VIMPELLES - l’école sous l’occupation

Témoignage de Mr AUGÉ né le 6 février 1930 à Cutrelles, commune de Vimpelles

Témoignage de Mr AUGÉ né le 6 février 1930 à Cutrelles, commune de Vimpelles

Les marques de la Première Guerre mondiale

Mon père n’avait pas fait la guerre de 14. Il était en Afrique à ce moment là. Il avait été appelé à 20 ans pour faire toute sa campagne en Afrique. Un de ses frères avait été tué en 14 et un autre grièvement blessé. Dans ma tendre jeunesse, nous avons toujours eu la croix de guerre, la médaille militaire du frère de mon père et les médailles de blessé sous nos yeux.

Un village de fermiers

Nous vivions dans une ferme de taille moyenne. Dans le village, plusieurs fermes faisaient environ quatre-vingt dix hectares ! Il devait y avoir une douzaine de fermes à Cutrelles. Il y avait quarante-deux fermes en 1914, pour quatre aujourd’hui.

A la ferme, nous faisions tout à la main, avec des fourches, des pioches, des pelles… Les enfants travaillaient à partir de douze, treize ans ! Ils préparaient le fourrage, les betteraves, la paille pour les bêtes, nettoyaient la cour avec le balai. C’était le principal travail des jeunes. Ils pouvaient commencer plus jeunes. Cela dépendait des maisons.

Je n’ai pas gardé les vaches mais j’allais garder les moutons à une douzaine d’années. Il fallait surveiller les moutons, sinon ils pouvaient gonfler ! On appelait ça de la météorisation. Ils mangeaient trop et l’estomac gonflait.

Nous portions la paille avec des liens. Nous torsadions le lien avec du blé vert. La ficelle est arrivée ensuite …

Les femmes faisaient beaucoup de cuisine parce que le personnel était nombreux. Il y avait beaucoup d’ouvriers, des gens qui venaient travailler de l’extérieur. Il fallait faire beaucoup de cuisine, éplucher les pommes de terre. Les femmes s’occupaient du jardin, faisaient tout le travail de la maison. Les hommes étaient occupés dans les champs.

Les animaux vivaient sous le hangar de la ferme avec de la paille. On mettait de la paille par terre et ils se couchaient là-dessous. On les nettoyait tous les jours.

L’arrivée de la guerre et l’exode

Mon père a été mobilisé en 1939. En 1940, il avait atteint la limite d’âge parce qu’il avait cinq enfants.

Je me souviens bien de l’exode, car les Allemands nous ont rattrapés et nous avons été obligés de revenir. Je suis parti en voiture automobile avec mon frère plus âgé. Il venait justement d’avoir son permis. Nous avons emmené un de mes grands-pères et puis ma grand-mère. Je revois le mitraillage par les Allemands sur la route. On est assez vite parti pour arriver dans le Cher.

J’avais dix ans. Nous avions quand même été habitués aux bombardements, car il y avait déjà eu un bombardement aux Ormes, à Sens. Nous étions donc un petit peu au courant de ce qui se passait avant de partir en exode.

Les gens du Nord arrivaient. Ils avaient peur et tout le monde est parti avec eux, comme ça… Il y avait plus de panique que d’organisation.

La vision du premier Allemand

Nous revenions de l’exode. A la limite du Cher, nous revenions et il y avait des Allemands partout sur la route. Il n’y avait pas de peur particulière. Nous étions restés une quinzaine de jours là-bas et nous connaissions déjà le problème ! C’était justement à la limite de la future zone libre.

La présence des Allemands

Ils sont restés chez nous, à Cutrelles, cent jours, trois mois, entre 1940 et 41. Ils patientaient en attendant d’aller en Angleterre. Il y avait trente-cinq ou quarante Allemands chez nous, à la ferme. Sept ou huit pièces d’artillerie étaient installées sous les hangars ! Ils sont ensuite partis, mais ont conservé une petite kommandantur à Cutrelles, avec quinze ou vingt hommes. Le gros centre de la région était le château de Sigy. Il y avait toujours des contrôles, après leur départ en 1941. Ils passaient en vélo, en voiture. La gestapo ne passait pas tous les jours, mais enfin souvent…

Un de mes frères a été déporté STO. Il fallait aller travailler en Allemagne. Il était obligé d’aller travailler en Allemagne. Parti en 1942, il est revenu au mois d’avril 45. Les déportés STO étaient payés.

L’impact de la guerre sur les fermes

C’était dur parce que les Allemands nous réquisitionnaient beaucoup de bêtes. Il fallait fournir une bête tous les deux mois, un mouton, un cochon… C’était pour les envoyer dans leur pays. Un organisme venait avec, aussi bien des Français que des Allemands ! Ils prenaient également du blé. Ils prenaient pratiquement de tout !

Une école primaire mixte

Cutrelles, c’est un hameau de Vimpelles. L’école était mixte, mais nous étions toujours au moins trente cinq élèves pour un instituteur. Les filles et les garçons n’étaient pas séparés. Nous étions deux sur nos tables et il pouvait y avoir une fille et un garçon.

Certains instituteurs étaient très gentils, mais il y en avait des sévères. Je suis allé au coin ! Nous étions envoyés au coin comme punition. Il fallait toujours être propre en entrant dans la classe. Il fallait toujours se décoiffer. L’instituteur vérifiait l’état des mains en rentrant dans la classe. Il fallait que les chaussures soient propres. Nous portions toujours la blouse grise. Tout le monde était en blouse, d’un bout de l’année à l’autre. Le matin, nous allions à l’école à pieds. Ce n’était pas loin pour moi, 150 mètres ! L’hiver, nous mettions des sabots en bois. L’été, c’était selon… en galoches. Il n’y avait pas tellement de chaussures. Nous étions parfois en sabots, parfois en vieilles chaussures. Nous n’avions pas le choix là !

Nos cartables étaient en carton bouilli ; pas en cuir. Le cuir était réservé pour les chaussures.

Il y avait un poêle au milieu de la classe et des tuyaux qui passaient dans toute la pièce. Il fallait faire les corvées de bois aussi.

Tous les niveaux scolaires étaient mélangés. Il n’y avait pas d’assistants. Notre instituteur était toujours tout seul. Les plus grands faisaient la classe avec lui. Ceux qui allaient au Certificat dirigeaient la classe, le cours d’en dessous, mais l’instituteur ne faisait pas la sieste !

Nous faisions des sorties scolaires dans la nature. Le jeudi, nos instituteurs nous emmenaient dans les bois. Ils nous faisaient reconnaître les essences de bois, les herbes…

Nous étions comme tout le monde. Nous faisions des farces. Nous cachions des trucs sur le siège du maître d’école, comme par exemple une punaise.

La remise des prix marquait la fin de l’année : le prix d’excellence, le prix d’honneur. Les meilleurs étaient récompensés ! Je n’étais pas mauvais élève…

L’impact de la guerre sur la vie scolaire

Dans toutes les écoles, on trouvait des tranchés pour se mettre à l’abri en cas d’alerte. C’était obligatoire. Nous ne sommes pas sortis pour aller dans la tranchée, parce que le village était quand même vraiment isolé. Nous avons souvent assisté à des combats d’avions. Deux avions allemands se sont écrasés. L’un voulait passer à gauche et l’autre à droite. Ils se sont accrochés les ailes et sont tombés tous les deux. L’un est tombé à Sigy et l’autre a disparu à l’horizon. Il est tombé plus loin. Nous n’avons vu qu’un nuage de fumée.

A l’école, on nous faisait chanter des chansons de Pétain. Nous l’avons tous chantée Maréchal, nous voilà ! Pour certains de nos parents qui avaient fait la guerre de 14, Pétain était quand même le sauveur de la France, qu’on le veuille ou non ! Tout ça a évolué avec le temps, mais Pétain avait la cotte jusqu’en 42.

Nous ne fêtions pas les anniversaires dans la classe. On se réunissait quand même par affinités, par petits groupes ! Le jeudi, quand nous ne travaillions pas à l’école, nous allions jouer dans les bois, monter dans les arbres !

L’argent de poche qu’il fallait gagner

Mon père ne fumait pas. Je n’avais donc pas à aller lui acheter du tabac. Je n’avais pas beaucoup d’argent, parfois une petite pièce au moment de Noël. J’ai eu mon premier argent quand j’ai commencé à travailler, vers 13/14 ans. Je travaillais chez nous, pas chez quelqu’un d’autre. Nous n’étions pas exigeants avec nos parents et puis c’était la guerre !

Spectacles et veillées au village

Nous organisions des pièces de théâtre, quand nous commencions à quitter l’école, vers 12 ou 13 ans. Nous en avons aussi fait pendant la guerre ! J’avais joué Savez vous plantez des choux ? Je m’étais déguisé avec des sabots. Il y avait quand même beaucoup de monde ! Il n’y avait pas de cinéma, rien à cette époque là ! Il n’y avait pas de moyens de transport ! Alors, tous les gens restaient dans le village !

Nous participions un petit peu à des veillées. Nous nous réunissions en groupe, le soir, entre voisins. Nous discutions de la guerre entre nous, mais il fallait que l’on soit vraiment dans un milieu respectueux des nouvelles, parce qu’il ne fallait pas se mouiller de trop à cette époque là ! Il y avait quand même des collaborateurs ! Tout le monde se méfiait un peu des uns et des autres !

Nous étions isolés. Il n’y avait pas de moyens de communication, du moins faciles ! Les parisiens devaient venir en bicyclette. Ils ne pouvaient donc pas ramener grand-chose ! Il y avait trois docteurs à Donnemarie, à deux kilomètres de Cutrelles. Nous étions bien desservis.

Des gens étaient cachés un peu partout dans mon village. Nous, enfants, nous le savions. Ce n’étaient pas des familles originaires de la région. Aussi, nous savions bien qu’il y avait quelque chose d’anormal.

La perception de l’évolution du conflit

Nous écoutions la radio anglaise. Enfin, pas nous ! Mais nous étions à côté. Nous étions quand même au courant de ce qui se passait. Nous suivions même l’avancée des troupes allemandes. A 11/12 ans, nous savions ce qui se passait quand même !

Les bombardements de 44

Nous assistions aux bombardements de Longueville. Nous les voyions de loin ! Ils mitraillaient également les voitures sur les routes, les trains à la gare de Vimpelles. Ils bombardaient….

L’ingénieur des ponts et chaussées de Donnemarie s’est fait tuer à environ un kilomètre d’où j’étais, suite à un mitraillage sur la route. J’étais en train de racler du fourrage. Je conduisais un cheval et je l’ai vraiment vu.

Nous avons appris le Débarquement par la radio. Je n’ai pas de souvenirs de joie particuliers à ce moment-là. C’était quand même loin ! La Normandie était éloignée pour nous !

L’arrivée des Américains et la Libération

Ce 27 août 1944, j’étais avec un copain, couché dans un champ de pommes de terre. Nous voyions des camions arrêtés entre la route de Vimpelles à Donnemarie et la route des Ormes. Des avions passaient et ces camions-là n’étaient pas mitraillés. Ils avaient une grande bâche rouge sur le toit.
Je me disais : « C’est bizarre ! Ils ne tirent pas dessus ! », alors que des avions tournaient autour. Dans l’après-midi, vers une heure et demie, des véhicules sont arrivés et « voilà les Américains ! »

Nous étions motivés par la radio et par la famille. Nous savions que nous étions occupés depuis quatre ans et demi. Il fallait bien qu’il se passe quelque chose ! Nous étions vraiment motivés.

Les Américains étaient vraiment des libérateurs pour nous. Nous étions avec eux, nous les admirions. C’est tout ce que nous pouvions faire ! Ils nous offraient du chocolat, des bonbons, du chewing-gum et c’était tout ! Ils avaient leur travail à faire aussi ! Mais, il n’y avait plus d’Allemands à ce moment-là.

Les Américains étaient gentils parce que nous n’étions pas habitués à des gâteries comme ça. Ils nous offraient tout ce qu’ils avaient. Plein de gâteries ! Du chocolat, du chewing-gum… Nous étions privés de tout ! Ils nous donnaient des gâteries parce qu’ils en avaient plein ! Ils touchaient un gros paquet tous les jours et dedans, il y avait de tout. Ils ne pouvaient pas tout consommer, alors ils nous en donnaient. Nous n’avions pas besoin de demander. Ils nous les donnaient ! Ils nous les jetaient de leurs camions. Comme il n’y en avait pas dans le commerce, nous étions contents.

Les Américains avaient une tenue bien plus décontractée que les autres. Ils étaient en chemise, tandis que les Allemands étaient en tenue… C’était strict ! Ce n’était pas du tout pareil !

Le sort des prisonniers allemands

Dans mon village, vingt-cinq ou trente Allemands ont été faits prisonniers par les Américains. Ils les désarmaient, les mettaient dans un camion, puis partaient. Ils les mettaient dans des camps. Des soldats allemands ont ensuite travaillé dans les fermes. Il y en a eu chez nous. Certains sont d’ailleurs restés.

Mes rêves de jeunesse

Je voulais être routier et je suis devenu agriculteur, parce qu’à la fin de la guerre, nous ne pouvions pas suivre la voie que nous nous étions destinée. Il n’y avait pas de débouchés. Nous étions obligés de suivre un autre chemin. Nos parents décidaient… Nous restions un peu dans la tradition !

Pourquoi les hommes se font-ils la guerre ?

C’est un problème que l’on ne peut pas tellement expliquer. C’est un peu comme à l’école, mais c’est la bagarre entre pays. C’est ça la guerre !

Message aux jeunes

Il faut être tolérant, être tolérant à tous points de vue. Pas de méchanceté. C’est tout ce que je vois, principalement…