Mayotte littéraire

L’écrivain au casque colonial

NASSUR ATTOUMANI

« S’ils vivent sereinement leurs diverses appartenances, s’ils s’intègrent pleinement dans leur société adoptive tout en gardant des liens profonds avec leur société d’origine et leur culture d’origine, les migrants pourront bâtir des passerelles entre les deux mondes qui sont les leurs. Ils jouent déjà ce rôle, mais il faut les encourager à l’assumer encore plus, sans retenue, avec fierté. Et dans tous les domaines, sans exception. »

Amin Maalouf dans un entretien avec Amélie Duhamel
Suite à la parution de Les identités meurtrières, Livre de poche, 1998

L’ÉCRIVAIN AU CASQUE COLONIAL

Un magnifique pamplemoussier et un arbre à pain géant encadrent un portail grand ouvert. Avancez, c’est par ici ! Une voix nette et vive nous interpelle à travers une porte entrouverte. Sur le seuil, un chat noir fait le guet.

Avec un large sourire glissé sous son casque colonial, Nassur Attoumani nous invite à entrer tout en enjambant le chat, invité lui, à rester au dehors. L’auteur mahorais a choisi sa demeure, nichée sur les pentes de la route de Vahibé, pour nous recevoir. Dans la pièce centrale — le cœur de la maison — sur un long bureau de style, deux guitares électriques pèsent de tout leur poids et s’efforcent de contenir manuscrits et autres notes de l’écrivain, exposés au souffle des courants d’air et d’un ventilateur hors d’âge. Une collection de casques coloniaux s’aligne à l’étage supérieur d’une bibliothèque — de même style que le bureau ? — où ouvrages et dossiers dorment à l’abri de portes vitrées. Quelques photos avec ou sans cadre, aux murs, d’autres exposées sur un meuble bas, témoignent de quelques temps forts. Un fer à repasser est couché sur un matelas posé à même le sol. L’écriture ou la vie de Georges Semprun domine une pile de documents, sur la table du salon…
Qui est Nassur Attoumani ?

Naissance à Moroni en Grande Comore en 1954, des études primaires à la Mission catholique de Moroni, puis secondaires au collège de Dzaoudzi à Mayotte jusqu’au référendum de 1975. « Dans Le calvaire des baobabs (premier roman publié en 2000 chez L’Harmattan), tous les lieux sont des lieux où j’ai vécu à Bouéni… Les liseurs des empreintes de pied ? C’était nous ! On s’amusait à repérer les traces sans orteils, celles des Mzungus (les Blancs). » Nassur Attoumani, assis face à nous, remplit généreusement nos verres d’un jus de palme à la saveur douceâtre et piquante qui chatouille les papilles, un casque colonial vissé sur le crâne. « En apparence, c’était un bol ou un couvercle concave surmonté d’un petit nombril avec deux trous de chaque côté. Il avait une visière circulaire. Le tout était couvert d’un tissu blanc. Si blanc qu’il faisait mal aux yeux. Son anse en cuir lui donnait l’apparence d’un seau. Bacar se demandait à quoi pouvait servir cette calebasse, ce tamis, ce seau, enfin ce bol bizarre, flanqué de trous, qu’il venait de ramasser. Fier de sa trouvaille, le petit garçon s’arrêta de jouer et courut à la maison. » (Le calvaire des baobabs, p. 25).

Ce couvre-chef chargé d’histoire, il le porte en permanence, dans la rue, au travail. Rappel constant de cette période où l’île était une colonie française.
« Pour le Noir, c’est la honte d’avoir été esclave, et il ne veut plus en parler. Moi je dis non, ça fait partie de notre lien, de notre mariage avec la France… Il faut que les gens sachent ce que la colonisation a apporté comme lots de misère à notre peuple et là il faudrait pas que l’on se cache parce qu’aujourd’hui on mange et on boit ensemble ; dire non, il ne s’est rien passé, au contraire, il faut que les uns et les autres sachent ce qui fait partie du passé et maintenant allons de l’avant ensemble alors que j’entends dire c’est révolu cette période coloniale… » Le premier casque porté est celui de son père né à Sada, militaire de la Garde Indigène (puis de la Garde des Comores). La relique, pièce maîtresse de la collection, trône sur le coin droit de la bibliothèque.

Après le choix des Mahorais de rester français, Nassur Attoumani se retrouve au lycée Roland Garros, au Tampon, à La Réunion. Le baccalauréat en poche, retour dans le sud de l’Île aux parfums, près de Bouéni : « Une année à cultiver un bout de terre et à élever des cabris » avant que son frère ne lui propose de le suivre à Orléans, en 1977, pour reprendre les études. Le futur auteur de La fille du polygame lit très peu, ne va ni au cinéma, ni au théâtre : la bourse d’étude suffit tout juste à payer les frais de la cité et du restaurant universitaires. Enfant, l’humoriste en herbe ne lit que quelques illustrés, puis La case de l’oncle Tom lors de son année d’assistant de français à la Perth High School en Écosse. L’écriture ? Quelques poèmes d’adolescent et la rédaction de son mémoire d’études, un point c’est tout ! L’expérience de la migration vers l’Europe ne semble pas avoir été déterminante dans son cheminement d’écrivain. Sollicité à plusieurs reprises, c’est un sujet qu’il aborde peu.

Revenu à Mayotte, Nassur Attoumani devient professeur d’anglais et exerce toujours en collège. Touche-à-tout, il est guitariste et chanteur avec son groupe SPZ de Bouéni. Et c’est un accident grave, en 1985, qui va ouvrir son chemin d’auteur. Un vendredi soir, au retour d’un concert, ses amis musiciens et lui sont grièvement blessés dans un accident de voiture. L’un des musiciens meurt dans la nuit : les deux médecins de garde, attablés avec des amis, ont trop tardé à venir. Il se lance aussitôt dans l’écriture de sketches dans lesquels il dénonce avec un humour teinté de provocation, les dysfonctionnements et les travers de son monde, de la société mahoraise. C’est le succès sur les estrades ! Tout s’enchaîne très vite. En 1988, Anne-Marie Pichard, enseignante puis fondatrice, avec son mari Jean-Claude, de la librairie La Maison des livres de Mamoudzou, lui donne le rôle principal dans Ma secrétaire particulière de Jean Plya (auteur béninois). « C’était la première fois que je lisais une pièce de théâtre du début à la fin… ». Alors, Nassur Attoumani se lance un défi et prédit au metteur en scène : « Si c’est ça une pièce de théâtre comique, moi je peux faire mieux… L’année prochaine, on joue ma pièce, je vais écrire une pièce, ce sera plus rigolo que la pièce de Jean Plya ! » C’est la naissance de La fille du polygame. « Cette pièce est magnifique, on va la jouer ! » s’enthousiasme Anne-Marie Pichard qui la met en scène. C’est le succès ! Plus de 2000 spectateurs lors de la représentation de la pièce à la rocade de Mamoudzou, dans le cadre des festivités du 150e anniversaire du rattachement de Mayotte à la France en 1991.

Le texte est publié en 1992 aux éditions de L’Harmattan. C’est la première pièce de théâtre écrite dans l’archipel des Comores. Suivront Le turban et la capote (1997), Interview d’un macchabée (2000), Entre les mailles du diable (2005). Peu à peu, Nassur Attoumani délaisse l’écriture dramatique pour se consacrer au roman. Le calvaire des baobabs (2000) est son premier roman suivront Nerf de bœuf (2000), Mon mari est plus que fou : c’est un homme (2006, Naïve). Mais aussi Contes traditionnels de Mayotte : Nos ancêtres… les menteurs (2003) et un essai, Mayotte : identité bafouée (2003). Son engagement se lit à travers ses œuvres : critique à l’égard des comportements coloniaux dans Le calvaire du baobab et Nerf de bœuf, acerbe toujours à l’égard d’une religion qui interprète à mauvais escient les textes sacrés dans La fille du polygame, dubitatif face au clivage entre tradition et modernité dans Le turban et la capote. Ses titres sont en eux-mêmes des dénonciations, à l’image de ceux des deux autres romans en chantier : Tonton, rends-moi ma virginité et Géniteurs d’handicapés.

À la question quel est votre monde, votre univers ? Ou à celle posée par ses élèves c’était comment à votre époque Monsieur ? Nassur Attoumani, auteur, écrivain, musicien, humoriste, chanteur, professeur, artiste, répond : je vis dans mon siècle, c’est mon époque ! Les migrants ? L’auteur mahorais évoque aussitôt Amin Maalouf (Samarcande est sur sa table de travail) et le titre référence Les Identités meurtrières (Livre de poche, 1998).

Portrait à partir d’une interview de Nassur Attoumani
réalisée le 20 février 2012
par Marie Grandon & JeanPaul Colomb

Entretien avec Amin Maalouf au sujet des migrants. : www.babelmed.net/Pais/Liban/rencontre

Portfolio

Messages

  • j’ai élevé mes fils dans l’esprit d’égalité pour tous les hommes, quelle que soit leur race et leur origine géographique mais aussi leur appartenance à telle ou telle religion. Nous autres catholiques de France, nous avons aussi soufferts.
    nous avons grandi, nous avons muri et aujourd’hui, nous devons accueillir tous nos frères avec bonté et fraternité.