Accueil > MÉMOIRES CROISÉES : La Mémoire source de lien social > La mémoire socle de solidarité intergénérationnelle > Donnemarie Dontilly : mémoire d’une communauté de communes... Seine et Marne > DONNEMARIE -DONTILLY, la rafle des hommes
DONNEMARIE -DONTILLY, la rafle des hommes
Mme Juliette Ducouret née Picard, en 1925 Montigny
mardi 20 novembre 2007, par
Mme Juliette Ducouret née Picard, en 1925 Montigny
J’y suis restée jusqu’à cinq ans avant de venir à Donnemarie où mon papa travaillait aux Ponts et Chaussées comme cantonnier. Nous habitions rue Champeaux. Nous étions onze enfants.
Donnemarie était un petit village très vivant. Nous papotions sur les marches des maisons, jouions dans la rue au ballon, aux anneaux, aux échasses. Nous nous réunissions le soir. Nous étions heureux. Les gens se côtoyaient. On connaissait tous les voisins.
On faisait un pèlerinage à l’abbaye de Preuilly. On faisait tout à pied. On allait au patronage le jeudi. On y chantait et on nous préparait pour la communion. Nous aimions bien le mois de Marie, le mois de mai. On nous fabriquait des couronnes en œillets blancs. Une demoiselle qui vivait dans le quartier s’occupait de nous.
Donnemarie comptait un chapelier, des peintres, un tailleur, beaucoup de commerces, trois boulangers, deux bouchers, deux docteurs, une pharmacie, deux charcutiers…
J’ai pris le tacot, le petit train, qui allait jusqu’à Gurcy. Ils faisaient descendre les gens pour monter la côte de Champ-pas-bon. Le chef de gare habitait dans notre rue. La tacot a été supprimé bien avant la guerre, dans les années 30.
Les gens du château, Mr Béllaguer, et Mr Bottin étaient les personnalités du village, comme Mr Chambon qui avait également une belle propriété. C’étaient les bourgeois de Donnemarie… Mon grand père était garde-chasse au château de Sigy. Ils habitaient dans la maison de garde à l’entrée de l’allée du château. Mon grand père recevait ces messieurs qui venaient à la chasse.
Notre maison était petite avec quand même deux chambres, … Nous étions six quand nous sommes arrivés à Donnemarie. Nous avons quitté la première maison pour prendre celle d’un menuisier où il y avait plus de places. Nous avions deux grands lits dans la grande pièce, une chambre indépendante pour nos parents, une alcôve avec la place d’un lit dans une petite cuisine.
J’ai quitté l’école à treize ans pour travailler chez l’institutrice. J’aurais voulu faire de la couture mais je n’ai pas pu. L’institutrice était tellement gentille et venait juste d’être grand mère d’un petit garçon. Elle m’a proposé de venir l’aider et de m’occuper du petit garçon. J’y suis restée de treize à quinze ans. Je suis ensuite allée travailler chez le notaire, Mr Fromentin, sept ans jusqu’à mon mariage en 1948. Il y avait beaucoup d’employées de maison à Donnemarie, jamais réellement déclarée.
Donnemarie comptait deux cinémas, la Comédie et le café de l’Agriculture. La salle de cinéma était au-dessus du second. Nous allions souvent au cinéma car ce n’était alors pas cher. L’hôtel Saint Pierre organisait un bal le dimanche de cinq à sept heures, après guerre. Mr Benjamin faisait office d’accordéoniste dans les bals.
Les premiers Mai étaient amusants. Les garçons nous mettaient des bouquets de lilas aux portes… Après la retraite au flambeau du 13, au matin du14 juillet, la fanfare réveillait tout le village en musique. Ils mettaient des bancs sur un camion et s’y installaient pour faire le tour de tout le village. Maurice G…. s’était tué en tombant du camion…
J’étais sur le perron de la maison, je descendais les marches quand on a entendu le tocsin annonçant la déclaration de guerre. Papa est arrivé en pleurant, « oh lala, la guerre est déclarée ! » Tout le monde se rassemblait dans la rue en pleurant. J’avais 14 ans et ça faisait peur.
Lors de l’exode en 1040, nous sommes partis toute la famille dans le camion des Ponts et Chaussées conduit par papa. Nous ne sommes pas allés loin, jusqu’à Montargis… on entendait les canons des allemands et il était alors inutile d’aller plus loin. Nous avons rencontré un oncle qui conduisait des officiers et il nous a dit, « ce n’est pas la peine d’aller plus loin, les allemands sont derrières ». Nous avons voulu revenir après trois jours de fuite. Maman avait emmené un petit réchaud à alcool pour faire les bouillies pour le petit, juste le nécessaire. Au retour, les allemands nous ont fait descendre du camion et sont partis avec. Ils nous ont fait signe qu’ils allaient nous ramener quelque chose, une petite camionnette que nous étions obligés de pousser derrière pour la faire avancer. Arrivés à Montereau, c’était triste. Tout avait été bombardé. Nous voyons les chevaux sur la seine. Nous avons attendu un petit peu avant de rentrer. La maison était toute retournée. Nous avions un phono cassé et les disques se promenaient dans le petit-bois derrière. Papa a regretté d’être parti.
Monsieur Gouin est parti avec un cheval et une voiture. Notre voisin n’a pas retrouvé sa femme. Nous avons été mitraillé pendant un moment. Nous nous sommes allongés dans le fossé.
Au retour, j’ai rapidement travaillé chez le notaire en 1941. Nous avions des tickets pour le pain la viande, le fromage. Mon père avait fait un peu de boucherie et allait tuer des cochons à la campagne, un mouton. Cela aidait… Il y avait peu de pain, de matières grasses, de beurre… madame Fromentin était bien avec de gros cultivateurs. J’allais chercher la nourriture en vélo.
Le soir, les allemands passaient par groupe de trois. Il fallait tout camoufler, pas de lumière. Ils criaient quand ils voyaient de la lumière.
Les allemands occupaient toutes les belles maisons, la maison du notaire, les officiers dans le château. Ils ne sont pas restés longtemps et la kommandantur s’est installée ensuite à Provins.
On entendait les parachutages des armes, on entendait le ronflement de l’avion et on voyait Mr Delacour partir par derrière.
Quand les allemands sont venus chercher le docteur Rosenthal pour le déporter, cela a fait de la peine dans le pays. Sa femme étant catholique, il a été emmené seul. Elle avait essayé d’aller à la kommandantur pour qu’il ne parte pas mais en vain.
Monsieur Minot a organisé des fêtes pour les prisonniers pendant l’occupation… J’ai chanté à un concert en duo avec Jean Marie Fauveau à Luisetaines.
Monsieur Fromentin étant prisonnier, il a été remplacé par un autre notaire de Provins. Mr Fromentin est revenu en 1945. René Marie, le menuisier, était bien avec mme Fromentin… Nous nous étions réfugiés chez lui le soir que les allemands ont fait la rafle. Mme Fromentin ne voulait pas que l’on reste toutes les deux dans la grande maison dans la grande rue. Mr Marie n’était plus chez lui. Il était parti… Les allemands cherchaient l’homme au ceinturon. Mr Marie portait un ceinturon… Nous nous sommes réfugiés chez lui alors que nous avons su après la guerre qu’il avait des armes dans son puits.
Les allemands ont commencé à prendre des otages avant de faire la rafle, tous les notables ont été réunis sur la place du marché. Ils sont ensuite entrés dans toutes les maisons, en passant avec les fusils sous les lits pour vérifier s’il n’y avait personne. Ils cherchaient partout l’homme au ceinturon et tous ceux qui ne s’étaient pas rendus. Tous les hommes ont été amené dans les écoles. Nous allions leur porter à manger. Nous étions drôlement inquiètes. Nous ne vivions plus. Nous ne dormions pas. Cela a duré deux jours et les hommes sont sortis… Ils avaient prévu de ramasser les femmes dans l’église. On avait entendu parler de ça…
On entendait canonner plus loin. Quand on lui avait amené à manger, papa nous avait annoncé, « ils arrivent ! les américains…. » … Nous sommes retournés dans notre maison. Le lendemain, un side-car est arrivé d’un seul coup dans Donnemarie. Nous avons regardé par la fenêtre et vu le bourrelier nous crier, « ce n’est pas des allemands ! » Nous ne sommes pas sorties quand même car au cas où… et tout est venu comme ça…. « c’est les américains » et tout le monde est sorti… C’était amusant… C’était la fête le soir, le bal sur la place. Les américains embrassaient toutes les filles. Ils nous jetaient des chewings-gums…
Mon frère travaillait chez Minot quand il a été convoqué pour partir au STO en Allemagne. Il a eu de la chance de travailler chez un boucher là bas mais il a bien été bombardé. Le fils du coiffeur (Jean Marie Fauveau) a également été envoyé en Allemagne. Il était venu en permission et ne voulait pas y retourner mais il a été dénoncé. Il y est reparti et y est mort de maladie. Ils se voyaient avec mon frère en Allemagne. Il est mort d’un tétanos mal soigné. Mon frère avait été soigné de la diphtérie à l’hôpital en Allemagne….
L’armée Leclerc a ensuite remplacé les américains. Il y eut des mariages entre filles de Donnemarie et les gars Leclerc.
J’ai quitté Donnemarie en 1948 après mon mariage.
Messages aux jeunes :
Mes petits-enfants sont gentils. Je leur dis toujours de rester correct pour arriver à faire changer le monde.