CHILI - fuir la dictature...

Mme CHANTEREAU

texte Frederic Praud


Enfance à Temuco

Je suis née en 1946, à Santiago du Chili. Lorsque j’étais petite, mon père est parti travailler au sud du pays, dans une ville qui s’appelle Temuco, située à environ six cent kilomètres de la capitale. J’ai grandi là-bas. La région de Temuco est une seule du Chili où il y a encore des Indiens, les Araucans. Il n’en reste malheureusement plus beaucoup…

Mon père était administrateur de cinéma. J’ai donc passé une bonne partie de mon enfance à voir des films, notamment tous les westerns américains. On rentrait au cinéma en cachette avec mon frère parce que notre père ne voulait pas qu’on y aille trop souvent… Nous étions quatre enfants : deux filles et deux garçons. Nous ne sommes maintenant plus que trois car un frère a disparu sous la dictature… C’est pour ça que nous sommes là aujourd’hui…

Á Temuco, nous n’avons jamais pu rentrer en contact avec les Araucans. Ils passaient et vendaient des colliers en argent très très jolis, ainsi que des fruits typiques de la région, mais ils ne voulaient jamais parler avec nous… C’est quelque chose que j’ai toujours regretté car je ne connaissais rien sur les Indiens… Ils ne parlaient pas notre langue, l’espagnol, mais l’araucan, que je ne comprends pas du tout…

Il est vrai qu’à l’époque, on n’apprenait pratiquement rien sur les peuples qui avaient occupé la région avant la colonisation espagnole… Á l’école, on nous enseignait surtout l’histoire de l’Espagne mais également celle de la France, car les institutions chiliennes se sont beaucoup inspirées du système politique français. On nous parlait bien sûr aussi des Indiens ! On nous disait qu’ils étaient nombreux avant l’arrivée des Espagnols, qu’ils s’étaient beaucoup battus et qu’ils avaient été exterminés mais sur eux précisément, on ne savait que très peu de choses…
Á l’époque, le Chili était un pays assez moderne mais avec beaucoup d’inégalités. Il y avait des gens très riches et des gens très pauvres… Avec, au milieu, la classe moyenne dont ma famille faisait partie. Je ne crois pas que mon enfance ait été différente de celle des petits Européens aujourd’hui. Par exemple, mes enfants ont joué en France à des choses auxquelles je jouais moi-même lorsque j’étais petite, comme la marelle ou les jeux de balle… Á Temuco, nous avions tout le confort moderne : eau courante, électricité, etc… mais, j’imagine que certains quartiers en étaient privés. Il pleuvait beaucoup et le paysage était un peu triste. Mais, quand arrivaient le printemps et le carnaval, c’était la fête ! Chacun portait un déguisement à cette occasion. On les fabriquait souvent nous-mêmes parce que nous n’avions pas assez d’argent pour en acheter. Tout le monde dansait dans la rue sur des musiques, etc…. J’étais petite ; alors je suivais un peu les grands…

Adolescence à Santiago

Je n’ai pas passé mon adolescence à Temuco. J’ai quitté cette ville à l’âge de onze ans pour revenir à Santiago, ma ville natale. Je crois que ma jeunesse a été assez similaire à celle que peuvent vivre les jeunes ici, à Sarcelles. On voit des choses qui ne sont pas très justes, on aime sortir, aller danser, même si on n’a pas toujours l’argent pour le faire… On s’amuse ! On étudie, on fait des bêtises… Mais, on ne peut pas généraliser ! Dans les milieux moins favorisés ou défavorisés, ce n’était pas tout à fait pareil. Les jeunes filles s’y mariaient plus tôt.

Vers quinze seize ans, je pensais surtout à sortir. On nous interdisait d’aller faire du vélo dans les champs, à la sortie de la ville, mais on y allait quand même. On faisait du patin à roulettes... Je crois qu’être adolescent, c’est la même chose un peu partout dans le monde ! On est, par moments, mal à l’aise. On ne sais pas où se mettre. On ne se sent pas bien dans sa peau. D’autre fois, au contraire, on imagine que l’on peut tout faire. On rêve d’avoir une vie meilleure que celle des ses parents, etc. Il est vrai que, comparé aux jeunes d’aujourd’hui, nous faisions des bêtises d’enfant ! On se sentait peut-être plus gamins que les adolescents de seize ans aujourd’hui.

L’université et l’action militante

Seulement après, dans la vie, on se rend compte que des choses ne sont pas très justes et ainsi, très vite, j’ai commencé à militer dans un parti. J’avais dix-sept, dix-huit ans. Derrière chez nous, plus loin, il y avait des bidonvilles ! Alors, nous nous révoltions avec les copains et les copines : « Non, ce n’est pas normal ! » Nous avions un idéal ! D’ailleurs, je crois que c’est ce qui manque aux jeunes d’aujourd’hui. Malheureusement, ils n’ont pas les idées qui pourraient les guider… Pour autant, je ne trouve pas que pour eux, la vie soit plus dure que pour nous à leur âge. J’ai connu des gens qui travaillaient beaucoup et qui étaient vraiment exploités ! Mais, je pense que la façon d’exprimer les choses a changé…

J’ai commencé à militer bien avant l’instauration de la dictature, en 1973. Le gouvernement avant Allende était très injuste ! Les Américains avaient beaucoup d’influence dans notre pays. Ils profitaient de toutes nos ressources naturelles : le cuivre, etc. Ce qui nous révoltait était donc très clair !

En mai 1968, j’étais à l’université et c’est quelque chose qui a beaucoup marqué, qui a entraîné beaucoup de changements. Les profs avaient jusque là un pouvoir absolu ! Nous avons donc fait élire des représentants des étudiants. Mai 68, c’était bien pour nous ! Il s’est passé presque la même chose qu’à Paris. Il faut savoir que la France avait beaucoup d’influence culturelle au Chili !

Je me suis marié en 1970, à l’âge de vingt-cinq ans, et j’ai eu mon premier enfant en 1971. J’ai rencontré mon mari par l’intermédiaire d’une cousine qui le connaissait. Elle m’a dit : « Tu vas voir ! Il va te plaire ! » Effectivement, il m’a beaucoup plu… Il est allé demander ma main à mes parents et voilà, on s’est marié…Nous sommes aujourd’hui ensemble depuis trente cinq ans.

Fuir la dictature

Au moment du coup d’Etat de Pinochet, je travaillais à l’hôpital psychiatrique de Santiago, au service de rééducation et de réadaptation des adultes handicapés mentaux. En 1973, tous les lieux publics tels que les hôpitaux ont été envahis par les militaires, qui ont dressé des listes. Je figurais dans l’une d’elle parce que j’avais participé activement à Mai 68 et c’était un délit… On m’a donc mis à la porte…

Ensuite, j’ai dû chercher un autre travail car tout le monde devait en avoir un. C’étaient les ordres… Celui qui n’en n’avait pas pouvait être pris…. Finalement, j’ai trouvé un poste dans un hôpital pour enfants paraplégiques et je suis resté là-bas jusqu’en 1974, date à laquelle j’ai quitté le pays. Mon frère fait partie des quatre disparus que réclame la France à Pinochet… Au Chili, on compte en tout plus de trois mille disparus mais parmi eux, quatre ont, comme moi, la double nationalité franco-chilienne. C’est le cas de mon frère et de trois autres personnes. Nous avons donc pris un avocat et entamé une procédure contre Pinochet. La France va le juger pour la disparition de ces quatre franco-chiliens…

Avant 73, nous avions au Chili un président élu démocratiquement, Salvador Allende, mais il a été assassiné par les militaires qui ont pris le pouvoir par les armes. Pinochet a ensuite installé sa dictature, un système dans lequel toute personne qui pense différemment de lui est emprisonné… Dans une dictature l’être humain n’a pas de valeur aux yeux des dictateurs : on torture, on fait disparaître les gens. Nous nous sentions fragiles. Nous avions la peur au ventre. Dans ce système dictatorial les réunions de plus de trois personnes sont interdites. On isole les gens, puisqu’il n’y a plus d’information. Il y a délation. Les militaires arrivent chez les civils ou dans les hôpitaux, pour perquisitionner en arrêtant les personnes suspectes à leurs yeux. Nous n’avions plus de loi ou appareil judiciaire pour nous défendre.

Voilà en gros ce que je voulais ajouter puisqu’il faut que tout le monde s’aperçoive de la chance que nous avons de vivre ici en DEMOCRATIE, d’où l’importance de maintenir la possibilité d’exprimer nos idées même et surtout si elles sont différentes.

C’était vraiment une époque très dure… En Juillet 74, mon frère a été arrêté en pleine nuit par des hommes habillés en civil, appartenant à la police secrète… Il avait vingt-quatre ans à l’époque et il était papa d’une petite fille… C’était un étudiant d’extrême gauche qui participait beaucoup à la politique, qui parlait beaucoup en public, qui apparaissait à la radio, à la télé, etc. Il était contre Pinochet. On ne sait pas où il a été emmené… Comme la police est venue aussi chez moi, je n’est pas pu rester là-bas. Je suis me donc réfugiée avec mon fils chez tous les amis qui pouvaient nous loger, le temps que je trouve le moyen de quitter le Chili…

Heureusement, j’avais la chance d’avoir des ancêtres français par mon père. Mon nom de famille était Chantereau. Mais pour moi, avant le coup d’Etat, la France ne représentait rien du tout ! C’était un pays sûrement très joli, très beau, mais je ne pensais pas y vivre un jour ! Je n’imaginais pas du tout quitter le Chili. C’est l’ambassade de France qui s’est arrangée pour nous faire sortir du pays, moi et mon fils… Elle nous a délivré un visa… L’ambassade d’Italie et d’Allemagne ont aussi beaucoup contribué à faire sortir des Chiliens. Par contre, l’ambassade chinoise à fermé ses portes…

Arrivée en France et conditions d’accueil à Sarcelles

Nous sommes arrivés directement à Sarcelles, au centre de rapatriés. Mon mari nous a rejoints un mois et demi plus tard. Ce qui m’a tout de suite frappée, c’est que j’ai trouvé la ville très jolie…. Les Flanades venaient d’être terminées et tout était très beau, très propre. Au-dessous, là où se trouve maintenant le parking, il y avait un bowling vachement joli, tout en bois ! Il y avait également plein de magasins super luxe ! Mais par la suite, les Flanades ont subi beaucoup de transformations. Ils ont détruit tous les magasins et le bowling pour construire des parkings…

Les premiers temps (trois mois), nous avons vécu au centre de rapatriés, situé place Charcot. Là-bas, nous étions une vingtaine de Chiliens en tout. Je ne parlais pas français à ce moment-là. D’ailleurs, c’était très dur pour moi… J’essayais que les gens me comprennent, qu’ils ne me fassent pas répéter vingt mille fois la même chose, mais j’avais beaucoup de mal…

Á l’époque, des réfugiés arrivaient d’un peu partout à Sarcelles ! Du Vietnam, de l’Afrique, etc. Au centre, j’ai rencontré beaucoup de gens très sympas… Au début, j’étais peu étonnée parce que je n’avais pas l’habitude ! Jusqu’ici, des Vietnamiens, je n’en avais vus que dans les films ! Mais, j’ai rapidement appris à les connaître car la personne qui dirigeait le centre était quelqu’un de très bien. Il organisait des repas typiques de chaque pays. Nous, on faisait des « empanadas » et les Vietnamiens des boulettes très bonnes…

On échangeait beaucoup avec les gens du centre mais très peu avec l’extérieur. Je ne connaissais pas les différents quartiers de Sarcelles. Très vite, j’ai commencé à chercher du boulot que j’ai trouvé à l’hôpital de Gonesse, dans le service de psychiatrie, où j’ai travaillé jusqu’à la retraite (il y a deux semaines) …

Au départ, la langue m’a posé le plus de difficultés. J’ai trouvé que les gens étaient très froids en général, à part quelques-uns de la mairie, qui venaient nous voir et nous ont aider à nous inscrire à des cours de français. Eux étaient assez chaleureux. D’ailleurs, je les remercie beaucoup pour tout ce qu’ils ont fait pour nous… Mais, quand vous vous promeniez dans la rue et que vous ne parliez pas bien français, les gens n’étaient pas gentils ! Un fois, une voisine de Charcot a même dit : « Tiens, encore des étrangers qui viennent nous piquer notre travail ! »

Du provisoire au définitif

Nous étions normalement venus en France pour trois mois. On se disait naïvement que cela n’allait pas durer longtemps, que Pinochet allait partir… Nous étions jeunes et rêveurs ! Bien sûr, au bout des trois mois, on a commencé à s’angoisser… En fait, nous avons décidé avec mon mari de rester. En fait nous avons décidé de nous installer vraiment ici, quand on s’est aperçu que nos enfants avaient besoin d’avoir des repères clairs et sûrs : la vie qu’on leur faisait subir était incertaine… à l’époque nous faisions comme si nous devions répartir le lendemain. Dans notre tête, la valise était toujours prête !

Du Chili, je n’avais ramené que très peu de choses : seulement quelques vêtements. Je n’avais même pas emmené de photos ! Je les ai récupérées beaucoup plus tard, lorsque j’y suis retournée la première fois, en 1989. Á l’époque, Santiago avait beaucoup changé ! Il y avait de nombreux bâtiments nouveaux ! Mais, j’avais encore très peur car Pinochet était toujours là. C’était juste avant qu’il n’abandonne le pouvoir après sa défaite au référendum qu’il a lui-même organisé. Évidemment, il pensait qu’il allait gagner ! Mais, le peuple ne voulait plus de lui. Alors, il a dû partir…

Quoi qu’il en soit, lorsque j’entendais les gens, mes cousines, la famille, dire du mal de Pinochet, je tremblais de tous mes membres ! Je leur disais :
« - Taisez-vous ! On va nous mettre en prison !
  Mais non, ne t’inquiète pas, les choses ont changé… »
Cela m’a beaucoup coûté de savoir que tout avait changé… Maintenant, tout va bien. Nous avons une femme présidente, de surcroît socialiste et c’est très bien…

Pendant des années, nous n’avons pensé qu’à revenir au Chili. Sans le coup d’Etat, jamais on ne l’aurait quitté ! Seulement maintenant, je ne sais pas si je pourrais retourner y vivre car mes enfants, ma famille proche et mes amis sont ici et les gens là-bas ont beaucoup changé… De toute manière, moi aussi j’ai beaucoup changé par rapport aux Chiliens ! J’ai une façon un peu différente de voir les choses, du fait d’avoir vécu en France. Et puis là-bas, quand vous venez de l’Europe, on pense que vous avez forcément plus d’argent… Je voulais ajouter que j’aime la France et la vie que nous avons ici, et je pense que tous les gens qui quittent leur pays sont ensuite toujours déchirés en deux. On ne peut jamaisvrester indifférent à la France ou à son pays d’origine.

Nous sommes restés six ans à côté de la gare Sarcelles-Garges. Nous sommes ensuite partis nous installer à côté, à Villiers-le-Bel, pour une question pratique, car je travaillais à l’hôpital de Gonesse. C’était génial de pouvoir arriver vite avec les deux enfants ! Mais, même en vivant à Villiers, j’ai vu l’évolution de Sarcelles parce qu’une famille de Chiliens que je connais bien habite ici. Je viens les voir de temps en temps et j’ai remarqué les changements… Juste arrivée, j’avais été impressionnée par les Flanades mais dernièrement, j’ai été frappée dans l’autre sens… Malheureusement, ça s’est beaucoup dégradé… Avant, c’était très joli, très moderne !

Message aux jeunes

Dans la vie, l’éducation est une chose très importante. Il ne faut jamais cesser d’apprendre ! Les jeunes sont souvent intelligents, très fins, et je pense que l’éduction est la clé qui leur permettra d’ouvrir les portes de cette société, pour y trouver leur place…