Sarcelles : Muriba Coulibali née en 1983
j’ai réussi grâce aux cours de soutien scolaire
Je vais retourner au Mali en décembre, je voulais voir comment ils ont souffert.
Comment nos anciens nous ont parlés, ce qu’ils nous ont dit, nous a fait du bien, cela a changé l’image du quartier. Les anciens sont les grands frères. Les anciens nous aiment bien. Quand on voit une vieille qui a des difficultés pour porter ses courses, ou une personne handicapée qui a des difficultés pour traverser la rue, on essaie de faire de notre mieux. Les gens nous remercient, sont contents de nous. Ils nous disent merci.
Muriba Coulibali
Je suis né le 10 mars 1989 à Sarcelles à la clinique Alexis Carrel. Je suis le cinquième enfant, le dernier enfant. Mes parents sont arrivés du Mali en 1976. Mon père avait vingt-trois ans. Ma mère, née en 1952, est arrivée en France un an après mon père. Ils étaient déjà mariés avant de venir en France. Ils sont arrivés à Montreuil où mon grand frère est né. Ils y ont vécu treize ans dans un logement plus petit qu’à Sarcelles. Ils avaient quatre enfants à Montreuil, alors que nous sommes cinq maintenant à la maison, au 10 allée Jean Baptiste Lully, juste à côté de Camille Saint-Saëns.
Les origines maliennes
Ma famille fait partie d’une caste de griots, ceux qui font de la musique. Mes parents me l’ont dit, mais je l’ai également découvert quand je suis parti là bas. Mon père est venu pour ses études. Il est l’aîné des garçons de sa famille au Mali et il avait décidé de venir étudier en France. Il est venu, a commencé à étudier ici, à lire et à écrire avant de trouver un travail.
Je devais avoir cinq ans lors de mon premier séjour au Mali, dix ans pour le second. J’y retournerai la troisième fois en décembre 2007. Lors de mon second séjour, avec les jeunes, je leur apprenais des choses, comment c’était en France. Ils me prenaient comme une personne importante, comme j’avais fait l’école, j’avais appris. Je n’avais pas leur accent. Je ne parlais pas comme eux. Ils m’ont vu d’une autre manière. J’ai essayé de découvrir comment ils vivaient, comment c’était chez eux. J’ai rencontré mes grands-parents, mais ils sont décédés aujourd’hui. Mon grand-père était aveugle. Nous sommes des Soninkés de Bamako. Je parle le soninké, j’arrivais à parler à ma famille. Je comprends un peu le peul, mais parle le soninké.
Souvenirs d’enfance
Je jouais aux billes à l’école Albert Camus. Il n’y avait pas de double vitrage, c’était une ancienne école. Il y avait des trous par terre dans la cour. On restait longtemps en récré. On n’aimait pas trop aller en cours. La récréation était longue, ce qui a changé maintenant que l’on a grandi. On doit bosser. Nous n’avons plus que dix minutes de récréation au lycée. J’étais à Camus II avant de changer pour Camus I. Il y avait une bonne ambiance. Nous jouions entre les deux écoles, à quelle école était la meilleure. On se faisait des matchs entre nous. Maman m’emmenait à l’école pendant longtemps, jusqu’en CM1. J’attendais impatiemment qu’ils arrêtent, bien sûr, j’étais un grand garçon. Ça leur faisait plaisir certainement.
Je jouais en bas de chez moi. Il y avait un petit trou où l’on jouait aux billes, sinon on jouait au foot sur une colline, juste derrière chez moi. On se baladait, on prenait des cartons, on descendait la colline en glissant. C’était de bons délires. Ma mère me regardait par la fenêtre. Elle jetait régulièrement un œil pour voir si je n’allais pas sur la nationale en haut, qui est très dangereuse. Elle regardait à chaque fois qu’elle était dans la cuisine. Ma mère me surveillait. Elle a travaillé à la maison le temps que l’on grandisse un peu. Elle ne pouvait pas nous laisser seuls comme ça. Elle avait peur pour nous. Mon père lui demandait si elle voulait travailler ou pas, mais elle préférait attendre que l’on grandisse. Elle a ensuite travaillé. Elle a appris le français ici avec une association, l’ALA, dans un local, avec Mme Coulibaly.
Mon père travaille comme bagagiste dans une agence à Roissy. Il a toujours travaillé dans cette même agence. Il a fait rentrer mon plus grand frère qui travaille avec lui. Mon père est chef d’équipe. Il part à cinq heures du matin pour aller à Roissy en voiture. Il revenait ici quand je sortais de l’école. Il venait me chercher à l’école vers quatre heures et demie. Il y avait une sécurité pour les enfants… c’est pour cela que l’on est resté ici. Notre quartier était plus calme que d’autres. C’était bien, tranquille.
Réussir au collège grâce au soutien scolaire
Je suis allé au collège Evariste Gallois. Je suis parti trop vite du collège, quatre ans et c’était fini ! A mon arrivée, il y avait des plus grands que moi, des grands frères. J’ai d’abord été marqué par le changement de langage par rapport au primaire. Comment les gens parlaient ! On n’entendait pas trop de gros mots au primaire, mais au collège ce n’était plus pareil ! Tu entends, tu découvres. Je connaissais tout le monde. Tout le monde m’appréciait et j’appréciais tout le monde. Ils venaient tous d’où j’habite.
J’étais un bon élève ici. Mon grand frère et ma grande sœur suivaient mes devoirs et je prenais des cours avec Madame Le Sauvage, depuis tout petit, au local. Ils travaillaient dans un rez-de-chaussée d’un petit bâtiment. Ils apprenaient aux jeunes du quartier à travailler. Ma mère m’avait inscrit au soutien scolaire. Ils ont connu beaucoup de jeunes. Ils sont supers gentils. Ils continuent encore à aider, nous avons du respect pour eux. J’ai réussi à avancer grâce à ce genre de choses. Je suis maintenant au bac. J’ai réussi !
Nous avons déménagé à l’avenue du 8 mai 1945 juste après avoir quitté le collège. Cela n’a pas changé d’ambiance, je reste dans le coin. Ce n’est pas la même chose car je ne fais pas le même trajet pour aller jouer avec mes amis, et quand je rentre après chez moi.
S’éloigner de Sarcelles pour le lycée
Je suis au lycée à Goussainville car il y avait ce que je voulais faire : comptabilité. Il y avait bien comptabilité sur Sarcelles, mais je voulais m’écarter. Je pensais que c’était un autre niveau et qu’il faudrait que je fréquente moins mes amis pour l’école. Mes frères et sœurs m’ont dit que c’était mieux comme ça. Ça marche très bien. Je suis en première année de Bac pro.
Prise de conscience et de responsabilités
Je vais retourner au Mali en décembre, je voulais voir comment ils ont souffert. Je dois leur rendre beaucoup de compte. J’ai appris beaucoup de choses, comment ils ont souffert, c’est pour ça que maintenant j’essaie d’aller loin dans mes études. Mon père vient d’un village et ma mère de la capitale. J’ai vu la souffrance de mon père et j’ai des comptes à rendre. Le Mali est la racine de mes parents. Ils ne réagissent pas comme nous. Quand j’ai fini de manger, je jette parfois la nourriture, je leur dis « j’ai plus faim c’est bon », mais mes parents ne peuvent pas laisser ça comme ça ! Si je laisse, ils sont un peu dégoûtés, car ils ont encore les souvenirs de leurs manques. Ils me disent, « non, non prends ou au moins tu mets dans le frigo pour la conserver ! ». J’ai ça en moi depuis que je suis petit. J’essaie de finir, je mange. C’est en moi, sinon quand j’ai plus faim, je prends, je le mets dans ma poche et je le donne à quelqu’un d’autre qui a faim. Je dirai la même chose à mes enfants quand ils grandiront.
Les tontines
Ils participent à des tontines pour le village. Plusieurs familles venues d’Afrique en France se réunissent et mettent tous les mois un peu d’argent de côté, vingt euros par famille, ils regroupent cet argent pour envoyer au village, pour montrer qu’ils ne les ont pas oublié. S’ils n’envoient pas ça, ils essaient d’envoyer de la nourriture, des vêtements. Quand mes vêtements sont trop petits, on les garde pour les envoyer. Ma mère les met de côté, mon oncle vient les chercher et les envoie là bas. Tout part au Mali. Tout ce qui est à donner, qui peut les arranger ou leur faire plaisir, on va leur donner.
La tontine des femmes correspond à un groupe de femmes. Elles mettent de l’argent ensemble (cent euros par mois pour quinze personnes) et si l’une a besoin de l’argent, elle demande à bénéficier de cette tontine. Si une personne a une urgence, aller au pays ou autre chose, elle demande la tontine et ce sera pour une autre femme un autre mois. Une femme ne peut pas sortir de la tontine, elle continue jusqu’à ce qu’un tour complet soit effectué pour tout le monde.
La maison de quartier
Avec l’ancienne maison de quartier des préfabriqués, on faisait des séjours skis, on allait camper. Je pense que sans la maison de quartier, on serait peut être partis, mais difficilement. En vacances aujourd’hui ce n’est plus pareil, on travaille, mais sans la maison de quartier, je ne sais pas ce que l’on aurait fait. Les animateurs sont d’ici, nos grands frères. En déplacement, les autres jeunes nous demandaient comment c’était Sarcelles. On leur expliquait et eux nous expliquaient d’ou ils venaient. Je n’avais pas de rêves particuliers au collège. Je ne savais pas encore ce que je voulais faire.
Certains n’osent pas profiter de la maison de quartier, ils préfèrent rester en bas de chez eux faire ce qu’ils ont à faire ; nous on en a profité depuis que l’on est petit. Pour les vacances ils m’ont aidé à trouver du travail en tant qu’animateur. Je m’occupe des petits pour faire les sorties. J’ouvre le gymnase. Le BAFA coûte cher. Chaque grande vacance, la maison de quartier prend des grands du quartier pour les faire travailler, c’est bien.
Violences dans le quartier
Il y a eu des violences dans le quartier, mais on n’a pas eu à subir ces violences là. On n’a pas eu d’accrochage. Les grands frères nous ont fait comprendre que s’embrouiller pour rien du tout ne sert à rien. En fait dans notre quartier, on ne sort pas, on reste là. On fait notre vie. Personne ne nous prend la tête et on ne prend la tête à personne. On ne va pas dans d’autres quartiers, les Sablons, Watteau. On a quelques petites connaissances. On ne calcule pas. On reste enfermé où l’on est. Je connais le village, le pressing, mais on n’y va pas.
Petits boulots
Je travaille à PSA pendant les vacances. Je sers à la chaîne à Aulnay-sous-Bois. J’ai trouvé par piston. C’est difficile de trouver du travail quand on habite Sarcelles. Certains jeunes sont obligés de mettre d’autres villes à la place de Sarcelles pour être appelés ! Sinon ça ne passe pas. Ils pensent que c’est une banlieue dangereuse avec des jeunes qui ne veulent pas travailler. Je n’ai pas encore connu ça. J’ai demandé un job d’été à PSA en juillet. En août je serai animateur dans la maison de quartier, j’irai en décembre au Mali en vacances.
Le temps de ne pas travailler à l’école, il faut oublier tout ça ! Il faut s’accrocher maintenant, parce que ça va servir plus tard. Quand je mets que je suis en bac comptabilité dans mon CV, les recruteurs me regardent différemment, c’est sérieux. Ils voient que je suis motivé pour travailler.
Le rôle du grand frère
Je joue le rôle du grand frère dans mon quartier, surtout avec les petits. Ils m’aiment bien. Ils veulent que j’aille en séjour avec eux à Quian, c’est organisé par la maison de quartier. Ils vont faire une semaine le 9. Michel, l’animateur, m’a demandé si je ne pouvais pas venir car les jeunes du quartier voulaient que je vienne avec eux, mais je ne pouvais pas car j’ai signé avec PSA pour un travail. Ça fait plaisir !
Les amis que je connaissais quand j’étais à l’école au collège Évariste Gallois sont restés dans les halls. Ils dérapent un petit peu. Même si je m’en suis un peu sorti, je ne les oublie pas. Je vais les voir. Un ami m’a pistonné à PSA et j’en ai pistonné un autre qui était devant les porches, et là ils lui ont fait signer un contrat de onze mois ! Ils me l’avaient proposé, mais je dois reprendre mes études le 11 septembre. Cet ami est super content ! Il n’est plus devant les halls. Il est heureux et tout ! Il a une paie à la fin du mois. Il a une nouvelle paire de basket tous les mois ! Il a le sourire tous les jours ! Il a son argent de poche. Il va moins dépendre de ses parents, car avant il comptait un peu trop sur ses parents.
Le permis de conduire
On sort de Sarcelles au karting à Compiègne, on est véhiculé. J’ai tout juste mon permis à dix-huit ans, mais je me suis inscrit à dix-sept ans. J’ai passé le permis le jour de mes dix-huit ans. Mes parents m’ont aidé financièrement pour payer les cours, parce que mes grands frères ne sont plus à la maison. Ils m’ont dit de le passer maintenant, car plus tard, avec le travail, je n’aurai pas le temps. Comme ça, je suis au moins débarrassé de ça.
L’âme de Sarcelles
L’âme de Sarcelles, c’est le marché de Sarcelles on y rencontre des gens de partout 94/93/95. On se comprend tous ici. Il n’y a pas de racisme, tout le monde s’accepte.
Message
Comment nos anciens nous ont parlés, ce qu’ils nous ont dit, nous a fait du bien, cela a changé l’image du quartier. Les anciens sont les grands frères. Les anciens nous aiment bien. Quand on voit une vieille qui a des difficultés pour porter ses courses, ou une personne handicapée qui a des difficultés pour traverser la rue, on essaie de faire de notre mieux. Les gens nous remercient, sont contents de nous. Ils nous disent merci.
Une vielle dame est venue vers nous un jour et nous a dit, « j’ai un papier pour vous. Il y a du boulot. Allez tous à Nelson Mandela, il y a un camion… si vous voulez cherchez à vous en sortir… ». Ils nous aident.