Paroles de Femmes : Oran
Une femme "pied-noire" était destinée à se marier à bon prix
Annie.
Vous pouvez vous procurer l’intégralité des témoignages de femmes dans l’ouvrage réalisé par Frédéric Praud. Il est disponible sous sa version PDF à cette adresse internet :http://www.lettresetmemoires.net/ainees-parisiennes-content-leur-vie-et-leurs-combats-femmes-au-cours-20eme-siecle.htm
Annie née en 1940 à Oran est l’aînée des 5 enfants (trois filles, deux garçons). "Ma mère partageait son temps entre élever ses enfants et le travail avec son mari artisan boucher. Mon père avait appris son métier à Paris à l’école de la boucherie française. Il a eu beaucoup de difficulté à faire vivre sa famille pendant la guerre. Il n’y avait pas de bétails. Il achetait de la nourriture vers Perpignan et la revendait.
Ma mère âgée de dix ans de moins que mon père s’était mariée très jeune. Elle appartenait à une famille d’origine juive espagnole. Elle gardait ce caractère orgueilleux qui veut que, même dans l’adversité, nous soyons toujours les enfants les mieux habillés, les plus beaux. On s’arrangeait. Elle avait une forte personnalité. Elle s’est engagée quand le droit de vote a été donné à la femme… Vers 1936, Léon Blum avait déjà demandé la parité, le droit de vote pour les femmes mais ma mère avait toujours dans son cœur l’idée qu’il fallait occulter cette période de 1936 car tout avait abouti à une guerre. Ce fut un drame dans le couple quand ma mère a obtenu le droit de vote. Elle votait à l’inverse de ce que son mari lui demandait et assumait son vote… Mon père avait un engagement poussé à gauche. Il a cru de bonne foi qu’il pouvait dire à sa femme, "tu vas voter pour untel et puisque c’est moi l’homme, tu le feras." Elle a dit non : "je voterai mais tu ne sauras pas pour qui j’ai voté !" Dans mon imaginaire de petite fille, je l’ai toujours vue comme une femme de droite.
Les enfants seront toujours tiraillés entre un père de gauche et une mère plus à droite. Ma mère a toujours appliqué son idéal de femme et pas de servante… Elle voulait exister… et elle a existé.
Il n’y a pas eu de différence entre l’éducation des enfants, filles et garçons mais la mère avait une nette préférence envers son premier garçon qu’elle considérait comme l’aîné.
Nous habitions un quartier déshérité d’Oran, le quartier du Port, le quartier de la Marine. Les petites gens vivant dans ce quartier n’avaient pas les moyens d’aller plus haut dans la ville. L’éducation était notre seule porte de sortie. Nous étions la seule famille juive du quartier mais tous les enfants vont à l’école privée catholique où nous bénéficierons d’un enseignement théologique très formateur. Les trois filles ont pu continuer seules chez les religieuses trinitaires.
Mon père nous soutenait pour continuer les études, contrairement à ma mère. Notre objectif devait être d’acquérir du savoir pour résister à la pression familiale, à ce que la société, le modèle, imposait. Mon père avait de l’ambition pour ses enfants. Il pensait que l’homme ne peut vivre et survivre que par ce qu’il a dans sa tête. Des problèmes de santé m’amèneront à arrêter mes études mais grâce aux recherches de mon père, il me fait poursuivre des études dans un cours privé mixte tenu par André Benichou. Ces professeurs avaient été renvoyés pendant la guerre 39/45, de l’institution publique parce qu’ils étaient juifs. Ils ont commencé à enseigner à des petits groupes avant de créer un cours mixte dans un immeuble. Les enseignants n’étaient pas seulement juifs mais réfugiés qui venaient de partout. Notre professeur d’espagnol avait fui Franco. Ce fut un enrichissement exceptionnel pour tous les élèves. Je passe des concours car je voulais un métier nécessaire pour vivre et être autonome financièrement.
Mariage
Une femme "pied-noir*" était destinée à se marier à bon prix... Les parents étaient capables de payer une dote pour qu’elle se marie. La hantise du célibat existait. C’était la honte. On montrait du doigt les femmes célibataires. Les parents pensaient que le mariage était une obligation pour la femme. Ils étaient prêts à donner une dote et acquérir cette somme qui devait constituer le capital du futur ménage.
La vie en a décidé autrement pour moi. Je fréquentais un cours mixte et j’ai rencontré mon futur mari à ce cours privé. Nous nous sommes d’abord rencontrés sur le plan intellectuel et moral. Nous échangions avec le peu d’instruction que nous avions. L’amour naît petit à petit. J’ai choisi mon mari…. Ce fut la grande chance de ma vie. Je souhaite à toutes les femmes d’avoir ce bonheur de communiquer…
La femme se fait mal quand elle croit qu’elle est toujours la plus forte. Il faut qu’elle reconnaisse les qualités de l’homme. Le divorce n’aide pas à la libération de la femme, encore moins à l’homme car il n’a pas ses enfants. La législation en donne toujours la garde à la mère. Les enfants sont déchirés.
L’absurdité du conflit
La guerre d’Algérie était l’absurdité dans sa plénitude… J’ai passé deux ans sans nouvelles de son mari militaire.
J’ai essayé tout de suite de travailler. J’ai passé des concours et quand le conflit est arrivé j’ai pu m’engager sur le terrain, là ou l’on avait besoin spécifiquement de femmes, pour apprendre, soigner. Je m’engage dans l’éducation nationale dans des endroits à risque, pour aller apporter l’instruction, la nourriture, les soins… Mon travail dans l’éducation nationale ne m’obligeait nullement à soigner le Trachum ! Je le referais encore… On nous envoyait dans les quartiers difficiles, des quartiers en guerre. Nous rasions les murs pour arriver dans l’établissement scolaire. C’était notre quotidien.
Les femmes métropolitaines n’ont pas été informées et n’ont pas compris ce qui se passait. Tout était occulté. On ne nous connaissait pas. On imaginait les femmes venant d’Algérie comme des êtres subalternes, des femmes différentes. Il n’y avait pas de solidarité féminine entre femmes de France et d’Algérie… les préoccupations étaient différentes.. Au moment où les femmes de métropole demandaient l’égalité, la guerre imposait sa loi aux femmes d’Algérie.
Mon mari militaire socialiste est menacé de mort par l’OAS. Il est obligé de quitter l’Algérie. Je reste mais suis persécutée dans mon travail par un directeur d’école proche de l’OAS.. Je serai obligée d’arrêter mon travail… Je reviens naturellement en France ou je réintégrerai l’Education Nationale. Les rapatriés hommes ou femmes ont été très mal accueillis, comme des colonisateurs, ignominie morale imputée aux médias
Aujourd’hui, comme il y a 40 ans, jusqu’où les femmes vont-elles rester passives ? Nous avons des droits mais aussi des devoirs…
J’ai ensuite travaillé comme chef d’établissement. Il n’y a pas eu d’arrivée du planning familial dans les établissements scolaires. Quand une jeune fille s’évanouissait dans sa période de règles, on l’envoyait à l’infirmerie. Tout se passait en tête à tête avec l’infirmière scolaire ou le chef d’établissement pour l’orienter vers un gynécologue. Il n’y avait pas de structure pour faire cette éducation. Les infirmières et certains professeurs l’ont fait. En sciences naturelles, les professeurs se débrouillaient pour intégrer la contraception dans leurs cours.
*On a désigné sous le nom de "pied-noir" les français rapatriés d’Algérie lors de l’Indépendance de ce pays en 1962.
Vous pouvez vous procurer l’intégralité des témoignages de femmes dans l’ouvrage réalisé par Frédéric Praud. Il est disponible sous sa version PDF à cette adresse internet :http://www.lettresetmemoires.net/ainees-parisiennes-content-leur-vie-et-leurs-combats-femmes-au-cours-20eme-siecle.htm
Messages
1. Une femme "pied-noire" était destinée àse marier àbon prix, 19 août 2011, 05:08, par dpkrmpTt
I see, I spuspoe that would have to be the case.