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Savoie rude - enfance dure - mère de famille à Sarcelles

Mme Mireille Pantigny

dimanche 14 mars 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Une enfance très modeste d’une parisienne en Savoie

Je suis née en 1945 à Paris. J’ai fait mes premiers pas à Montmartre. Mais, je n’ai que très peu de souvenirs de la capitale car nous y sommes restés très peu de temps. Nous sommes en effet partis nous installer en Savoie, dans la vallée de la Maurienne, à quarante-cinq kilomètres de l’Italie. Là-bas, j’ai mené une vie bien rude… J’ai connu la neige six mois par an et des températures pouvant descendre à –25°C, ce qui ne m’empêchait pas d’aller le matin à l’école, sans pantalon, rien qu’avec mes petites chaussettes, ma petite jupe qui collait à mes genoux gercés et surtout ces horribles galoches. Bref, j’ai l’impression d’avoir vécu un siècle en arrière…

La galoche était une chaussure en cuir très dur, avec une semelle de bois. Mais, les autres enfants du village étaient moins malheureux que moi. Ils avaient quand même des chaussures un peu plus confortables. Á l’époque, je faisais du bruit avec mes galoches quand je marchais à l’école sur le plancher de bois ! Alors, la maîtresse m’appelait « Plan Plan ». J’avais toujours droit à : « Plan Plan au tableau ! » C’était déjà la bonne humiliation ! C’était un bon départ dans la vie…

Mon père était ouvrier dans l’usine de phosphore du village. Mais avant de venir y habiter, nous résidions dans un autre petit village, à plusieurs kilomètres… et hiver comme été, il partait travailler en vélo ou à pied. Quand il faisait très froid, il se mettait de la ouate thermogène, une sorte de coton de couleur rouge. Pour avoir bien chaud lorsqu’il avait la crève, il l’imbibait en plus d’eau de Cologne et recouvrait le tout de journaux, le Dauphiné Libéré, devant et dans le dos. Il fallait bien ça car –25°c, c’est épouvantable !

Quand il était malade, on lui mettait des ventouses pour le soigner. On prenait un pot en verre, puis on passait une flamme dedans pour faire le vide et on le collait dans le dos. Ça faisait ventouse ! La peau était tirée et ça aidait à chasser les microbes, à enlever le mal…

Nous étions les plus pauvres du village et j’avais parfaitement conscience d’être différente des autres enfants. Eux avaient tous des pantalons l’hiver ! Et puis, j’ai eu en plus la malchance d’être martyrisée. Toutes les conditions étaient donc réunies pour que je sois mal ! Il ne fallait pas attendre des instituteurs la moindre marque de gentillesse ou d’affection, d’autant plus que j’étais parisienne et les Parisiens, on ne pouvait pas les encadrer ! C‘était une forme de racisme ! Parce que nous n’étions pas savoyards, on nous considérait comme une race à part, de la même manière que peuvent l’être les immigrés de couleur aujourd’hui. Mais j’ai toujours combattu cette exclusion dont nous faisions l’objet parce que j’avais un caractère très fort…

Enfant, j’étais un peu Heidi, la petite fille dans les montagnes. J’allais garder les vaches, garder les chèvres. Je me proposais pour tous les travaux des champs et j’en garde des souvenirs merveilleux, notamment des parfums que je sens encore… D’ailleurs, il y a quelque années, alors que j’avais cinquante cinq ans, je suis retournée dans mon village avec mon mari et des gens lui disaient : « Oh la la, qu’est-ce qu’elle était gentille Mireille… Elle était de tous les services… » Ça vous fait chaud au cœur d’entendre ça à cet âge-là ! Á l’époque, je trouvais vraiment mon bonheur dans la nature, dans tout ce qu’elle vous offre. C’était ma vie… Aujourd’hui, j’ai dix petits-enfants et je peux vous assurer que je ne les envie pas !

Á la maison, nous avions l’électricité mais seulement quand ça voulait bien fonctionner. Comme nous étions en haute montagne, l’approvisionnement était souvent coupé, soit à cause du givre sur les câbles, soit à cause des orages. Dans ce cas, on s’éclairait à la lampe pigeon et à la lampe à pétrole. Mais, les coupures pouvaient parfois durer plusieurs jours ! En plus, nous habitions une maison qui était un véritable taudis. Comme on était parisiens, on nous avait refilé en location un ancien moulin à huile de noix dont il ne restait qu’un pan de la toiture. Nous n’avions que deux pièces habitables, une en haut et une en bas. On était cinq à vivre là-dedans !

Et puis, il n’y avait pas l’eau. Il fallait la tirer dans le ruisseau d’à côté. On devait également sortir les eaux sales de la maison car bien entendu, il n’y avait pas d’écoulement. Quant à l’eau potable, j’allais la chercher comme d’ici du centre social des rosiers à la maternelle Pierre et Marie Curie. Ça faisait quand même une bonne trotte ! Surtout avec deux petits sceaux d’eau ! Aujourd’hui, on a du mal à s’imaginer qu’une petite fille pouvait vivre comme ça dans les années 50s…

Rêves de gamine

Gamine, je n’avais pas beaucoup de rêves… Déjà, je n’avais jamais voyagé ailleurs ! Je ne me rappelais pas de notre venue en Savoie. Je me revoyais seulement à Montmartre, avec les grosses malles d’osier et tout notre matériel. Mais par la suite, je n’ai pas fait de voyages parce que nous n’avions pas de voiture et pas les moyens de sortir… Alors, j’avais l’impression que ma vallée cernée par les montagnes représentait le bout le monde ! J’avais l’impression que tout s’arrêtait-là ! Il n’y avait pas d’ailleurs pour moi… Mes seules ailleurs se trouvaient dans les livres de l’école, notamment dans celui de géographie. D’ailleurs, je voulais être prof d’histoire-géo car je trouvais ça formidable. C’était mon évasion à moi… C’était mon rêve…

Mais, vu que j’étais martyrisée, j’en avais également un autre, peut-être moins réjouissant : celui que mes parents meurent pour je puisse aller à l’assistance publique… Il y avait une petite maison délabrée, plus haut dans la montagne, et quand nous étions là-bas avec mes frère et sœur, à garder les chèvres, nous ne souhaitions qu’une seule chose : que nos parents meurent. On avait huit ou dix ans et on se disait : « On ira cueillir chercher des noix, on fera ci , on fera ça, papa et maman vont mourir ; tant mieux… » On ne souhaitait que ça… Plus tard, bien sûr, je les ai respectés mes parents ! J’étais une fille correcte, comme il se doit, comme tout le monde !

Même si maman avait tout de la marâtre, elle était très intelligente et elle nous a beaucoup cultivés. Mais, tout se faisait par obligation ! Par exemple, l’après-midi par beau temps, on s’installait avec elle au bord du ruisseau sur des couvertures, et pendant trois heures, elle nous faisait la lecture, réveil à l’appui. Tout était de l’acharnement ! Il n’y avait aucun sentiment…

Privée d’amour et d’affection

La première fois que ma mère m’a dit que j’étais belle, j’étais enceinte de ma petite dernière et j’avais vingt-neuf ans… La première fois que mon père m’a embrassée, j’avais quatorze ans. Au Certificat d’études, j’étais arrivée en tête du canton sur les trois cent cinquante enfants qui le passaient et je ne sais pas pourquoi mais ma mère lui avait dit : « Tu pourrais quand même embrasser ta fille ! », ce qu’il s’était finalement résolu à faire mais sans chaleur et en quatrième vitesse…

J’étais une enfant battue… J’avais des marques, j’étais lacérée à coups de baguette de noisetier ou à coups d’orties…. Parfois, on me balançait même des cailloux… et ce n’était pas parce que je faisais plus de bêtises que la moyenne ! J’étais une petite fille comme les autres… En fait, ce qui m’a sauvée, c’est que j’ai toujours été gaie et espiègle… D’ailleurs, ma mère m’en voulait beaucoup de ne jamais faire la tête comme mes frères et soeurs. Cinq minutes après avoir reçu une tannée, je chantais ! Il faut dire que j’étais tellement habituée… Mais, c’était horrible ! Aujourd’hui, même si on m’offrait des châteaux en Espagne ou des puits de pétrole, je préfèrerais encore mourir plutôt que de revivre ça… Je me demande même comment j’ai fait pour m’en sortir… L’être humain doit être l’animal le plus solide qui soit pour arriver à supporter des choses aussi abominables….

En tout, j’ai élevé sept ans et j’ai dix petits-enfants. Et bien, en terme d’amour, je leur donne tout ce que je n’ai pas eu ! Au centuple, même mille fois…. Au fond, j’ai eu une grande chance ! La capacité à faire face est un don de la nature qui m’a été offert, car j’aurais très bien pu reproduire avec mes enfants le même schéma, ce qui arrive malheureusement dans au moins cinquante pourcents des cas… Je suis donc parfaitement consciente de la chance que j’ai… Je leur ai donné une éducation très stricte. C’était tout droit ; ni à gauche, ni à droite. Encore aujourd’hui d’ailleurs ! Mais, je leur ai donné beaucoup d’amour et surtout des explications…

Actuellement, mon mari a soixante trois ans et moi, je vais bientôt en avoir soixante et un ; chez lui, ils étaient dix, chez nous, on n’était que trois, mais il n’y avait pas de déviances. L’éducation était différente à notre époque… Et l’instit, c’était une horreur ! Il nous faisait la leçon de morale mais il ne se l’appliquait pas à lui-même ! Moi, j’étais pauvre et mal aimée et lui en plus en rajoutait une couche ! J’ai été traitée de la même manière par tout ceux que j’ai eus, dans les trois classes que j’ai faites, qui étaient des classes doubles…

Départ de la vallée

Je suis sortie de cette vallée non sans difficultés. Je travaillais très très bien à l’école. Il faut dire que j’avais quand même une mère intelligente, qui veillait au grain, qui vérifiait que nous faisions bien nos devoirs, qui nous apprenait le respect. J’étais une gentille petite fille, serviable, dévouée et surtout, toujours gaie. J’avais au moins cette chance ! Une fée avait dû se pencher sur mon berceau.

Mais, on m’a coupé l’herbe sous les pieds… Moi, je voulais étudier ! J’ai passé mon Certificat d’Etudes à quatorze ans mais il y avait la possibilité d’aller en sixième ! Seulement non, on m’a laissé jusqu’au bout du Certificat d’Etudes et après, il a fallu reprendre en classe de cinquième, c’est-à-dire avec une année de retard sur les autres, qui avaient étudié la langue qu’on apprenait là-bas, à savoir l’italien, qui avaient appris l’Antiquité, période que je n’ai jamais abordée à l’école. J’ai donc des lacunes énormes ! Et je n’ai jamais eu le temps de les combler. Je n’ai pas non plus étudié les deux guerres mondiales ! J’ai finalement sauté pas mal de choses en ne passant pas par le circuit normal…

Enfin, j’étais quand même bonne élève, sauf en maths. Seulement un beau jour, alors que j’étais en classe de quatrième, ma mère m’a dit : « Maintenant l’école, c’est fini. Il faut que tu ailles travailler parce qu’on n’a pas l’intention de te payer quoi que ce soit ! » J’ai donc commencé à travailler… En plein hiver, je descendais à cinq heures du matin pour aller prendre un train à six heures et demie, qui m’emmenait à soixante cinq kilomètres, jusqu’à Chambéry. J’étais mécanicienne en confection. Je faisais les bas des costumes d’homme. Mais à l’époque, on ne mettait pas de tampons dans les oreilles et dès qu’on avançait, l’aiguille faisait « tac, tac, tac, tac, tac ! » C’était ça à longueur de journée ! Chaque ourlet nous rapportait onze centimes… Je devais gagner l’équivalent de deux cent cinquante nouveaux francs par mois. On disait vingt-cinq mille à ce moment-là…

J’ai travaillé à l’usine pendant plusieurs années, jusqu’au moment où j’ai été propulsée à Sevran. Un professeur agrégé d’histoire-géo au lycée du Raincy avait sa famille au village et un jour, il a demandé à mes parents : « Est-ce que vous pouvez nous donner Mireille comme bonne à tout faire ? » Voilà comment je suis arrivée en région parisienne.

Bonne à tout faire à Paris : un quotidien très dur

Paris, pour moi, c’était magnifique ! C’était un peu l’eldorado ! Ma mère avait des livres dans lesquels elle m’avait montré les beaux monuments de la capitale. Elle m’avait parlé du Louvre, des tableaux, des machins. J’avais une éducation tout à fait classique : musique, théâtre, etc. J’étais du comité des fêtes et je faisais du théâtre, j’allais de village en village. Je vivais bien dans ma petite bourgade ! Je menais une existence qui n’était pas si moche que ça, hormis le désamour total de mes parents et les humiliations qu’on m’infligeait…

Sevran à l’époque, c’était encore la campagne. J’avais le canal de l’Ourcq à côté et j’y faisais des balades pédestres. J’habitais la cité « Terre et Familles », dans de petits immeubles en briques de deux ou trois étages. Les grands ensembles n’existaient pas encore ! Ils n’ont été créés qu’après. Ironie du sort, je suis venue un soir à Sarcelles en voiture avec des camarades et en voyant l’église du Village, j’ai trouvé ça magnifique. Mais, c’était tout éventré car ils étaient en train de construire Miraville. Jamais je n’aurais pensé qu’un jour, je viendrais vivre à Sarcelles et m’y marier ! C’est quand même drôle ! Et lorsque j’ai vu Miraville terminée, je me suis dit : « Mais, je connais ! Quand je suis venue, c’était une excavation, c’était en train de se construire. »

J’étais donc bonne à tout faire au lieu d’être professeur d’histoire-géographie. J’étais habituée à la souffrance et j’ai continué… Avec ce patron-là, ça allait à peu près car j’étais une fille du village et j’y retournais un mois en vacances avec les petits-enfants que j’emmenais chez leur grand-mère. J’avais la nostalgie de la montagne ! C’est quelque chose qui m’a toujours manqué… De mes fenêtres, lorsque je voyais des nuages, j’imaginais des montagnes ! Et ça m’arrive encore… Malgré tout, j’ai vécu mon arrivée ici comme un déracinement… J’étais très heureuse de partir de chez moi mais je me sentais déracinée… Alors, je comprends la souffrance des gens qui viennent d’ailleurs ! Tout en restant à l’intérieur d’un même pays, j’ai ressenti moi aussi et je ressens encore ce manque…

Mais, je n’avais pas le choix ! J’avais la vie très dure parce qu’à l’époque, je devais gagner trois cents francs, tout en étant nourrie logée, et ma mère m’en prenait deux cent cinquante. Elle ne me laissait donc que cinquante francs pour payer mes tickets de métro, mes trains, mes bus, pour pouvoir venir à Paris. C’est là qu’après, je suis allée chez un ami de ma mère et que j’ai rencontré le père de mes premiers enfants. J’étais toute jeune, j’avais seize ans, et je suis tombée amoureuse en pensant que c’était pour la vie… J’avais enfin trouvé quelqu’un qui me respectait, qui me donnait de l’affection ! Je me suis mariée à dix-neuf ans et à ce moment-là, chose qui n’existe plus maintenant, mes parents ont dû se déplacer à la mairie du village pour donner leur accord.

Mon mariage m’a notamment permis de changer de patron parce qu’après celui de Sevran, chez qui je suis restée environ deux ans, j’ai connu de drôles de galères ! J’en avais marre de donner l’argent à ma mère ! Comme je travaillais, je ne coûtais plus rien à mes parents. Mais, ils vivaient avec mon argent tandis que moi, je n’avais rien ! Après, j’ai donc changé de patron. Dans le temps, c’était très facile ! Quand on quittait un boulot le matin, le soir, on en avait un autre ! Chose qu’on ne reverra sans doute jamais… Maintenant, c’est fini… Lorsque j’étais jeune fille, j’allais dans un bureau de placement à Paris, qui se trouvait à Denfert-Rochereau, je disais : « Voilà, j’ai mon certificat de travail » et allez hop ! Le soir même, je posais mes valises dans une autre maison.

J’en ai donc fait plusieurs, dans lesquelles j’ai connu des fortunes diverses. Un jour par exemple, une patronne m’a dit : « Moi, j’en ai marre de vous payer à rien faire ! » alors que je ne ménageais pas ma peine ! Elle avait un couloir entier de livres et je ne faisais que ça ! Elle avait également deux enfants et chacun devait rester dans sa chambre. Ils n’avaient pas le droit de jouer ensemble. C’était bizarre mais c’était comme ça. Je ne devais pas regarder les heures auxquelles je me couchais, car s’il y avait du monde à trois heures du matin, il fallait encore astiquer l’argenterie. En fait, ce sont toujours les plus riches qui ont été le plus désagréable…

Mais, j’ai rencontré du beau monde ! J’ai notamment travaillé chez un très grand avocat, qui était l’élève de maître Tixier-Vignancourt, un avocat notoire. J’y ai servi l’apéritif ou à dîner au Général Salan, à Robert Hossen, à Michel Mercier, au Premier Ministre belge, au prince Norodom Sihanouk, etc.

Seulement, il y avait aussi l’envers du décors. J’étais boulevard Montaigne, à côté du rond point des Champs-Elysées, et j’avais onze pièces à nettoyer tous les jours. Ce n’était pas rien ! La petite grand-mère qui avait soixante-seize ans se mettait à genoux avec moi pour astiquer la moquette et il fallait frotter jusqu’à ce que le chiffon soit blanc. Il y avait aussi des lustres comme à Versailles et il fallait passer la journée à les nettoyer. Les robes d’avocat et les chemises de chez Dior ou Lanvin tout en organdi, n’étaient pas envoyées au pressing ! Qui est-ce qui se tapait ça ? C’était Mireille ! Alors bien souvent, je me couchais à trois ou quatre heures du matin…

En plus, je ne vivais pas dans la maison comme chez les autres, où j’avais ma chambre, où je pouvais profiter de la douche, où j’avais mon cabinet de toilettes à moi ! Là, rien…J’habitais au sixième étage, dans une chambre de bonne où il y avait juste un robinet et une petite cuvette. Je devais m’en contenter pour faire ma toilette et laver mon linge. Dans l’appartement de cet avocat, il y avait bien deux somptueuses salles de bain mais je n’avais pas le droit de prendre la moindre douche ou le moindre bain… C’était vraiment de l’esclavage…

Ils savaient que j’étais mineure ! Ils me disaient : « Vous savez, vous êtes mineure ! Maître va vous ramener chez vous en Savoie si vous ne voulez pas rester chez lui ! Il est hors de question que vous alliez ailleurs ! Nous, on est responsables de vous ! » Alors, j’ai commencé à vraiment en avoir marre et j’ai dit que mon compagnon voulait m’épouser. Quand j’ai obtenu ce fameux papier, j’ai enfin pu partir…

Mais, avant de me marier, je suis allée dans une autre maison, une maison de retraite située boulevard Saint-Michel, qui accueillait quatorze grand-mères. Á l’époque, c’était déjà cher ! Elles payaient mille cinq cents francs la chambre, avec moquette rouge et baignoire. J’avais donc quatorze chambres à nettoyer et quatorze repas à servir au plateau, matin, midi et soir. Je faisais le travail toute seule. Il n’y avait pas encore de lave-vaisselle ! En plus du ménage, je devais aussi m’occuper des petites mémés handicapées. Mais alors là, j’ai vraiment été comblée, à tel point que je ne suis partie que pour me marier… Ces personnes étaient très gentilles et cultivées. Je sortais tous les soirs à la Comédie Française ou à l’Opéra ! Elles me payaient mon taxi pour y aller, mon taxi pour revenir. Je travaillais très dur mais c’était vraiment l’eldorado…

Dans ce métier, je n’ai jamais souffert de la routine car je n’avais pas le temps de penser, de me poser mille questions. Il n’y avait pas de répit ! Il fallait constamment assurer ! Et si on n’était pas bien, il fallait partir et pour ne pas être la rue, poser tout de suite ses valises ailleurs… J’ai arrêté de travailler une fois mariée et que j’ai eu des enfants… Je suis ensuite entrée comme aide ménagère à la mairie de Sarcelles lorsque j’en ai eu marre des couches qui n’étaient pas culotte … Aujourd’hui, je suis en retraite depuis un an.

Installation à Sarcelles

Au début, j’habitais à Malakoff, porte de Vanves. J’ai ensuite rencontré mon mari actuel, qui habitait Sarcelles et c’est comme ça que je suis venue m’installer ici, en 1973…. maisj’ai eu très peur une fois arrivée … La Sarcellite, on en parlait à fond la caisse ! Il s’agissait d’une maladie, d’un mal de vivre sensé toucher les habitants de ce grand ensemble dont on fête cette année les cinquante ans. Il avait été construit pour accueillir tous les gens mal logés à Paris, tous les réfugiés, tous les étrangers qui arrivaient en France. Mais, c’était formidable d’avoir un logement ici ! Même Monsieur le maire Pupponi nous a raconté une fois qu’en arrivant à Sarcelles, il avait trouvé ça merveilleux ! Il avait jusque-là vécu à Paris, dans un tout petit appartement, au sein d’une famille dont il était le cinquième enfant.

Il est vrai qu’ici, les logements étaient vraiment confortables comparés à ce que j’avais pu connaître à Malakoff ! Là-bas, les murs étaient pourris car nous vivions sur des garages délabrés. On mettait du chauffage avec la bonbonne de gaz et ça faisait plein d’humidité. C’était complètement insalubre et les toilettes se trouvaient dans la cour. Les couches culottes n’existaient pas ! Alors, bonjour la lessive ! Monsieur le bébé, on lui mettait un triangle, une pointe. La couche, il la portait toujours à un an ! Mes premiers enfants ont eu des langes en coton l’été et des langes en laine pour l’hiver ! On était donc toujours en train de laver, avec la fameuse machine en zinc, malgré l’humidité que ça faisait et les moisissures qui s’en suivaient !

J’ai eu peur en arrivant à Sarcelles parce que je me suis sentie complètement perdue. Á Malakoff, j’habitais dans le village tandis que là, je me retrouvais d’un seul coup dans le béton, au milieu de bâtiments qui se ressemblaient tous ! Mais à l’époque, mon mari avait deux enfants à charge et heureusement que j’avais ces deux petits pitchounets, parce qu’ils connaissaient les rues. J’habitais boulevard Maurice Ravel, le long de la voie ferrée, à côté de Montaigne, et je pouvais me retourner dans tous les sens, tout était pareil ! J’avais donc une trouille pas possible… En plus, à un moment, les enfants ont tous fait une crise d’appendicite en plein hiver et comme je ne savais pas conduire, je me tapais la clinique, la clinique, la clinique. Et le soir, quand j’avais quelqu’un derrière moi, j’avais très peur. J’avais très peur de Sarcelles…

On m’avait mis en garde : « Fais attention ! Tu risques de te faire arracher ton sac ! » etc. Mais, je craignais carrément de me faire tuer ! J’étais complètement obnubilée ! On m’avait dit tellement de mal de Sarcelles… J’ai eu peur pendant deux trois ans, jusqu’à ce que je me fasse mon nid. Grâce à mes deux petits, les deux premiers de mon mari, je m’y suis faite. Et puis, il y aussi le fait que la mentalité des gens n’était pas du tout la même que maintenant ! Comme je suis très communicative, je me suis rapidement fait mes amitiés dans le quartier Ravel, ce qui m’a beaucoup réconfortée…

En 73, j’avais six enfants au total. Après, nous en avons eu un septième. Et bien avec les autres mamans, on descendait, on s’installait dans les petits espaces verts et on tricotait. On avait nos petits goûter, on papotait, on veillait sur nos petits enfants. Ensuite, on allait boire le thé chez l’une ou chez l’autres, ce qui m’a permis de goûter au thé somalien, au thé ceci, au thé cela. C’était charmant !

Le soir, quand les hommes arrivaient, ça dressait la petite table de camping et ça tapait la belote ou les dominos. D’ailleurs, j’adore regarder les messieurs jouer aux dominos, le long de la gare, à Koenig, lorsque je vais chez ma fille. Ils ont leur table entre les voitures et ce sont toujours les mêmes ! C’est à peine s’ils ne jouent pas sous la flotte mais j’aime beaucoup parce que ça fait village… Á l’époque, c’était pareil ! On s’expliquait des points de tricot, ça jouait à la belote. Le week-end, ça buvait l’apéro, avec les petits gâteaux, les machins…

Mais maintenant, ça ne se fait plus ! Si on s’y remettait d’un seul coup, les gens se diraient : « Qu’est-ce qui leur prend à ceux-là ! » C’est fini tout ça ! Les anciens ne sont plus là et les mentalités ont changé. La société est devenue très individualiste ! C’est de ça dont on souffre ! Par exemple, ce que je ne supporte pas quand je prends un bus ou le métro à Paris, c’est de voir certaines personnes assises à leur place, les jambes étalées. Il faut quasiment leur donner un coup de pied pour pouvoir passer ! Alors, on aura beau dire, il y a quand même des choses qui se sont délabrées ! Pas seulement à l’échelon de Sarcelles mais partout !

Pas d’amour sans respect

J’ai connu une enfance très dure, c’est vrai, mais aujourd’hui, je me satisfais plus facilement de peu de choses… Pour moi, le bonheur n’existe pas ! C’est une utopie ! Mais, s’il devait y en avoir un, ce serait la somme des petits bonheurs. Par exemple, le simple fait d’être ici parmi vous et de raconter mon histoire, c’est un bonheur. Ce soir, je ferai autre chose, j’irai voir un spectacle mais ce matin, je savais que j’allais passer une bonne journée. Je suis là, je parle, j’échange, on m’écoute, je réponds, et ça me donne la chair de poule car ça me fait vraiment très très plaisir…

Je pense qu’avec de l’amour, les gens y arrivent… Vous les jeunes, je pense que vos mamans sont certainement toutes aussi délicieuses les unes que les autres, par rapport à celle que j’ai eue. Vous êtes maintenant des ados mais vous allez devenir des hommes et je trouve que c’est bien qu’il y ait ce genre de réunion, d’échange, parce que vous nous écoutez et il y a une transmission. Vous vous rendez compte qu’il y a eu des époques complètement différentes et vous pouvez comparer un petit peu avec ce que vous vivez actuellement. Au bout, cela va peut-être vous inciter à vous dire que vous avez de la chance, que vous pouvez changer les choses, que l’individualisme n’est pas une fatalité !

Pour moi, le plus beau mot de la langue française, c’est « le respect », car s’il n’y a pas de respect, il n’y a pas d’amour… Un mari doit respecter sa femme et une femme doit respecter son mari. On doit respecter tout être humain, qu’il vienne de droite, de gauche, du pôle Nord ou du pôle Sud ! Nous sommes tous des Terriens ! Alors, pourquoi se faire la gueule, pourquoi se faire la guerre ? Il faut donc que vous pensiez à ça. C’est la plus belle maxime que je puisse vous donner…

Être curieux et prendre le temps de se retrouver avec soi-même

Efforcez-vous aussi de ne pas être trop laxistes car nous vivons dans une société de consommation où c’est l’horreur… On est malheureux parce que l’on n’a pas le dernier DVD, etc. Mais, ce n’est pas ça la vie ! Il faut voir les choses autrement ! Je ne veux pas être fataliste mais je me demande souvent où vont mes petits enfants, je me fais du souci pour eux… On dit toujours qu’une existence en vaut une autre mais très franchement, malgré toutes les souffrances que j’ai endurées, je crois que la vie que j’ai eue n’était pas si mal… C’était une vie sans artifices, où l’on se posait davantage de questions, où l’on emmagasinait beaucoup de choses parce que nous avions la curiosité alors que maintenant, on a tout à portée de main, sans réaliser à quel point c’est une chance.

Et puis bien souvent, le temps nous manque ! Moi non plus je n’ai pas le temps de tout faire ! J’ai ma vie de famille, etc. Mais ce matin par exemple, j’ai passé un très bon moment. Je suis allée chercher des bouquins pour Fathia à la bibliothèque et je me suis dit : « Mais quel havre de paix ! On peut lire un livre ici ? » Et bien, je peux vous assurer que dès que je vais revenir de vacances, je vais aller lire là-bas parce qu’on y trouve le calme, le respect, la douceur… On s’y retrouve avec soi-même, on y choisit ce dont on a envie et on y passe un moment privilégié… Aujourd’hui, la vie est ainsi faite que nous n’avons plus tant de privilèges que ça. Il n’y a que des contraintes…

Transmettre des principes, des repères

Les gens sont de plus en plus indifférents les uns avec les autres. Ils sont tellement pris par le système, par leur propre vie, qu’ils ne regardent plus ce qui se passe à côté ! Moi, je ne suis pas comme ça ! Lorsque je viens au centre, je sais que je vais partager ! Je passe des heures à discuter avec Fathia, je participe aux fêtes, je vous vois, je suis heureuse… Je me dis : « Voilà, ils ont un quartier ! Ça vit ; on est là pour ! » C’est enrichissant !

Forts de tout ce que l’on vous a inculqué ici, vous êtes les premiers à aider, à encadrer les plus petits et je pense que plus tard, tout ce que vous faites aujourd’hui, vous allez le récupérer ! D’abord, il me semble que vous serez des hommes mieux construits et ensuite, grâce à tous les principes que vous pouvez transmettre aux petits, à l’occasion du soutien scolaire et tout ce qui s’en suit, je suis convaincue que dans dix ans, ce quartier des rosiers sera harmonieux ! Il y aura davantage de respect…

Je pense qu’ici, au centre, on arrive à faire des choses en matirèe d’éducation que les parents n’ont parfois pas le temps de faire ou ne savent pas faire, parce qu’ils ont peut-être vécu librement dans leur pays ou parce qu’il y avait des castes, des référents. Mais, il y a maintenant des personnes qui n’ont pas forcément de références ! Si mes parents étaient trop sur notre dos, certains aujourd’hui ne sont pas suffisamment derrière leurs enfants !

Pourquoi dans les écoles, quand l’instit convoque le père ou la mère, c’est le frère ou la sœur qui se déplace ? C’est quand même lamentable… Le travail n’excuse pas tout ! Moi aussi, j’ai travaillé ! Moi aussi, j’étais surmenée ! J’étais aide ménagère quand j’ai commencé à la mairie et quand le soir, je retrouvais mes sept enfants à la maison, après avoir respecté, aimé et servi de petites personnes âgées toute la journée, je peux vous dire que je savais s’ils avaient fait leurs devoirs, s’ils avaient séché l’école et ainsi de suite !

Souvent, les enfants font les difficiles, notamment en ce qui concerne la nourriture, parce qu’ils ont trop de choix. Mais, je vais emmener mes petits-enfants en camping le mois prochain et s’il y en a un qui commence à me dire : « Je n’aime pas ci, je n’aime pas ça », il aura droit à la morale ! « Mamie ne va pas faire cinquante cuisines ! D’abord parce qu’elle n’as pas les moyens et ensuite parce tout est bon ! » Moi, à leur âge, je ne mangeais principalement que de la soupe qui mitonnait sur le feu toute la journée, et dans laquelle on faisait tremper des morceaux de pain. Pour agrémenter le tout on allait chercher des os et des cartilages chez le boucher. Donc la soupe, elle avait du goût ! Elle était malgré tout bien meilleure car je faisais le jardin avec mon père, mais on n’avait pas le choix en nourriture !

Mon mari me reprochait toujours de donner trop à manger mes enfants mais c’est tout à fait compréhensible étant donné que j’avais manqué ! Seulement, je n’ai jamais fait cinquante plats à la maison ! Et hier, j’ai expliqué à ma petite Camille et à mon petit Maxime : « Vous savez, moi, je n’avais pas le droit de manger avec les mains dans l’assiette, ni d’y laisser quoi que ce soit, ni de dire que je n’aimais pas ça. Maintenant, demandez à vos papa et maman comment ça se passait quand il ne mangeaient pas. Et bien le soir, on leur servait la même chose ! Alors, c’était peut-être dur mais aujourd’hui, ils mangent de tout… »

La première fois que ma belle fille est venue à la maison, j’habitais allée Rousselle, et mon fils lui avait dit : « Maman a fait des quenelles. Je sais que tu n’aimes pas ça mais il faudra que tu t’y fasses. En tout cas, tu n’as pas intérêt à laisser un bout de pain sur la table car sinon, tu vas te faire enguirlander ! » Je racontais encore ça à mes petits-enfants hier et désormais, lorsqu’ils viennent à la maison et qu’ils prennent du pain, ils le mangent… Je ne pense pas leur faire de mal en leur apprenant ça !

Sarcelloise depuis trente-trois ans

Dans les années 70s, on trouvait déjà tout ce que l’on voulait à Sarcelles. Il y avait déjà des centres sociaux. Par exemple, il m’arrivait parfois d’aller prendre des cours de cuisine ! Et puis, il y avait le marché. D’ailleurs, ce qui m’a beaucoup surpris en arrivant ici, c’est le cosmopolitisme de la ville. Là où j’habitais avant, ce n’était pas comme ça ! Le marché de Sarcelles a toujours été très conséquent et avec toutes ses couleurs, j’ai eu l’impression qu’enfin, je découvrais le monde…

Certes, il y a eu aussi quelques moments difficiles mais il faut reconnaître qu’avec sept enfants, ce n’est pas évident de bien regarder Sarcelles. On n’a pas le temps de s’attarder sur grand-chose… La plupart du temps, je les emmenais au parc Kennedy et les week-ends, en forêt. On partait avec le pique-nique pour midi, le goûter pour quatre heures et le soir, on rentrait. Mes enfants n’ont jamais traîné dans la rue à Sarcelles !

Nous habitions allée Fauré, en face de la voie ferrée, entre le boulevard Montaigne et le boulevard Maurice Ravel. Dans le quartier, on trouvait déjà pas mal d’Antillais, des familles marocaines, des familles tunisiennes. Mais, il y avait encore beaucoup de gens de province à ce moment-là ! La population a depuis changé. Les anciens, les Bretons, les Auvergnats, etc., se sont éteints ou alors sont rentrés chez eux.

Aujourd’hui, je vis à Sarcelles depuis plus de trente ans et j’aime ma ville. Je la défends ! J’y ai travaillé, je lui ai donné beaucoup de mon temps et je continue à lui en donner puisque maintenant, je fais partie de l’intergénérationnel et je reste active ici. Franchement, j’aime beaucoup les gens ! J’ai changé plusieurs fois de logement dans Sarcelles, c’est actuellement ma cinquième adresse, mais c’est vraiment l’endroit où je me sens le mieux… D’ailleurs, je ne dis pas ma ville mais mon village…

Je sais par exemple qu’aucun jeune dans mon quartier ne me voudra du mal. Je sais que je suis quand même aimée un tant soit peu, que je suis respectée… J’aime les gens et il ne se passe pas un jour sans qu’en sortant dans la rue, je n’embrasse quelqu’un. Tout le monde me demande comment je vais, etc. C’est vraiment mon village ici ! J’ai tissé beaucoup de liens avec mon travail. J’ai également la chance de donner sur de petits espaces verts. Nous sommes relativement enclavés dans le quartier car il n’y a pas de grandes avenues. C’est pour ça que je me sens si bien ici et que je n’ai pas envie d’aller ailleurs… En cas de petit coup de blues ou de petit souci, je sais qu’il y aura toujours quelqu’un pour m’écouter. Quand les gens ont des problèmes, ils viennent vous voir et vous disent : « Je peux vous parler un petit peu ? » C’est chaleureux !

Je trouve que Sarcelles a quand même évolué dans le bon sens et je crois que lorsque l’on s’y ennuie, c’est parce qu’on le veut bien. Avec tous ces centres, toutes ces plates-formes, ceci, cela, on sait qu’on peut toujours frapper à une porte, qu’on peut toujours parler à quelqu’un, même si la première des choses, c’est d’écouter ! Moi, je n’ai pas la science infuse mais malgré tout, je peux donner des renseignements ! C’est tellement important pour une personne qui a des misères de pouvoir au moins être écoutée…

Quand je travaillais sur la plate-forme, il y avait même des gens venus de l’extérieur de la ville. Bien entendu, je ne l’apprenais qu’après ! Je n’allais pas leur demander en les voyant : « Vous êtes de Sarcelles ? » Mais souvent, ils me disaient : « Vous savez Madame, depuis trois ans que je traîne dans les administrations, vous êtes le premier sourire… » Un sourire, une écoute, c’est peu de choses ! C’est gratuit ! Mais, ça peut faire tellement de bien…

Nous avons tous nos misères ! J’ai les miennes comme les autres ! Mais l’échange, le fait de parler à son voisin, de lui demander si tout va bien, est essentiel à mes yeux. Lorsque ma petite voisine du dessous, ma petite mamie, me dit : « Vous pourriez m’aider pour ceci ? Vous pourriez m’emmener là ? », je le fais ! Et elle m’a appris plein de choses ! En écoutant les autres, en échangeant et en partageant avec eux, on apprend tous les jours ! Alors vous les jeunes, même s’ils ne sont pas de votre famille, allez vers les anciens, allez leur parler, allez leur demander comment c’était chez eux ! Ensuite, vous verrez, vous ne vous en sentirez que plus riches…

Mon quartier, je l’aime et franchement, je ne peux que féliciter Farouk et toute l’équipe du centre. Lorsque je suis en mairie pour parler de l’intergénérationnel, je n’entends que des compliments sur les Rosiers. Par exemple, il y a deux trois jours, on m’a dit : « Oh la la, il n’y a pas de problèmes aux Rosiers ! Ils sont communicatifs ! C’est quand même un coin très très chaleureux… » Je suis donc très contente !

Pour autant, il faut reconnaître que Sarcelles n’a pas toujours fonctionné de manière aussi idyllique. Il y a eu des moments plus chauds dans le quartier. Après avoir débuté à la mairie comme aide ménagère, j’ai passé le concours et j’ai été affectée à la police municipale pendant un an avant d’être à l’état civil. J’étais en uniforme dans Sarcelles et je venais souvent ici pruner le vilain parking. Á quarante et quelques années, avec la chaleur et tout, ce n’était pas rigolo ! Quoi qu’il en soit, je n’aurais jamais penser que je viendrai habiter là un jour. Ensuite, je suis donc passé à l’état civil et alors que j’avais demandé plusieurs plates-formes, je ne sais pas si c’est par jalousie ou autre mais on m’a dit : « Qu’est-ce que tu veux aller faire aux Rosiers ? Tu veux aller te faire tuer ! » C’est quelque chose qui m’a quand même marquée…

Le quartier avait mauvaise réputation à cause de quelques gros pépins, notamment un mort lors d’une fête. C’était l’autre facette de la réalité. Mais maintenant, ça n’a plus rien à voir ! Il faut voir les points positifs ! C’est très familial et tout le monde se connaît. Et puis, de toute façon, je pense qu’il y a ce qu’il faut dans Sarcelles ! Il y a des centres un peu partout et chaque quartier a plus ou moins canalisé la violence. Il faut donc aller d’un côté et de l’autre ; c’est une question de volonté… Je crois qu’ici, les jeunes sont bien épaulés et on peut difficilement faire mieux.

Mais, la ville est bien aussi ! Il suffit de regarder toutes les manifestions prévues pour aujourd’hui et demain ! Il y a notamment la fête du sport à Nelson Mandela et la marche du Petit Rosne. Tout le monde peut aller marcher ! C’est gratuit d’aller se balader et de se retrouver au stade Léo Lagrange, pour écouter l’histoire de Sarcelles et du Petit Rosne ! Ça ne fait pas de mal ! On s’aère et pendant ce temps-là, on ne s’ennuie pas, on échange. Il y a aussi des expositions, etc. Bref, il y a toujours quelque chose à faire !

Alors bien sûr, quand on va en vacances et que l’on se présente dans des pensions familiales ou ailleurs, c’est tout de suite « Sarcelles ceci, Sarcelles cela » Mais, ces gens n’y ont jamais mis les pieds ! Pour moi, si le monde entier était comme Sarcelles, il n’y aurait pas toutes les guerres que l’on connaît actuellement… Il y a ici une multitude d’ethnies, de cultures et de religions différentes, mais tout le monde vit très bien, en bonne harmonie, car chacun est capable d’écouter l’Autre et de le respecter… Voilà pourquoi, partout où je vais, je dis toujours que Sarcelles est un bel exemple pour le monde…

Je crois que notre mauvaise réputation tient avant tout à un problème de communication. Je ne sais pas comment le cinquantième anniversaire du Grand Ensemble va se concrétiser, s’il va vraiment y avoir une fête sarcelloise, mais il serait temps que l’on fasse venir des cars de journalistes pour leur faire comprendre que Sarcelles est une ville formidable…

Message aux jeunes

Je sais que c’est très difficile pour vous de faire votre vie mais essayez quand même d’être le plus raisonnable possible avec les écoles, d’être le plus instruit possible. Et puis, gardez toujours à l’esprit que le respect est vraiment une valeur primordiale… Dites-vous bien que ce n’est qu’en nous aimant et en nous écoutant les uns les autres, qu’on peut construire un monde ! Et c’est aussi une manière de gommer les différences…

Il faut apprendre à se connaître pour se comprendre ! Quelles que soient notre religion ou notre couleur de peau, nous sommes tous pareils, nous sommes tous des Terriens ! Que votre petit copain vienne d’un coin du monde ou d’un autre, il est exactement comme vous ! Il a les mêmes sentiments ! Il aime son papa, il aime sa maman et c’est le même sang qui coule dans ses veines ! Alors, je ne sais pas si les instits vous expliquent ça à l’école mais je pense que c’est fondamental…On ne doit pas avoir d’ennemi dans une classe ! Sinon après, comment voulez-vous qu’on n’ai pas d’ennemi dans un monde ? Nous sommes tous pareils et nous avons tous besoin des uns des autres…

Quand j’étais petite, en Maurienne, j’ai été élevée dans le patriotisme. Il faut savoir que le père de mon instit avait fait 14-18 et que le mien avait fait l’autre guerre. En arrivant en classe, on nous apprenait donc le respect ! En plus de la leçon de morale, on chantait tous les jours la Marseillaise, l’hymne national, et au moins deux fois par semaine, les Allobroges, l’hymne savoyard.

Actuellement, on parle de remettre au goût du jour la leçon de morale, l’instruction civique, et je pense que c’est vraiment utile mais en ce qui concerne le patriotisme, je ne crois pas qu’il n’en reste grand-chose maintenant. Je ne suis pas sûre que les jeunes aient vraiment l’âme patriote. C’est ça qu’on nous apprenait ! Il fallait tout de suite se mettre en marche ! S’il y avait quoi que ce soit, il fallait défendre son pays ! Je ne suis donc pas persuadé que ce sentiment existe encore…

Mais, il faut quand même reconnaître que lorsque l’on vient d’ailleurs, c’est très difficile. On ne peut pas faire table rase de sa patrie d’origine, de sa langue maternelle ! Par exemple, j’ai une petite-fille métisse qui vient de naître. Elle va avoir deux pays ! La France de son papa et l’Haïti de sa maman ! Pour moi, c’est avant tout une chance. Mais, il faut savoir respecter les deux côtés…

Á mon avis, le patriotisme n’existe plus, pour la bonne et simple raison qu’on ne l’inculque pas aux enfants. Alors, c’est peut-être mauvais mais tout comme l’est la Marseillaise ! Il s’agit quand même d’un chant abominablement violent ! Seulement nous, on a été éduqués comme ça et je pense qu’aujourd’hui, les instits devraient systématiquement prôner l’échange, la rencontre, le fait d’aller vers l’Autre, même s’il est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus ouverts. On n’ignore plus les religions. On les explique plus facilement aux enfants pour qu’ils apprennent à se poser des questions, pour qu’ils apprennent à connaître, etc.

Personnellement, je me suis toujours dit que s’il y avait un Bon Dieu, il ne permettrait pas tout ce qui se passe. C’est peut-être un peu étroit, mais c’est ce que je pense et ça ne m’empêche pas de respecter les croyances des autres… Ma priorité dans la vie est de faire passer des messages, d’aimer et d’être aimée. Il faut dire que j’ai tellement manqué d’amour que j’apprécie quand j’en reçois ! Évidemment, je ne donne pas seulement pour recevoir mais je crois que ça apporte une certaine forme de bonheur, que ça permet de se forger quelque chose… Je sais que je ne suis pas inutile. J’ai eu des enfants, j’ai des petits-enfants, et ça me suffit. Je n’ai pas besoin de religion. C’est peut-être un peu simpliste, ce n’est peut-être pas bien, mais c’est mon choix, c’est ma vie... Je me suis toujours fiée à moi-même et à ma petite famille…

Ceci dit, il est important que chacun sache ce qui se passe ailleurs ! Et puis, on peut très bien être d’une certaine religion et en changer pour une raison X ou Y ! Mais, c’est quelque chose de personnel… Avoir tout ça est une richesse ! Cela fait partie des échanges ! Je pense qu’à l’école, il faudrait quand même opérer un retour en arrière. Il faudrait qu’on explique aux enfants qu’ils sont là pour apprendre, qu’ils sont tous égaux, qu’il n’y a pas de fils de rapatriés, de réfugiés, ou que sais-je encore, qu’on fasse sauter toutes ces barrières, afin que nous formions tous le cœur du même artichaut…

Malheureusement, le système pourrit tout et ce n’est pas près de s’arrêter ! Par exemple, je suis une adepte d’Internet. Ça me permet d’envoyer des photos, de papoter avec mes petits-enfants à droite à gauche, etc. Maintenant, les enfants font tout par Internet et c’est bien beau mais quand ils devront passer un oral, comment feront-ils tous ces individualistes ? Ils ne vont plus au cinéma parce qu’ils ont des DVD, la télé et tout ce qui s’en suit ! Et comme en général, par manque de temps ou de volonté, ils ne prennent pas la peine de faire le tri, ils ingurgitent un peu tout ce qui vient !

Moi, avant même d’être à la retraite, j’avais déjà l’habitude de regarder dans le journal ou sur Internet ce qui pouvait m’intéresser. Toutes les cultures sont bonnes ! Ce soir, je vais aller écouter un poète musulman à la MJC autour d’un buffet, car je sais que je vais pouvoir apprendre quelque chose de nouveau. Ce n’est pas en restant chez soi qu’on apprend ! Il faut s’éparpiller, se dispatcher, aller voir partout, partout, partout. Il y a plein de choses à faire ! La culture est accessible à tout le monde…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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