Madagascar - La Réunion - Paris - Sarcelles
Mme Annick Obre
texte Frederic Praud
Petite enfance à Madagascar
Je suis née en 1962 à Madagascar, dans un tout petit village de campagne où mes parents étaient colons, comme mes grands-parents. Mais là-bas, ce terme n’a pas tout à fait le même sens qu’au Maghreb. Mes parents n’avaient pas des centaines de personnes qui travaillaient pour eux. C’étaient de petits propriétaires possédant quelques hectares de terres et faisant partie d’une coopérative, à laquelle ils fournissaient chaque année tant de kilos de riz, de maïs, de cannes à sucre, de café, etc.
Dans le village, la plupart des maisons étaient construites en taule et certaines avec de la bouse de vaches, tassée et mélangée avec de la paille. Mais, toutes étaient recouvertes d’un toit de paille. Les toilettes étaient à l’extérieur. On appelait ça « le cabinet dehors ». D’ailleurs, on faisait presque tout dehors ! On allait chercher de l’eau et du bois souvent très loin ! On allumait le feu pour préparer à manger dans de petites cabanes, mais rien ne se passait dans la maison, qui servait uniquement pour dormir…
En guise de transports en commun, nous avions des charrettes tractées par des bœufs. On allait comme ça en ville, à la Poste, au marché… On ne possédait pas de voiture ! Pour nous, c’était une grande richesse et nous n’avions pas les moyens… Á la maison, nous étions trois enfants, trois filles.
Exil à la Réunion
J’avais six ans lorsque nous avons quitté Madagascar, après l’Indépendance. Nous avons pris le bateau pour la Réunion où nous sommes restés dix ans. Ensuite, nous sommes venus ici, en France, mais nous avons beaucoup souffert… Avec l’Indépendance, les Malgaches, ne voulaient plus des Blancs, des colons… Alors, nous avons dû partir sans rien… Je n’avais que six ans à l’époque, mais j’ai toujours en mémoire cette image des Malgaches qui nous couraient après avec des sabres, de la maison et des charrettes incendiées, des bœufs coupés en deux…Nous avons donc été contraints de prendre le bateau en catastrophe pour ne nous faire assassiner…
Á la Réunion, il y avait déjà des membres de ma famille maternelle et paternelle. Nous sommes restés un petit peu chez eux et ensuite, on s’est débrouillés… Nous avons construit une petite maison… Á Madagascar, nous avions tout laissé ! Tout, tout, tout, tout… Nous n’avions rien pu emmener ! Certaines personnes de ma famille sont restés là-bas car ils étaient mariés avec des Malgaches. Par contre nous, comme on était des colons, de petits propriétaires qui possédaient des plantations de cannes à sucre, de riz, de café, ou encore de coca, une sorte d’herbe qu’on mastique pour couper la faim, que pépé cultivait aussi, nous avons été obligés de tout laisser… Sinon, on se faisait assassiner… Alors, tout le monde a pris le bateau pour partir à la Réunion…
Racisme et xénophobie
Nous avions la nationalité française mais là-bas, nous étions considérés comme des étrangers. On nous disait : « Mais, qu’est-ce que vous venez faire ici ? Il n’y a rien pour vous ! Retournez dans votre pays ! » Voilà ce qu’on entendait à la Réunion…
Moi, vers sept huit ans, je me débrouillais comme une adolescente de quinze seize ans aujourd’hui ! Á Madagascar, on allait souvent chercher de l’eau très loin et on la ramenait sur la tête ! Et bien à la Réunion, c’était pareil. Nous n’avions pas l’eau courante et avant d’aller à l’école, il fallait aller la chercher très loin… C’était la même chose pour le bois… Bref, on se débrouillait… Á l’âge de huit ans, j’étais capable de tuer un poulet ! Nous étions obligés de nous débrouiller tout seuls ! C’était comme ça…
Á la Réunion comme à Madagascar, nous avons été confronté au racisme parce qu’on était blancs. Là-bas, on trouve plusieurs religions différentes : malgache, indou, musulmane, catholique, protestante, et il y a du racisme. Quand on arrive comme ça et qu’on ne le sait pas, ça surprend ! « Partez ! Retournez à Madagascar ! Ici, ce n’est pas chez vous ! » En réalité, ça ne fait pas longtemps que tout le monde se parle, se côtoie, mais il y a toujours beaucoup de différences…Dans ces conditions, mon seul but était d’avancer, sans regarder derrière moi. Je faisais les choses au jour le jour, sans envisager l’avenir, sans penser à demain. On avançait comme ça… On ne pouvait pas se projeter dans le futur !
En 1977, alors que j’avais quinze ans, nous sommes venus en France parce qu’il n’y avait pas beaucoup de travail à la Réunion.
Conditions d’arrivée en France
C’est maman qui est partie la première. Mes sœurs et moi, nous avons attendu qu’elle trouve du travail et un logement. Elle nous a ensuite fait venir. Elle a d’abord été hébergée chez son frère, puis elle a loué un tout petit studio, une chambre de bonne d’environ dix mètres carrés, dans le XI ème arrondissement. C’était tout en haut et comme il n’y avait pas d’ascenseur, il fallait monter cinq étages à pied, par l’escalier en bois !
Nous étions quatre personnes à l’intérieur. Mon père était resté à la Réunion. On mettait un matelas par terre pour dormir et on faisait nos devoirs dans les toilettes, sur le palier. Nous avons vraiment galéré ! En plus, Paris, on ne connaissait pas ! Alors, c’était vraiment très très dur…
Une adolescence sacrifiée
Je suis allée à l’école à Oberkampf et vers seize ans, j’ai fait un CAP d’orthopédie à Pantin. J’ai appris un métier. Ensuite, avec mon diplôme, j’ai travaillé chez quelqu’un, comme orthopédiste. J’ai donc intégré le monde professionnel très rapidement. Á l’époque, nous n’avions pas vraiment de jeunesse ! C’était l’école jusqu’à seize ans et hop ! Évidemment, j’avais des amis mais lorsque je vois mes filles maintenant, ce n’est pas pareil… Quand nous étions jeunes, on devait se prendre en charge nous-mêmes…
Ma mère me répétait souvent : « Si tu n’apprends pas bien à l’école, tu ne feras rien de ta vie… Il faut que tu essaies d’avancer par toi-même ! Moi, je ne peux pas le faire à ta place ! » Mon objectif était donc de tout mettre en oeuvre pour réussir mon diplôme, pour avoir un métier, etc. Je n’avais pas beaucoup de soutien de la part de maman car elle avait son travail ! Ce n’est pas comme maintenant ! Les jeunes ont beaucoup d’aides aujourd’hui alors que nous devions se débrouiller seuls ! C’était une obligation ! Je savais d’où je venais, j’avais vu les difficultés de ma mère, et c’est pour ça que je voulais réussir…
C’était plus fort que moi ! Il le fallait ! C’était vital ! Je me disais : « Maman a tellement souffert… Elle est venue pour nous ! » Il était donc normal que j’essaie de ne pas trop lui en demander et de faire les choses par moi-même, pour avancer… Je ne pouvais rester là en disant : « Je n’y arrive pas ! » ou « Je ne peux pas ! » Alors, j’ai tout fait pour réussir mon diplôme et après, j’ai travaillé. Mais, il fallait vraiment le vouloir !
La différence, un facteur d’exclusion
Á Madagascar, on parlait un peu Malgache et très peu français. Quant à la Réunion, on utilisait le créole. Alors, en arrivant ici, j’ai eu beaucoup de problèmes… J’avais beaucoup de mal à m’exprimer de ce fait, j’étais toujours à part… Je ne parvenais pas à aller de l’avant, que ce soit à l’école, dans les sorties ou dans le travail quotidien… Mais « Il faut avancer ! Je ne peux pas rester comme ça ! »
Au départ, je me sentais exclue… On me faisait souvent remarquer : « Tu n’es pas de chez nous ! Retourne dans ton pays ! » J’entendais ça aussi bien dans la bouche des enfants que dans celle des adultes. Á l’école d’Oberkampf, comme à celle de Pantin, on soulignait beaucoup les différences ! En plus, il y avait la couleur de ma peau… Comme je ne parlais pas très très bien, les autres jeunes me disaient : « Va-t-en ! Va-t’en ! Tu n’es pas de chez nous ! On ne te connait pas ! » Il y avait beaucoup d’exclusion alors que moi, j’essayais de m’intégrer un peu à leur groupe, de communiquer avec eux, de savoir pourquoi ils me rejetaient comme ça… En moi-même, j’ai beaucoup souffert de tout ça mais j’ai avancé… Si j’étais restée en place, je n’en serais pas là aujourd’hui !
Vivre à Sarcelles
Je ne sais plus exactement à quelle date je suis arrivée à Sarcelles. En tous cas, c’était avant 80. Ce qui m’a le plus frappée au début, c’est de voir autant de gens différents, autant de mixité. Ici, il y avait le monde entier ! Je me sentais donc beaucoup plus à l’aise… La communication était plus facile… On pouvait davantage aller vers les gens pour leur parler et ça m’a ouvert de nouveaux horizons… Pour moi, Sarcelles, c’était la liberté… Á Paris, on se sentait plus enfermés, plus isolés ! Alors qu’ici, on était libre, on pouvait sortir, s’exprimer, parler avec les gens, avec tout le monde… On était plus ouvert…
Nous habitions allée Claude Debussy, à côté des Sablons, près du marché. C’est par la SIC que nous avions trouvé ce logement. Là-bas, il y avait beaucoup d’Antillais et de Réunionnais ! Je n’étais donc pas dépaysée… D’ailleurs, je suis toujours restée à Sarcelles depuis. Je m’y suis mariée et j’y ai eu mes enfants. C’est un choix de ma part car j’aime beaucoup cette ville, même si je sais que beaucoup de gens en ont une image très négative. Par exemple, lorsque nous avons fait la demande pour venir nous y installer, alors que nous habitions à Paris, on nous a prévenus : « Sarcelles, c’est la zone ! C’est très mal réputé ! » Souvent, quand on va à l’extérieur et qu’on révèle aux gens d’où l’on vient, ils font un bon en arrière parce qu’ils ont peur ! Ils imaginent tout de suite la bagarre ! Mais, je dois dire qu’ici, j’ai été très bien accueillie et je n’ai jamais eu de problèmes ; mes enfants non plus…
Je pense qu’aujourd’hui à Sarcelles, il y a beaucoup plus de cultures différentes qu’avant. Du moins, elles sont plus visibles. Lorsque je suis arrivée, il y avait déjà le monde entier ! Mais, ça ne se voyait pas autant. C’était plus dissimulé, plus discret, alors que maintenant, tout le monde a son église, etc. Les gens montrent davantage d’où ils viennent et qui ils sont…
J’ai vécu six ans du côté de Claude Debussy Pasteur. Après, en 85, je me suis mariée et je suis venue aux Chardonnerettes, qui est un quartier assez calme, où il n’y a jamais vraiment eu d’incident sérieux. Par exemple, lors des émeutes de novembre dernier à Clichy, c’était du gâteau ici ! Par rapport aux Vigne Blanches, aux Rosiers, aux Carreaux ou à la ZAC, un petit peu plus loin, on est tranquille ! Je pars travailler très tôt le matin et il n’y a jamais eu de problèmes. Par contre, je n’irai pas mettre les pieds du côté de la ZAC, à Villiers-le-Bel, car là-bas, c’est un véritable coupe-gorge. Souvent, les gens ont une mauvaise image de Sarcelles mais quand on voit ce qui s’est passé dans les banlieues il y a sept mois, je tire mon chapeau ! Comparé à Clichy ou à d’autres endroits, la ville est restée bien calme…
Pour moi, s’il y avait une chose à améliorer ici, c’est le dialogue entre communautés. J’aimerais que nous vivions tous ensemble, sans qu’il y ait de distinctions, sans que tel magasin, tel lieu, telle manifestation, soient réservés à telle culture, à telle religion. Je voudrais que tout le monde soit rassemblé, quelles que soient les origines et l’âge de chacun. Aujourd’hui, je trouve qu’il y a trop de différences…
Message aux jeunes
Je voudrais qu’ils réfléchissent bien à ce qu’ils font avant qu’il ne soit trop tard... Beaucoup prennent au début un mauvais chemin et le regrettent ensuite. Mais, ce n’est pas en regrettant qu’on avance ! Au contraire ! Il faut que les jeunes réfléchissent avant de faire des bêtises car après, c’est leur jeunesse qui est gâchée…
Souvent, quand je discute avec mes enfants, je leur raconte mon parcours mais lorsque je leur parle de toutes les épreuves que j’ai traversées, ils me disent : « Ce n’est pas vrai ! » J’ai beau leur expliquer qu’à l’âge de six ans, je me débrouillais, qu’à l’âge de huit ans, je faisais comme si j’avais quinze ou seize ans, ils ont du mal à me croire ! Ils me demandent :
« - Alors pourquoi ce n’est plus comme ça ?
– Parce qu’aujourd’hui, votre génération est beaucoup plus entourée ! Vous avez de l’aide ! Il y a des associations qui font du soutien scolaire, il y a plein de choses ! Tandis que nous, on devait avancer nous-mêmes ! On devait se débrouiller ! »
Je pense que si maintenant, on mettait des jeunes dans les mêmes conditions de vie, ils n’arriveraient pas à s’en sortir… Seulement moi, j’ai toujours avancé car j’y étais bien obligée ! Je n’étais pas assistée !
Messages
1. Madagascar - La Réunion - Paris - Sarcelles, 22 janvier 2008, 22:03, par lilia
je sais pas comment vous avez fait pour vivre sa désoler pour vous !!
2. Madagascar - La Réunion - Paris - Sarcelles, 14 mai 2008, 14:56, par Boubou
Bonjour Annick,
Je vous remercie pour votre témoignage. Je le trouve très émouvant, très intéressant et il me parait incroyablement honnète et objectif.
Je suis actuellement expatriée à Madagascar, dans un petit village de la côte. Cela fait des années qe mon mari et moi travaillons dans des zones très rurales à l’étranger. or c’est la premièer fois que je ressens une telle haine à mon gard. Et pourtant, il me semble que je n’ai rien fait pour cela. Je suis toujours à pied, je vais au marché tous les jours, je rends service, je discutte avec tout un chacun. Et l’autre jour, après que la ville ait été coupée plusieurs jours d’électricité, les jeunes ont fait une émeute dans la rue. et quand je suis passée par là, enceinte de 7,5 mois, ils m’ont lancé des pierres en scandant "sale Blanche !".
Ca fait mal et j’avoue être désemparée. Ne sachant pas d’où cette haine peut venir, je ne sais pas comment l’enrailler. Et me voilà autant désemparée que n’importe quelle minorité qyui souffre de racisme en France.
Merci donc pour votre témoignage, qui me réconforte parce qu’il me prouve que je ne suis pas un cas isolé, et que mes impressions ne relèvent pas de la schizophrénie.
3. Madagascar - La Réunion - Paris - Sarcelles, 3 septembre 2008, 15:12, par macasa
wouah ! je me retrouve dans les deux histoires, mon pere francais ma mere malgache, on est venu en 75 a paris et en 76 a sarcelles,j’ai pratiquement pas de souvenir de mon enfance j’avais 5 ans lors du "grand" départ, mais ma mere a ete la plus malheureuse des femme en quittant tout tout tout,on est venus en décembre 75 sous la neige avec nos jupette et sandale c’etait dure pour tout le monde, heureusement mon papa tres courrageux a immédiatement travaillié a l’alliance francaise de paris, et ma mere femme de ménage a gauche et droite pas pour nous éléver non, pour partir dés que possible a madagascar,mon pere est décedé en 87 sans retouné labas, et ma mere apres le décé y vie maintenant , ns,ns sommes tous sur sarcelles que je quitterait pour rien au monde(sauf 8 ans ou j’ai fait un retour au racine qui ma fait découvrir le pays ou je suis née) mes enfants, sont née a madagascar les deux du moins et ils grandissent a sarcelles comme moi avant, durant mon long séjour a madagascar je suis des haut plateau(fianarantsoa) j’etais plus la belle blanche qui parle la malgache, ma famille fiere d’avoir la blanche autour d’eux j’ai une petit histoir d’ailleurs mon oncle devait négocier pour l’achat d’un zébu et il m’a supplié d’aller avec lui pour avoir un prix négociable non pas que le vendeur le baissera le prix mais qu’il est un éspoir de me convoité ! moi ca ma fait bien rire bien sur j’y suis pas aller et ma réputation alors.... non mais ! bref j’ai vécu qlq année labas et suis retournée avec mari et enfants en 2000 et bien j’ai eu une claque tout de meme car sarcelles avait changé, certe y pas de bagarre de gang tout les soir mais la population est vulgaire et raciste alors qu’on est tous étrangers ou d’enfant d’immigrés ou que j’aille, sur le marché, a la poste au leclerc meme au jardin y a toujours une personne qui s’"engeule" avec un autre ! voila la vie !bofbof !
4. Madagascar - La Réunion - Paris - Sarcelles, 24 juin 2010, 22:07, par HOARAU
Bonjour,
C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai lu votre témoignage.
Je suis née à Madagascar en 1966 plus exactement à Amboudiziana.
Mes parents avaient une ferme à la Sakay Babetville.
Nous étions les dernières familles à avoir quitté Madagascar en 1977, j’avais 11 ans...
Que de souvenirs....
Cathy HOARAU