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Tchèques en seine et Marne
Madame BYSTRIANSKY, née en 1927
mardi 20 novembre 2007, par
Madame BYSTRIANSKY, née en 1927
Parents
Mon nom est d’origine tchèque. Mes parents sont venus lors de la première immigration en 1923 à cause du manque de travail dans leur pays. Jusqu’à l’âge de quatre ans, on ne parlait que tchèque à la maison. J’ai appris le français à l’école.
Mon père était berger chez monsieur Bisson. Il gardait les moutons, leur donnait à manger et les promenait dans les champs. Il n’aimait pas m’amener avec lui parce que cela dérangeait le troupeau. Il nous amenait juste à quatre heures du matin pour balayer les râteliers. Nous faisions cela dès l’âge de six ans avant d’aller à l’école. Nous finissions vers six heures du matin.
Nous étions six enfants mais deux sont décédés.
Maison
Nous habitions à côté de la ferme. Nous étions logés par le fermier. Notre maison ne comportait que deux pièces pour loger cinq personnes. Bien sûr, comme tout le monde, nous n’avions pas d’eau courante. Nous devions aller la chercher au puits dans le fond du jardin. Les enfants ne s’acquittaient pas de cette tâche. Il fallait déjà être plus grands.
Il fallait aller glaner dans les champs, ramasser les épis de blé après la moisson pour donner à manger aux poules. Je n’aimais pas aller ramasser les pommes de terre ou les betteraves.
Ecole
J’étais à l’école à Egligny. Cela se passait bien mais la discipline était assez sévère. Il fallait être sage. Si nous ne saluions pas quelqu’un dans la rue, cette personne pouvait aller se plaindre à l’instituteur, monsieur Boucaud, qui nous réprimandait
La classe comprenait quatre cours. Il n’y avait pas de distinction entre nous, enfants de tchèques, et les autres élèves. Les origines des élèves étaient assez diverses. Il y avait pas mal de Tchèques, de Polonais et des Espagnols.
Si on arrivait en retard en cours, on allait au coin et le lendemain matin, on faisait le ménage. Quand on avait fait des bêtises, on devait faire le tour de la cour pendant toute la récréation avec les mains dans le dos.
On ne nous parlait pas des Allemands. En 1938, l’Allemagne a envahi la Tchécoslovaquie. Nous étions un peu au courant parce que deux de mes tantes étaient restées là-bas mais il n’y avait pas de crainte par rapport aux Allemands.
Déclaration de guerre
Personne n’a été mobilisé dans l’armée dans ma famille.
Comme il y avait beaucoup d’étrangers à Egligny, les hommes ne sont pas partis. Le village comptait beaucoup de grosses fermes sur lesquelles travaillaient jusqu’à quinze personnes.
1940, exode
Tout le village est parti en exode. Il régnait un vent de panique. Nous sommes partis à quatre heures du matin. Nous sommes partis en file indienne, tous ensemble, ceux de la ferme. J’ai porté un matelas sur mon dos jusqu’à Voulx où nous avons été bombardés. Nous nous sommes cachés derrière un tas de betteraves pour éviter les tirs de mitraillettes. Nous sommes allés jusqu’à Géronville, dans un petit village. Nous n’avions rien emmené pour manger.
On prenait ce que l’on trouvait sur la route. Les premiers soldats que nous ayons vus étaient des tirailleurs français. Ils étaient bloqués au Petit Fossard.
Nous avons eu peur quand nous avons vu les Allemands pour la première fois. On nous en avait raconté tellement de choses. Nos parents nous défendaient de manger le chocolat et les bonbons qu’ils distribuaient, au début mais on a quand même fini par en manger. Nous sommes tous rentés sains et saufs d’exode. Nous sommes revenus plus vite qu’à l’aller...
Tout le village est revenu à peu près en même temps, avec quelques jours de décalage seulement. Les Allemands n’étaient pas encore arrivés. La vie a repris son cours normal.
Occupation
Il a ensuite fallu leur céder des chambres réquisitionnées. Ils sont arrivés en 1941. J’avais treize ans, l’année de mon certificat d’études. Mon rêve était d’être coiffeuse. Mes parents n’ont jamais voulu. J’ai travaillé un peu sur la ferme avec eux. Je me suis mariée à seize ans, j’ai ainsi pu partir et être tranquille.
A quatorze ans, je faisais du ménage dans les fermes. Madame Blisson avait une jeune fille chez un elle, un peu plus vieille que moi. Je passais mes journées avec elle, dans sa chambre. Elle m’apprenait à coudre et à broder. J’étais sa dame de compagnie.
Ma sœur, Maria, hébergeait un officier chez elle, dans une chambre. Il était sympa. Il venait là juste pour coucher puis retournait au château.
Je me suis mariée pendant la guerre. J’étais habillée en blanc. Nous sommes allés à la mairie et à l’église à Egligny. Nous avions tout ce qu’il fallait pour faire un repas de noce. La fête a duré la journée jusqu’au couvre-feu. Un gars est venu jouer de l’accordéon. C’était le 11 septembre 1943, une belle journée.
Je me suis mariée jeune comme cela se faisait à l’époque. Mon mari était berger comme mon père. Il était tchèque. Il est venu seul et avait laissé ses parents en Tchécoslovaquie.
Nous n’avons pas fait beaucoup la fête à cause de la guerre. Les jeunes ne sortaient pas. Il n’y avait pas de bals clandestins dans le coin. Nous allions au cinéma une fois par mois.
Mon beau-père qui travaillait au chemin de fer, avait été dénoncé comme résistant. Les SS sont venus chez mes beaux-parents. Ils les ont tous alignés contre un mur pendant qu’ils fouillaient la maison pour voir s’il y avait des tracts ou autre chose. Ayant beaucoup d’enfants, mon beau-père ne gardait rien chez lui. Des gardes étaient restés, en bas, avec une mitraillette. Ils ne faisaient pas de cadeaux !
Après mon mariage, j’ai travaillé chez un notaire pendant huit ans. Je m’occupais des enfants et je faisais le ménage. J’étais bien tombée. Je commençais à neuf heures le matin tous les jours sauf le dimanche. Je repartais à onze heures et demie à Mousseaux les Bray. Je revenais à deux heures et je travaillais jusqu’à cinq heures.
Résistance
Nous n’avons appris l’existence de la résistance qu’après la guerre. On en entendait parler mais il n’y en avait pas à Egligny.
Les Américains
Les Allemands ont ramassé tous les hommes à Mousseaux les Bray. Ils les ont descendu jusqu’au garage à Bray sur Seine où ils ont passé la nuit. Mon mari était otage. Ils auraient descendu tout le monde au moindre coup de feu. Je me suis cachée avec la voisine. Nous sommes montées au grenier avec sa petite fille. Les hommes savaient qu’ils allaient être ramassé et s’étaient cachés dans l’église, dans le clocher. Ils ont été dénoncés. Ils ont été obligés de descendre et ils sont partis avec les mains sur la tête jusqu’au garage Mignard.
Nous étions cachés dans des souterrains. On avait tous fait des tranchées dans les jardins et on n’osait pas sortir. On disait : « Allez, allez, sortez ! » C’étaient les Américains ! Mais, nous n’osions pas, nous n’étions que des femmes.
Après-guerre
J’ai eu ma première fille à vingt ans.
Nous avons demandé la nationalité française avec mon mari et j’ai appris que pour moi cela n’était pas la peine. Etant née en France, j’ai eu la nationalité française d’office à l’âge de vingt-et-un ans.
Les gens étaient très pieux dans le coin. Même les grands fermiers étaient très croyants.
Message aux jeunes
Je voudrais leur dire de profiter de leur jeunesse. Je leur souhaite de bien travailler à l’école. Avec rien (sans radio, sans vélo, sans télé, sans beau cartable, etc.), nous étions heureux. Nous nous repassions nos vêtements entre sœurs. Nous ne changions pas de toilette tous les jours mais, nous n’étions pas insatisfaits parce que tout le monde était pareil. L’hiver, on partait des galoches et des bas de laine, nous n’avions pas de pantalon. Je ne regrette pas d’avoir travaillé si jeune mais, je ne l’ai pas imposé à mes enfants. Ils ont tous continué leurs études. C’était notre choix pour qu’ils aient les chances que je n’ai pas eues. J’ai travaillé pour pouvoir payer des études à mes enfants. Je n’ai aucun regret.