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Algérie - je suis venue directement chez ma tante, ici, à Sarcelles

Mme N.

samedi 10 avril 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Une double culture

Je suis née en 1970 en Algérie. Je suis issue de deux cultures différentes car mon père était italien catholique et ma mère, algérienne musulmane. Ils se sont rencontrés pendant la guerre d’Algérie, en 1960, alors qu’ils oeuvraient tous deux dans l’humanitaire : mon père comme médecin et ma mère, en tant qu’infirmière.

Ma mère avait été étudiante chez les bonnes sœurs. Elle y avait été envoyée par le colon chez qui ses parents étaient employés. Ceci illustre bien la particularité des Algériens pendant la colonisation ! Souvent, ça marchait bien ! C’est vrai qu’il y a eu la guerre mais ma grand-mère m’a raconté qu’à part le fait qu’ils travaillaient pour les colons, il y avait une bonne entente ! Les uns et les autres participaient aux fêtes ! Á Noël, ils recevaient des cadeaux. Bref, à part la colonisation, il y avait une vie sans souci…

Pour épouser ma mère, mon père a dû se convertir à l’islam. Il est d’abord devenu musulman par amour mais ensuite, par conviction, car nous avons quand même vécu pas mal de temps en Algérie et la religion n’était pas chez nous un domaine figé. Quand on était jeunes, nous les enfants, on fêtait Noël, on faisait le Ramadan… Il n’y avait pas d’obligation. Nos parents nous ont toujours laissé le libre choix…

Adolescence en Algérie

Lorsque mon père est décédé, je suis rentrée en Algérie et là, j’ai étudié. Je suis allée dans des écoles publiques algériennes mais francophones parce que mes parents ne parlaient pas l’arabe. Ils parlaient français. Ma mère, bien qu’algérienne et musulmane, n’avait fréquenté que des écoles françaises. Á la maison, on utilisait à la fois le français, l’italien et le dialecte que parlait ma grand-mère. Mais, ce n’était pas l’arabe littéraire.

Dans ces écoles, j’ai étudié le français, l’arabe, l’éducation civique, l’éducation religieuse et petit à petit, la religion que j’ai choisie par la suite est née de ça. J’ai eu mon Bac à dix-sept ans, avec un an d’avance, car après le CP, j’ai sauté une classe. Comme je parlais très bien français, le lisais et l’écrivais couramment, je n’ai pas fait de CE1. Je suis passé directement en CE2.

Adolescente, vers douze treize ans, je rêvais de faire des études. Nos parents mettaient un accent très fort sur cet aspect ! Alors moi, je voulais obtenir mon baccalauréat, aller à la Fac, puis exercer un métier où je pourrais voyager. C’est ce que à quoi j’aspirais : découvrir le monde entier… Étant issue d’une double culture, j’avais quelques prédispositions pour ça ! Comme j’étais brillante dans mes études, ma mère me voyais médecin comme mon père. Moi, je n’avais rien contre ! Mais, dès ma dernière année de lycée, je me suis orientée vers la branche littéraire…

Les manifestations de 86-87

Ce qui m’a le plus marqué, c’est une table qui a valsé du troisième étage du lycée et qui est tombée dans la cour. Je n’étais pas à Alger, dans l’Oranais. C’est comme ça que ça a commencé. Après, il eut des grèves, des profs qui ne venaient pas… Par contre, je n’ai pas vu de violence. Il y avait seulement des étudiants qui manifestaient et je ne comprenais pas ce qui se passait. C’était nouveau pour moi !

Il me semblait vivre dans un pays où tout allait bien ! On avait la liberté d’expression, on était jeunes, on sortait. Bon, c’est vrai que le soir, clarinette ! Surtout pour les filles de mon âge, il n’était pas question de rester dehors. Mais sinon, je prenais le bus tous les matins à huit heures et je rentrais le soir à six heures. Ma mère n’était pas tout le temps derrière moi. C’était comme ça pour la plupart des jeunes filles de mon lycée !

Mais, on ne comprenait pas ce qui se passait ! On avait envie d’étudier et tout était bloqué… Pour nous, tout allait bien ! Du moins, apparemment, dans les médias. Et puis, même dans la vie de tous les jours ! Je ne me souviens pas qu’il y ait eu de pénuries. Tout ça est arrivé après… En 88-89, c’était le chaos total ! Et on en était très désolés… Ailleurs, les choses ont pu s’aggraver dès 86-87 ! En fait, ça dépend des régions. C’est comme pour les évènements tragiques qui se sont produits après, pendant quinze ans. Nous en avons été complètement préservés… Évidemment, on voyait que la vie était de plus en plus chère ! On voyait le chômage des jeunes ! Mais, nous n’avons pas connu ni barrages, ni de massacres. Déjà chez nous, ce n’est pas la montagne. C’est plat. D’Oran jusqu’à la frontière marocaine, ce ne sont que des plaines. Nous n’avons donc pas de maquis.

Venir en France pour étudier

Après le Bac, j’ai eu l’idée de venir étudier en France. Toutes les écoles sont devenues arabes et comme j’avais un Bac français, c’est-à-dire francophone, je ne voyais pas pour continuer d’autre possibilité que la France. Mais, je n’avais pas l’intention de m’y installer ! Je voulais seulement venir y étudier et retourner ensuite en Algérie.

J’ai commencé par faire un Deug en langues étrangères appliquées, avec l’objectif de devenir plus tard interprète. Dès la première et la terminale, le directeur du lycée a dit à ma mère : « Ce serait dommage de l’obliger à suivre une filière scientifique ! Elle fera peut-être médecine comme vous le souhaitez mais ce n’est pas l’idéal ! Votre fille est faite pour les langues ! » Il est vrai que je faisais de l’anglais, du français, que je parlais italien.

Arrivée à Sarcelles

Je suis arrivée en France le 23 octobre 1987, à l’âge de dix-sept ans. D’Orly, je suis venue directement chez ma tante, ici, à Sarcelles. Ce jour-là, j’ai ressenti une grande tristesse… Il pleuvait et ce qui m’a d’abord marqué, ce sont les grands panneaux publicitaires sur le périph. Dans la voiture qui me transportait, l’essuie glace ne fonctionnait pas bien et il tombait des trombes d’eau… Alors, j’ai pleuré en de demandant ce que je faisais là… Mais, le monsieur m’a consolée : « Ne t’inquiète pas ! C’est juste pour étudier ! Après, tu repartiras… » C’est cette idée qui m’a donné l’envie de rester : étudier pour pouvoir repartir…

C’est un voisin de ma tante qui m’a récupérée à l’aéroport. N’étant pas véhiculée, elle ne pouvait pas aller me chercher. Á l’époque, je correspondais avec sa fille. Lorsque ma tante venait en Algérie tous les ans, je lui demandais de me prendre des adresses de jeunes filles sarcelloises. C’est comme ça que j’ai connu cette fille. Avant d’arriver j’étais donc un peu préparée à Sarcelles.

Dans ces lettres, elle me rassurait : « Ne t’inquiète pas. Ici, tu auras peut-être un peu plus de liberté. Le soir, on pourra sortir. On pourra aller au cinéma et traîner au centre commercial des Flanades. » Mais quand je lisais ça, en particulier l’expression « on traîne aux Flanades avec des filles », je me disais : « Mais ma mère va me tuer si elle apprend que je traîne ! » parce que chez nous, « traînée », c’est un gros mot. Ça désigne une dévergondée…

Quand je suis arrivée, j’avais donc peur de cette fille ! J’imaginais qu’elle allait m’entraîner dans des histoires peu recommandables alors que ce n’était pas ça ! J’avais dix-sept ans et lorsque je me compare avec aux jeunes filles du même âge aujourd’hui, je constate qu’elle n’ont rien à voir avec ce que j’étais à l’époque. Je n’étais pas mûre ! J’étais encore la petite fille à sa maman. J’étais très protégée…

Mes frères et sœurs sont venus en France après moi. Je suis la première à avoir ouvert la porte aux étudiants. Par la suite, ils ont fait la même chose. Quand ils ont eu leur Bac, ils sont venus étudier ici. Mais, ce n’est pas moi l’aînée. Un frère et une sœur me précèdent. En fait, une seule sœur est restée en Algérie, par obligation familiale. Elle est tombée amoureuse d’un jeune homme algérien, elle l’a épousé et elle a préféré rester là-bas, avec lui. Sinon, mes trois frères sont là et certains sont mariés. Ils sont arrivés assez longtemps après moi ; le premier en 92.

Ce que j’ai découvert de Sarcelles correspondait assez bien à ce que ma correspondante m’avait décrit. Elle m’avait par exemple prévenu que passées dix-huit heures, l’hiver, il n’y avait plus personne qui rôdait. Ça changeait de chez nous ! En Algérie, les hivers ne sont pas rudes. Il ne fait pas froid comme ici. On peut avoir une pluie qui va durer deux trois heures mais ensuite, on retrouve le soleil qui nous pousse à aller un peu dehors. Et puis là-bas, les jours ne sont pas aussi courts qu’ici. Je n’ai jamais vu de journées où la nuit tombe à quatre heures et demie cinq heures. Au plus tôt, c’est généralement dix-sept heures trente dix-huit heures. En plus, le soir, il y a de la vie ! Les commerçants sont ouverts ! Les banques ne ferment pas à seize heures ! Quand il fait chaud, elles ferment l’après-midi mais elle rouvrent à dix-huit heures jusqu’à vingt-deux heures ! On peut donc toujours sortir et se promener, respirer de l’air et trouver un bar tabac, un café.

Alors, le fait de ne plus trouver personne après dix-huit heures m’a beaucoup marqué en arrivant à Sarcelles… Heureusement qu’il y avait au moins le centre commercial des Flanades ! D’ailleurs, je me disais : « S’il n’était pas là, mais où iraient les jeunes ? » Par contre, ce qui n’existait pas lorsque je suis arrivée, ce sont les bandes de jeunes dehors. Je ne me souviens pas avoir remarqué ça…

Á ce moment-là, j’ai évidemment rencontré des jeunes de mon âge d’origine algérienne mais franchement, il n’y avait pas de différence pour moi. Á Sarcelles, c’était comme si j’étais en Algérie. Là-bas, en 87, les jeunes de mon âge parlaient le français comme ceux les jeunes d’ici ! Á mon époque, on l’apprenait dès le CP ! Quand je suis arrivée, je n’étais donc pas perdue… Je n’ai pas été dépaysée… Les jeunes filles et les jeunes garçons n’étaient pas différents de moi, si ce n’est pour les premières, cette particularité de rester tard dehors. D’ailleurs, c’est ce que je disais souvent à ma tante ! Elle avait trois enfants, qui étaient plus jeunes que moi, et quand on restait tard le soir, moi j’avais peur… Je disais à ma cousine : « Allez viens, on va rentrer ! » et elle me répondait : « Ne t’inquiète pas ! Ma mère sait qu’on est dehors. » Et dehors, c’était où ? En bas du porche.

En décembre, lors du premier Noël que j’ai passé loin de ma mère, de mes frères, etc., j’étais avec mes cousins. Ma tante a fait Noël chez elle et a invité tous les enfants. Il fallait voir ça ! Il y en avait des couleurs dans le salon ! Il y avait du jaune, du blanc, du noir, des Indous… Je lui ai dit :
« - Ouah !!! C’est ça Sarcelles ?
  Oui…Tu verras… »
C’est à partir de là que j’ai vraiment commencé à découvrir la ville… D’ailleurs, les Flanades m’y ont beaucoup aidée ! Si je devais résumer mon arrivée à Sarcelles, c’est ça, ce sont les Flanades…

Jusque-là, je n’avais vu autant de nationalités différentes ! Quand j’allais en Italie, pour moi, j’étais toujours en Algérie ! Pourtant, c’était l’Europe ! C’est pour ça que je n’ai pas été dépaysée quand je suis venue en France. Ce n’était pas comme un Algérien qui n’est jamais sorti d’Algérie, qui n’a jamais vu un Européen habillé ou une femme fumer dans la rue. Quand on discute entre nous, certaines femmes me racontent que lorsqu’elles ont vu pour la première fois des Françaises en mini jupe avec une cigarette à la bouche, elles ont été choquées ! Mais moi non, parce que j’avais déjà baigné dans cette culture…

Des études universitaires contrariées

Le plus été dur pour moi fut la partie administrative… Je l’ai trouvée on ne peut plus chiante, entre parenthèses… Je suis venue en France en tant qu’Italienne car j’étais encore mineure et j’avais toujours pris la nationalité de mon papa. Mais, comme je suis arrivée au mois d’octobre, en pleine période d’inscriptions, j’ai dû me taper des files d’attentes interminables à la Fac de Saint-Denis. Il fallait se lever à six heures du matin, dans un froid glacial et poiroter dehors pour finalement s’entendre dire : « Il faut ramener tel papier, tel autre, celui-ci et encore celui-là… » Ça, je ne l’avais pas compris…

En Algérie, on ne m’avait jamais demandé d’aller à la mairie chercher un extrait de naissance ! Là-bas, la copie intégrale de l’acte de naissance, on ne l’exigeait qu’une seule fois, au moment de l’entrée à l’école primaire, au début de la scolarité. Il n’y avait pas de démarches administratives aussi strictes ! Elles m’ont donc valu une rentrée très compliquée à la Fac de Saint-Denis…

Mais, cela ne s’est pas arrêté là ! Après, il a fallu travailler car la bourse a beaucoup tardé à m’être versée… Ma tante ne pouvait pas subvenir à mes besoins et il fallait bien payer la carte orange, la cafétéria le midi ou encore acheter des livres qui coûtaient très très chers. J’étais donc obligée de chercher un emploi. J’ai été embauchée comme serveuse dans un restaurant, à Garges. Seulement, il n’y avait pas de transports et je rentrais à pied jusqu’à Sarcelles à une heure du matin. C’était très fatiguant ! Je pouvais difficilement continuer à faire les deux : travailler et étudier…

J’ai donc préféré continuer dans la restauration et en 90, j’ai rencontré mon mari. Ensuite, je me suis mariée, j’ai commencé à avoir des enfants et finalement, j’ai laissé tomber les études… J’ai tout arrêté… En 92, j’ai eu ma première fille, en 95, la deuxième et en 97, mon garçon.

Je suis rentrée à la mairie de Sarcelles le 23 mai 90, alors que j’étais toujours étudiante. Je n’étais pas encore mariée à cette époque-là. J’ai quitté la restauration parce que c’était crevant et je suis lancée dans l’animation. Je faisais les interclasses le midi. Actuellement, je suis toujours à la mairie. En 95, j’ai pris un congé parental pour élever mes deux filles et entre temps, je suis tombée enceinte du troisième. Je suis revenue en 2000 et depuis, je n’ai pas cessé de travailler…

Quand le provisoire devient définitif

J’étais venue en France dans l’intention de repartir en Algérie mais avec ce qui s’est passé là-bas par la suite, tout est tombé à l’eau… Je pense que si les évènements tragiques que l’on connaît n’avaient pas eu lieu, j’y serais retournée…D’ailleurs, j’étais très malheureuse…En 90, c’était en plein boom !

Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à quitter l’université car ce n’était plus possible pour moi, notamment financièrement… On me demandait trop d’argent… Je n’avais pas de famille ici ! Je n’allais pas demander à ma tante qui avait trois enfants de m’assumer ! Ma mère n’arrêtait pas de me dire : « Rentre ! » mais je ne pouvais pas rentrer ! Je voulais avoir un diplôme ! J’étais partie pour ça ! Qu’allaient penser de moi mes copines, mes amies, ma famille, si je revenais sans rien ? Que pourrais-je leur dire ? Ce n’était pas envisageable… Je répondais donc à ma mère : « Non, non, non ! Je rentrerai quand j’aurai mon diplôme ! » C’est ça aussi qui me tenait…

Mes frères sont venus en France plus facilement parce que nous avons fait les démarches à l’avance auprès de l’ambassade d’Italie concernant les bourses. Quand ils sont arrivés, leurs bourses étaient déjà prêtes. Après ma triste expérience, je connaissais la musique ! Á Saint-Denis, on m’avait tout expliqué. Il y avait là-bas une petite cellule pour les étudiants étrangers. Á l’époque, la communauté européenne n’était pas encore aussi ouverte qu’aujourd’hui et un Italien ne pouvait pas être intégré à la fonction publique. C’est pour ça que j’ai fait ma demande de naturalisation française.

Maintenant, je préfère ne même plus dire que je retournerai au pays pour mes vieux jours, à la retraite, car mes enfants sont nés ici. Ils sont français mais, ils adorent aller là-bas ! Par exemple, depuis que je leur ai annoncé que l’on partirait cette année en vacances mais pas au bled, ils sont tristes parce qu’ils ne vont pas en Algérie... Si ça ne tenait qu’à eux, on descendrait là-bas tous les ans ! Pourtant, je ne leur ai jamais transmis cette culture parce qu’avec leur papa, je ne parlais pas l’arabe ! On dirait que c’est venu tout seul… Ce n’est également pas le fait de leurs amis car j’habite au Village et là-bas, mes enfants ne sortent pas. Ils ne veulent pas. Ils ne sont donc pas mélangés à d’autres gamins d’origine algérienne…

Mais c’est très étonnant ! Ne serait-ce que cette façon d’enlever leurs chaussures et d’être pieds nus avec les autres mômes dehors ! Ici, ils ne le feraient jamais ! Même pour simplement descendre la poubelle. Pourtant, c’est comme ça. Ils ont vu les autres et ils font comme eux. Il fait chaud ; donc ils sont pieds nus. Quand ils reviennent d’Algérie, ils sont complètement transformés ! Ils parlent autrement, ils sont plus communicatifs…

Sarcelles d’hier à aujourd’hui

L’extraordinaire diversité de cultures qui existe à Sarcelles a favorisé le fait que je reste ici. Je pense que cela a beaucoup joué. Il y a une dizaine d’années, avant d’avoir mes enfants, ce n’était pas même pas la peine de me dire : « Tu vas déménager ailleurs ! » C’était inimaginable ! Seulement, le Sarcelles d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui que j’ai connu lorsque je suis arrivée. Il y a trop de monde ! J’ai l’impression qu’en l’espace de dix ans, la ville s’est agrandie considérablement, qu’elle a grossi de je ne sais combien de milliers d’habitants ! Et j’ai l’impression d’être perdue. Pourtant, les quartiers n’ont pas changé ! Il y avait déjà les Chardos, les Sablons, etc. Mais, j’ai le sentiment que l’on nous a volé notre Sarcelles… L’image que j’en avais au début n’est plus la même…

Concernant l’habitat, tout s’améliore selon le temps. Avant, on nous demandait des habitations avec des fers forgés et des machins. C’était bien ! Mais maintenant, on nous met des espèces de cages autour des immeubles. Alors, peut-être que les habitants ont dit « oui » parce que pour eux, c’est synonyme de confort, de tranquillité, de sécurité. Mais, quand je passe dans le quartier de la Poste où nous allions l’après-midi jouer avec mes cousins, quand je vois cet immeuble, je trouve que l’on sent l’insécurité… Lorsque l’on se barricade, lorsque l’on s’enferme, c’est comme dans les cités médiévales ! C’est qu’il faut se protéger de quelque chose !

Dans les années 90s, je n’ai jamais vu une femme se faire arracher son sac ! Quand il faisait beau, des personnes âgées sortaient leur transat de dix-huit à vingt-deux heures ! On faisait des barbecues, etc. ! Mais aujourd’hui, tout ça est terminé… Depuis quelques temps une manifestation qui s’appelle « Immeubles en fête » a lieu tous les ans. Et bien, j’ai essayé de la faire l’année dernière et l’année précédente, mais pratiquement personne n’est venu… On ne demande pas aux gens de dépenser ! On leur dit simplement : « Préparez quelque chose et de venez le partager… » Alors, pourquoi ça ne marche pas ?

Avant, je pouvais laisser mes clés chez ma voisine pour qu’elle m’arrose mes plantes lorsque je pars un mois pour les vacances tandis que maintenant, je ne peux plus le faire… Pourtant, je ne l’ai pas vu voler ! Depuis six ans que j’habite là-bas, elle n’a pas changé ! C’est toujours la même voisine ! Mais, c’est le temps qui fait que les mentalités des gens évoluent et je trouve que c’est dommage…

Alors que ce n’était pas le cas avant, on nous fait de plus en plus sentir que nous sommes étrangers. Pour ça, les médias sont en première ligne ! L’immigration, les enfants d’immigrés, etc., on en entend parler constamment ! D’ailleurs, mes enfants finissent même par me demander : « Maman, c’est qui l’immigration ? C’est nous les enfants d’immigrés ! » Et bien moi, je leur dis « non » ! Je ne suis pas une immigrée ! Je suis venue pour étudier ; pas pour vivre ici. D’autres personnes sont dans ce cas mais pas moi. Par exemple, mon mari est venu ici pour étudier, pour faire un CAP cuisine, mais dans l’intention de rester en France, de s’y établir. Seulement moi, il n’était pas dit que je m’installerais un jour !

Que l’expression « jeunes issus de l’immigration » soit reprise à toutes les sauces dans les médias me gêne. Je vois mes enfants grandir et je me dis : « Comment va-t-on les appeler plus tard ? » Lorsque ma fille un jour cherchera du travail et présentera son CV, est-ce que le fait qu’elle soit née en France d’un papa né en Turquie et d’une maman née en Algérie ne sera pas un handicap pour elle ? Est-ce que son nom de famille qui n’est pas européen et son adresse à Sarcelles ne l’exposeront pas aux discriminations ? C’est quelque chose qui m’inquiète…

Pour moi, habiter à Sarcelles est avant tout une richesse mais malheureusement, beaucoup de gens ont de la ville une image très négative. Mais, quand je suis arrivée à l’âge de dix-sept ans, cette image n’existait pas ! Du moins, aux yeux des jeunes comme moi ! Il faut dire que j’étais préparée avant de venir ! J’avais une correspondante. Quand j’avais seize ans et que j’étais brillante, je savais que j’allais avoir mon Bac et je me disais : « Je vais partir étudier là-bas. » Il n’y avait pas de possibilités en Algérie par rapport au Bac que j’avais ! J’ai donc demandé à ma tante l’adresse de cette fille. C’était la nounou qui gardait mes neveux lorsqu’elle sortait le soir. Quoiqu’il en soit, jamais je n’ai lu dans ces lettres de choses négatives sur Sarcelles. Et quand je suis arrivée, c’est pareil. Je n’ai pas vu de points négatifs…

C’est aux Flanades que je retrouvais les jeunes de mon âge. On discutait, on allait au Quick. Sur l’avenue du 8 mai 45, il n’y avait que des jeunes ! Je me voyais dans les films américains, avec le coca, et j’adorais ça ! Le soir, dès que je quittais, j’y allais et c’est là-bas que j’ai eu tous mes contacts, garçons et filles…

J’ai bien sûr fréquenté le marché quand je suis arrivée mais il n’était pas comme aujourd’hui. Il était tout petit . Et puis en 87, il n’y avait pas de boucherie musulmane ! Quand on voulait manger nos produits, on n’en trouvait pas. Il fallait qu’on les fasse nous-mêmes où qu’on en demande à quelqu’un qui descendait en Algérie. Par exemple, pour le couscous, les grands-mères là-bas le faisaient l’été et le mettaient au soleil. C’est comme la façon de surgeler ici ! Pour le ramener, on le faisait évaporer. Nos grands-mères nous préparaient également du henné ! Car, ce n’est pas quelque chose qu’on trouvait. Même chose pour les épices ! On les ramenait de là-bas. Mais maintenant, on trouve de tout ! Par exemple, pour la viande, on la possibilité d’acheter un poulet vivant et d’aller le faire égorger là derrière, à la ferme d’Arnouville !

Cela m’a beaucoup manqué en arrivant de ne pas pouvoir trouver nos produits… Il a fallu s’adapter… Ici, les fruits et les légumes n’ont pas le même goût que chez nous ! Là-bas, ils sont meilleurs ! Et puis, il y a une saison pour chacun. On ne trouve pas comme ici des fraises toute l’année !

J’ai remarqué qu’actuellement, les jeunes revendiquaient beaucoup leur origine sarcelloise. Je ne sais pas si c’est depuis les évènements de banlieue, mais ils la défendent. Parce que l’on a essayé de noircir leur ville, les jeunes qui sont nés et qui ont grandi ici se disent de Sarcelles ! Même des gens qui en sont partis ! Notamment des gens du show business ! Ils le revendiquent, ils en parlent ! Pourquoi pourrait-on se dire de Paris, de Neuilly et pas de Sarcelles ? Quand je discute avec les jeunes aujourd’hui, ils me disent qu’ils sont sarcellois et il ne faut pas leur soutenir le contraire ! Ils soulignent tous le côté positif de la ville parce qu’ils en en marre qu’on essaie de la médiatiser et de la noircir ! Á part peut-être quelques-uns mais c’est davantage de la rébellion et lorsqu’on entre dans le vif du sujet, il n’y a pas de problème. Ils sont sarcellois et ils en sont fiers…

Message aux jeunes
J’ai été jeune moi aussi et à l’époque, je ne pensais pas à certaines choses dont j’ai conscience maintenant et que je regrette de ne pas avoir réalisées. Il faut surtout qu’ils pensent à leur avenir ! Il est fait de travail et on sait très bien que sans boulot, on peut difficilement s’en sortir… Quand je les vois parfois dans des soirées ou dans des réunions, ce n’est pas l’image qu’ils donnent à l’extérieur ! Lorsqu’on les côtoie, c’est différent… Il faut donc qu’ils essaient de faire ressortir ce potentiel, de le mettre en valeur, autrement que par la violence, que par des attaques verbales. Mais, il faut aussi qu’on arrête de donner une image négative des jeunes de banlieue car les pauvres sont très très mal barrés si ça continue comme ça.

J’aimerais que les jeunes « issus de l’immigration », même si j’ai du mal a supporter cette expression, n’oublient pas leurs origines. Ils doivent montrer la culture qu’ils ont en eux car c’est une richesse et il ne faut pas essayer de la cacher… Ils doivent être fiers de leurs origines. Je pense que certains jeunes ont compris qu’ils avaient cette richesse mais malheureusement, ils ne savent généralement pas l’extérioriser. Il faut donc aujourd’hui qu’ils aillent de l’avant, qu’ils exploitent leur potentiel, leurs qualités, et si ils ont encore la chance d’étudier, d’être encore dans les parcours scolaires, qu’ils soient encore plus sérieux. En ce qui nous concerne, nous avons réussi à avoir un métier sans diplôme mais je ne crois pas que ce sera encore possible dans dix quinze ans. Il faut donc pousser le plus loin possible…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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