Sam né en 1979
On reste dans la délinquance, parce que c’est comme un aimant
le porche nous appele
Je suis né en 1979 à Fort de France en Martinique. Mes Parents se sont séparés, j’avais cinq ans et demi. A la suite de cela, ma mère a décidé de voler de ses propres ailes. Elle est venue en métropole travailler, pour se démerder ! Elle est venue, elle a pris l’avion et nous a laissé là-bas avec notre grand-mère qui s’est occupée de nous. Elle est partie pour gagner son pain et nous faire venir ensuite, moi et mon frère. Elle a trouvé un petit boulot en tant qu’agent hospitalier, et à la suite de cela, elle nous a fait venir en France. J’avais sept ans.
Arrivée à Sarcelles
Je suis arrivé à Sarcelles à Légeon la bruyère. Ma tante y habitait, ma mère habitait chez elle. On habitait tous ensemble. Peut-être un an après, on a eu notre maison. Je suis venu habiter l’allée Fragonard au quartier Watteau ; jusqu’à maintenant.
Le choc, ce fut la séparation avec la maman. Comme j’étais le dernier, j’étais un peu le chouchou. J’étais tout le temps triste, je n’étais pas bien parce que ma grand-mère est agricultrice, donc c’était tout le temps aller aux champs, tout le temps aller chercher de l’eau, rentrer les moutons. C’était vraiment du boulot ! Quand j’étais chez ma mère il n’y avait plus tout ça.
Arrivée en France
Dès que je suis arrivé en France, j’étais super content ! Il y avait ma maman, tout ça ! Mon intégration ici s’est très bien faite. J’étais content d’être là. Là-bas on parle beaucoup créole, mais dans l’éducation, on nous oblige à parler français pour parler aux grandes personnes ; donc je parlais bien français. Avec un accent, mais je parlais bien le français.
Ma première surprise, ce fut la neige ; c’était en 1986. Ça neigeait, comme pas possible ! Il caillait ! L’école, je n’ai pas été surpris, parce que l’école là-bas était un plus avancée qu’ici. Ensuite, la rue m’a rattrapé… Ma mère a choisit Sarcelles parce que ma tante y habitait. C’était le seul endroit où elle pouvait être hébergée. C’est uniquement pour ça.
Premier retour aux Antilles
Je suis retourné pour la première fois aux Antilles, j’avais treize, quatorze ans, j’étais déjà ado. Mais je me suis toujours senti des îles. Dans ma tête je savais que j’étais antillais, point barre ! Sinon je ne représente pas particulièrement l’île. J’avais déjà un esprit assez ouvert. J’étais sarcellois. En fait j’avais tourné la page, sept ans c’est jeune encore ! Une nouvelle vie commençait. C’est facile de tourner la page ! Nous on est en bouture, on ne le ressort pas, c’est les problèmes des parents.
Mère courage…
Avec l’âge, on comprend mieux les choses. Arrivé à un certain moment je n’étais plus du tout intéressé… c’était toujours les copains, les copains ! Je prenais mon cartable, dès que je sortais de l’école, je le jetais ! Il n’y avait pas de suivi. Je n’en veux pas à ma mère, parce qu’elle allait travailler et il fallait nourrir les deux enfants qu’elle avait à la maison. Comme elle était agent hospitalier, elle commençait à sept heures du matin et elle rentrait à vingt-deux heures. C’était des journées de douze heures ! Elle allait travailler jusqu’à Rueil-Malmaison ! De Sarcelles à Rueil-Malmaison, ça fait une heure trente de transport !
Ma mère et moi on se croisait le week-end, ou si je dormais un peu tard le soir. Il n’y avait pas de cadre, pas de suivi, nous étions livrés à nous même. S’il n’y a personne pour faire tes devoirs derrière toi, il n’y a pas de motivation. Quand il n’y a pas de suivi, c’est ton bon vouloir. Si tu veux bien le faire ou si tu aimes ça, tu vas le faire de toi-même, si ce n’est pas trop ton truc, il faut que l’on t’oriente, que l’on t’assiste, histoire de prendre le pli. Après, une fois qu’on a le pli, on le fait tout seul ! Mais moi je n’avais pas ça ! Bien sûr ma mère disait « non, faut pas voler » ; mais quand il n’y a pas de cadre, il n’y a pas de suivi, vous êtes un peu libre. Moi je pensais : « je peux voler…elle le saura jamais ! », sans penser qu’un jour, je puisse me faire attraper ; c’est du vol naïf !
Watteau, un quartier chaud
Watteau, c’était le quartier le plus chaud de Sarcelles ! Les deux quartiers les plus chauds, c’étaient les quartiers de Watteau et des Vignes blanches. Aux Vignes blanches, ça tirait, partout ça tirait ! C’était la guérilla à mon époque, parce qu’après notre génération, c’est des bêtises naïves. À notre époque ça tirait à la chevrotine ! C’était une histoire de regard, de contrôle, histoire de dire « mon quartier, t’es pas du quartier ! ». On en a perdu deux et là-bas aussi ils en ont perdu deux.
En fait, il y a toujours un leader, mais le quartier c’est une patrie. Pour nous c’est une patrie. On dit « défendre la patrie ». Par exemple dans le quartier Watteau, le quartier Coop ne pouvait pas y rentrer, ça ne se passait pas comme ça. Quand tu rentres, si ne t’es pas du quartier il faut qu’on sache : « qu’est-ce que tu viens faire ? ». Après ces grosses confrontations posent un grave problème pour la ville, parce qu’on a perdu trop de jeunes ; on voulait décloisonnait les quartiers.
Free style chez les filles
A cette génération là, il y avait deux types de filles. La plupart d’entre elles étaient des filles franchement droites qui rentraient à la maison… Il n’y avait pas d’histoire d’aller flirter. Et il y avait le groupe de filles qui, justement, voulaient faire des bandes de filles, se battre entre elles, un peu comme les garçons. C’était un groupe de filles, non cadrées. Avec réflexion à mon âge, la base de tout, c’est le suivi des enfants. Si les enfants sont suivis tout roule ! S’ils ne sont pas suivis, ils vont partir en « free style », à gauche, à droite, à gauche, à droite, c’est tout ! C’était la guerre ! La devise avant « c’était un pour tous, tous pour un ! ».
La peur, elle est où ?! Si c’est un jeune de douze ans par rapport à un homme adulte, ça va, mais après on est confronté non pas à une, mais à vingt personnes, donc vingt personnes qui vous sautent dessus !
« Ah non faut que tu restes à la maison ! Faut pas sortir ! Les rôdeurs… ». Ma sœur était plus couverte par mes parents. Rester à la maison pour rester à la maison, autant faire ses devoirs, tandis que le gars avait le droit de sortir.
La nouvelle génération
La nouvelle génération, après nous, ils ont tout ! Les parents travaillaient tout le temps, ils nous envoyaient automatiquement en colo, donc je suis sorti, et à travers ces séjours, j’ai appris des choses, une ouverture d’esprit. Avec mes enfants, on ira tout le temps au camping, on ira au ski, ça sera ouvert, ils seront comme toute le monde !
Délinquance
À quinze ans, ça devient de la grosse délinquance, on va se faire un max de fric ! Là ça devient torride ! La maman, elle n’en peut plus ! Incontrôlable ! « Tous les adultes sont bêtes, ils ne comprennent rien, ces des malades ! C’est des fous ! Ils parlent pour rien ! ». Je dis « oui, oui, oui », j’écoute, mais ça rentre par une oreille, ça ressort de l’autre ! « Je connais tout, tu peux rien m’apprendre, je me débrouille tout seul, je n’ai pas besoin de ton argent ! Je m’achète mes baskets tout seul. Je suis autonome, je n’ai pas besoin de vous ! ». Quinze ans, dix-sept ans c’était ça pour moi…
Garde à vue
Ma première garde à vue, c’était plus jeune, je m’en rappellerai toujours ! C’était à Euro Disney, j’avais douze, treize ans ; j’ai pris des gourdes ! Des conneries ! La police nous a arrêté, nous a ramené. Ma mère est venue du boulot. Elle a pris un taxi. Je ne voulais pas qu’elle vienne me chercher.
L’argent
À quinze ans je voulais rentrer dans la maffia ! « On va rentrer dans la maffia ! On va gagner un maximum de pognon !...On va partir en Italie… ». Des trucs de fous ! On pouvait se faire un gros billet rapidement ! C’était avoir du pognon rapide, rapide, rapide, pour plus tard, quand j’aurais eu mon permis, acheter une grosse bagnole, même acheter une belle maison à ma mère ! Malgré toutes les conneries que je faisais, il fallait qu’elle soit récompensée. Mais ce n’était peut-être pas la bonne solution !
C’était moi le plus petit. Mon grand frère était à l’internat. J’étais tout seul finalement. Toute la semaine, j’étais tout seul ! Parfois il rentrait le week-end. Des fois il ne rentrait pas, il restait à l’internat. Mon frère avait le même âge que K6… eux, ils étaient avec les femmes. Ce n’était pas le même délire. Ils étaient derrière les femmes. Moi je voulais faire du pognon !
Avant qu’elle parte, je devais avoir dix-neuf ans, j’avais une copine. Elle est tombée enceinte. Ma mère est venue me voir. Elle m’a parlé sérieusement. Elle était attristée. Elle pleurait même. « Pour ton frère, je ne m’en fais pas…mais c’est pour toi ». Elle voulait que je parte aux Antilles. Moi j’ai dit : « non ! Non ! Non ! Avec K6 et cocotte, il n’y aura pas de problèmes. Promis ! J’arrête mes conneries ! À partir d’aujourd’hui, je me prends en main ! ». C’était facile à dire, pour qu’elle me fasse confiance. Après elle est venue voir K6.
Le porche
On reste dans la délinquance, parce que c’est comme un aimant. Le porche il nous appelle… Où que tu sois, il faut que tu reviennes dans ton porche t’asseoir, même si tu fais rien. Parfois on se regarde dans le blanc des yeux. On est assis comme ça toute la journée ! Instinctivement, quoique tu fasses, tu es obligé de revenir au porche, tu es obligé de venir squatter. Des fois, j’étais chez moi, je regardais la télé, on me disait : « sors » ! J’allais dans le porche et je ne faisais rien du tout, dans le porche. En plus je regardais un bon film à la télé ! C’est l’habitude je crois, j’essaye de raisonner sur ça ; j’appelle ça « comme un aimant ». Notre réaction aux morts des Sablons, des Vignes blanches, c’était la révolte ; envie de tout casser, envie d’aller se venger, d’aller tirer sur les autres, un esprit de vengeance, de haine.
La vie à Sarcelles
Après dix-neuf ans, j’ai fait des petits boulots. Un peu de vacataire dans les hôpitaux et en 1999, ils m’ont proposé mon premier emploi jeune au service des sports. J’étais jeune, je ne me sentais pas père. J’ai eu un enfant mais je n’assumais pas. Je ne l’ai pas ressenti comme je l’ai ressenti pour mon deuxième fils. Je n’étais pas prêt. Je n’ai pas quitté Sarcelles, pourtant ma mère a déménagé à Rueil-Malmaison. Justement pour nous sortir un peu de ça, mais c’est un aimant ici ! J’aime trop ma ville ! Elle m’a tout appris, j’y ai fait mes outils, mes armes ! J’ai tout fait ici !