ou quelques villages. Nous ne passions pas notre temps à ne rien faire.

Mes parents étaient agriculteurs dans une petite ferme. J’ai trait à la main avec deux seaux. J’allais faire les gerbes de blé et nous nous « garions » sous les cahots quand arrivait un orage ou la pluie. Il n’y avait pas beaucoup de place pour deux… J’ai beaucoup travaillé… arraché des betteraves, etc… Avant d’être agricultrice, ma mère était repasseuse et mon père travaillait à l’usine, à la mine du Transval. Ils ont monté une culture en se mariant et ont beaucoup travaillé…peut-être un peu exagérément. Ouvriers tous les deux, ils ont monté d’un échelon social en devenant agriculteur. Ils sont devenus en partie propriétaire, notamment de leur maison. Ils n’étaient pas très riches mais la santé primait. J’étais élevée dans la culture et j’y étais bien. Je voulais continuer dans cette voie mais mon mari faisait autre chose et j’ai travaillé avec lui plus dur que dans l’agriculture. Il fallait aller travailler par tous les temps…

Je suis allée à l’école libre, l’école privée. Elle était dirigée par Monsieur le Doyen, Monsieur le curé. J’ai été punie par lui car j’ai voulu aller avec ma mère au marché à Aires sur la Lys. Comme j’étais dans l’année de ma communion, il n’a pas voulu que j’y aille. Je lui ai répondu « oui, mais j’irai après le catéchisme. J’irai au marché toute seule ! » J’y suis allée à pied… A Noël ,je ne pouvais pas me rendre à la messe de minuit. Nous habitions à l’écart, à plus d’un kilomètre du village et jamais mon père n’aurait permis que j’y aille.

Nous vivions bien pendant la guerre 39/45. Des gens des villes venaient s’approvisionner chez nous. Nous avons dû loger un soldat allemand à la maison mais pas longtemps. Mon père et mon frère ont été réquisitionnés et obligés d’aller installer des piquets Rommel sur le terrain d‘aviation pas loin de chez nous, à quatre kilomètres de la maison.

J’ai rencontré mon mari dans la voiture ! Nous habitions à 50 mètres. Il me voyait passer, conduire les vaches tous les jours. Il disait, « celle-ci a de beaux mollets. Elle passera par mes mains… » Nous nous sommes fréquentés un certain temps mais tout a du se terminer provisoirement car cela ne plaisait pas à mes parents. Ils n’étaient pas du même rang, mais la peur n’évite pas le danger. Mon papa m’a obligée à attendre ma majorité. J’ai fait demander par la sœur de ma mère si mon père acceptait que je me marie avant. Il m’a répondu, « non, elle attendra ses 21 ans ! » Mes parents se sont opposés au mariage.

Je suis alors partie de chez moi pour loger à l’hôtel, "l’Orette", un certain temps. Une fois revenue ma mère a dit, « ma fille, tu ne sais pas que je suis ta mère ?
  si maman, » et je suis rentrée en pleurant et nous avons attendu l’heure…
Nous ne nous sommes pas mariés le jour de mes 21 ans, un dimanche. Nous avons attendu le lundi matin, un lundi de ducasse. Je me suis mariée en costume gris avec un chemisier blanc. Mon mari avait un beau tailleur noir et une chemise blanche.

Mes parents ont ensuite bien accepté mon mari chez eux… Tout était devenu rose ! Nous habitions à 50 mètres de chez mes parents. J’envoyais tous les jours ma fille chez ma mère. Je sortais la tête et la regardais revenir à telle heure, partir à tel moment… Nous étions en parfait accord mais pourquoi ne l’ont-ils pas voulu auparavant ? Parce qu’il n’était pas agriculteur ?

J’ai hébergé ma mère un certain temps mais mon père a exigé que mon mari la reconduise à la maison paternelle. Mon mari était d’accord pour que ma mère vive chez nous mais il y avait du travail chez mon père. Je lui disais, « quand elle ne sera plus, tu l’auras sur les bras… le travail ! Tu verras alors ce que cela peut être. » Mon père était trop exigeant. Ma mère travaillait trop. Elle n’avait pas le droit d’aller à la messe parce qu’elle n’avait pas le temps. Elle avait du travail ! Il n’avait qu’à le partager avec elle… au lieu d’aller voir ses champs.

Je suis devenue maraîchère après mon mariage. Mon mari avait déjà quelques cressonnières. Ma belle sœur, sœur de mon mari se mêlait de nos affaires. Elle voulait être notre chef. Nous avons donc quitté Norrent Fontes pour Lugy que j’ai habité 30 ans. Nous avons construit nos propres cressonnières. Les pompages ont été installés par Oirin de Fruges.

Le jour où je me suis mariée, mon mari m’a donné les clefs en me disant, « à toi de savoir te diriger, de savoir mener la maison et ton argent ! ». Je me suis mariée avec un veuf qui avait déjà une fille de trois ans de moins que moi. Il a alors demandé à sa fille, « Odette, donne-moi les clefs ! » et il me les a remises. « C’est à toi qu’elles appartiennent maintenant ! »

J’ai eu quatre filles, dix petits-enfants et dix arrières petits-enfants. J’ai eu trois enfants en onze mois, l’aînée le quatre janvier et les deux jumelles le premier décembre 1948. J’avais dit à mon mari, « tu sais que j’en veux deux tout de suite pour les habiller toutes deux pareilles ! » Elles ont été habillées pareilles jusqu’à leur communion. Elles ont communié toutes trois en blanc. Je les ai laissé faire selon leur bonne volonté.

Vous pouvez retrouver l’intégralité des témoignages sur le monde rural du pays des 7 vallées, Radinghem, dans un ouvrage pdf à cette adresse internet :
http://www.lettresetmemoires.net/nous-entrerons-dans-campagne-pays-7-vallees-pas-calais-au-cours-20eme-siecle.htm


Voir en ligne : Radinghem intégralité de l’ouvrage

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