SOGNOLLES - village d’agriculteurs

Monsieur Chemin né le 25 avril 1924 à Sognolles

Nous étions situés à l’extrémité sud du village. Mes parents étaient cultivateurs. Ils avaient une propriété de cinquante hectares. Ils faisaient la culture de l’époque, c’est-à-dire un petit peu d’élevage et des céréales.

Nous avions cinq chevaux. En principe, cinq chevaux occupaient deux hommes pour les conduire. Il y avait aussi quelques vaches, comme dans toutes les exploitations. A ce moment-là, le matériel tracté par les chevaux consistait en une charrue, une voiture, un tombereau et un jeu de herses.

Un ouvrier et un charretier travaillaient sur la ferme. Mon père et ma mère s’occupaient de la marche de l’exploitation. Nous étions deux frères, mais nous ne participions pas beaucoup aux travaux. Nous allions à l’école.

Le fonctionnement des exploitations agricoles avant-guerre

Avant 1940, on cultivait des céréales, un peu de betteraves et du fourrage pour les animaux. Il y avait un tiers de blé, un tiers d’avoine, un tiers de fourrage et de betteraves fourragères pour les animaux. En plus de la ferme, mes parents possédaient sept hectares de bois en petites parcelles.

Nous vivions des résultats de la récolte. Jusqu’en 1935, ce sont des négociants qui achetaient les produits. La coopérative a ensuite pris le relais. Celle de Donnemarie a été créée en 1936, à la suite du marasme. La crise agricole a débuté en 1931 ou 1932.

Au XVIIIe siècle, une laiterie existait à Sognolles même. Au XIXe siècle, elle a été transférée à la Tablotte, un hameau situé entre Leudon et Landoy. La laiterie de Leudon a été construite en 1913. Elle a arrêté de fonctionner en 1939, parce que les hommes ont été mobilisés.

Le ramassage se faisait avec des chevaux. Un tiers des terres servait à la recette et les deux autres tiers servaient à nourrir les animaux. Dans nos pays, nous n’étions pas chargé en bétail ! Le lait était expédié sur Paris, en nature, par le train. Le surplus servait à fabriquer du fromage. Les laiteries successives furent la propriété des « Fermiers Réunis ».

Il n’y avait pas de gros propriétaires, à part les deux grosses fermes des Verrines et de Courtemont. Mon grand-père avait d’ailleurs été exploitant, fermier, à la ferme de Courtemont pendant neuf ans. A l’époque, toutes les fermes de la Brie que l’on voit isolées dans les champs, avaient déjà presque de la même importance que cinquante ans après. Elles ont été construites en carré, avec une mare au milieu pour récupérer l’eau.

Les commodités au village

Le lavoir a été construit en 1936. À partir de ce jour-là, les femmes l’ont utilisé pour laver leur linge. Avant 1936, elles devaient aller dans les bois, jusqu’au captage situé à 600 mètres, ou alors à Fontenailles, par des chemins de terre avec des brouettes.

Le marché était à Donnemarie. Lorsqu’il était à Courtemont, mon grand-père allait vendre les œufs, les fromages et le beurre à Provins. Les gens de Sognolles n’allaient jamais au marché. Il y avait déjà une laiterie dans les années 1800…

Dans les années 30, mes parents avaient déjà une voiture. C’était une Citroën, une B2 jaune avec des roues noires. Mais nous ne roulions pas beaucoup. Il y avait plusieurs voitures dans le village ! Il y avait celle du boucher, du marchand de vin, du maréchal-ferrant, du boulanger, celle d’un autre agriculteur… Il y avait environ sept ou huit voitures ! Mais il n’ y a pas eu de tracteur avant 1950.

L’école

À l’époque, on nous mettait devant nos responsabilités. Nous arrivions une demi-heure avant le début des cours. Il fallait balayer la classe et allumer le feu. Le bois utilisé pour le grand poêle Gaudin était payé par la commune.

Nous nous rendions à l’école en galoches. Des galoches, ce n’est pas pareil que des sabots. La semelle est en bois, mais il y a la tige avec des lacets.

L’instituteur était aussi secrétaire de mairie. Après la guerre de 1914, il y a eu énormément de mariages à Sognolles et les cérémonies n’étaient par forcément célébrées un jour de relâche. C’est pourquoi, l’instituteur quittait parfois la classe pour se rendre à la mairie. Il y restait une heure environ. Pour autant, quand il rentrait, il n’y avait pas la pagaille dans la classe, parce que l’un des grands était responsable du groupe.

Lorsque nous ne connaissions pas nos leçons ou lorsque nous avions fait une bêtise dans la cour de récréation, on nous faisait écrire des punitions…

On cultivait le patriotisme à l’école …

Le déclenchement de la guerre

Mon père n’a pas été mobilisé et notre charretier non plus. Mais nous avons aidé un voisin à finir sa moisson, car il avait été mobilisé…

1940 et l’exode

Ce jour-là, j’étais tout seul dans la cour de la ferme. Mon père était parti à Donnemarie, parce qu’il avait sans doute une corvée à faire. A un moment donné, le père Clauzier, le beau-père de l’épicière, est arrivé et m’a demandé : « Qu’est-ce que vous faites ? Vous partez ? » Je lui ai répondu : « Je ne sais pas moi ! Papa est parti à Donnemarie ! Mais on n’a jamais parlé de ça ! »

Mon père est arrivé une demi-heure après et il a dit : « Il faut faire les ballots ! Il n’y a plus personne à Donnemarie ! » Même les gendarmes étaient partis !

Comme il y avait encore l’électricité, nous écoutions les informations pendant que nous étions en train de manger, à deux ou trois heures de l’après-midi. Les Allemands étaient soi-disant à Montmirail. Ils étaient à Bray.

Nous sommes partis dans le courant de l’après-midi, en direction du Sud. Vers Vimpelles, Balloy, des avions nous ont survolés. Après Balloy, nous avons passé la nuit à Courlon. Vers 5 h du matin, nous avons entendu l’arrière-garde française qui faisait sauter les ponts sur la Seine et l’Yonne.

Le lendemain, après avoir quitté Courlon, nous avons rencontré l’armée allemande qui nous a laissés passer. Nous avons donc continué jusqu’à Serbonnes, où nous sommes restés quelques jours.

Au retour, nous avons traversé sur un pont de bateau, aidés par des soldats allemands.

Lorsque nous sommes partis, des batteries d’artillerie tiraient sur le plateau des Ormes. Nous les entendions. Nous avons eu de la chance de ne pas passer par là. Si nous étions partis plus tôt, nous nous serions peut-être trouvés dans les environs… C’est que sur la route du Perret, il y eut des dégâts ! Il n’y avait plus un seul poteau debout ! Tous les poteaux étaient tombés à cause des obus…

Vivre sous l’Occupation

Jusqu’au retour des prisonniers après la Libération, tous les jeunes et les vieux ont travaillé sur les fermes. 70 à 80% des jeunes y travaillaient !

En 1939, l’armée française avait réquisitionné les chevaux. Durant l’Occupation, il y a eu plusieurs autres réquisitions du même type, organisées par les Allemands. Nous devions présenter nos chevaux à Provins ou Nangis.

Ceux qui étaient réquisitionnés étaient remplacés par d’autres qui coûtaient deux fois plus cher. La demande avait créé une pénurie. Elle avait fait augmenter les cours. En plus, les Allemands réquisitionnaient aussi la nourriture pour les chevaux.

Ce n’était pas insurmontable ! Théoriquement, on donnait vingt-cinq litres d’avoine par jour à un cheval qui travaillait fort, alors que selon le règlement, il n’avait droit qu’à 5 ou 7 kilos, c’est-à-dire moitié moins.

A part les réquisitions de chevaux, nous étions également tenus de fournir les produits de la ferme : tant de quintaux à l’hectare…

Quand un ou deux chevaux quittaient une ferme, cela faisait mal au cœur et cela gênait le travail. Le reste, on s’en accommodait…

Chez nous, du fourrage était resté sous le hangar, pour la réquisition française. Les chevaux allemands étaient magnifiques, bien nourris, mais les Allemands trouvaient sans doute qu’ils n’avaient pas assez de fourrage, car ils allaient en récupérer des ballots sous le hangar.

Alors, le père est allé se plaindre à la kommandantur. Ils lui ont répondu : « Il y a des étiquettes sur chaque ballot ! Si vous les voyez partir avec un ballot, vous enlevez les étiquettes et on vous paiera ! »

Nous n’avons jamais souffert du manque de nourriture. Ce n’était certainement pas pareil pour les citadins ! Nous élevions nos poules, nos lapins, nos cochons, ce qui nous permettait de ne pas trop souffrir des restrictions et de rendre service à des personnes venues de la ville.

Nous n’avons nous-même jamais manqué de pain. Nous fournissions frauduleusement du blé au boulanger qui lui, nous fournissait du pain en douce.

Il y a eu du marché noir comme partout, mais il y avait surtout des échanges. Par exemple, nous troquions les clous pour ferrer les chevaux, contre de l’huile d’oeillette à consommer. Il y avait une huilerie à Thénizy.

Des bals clandestins étaient improvisés par les gars et les filles du pays. A Savins, un de ces bals fut organisé dans un grenier. Il y avait beaucoup de monde ! Mais pendant qu’ils étaient tous en train de danser là-haut, les murs se sont écartés et tout le monde a atterri au rez-de-chaussée… Heureusement, il n’y a rien eu de cassé !

La Résistance locale

A Sognolles, il y avait une douzaine de jeunes réfractaires au STO, encadrés par Max Néraud, qui n’était pas du pays, et par le capitaine Moulin. Ces jeunes étaient tous regroupés dans la même maison. D’ailleurs, ils venaient chercher du lait dans notre ferme.

Ce groupe de jeunes, commandé par Moulin, était opposé au mouvement « Vengeance », dirigé par Frémont. Les résistants du groupe « Vengeance » étaient assez âgés. Ils étaient nés avant la guerre de 1914. La plupart avait la quarantaine et appartenaient donc davantage, à la génération de nos parents.

Tout le monde connaissait Moulin ! Il se promenait librement. Il n’y avait pas de dénonciation, ni de collaborateur…

Le soir du jour où Max a été tué à côté de sa voiture, nous avons rencontré Petit. J’étais avec mon père et il qui nous a raconté toute l’histoire. Il était décomposé… Il était risque-tout ! Il ravitaillait la Résistance.

En 1944, mon père a fait partie du Comité de la Libération.

Message aux jeunes

Nous avions moins d’envies, moins de besoins et moins d’argent…