La BD congolaise s’organise

Association " BD Kin Lab

ASIMBA BATHY : " JE VOUDRAIS ÉCRIRE LA NOUVELLE HISTOIRE DE LA BANDE DESSINÉE CONGOLAISE AVEC DES LETTRES MAJUSCULES "

entretien d’Alain Brezault avec Asimba Bathy

Asimba Bathy est coordinateur de l’Association BD Kin Label et directeur de la publication Kin Label

Comment est née l’Association " BD Kin Label " ?

En avril 2007, nous recevions à Kinshasa une commande de la Croix-Rouge de Belgique pour la réalisation d’une bande dessinée collective sur le thème de la migration. À cette occasion, dans le cadre de sa mise en œuvre, sous la coordination de Catherine Stubbe, responsable du projet et déléguée sur place pour en assurer le suivi, ont été organisés à l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa deux ateliers pratiques : l’un sur la scénarisation et le découpage technique d’une BD, encadré par l’écrivain-scénariste Alain Brezault ; l’autre sur la présentation graphique des vignettes et des planches avec la finalisation du découpage, l’encrage et la mise en couleur, fut encadré par Éric Warnauts, un grand professionnel de la BD belge. Une douzaine des bédéistes congolais de Kinshasa prirent part à ces ateliers. Ce fut l’occasion, pour moi, de découvrir de nouveaux visages, sinon de nouveaux talents dans la bande dessinée.
De l’ambiance conviviale qui s’est vite créée, il s’est dégagé un dynamisme qu’il fallait consolider à tout prix. C’est ainsi que j’ai essayé de convaincre ces collègues de l’opportunité de rester ensemble pour évoluer dans la même direction, au nom de la bande dessinée, cet art que nous pratiquons avec beaucoup de cœur et d’amour.
Je dois souligner que la plupart des membres ont consenti à liquéfier leurs groupes respectifs pour tenter l’expérience BD Kin Label.

Qui fait déjà partie de cette association ?

Actuellement, BD Kin Label compte près de 25 membres dont des bédéistes des provinces. 16 d’entre eux - dont un, Hallain Paluku, qui fait partie de la diaspora congolaise en Belgique - ont vu leurs planches publiées dans les huit premiers numéros de notre magazine, en moins d’une année et demie. D’autres encore arrivent et la programmation continue…

Comment de nouveaux dessinateurs congolais peuvent-ils y adhérer ?
BD Kin Label se veut aussi une plate-forme de discussion et de réflexion, en dehors d’être en même temps un centre de formation, d’encadrement et de mise à niveau dans le domaine du dessin en général, pour l’éclosion de la bande dessinée congolaise. Ainsi, ses portes sont ouvertes, largement, à tous les bédéistes qui croient en leur art et qui veulent en faire un métier.

En tant que Coordinateur de l’Association et directeur de la revue " Kin Label ", quels sont les objectifs visés pour les prochaines années ?

Je suis ambitieux et je vois grand. TRÈS grand. Je voudrais écrire la nouvelle histoire de la bande dessinée congolaise avec des lettres majuscules !…

BD Kin Label a-t-elle des partenaires ? Lesquels et à quel titre ?

La première main tendue, sinon le premier secours est arrivé naturellement de la Croix-Rouge, relevée aussitôt par " Africalia " qui nous permet de tenir tant bien que mal la route actuellement et d’asseoir un certain nombre des stratégies, et aussi " AfriBD " qui nous conforte dans nos convictions.

Quelles sont, à votre avis, les raisons du nombre impressionnant de Bédéistes et de caricaturistes de presse en RDC, et particulièrement à Kinshasa Comment font-ils pour survivre dans un contexte économique peu propice à l’exercice de leur métier ?

La folie… C’est ça la seule motivation. Dans un environnement où tous, bédéastes comme caricaturistes de presse, sont des artistes autodidactes dans leur discipline, par l’absence d’une école spécialisée pour une formation spécifique. C’est un engagement suicidaire dans le sens où il n’y a pas de débouchées. Sinon l’espoir, comme tremplin. Qui fait vivre, en attendant de voir un jour se réaliser son rêve. Celui d’être reconnu, de faire aussi comme les autres. Notamment ceux de l’Occident, du Japon, etc. La fureur de vivre de son art, envers et contre tout.
Cette folie, je la trouve positive, puisque j’y suis dedans moi-même. Et c’est ça qui constitue le soubassement de ce que je considère comme un fardeau légitime que je porte sans marmonner : mener la bande dessinée congolaise haut, très haut. Vers ses lettres de noblesse ! Parce que les jeunes y croient, viennent vers nous. Il faut faire leur lit. Pour qu’ils s’y sentent à l’aise…
Ce qui pousse, motive, c’est aussi et surtout le besoin de s’exprimer qui se manifeste chez tous ces " self-made-men and women " qui sont de vrais génies.

Comment êtes-vous parvenu à convaincre les " grands anciens " de la BD congolaise, dont certains avaient fait les beaux jours de la mythique revue Jeunes pour jeunes, à reprendre leurs crayons pour dessiner dans Kin Label ?

De Boyau à Ekunde, en passant par Lepas, Djemba (un ami d’enfance et condisciple), Mfumu’Eto, Cap et même Mongo Sissé (à quelque deux semaines de son décès), tous ont eu la même phrase : " Si c’était une autre personne que toi, je n’allais pas accepter ". Le moins que je puisse dire à propos de cette marque de confiance et de cet enthousiasme si spontané et sincère, est qu’ils connaissent mon combat de longue date.
C’est leur façon de me soutenir en participant à l’aventure. Autant il y a des mains, autant il y aura moyen de faire de notre métier une réalité. Pour le bien de tous.

Quels sont vos projets artistiques personnels, parallèlement à vos tâches de coordinateur de l’Association et de directeur de la revue ?

En dehors de BD Kin Label, je m’occupe de moi. À l’heure actuelle, je suis presque à la fin de l’écriture d’un roman basé sur une histoire réelle que j’ai vécue dans mon enfance. En dehors de cela, j’envisage sérieusement d’entamer les crayonnés de mon premier album BD en solo.

source article d’Africultures : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=9196


autre article :

BD KIN LABEL
La nouvelle marque de fabrique de la BD congolaise
Alain Brezault

Le fameux magazine Jeunes pour jeunes, initié par Achille N’Goye et son compère Freddy Mulongo, fit les beaux jours de la jeunesse kinoise de 1968 jusqu’à la fin des années 70 en offrant une tribune régulière à de jeunes dessinateurs tels les inoubliables Denis Boyau Loyongo et Sima Lukombo. Malgré la censure et les difficultés économiques, Jeunes pour jeunes connut tout au long de ces années fastes un succès populaire sans égal grâce à nos deux as du crayon qui suscitèrent de nouvelles vocations de bédéistes en herbe. Parmi tous les personnages créés avec un humour sans pareil, on doit se souvenir avec nostalgie d’Apolosa, Kikwata, Coco, Didi, Wabuza, Molok, Durango, Sinatra, le Brigadier Mongala, Errol, autant de héros populaires confrontés aux innombrables tracas de la vie quotidienne, à l’image de ce que la population kinoise devait résoudre en pratiquant le fameux " article 15 ", ou l’art de la débrouille systématique.
D’autres artistes de talent rejoignirent à leur tour le célèbre magazine congolais, en particulier Ekunde Bosuku qui, avant de faire carrière dans la peinture populaire, inventa un célèbre trio, le couple formé par Papa Mosekonzo et Mama Sakina en bute aux tracasseries du juge Mutombo. Leur succès ne se démentira pas jusqu’à ce que le magazine cesse de paraître, une bonne dizaine d’années après sa création (1).
Pourtant, bien après la disparition de Jeunes pour jeunes, des revues, de nombreux fanzines et diverses publications populaires (2), souvent en Lingala, connurent d’éphémères apparitions sur le marché kinois, le temps de faire faillite après quelques numéros que le public n’avait plus les moyens de s’offrir dans un contexte économique qui n’a cessé de se dégrader chaque année un peu plus jusqu’à la chute de Mobutu.
Faute de débouchés et pour tenter malgré tout de survivre, de nombreux bédéistes congolais furent amenés à réaliser des travaux de commandes proposés par les ONG et les institutions internationales présentes dans le pays, d’autres essayèrent de se reconvertir en caricaturistes de presse dans les quotidiens et les hebdomadaires locaux (3) de plus en plus fragilisés par la censure. En conséquence, durant toutes ces années, les jeunes lecteurs kinois se tournèrent vers des magazines publiés par les éditions Segedo, Kouakou et Calao (4), vendus à très bas prix, sur place et dans de nombreux autres pays d’Afrique, voire parfois distribués gratuitement dans les écoles, grâce à un soutien financier du ministère français de la Coopération. Dans ces publications très conventionnelles, faisant la part belle à des héros " positifs " (tels les jeunes Kouakou, Adama, Koffi et Jomo pour les pages centrales de la revue Kouakou, ou Samba et Koulou, l’inspecteur Kalambo, le Docteur Simarou, dans Calao), il n’était bien évidemment plus question de porter le moindre regard critique sur la vie sociale et politique du pays… Il faut cependant reconnaître que ces deux magazines bimensuels, de par leur tirage et leur faible prix de vente, connurent un succès indéniable auprès de la jeunesse africaine durant la longue période de leur parution (5)…
Pourtant, nulle part ailleurs sur le continent, on est susceptible de rencontrer une telle concentration de bédéistes et de caricaturistes comme à Kinshasa : pleine de paradoxes politiques, sociaux, économiques et culturels, cette mégapole possède de surcroît une énergie et une vitalité exceptionnelle malgré tous les problèmes posés quotidiennement à la grande majorité d’une population dont l’esprit frondeur alimente les folles rumeurs qui circulent sur " radio trottoir " et inspirent comme il se doit la BD populaire (6). Le nombre considérable de dessinateurs, plus d’une centaine, rien que sur la place de Kinshasa, pour ne pas parler d’autres villes comme Bukavu, Lubumbashi ou Kisangani, est effectivement, depuis de longues années, un phénomène unique dans toute l’Afrique francophone, anglophone ou lusophone. Et ce, en dépit du fait que presque tous ces artistes éprouvent d’énormes difficultés pour vivre de leur métier et gagner décemment leur vie, quand ils ne sont pas obligés de pratiquer d’autres métiers d’appoint pour contribuer à faire bouillir la marmite familiale.

La réalisation de l’album BD : Là-Bas… Na Poto…

C’est dans ce contexte, qui n’a cessé de perdurer jusqu’à nos jours (et en tenant compte du fait que l’impact de la BD sur un public populaire est sans commune mesure avec les méthodes de communication habituellement employées pour transmettre des messages à la population), qu’un projet émanant de la Croix Rouge de Belgique associée à la Croix Rouge de RDC a vu le jour entre 2005 et 2006. Avec le soutien financier de l’Union Européenne, il s’agissait de " sensibiliser et informer les jeunes Congolais de 16 à 20 ans aux risques et aux conséquences de la migration, qu’elle soit légale ou non. "
Après un concours qui permit de sélectionner 11 dessinateurs (7), deux ateliers furent mis en place à l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa, au début de l’année 2007 sous la responsabilité de Catherine Stubbe, chargée de projets à la Croix Rouge de Belgique (Département Accueil des demandeurs d’asile) qui coordonnait le suivi de toute l’opération.
J’ai eu le plaisir d’animer le premier atelier d’écriture scénaristique durant lequel chacun précisa ses objectifs, rédigea un synopsis qu’il développa en scénario dans lequel il introduisit la continuité dialoguée avant de procéder à un pré-découpage de ses six planches et de réaliser un " story-board ".
Un second atelier, concernant l’encrage, la mise en couleur et le réajustement du découpage, fut encadré par le dessinateur Éric Warnauts dont l’expérience professionnelle dans l’univers créatif de la BD n’est plus à démontrer.
À l’issue de ces deux ateliers, les épreuves réalisées furent soumises à un Comité de pilotage belgo-congolais qui sélectionna 8 des réalisations parmi celles des 11 participants. Deux autres dessinateurs de la diaspora congolaise immigrés en France (Fifi Mukuna et Pat Masioni) furent à leur tour retenus pour qu’ils racontent une histoire à partir de leur pays d’accueil, complétèrent la liste définitive des participants à cet album collectif. La couverture fut confiée à Barly Baruti et l’illustration des pages de garde à Thembo Kash, deux des plus célèbres bédéistes de la RDC.
Imprimé en Belgique, Là-bas… Na Poto…, album BD de 72 pages en couleur sur papier glacé, a été tiré à 125.000 exemplaires qui furent distribués gratuitement en octobre-novembre 2007 dans les écoles de Kinshasa, à l’issue d’une formation destinée à leur exploitation pédagogique par les enseignants de 200 écoles et les 10.000 volontaires de la Croix Rouge de RDC œuvrant dans les 24 communes de Kinshasa (8).
Dans la perspective de poursuivre cette expérience collective qui avait valorisé concrètement les travaux des huit artistes kinois retenus, ceux-ci décidèrent, sous la houlette d’Asimba Bathy et sur les conseils des encadreurs du projet, de se regrouper en une association qui prit le nom de BD Kin Label. Asimba Bathy, et un autre grand dessinateur kinois de la nouvelle génération, Dick Esalé, qui ne faisait pas partie de l’association mais avait participé à l’album Là-bas… Na Poto…, furent invités à Bruxelles, à l’occasion de l’exposition Talatala (9) sur l’histoire de la BD congolaise, présentée à l’Espace Wallonie du 5 septembre au 27 octobre 2007, dans le cadre du festival culturel Yambi. Des planches de Là-bas… Na poto… y furent exposées, ainsi que les derniers travaux issus des projets de l’association (dont les statuts juridiques avaient été enregistrés dès le 25 juillet 2007), avec l’aide d’un reliquat budgétaire accordé gracieusement par la Croix Rouge de Belgique.

La création de BD Kin Label

Forts de cet appui, les premiers membres de l’association se mirent alors au travail et produisirent un premier numéro de 24 pages en couleur. Les lecteurs purent y découvrir, outre un édito et une interview du directeur des éditions Joker, réalisée à Bruxelles par Asimba Bathy, des planches d’Asimba Bathy et de deux autres grands noms de la BD congolaise, Djemba Djeis et Hissa Nsoli, associés à deux jeunes dessinateurs de grand talent, Jason Kibiswa et Charlie Tchimpaka. Chacun d’eux, dans la dynamique créée par la réalisation de l’album Là-bas… Na poto…, s’était porté volontaire pour collaborer à cette nouvelle expérience éditoriale et faire de leur tout nouveau magazine, Kin Label, le symbole exemplaire du renouveau de la BD congolaise…
À la sortie de cette première publication qui fut distribuée dans tout Kinshasa, d’autres collègues dessinateurs décidèrent alors d’adhérer eux aussi au projet initial en apportant leurs propres contributions graphiques pour alimenter les prochains numéros, cependant que le comité de rédaction se renforçait, à l’initiative d’Asimba Bathy et des membres fondateurs de l’association (10).
Dès le second numéro publié trois mois plus tard en noir et blanc, avec une couverture recto verso en couleur, Luba Ntolila présenta à son tour un récit en Lingala, découpé en 4 planches qui s’ajoutèrent aux nouvelles planches de Jason Kibiswa, Djemba Djeis, Hissa Nsoli et Asimba Bathy dont l’Edito, intitulé "La rage de vivre", annonçait les ambitions de l’équipe rédactionnelle : faire de Kin Label une vitrine de la nouvelle BD congolaise destinée à la jeunesse. L’avant dernière page en couleur était consacrée à un article élogieux rappelant le rôle précurseur du grand Boyau Loyongo qui allait à son tour rejoindre le groupe, dès le 5ème numéro de la revue où il publie désormais régulièrement ses planches.
Le soutien financier de la Croix Rouge de Belgique permit ainsi de publier les quatre premiers numéros de la revue dans lesquels de nouvelles signatures apparurent : deux anciens de la BD kinoise (Kapena Mwanza, dit CAP, dans le n° 3 où il dessina en quatre planches le conte populaire Les 3 sourds et Lepa Mabila Seye qui présenta, dans le n° 4, une mésaventure de son héros Djo Eph en quatre planches contées en Lingala) Vinrent s’ajouter deux tout nouveaux bédéistes : Abelle Bowala, une jeune femme talentueuse qui proposa aux lecteurs dans le 3ème numéro un premier récit en quatre planches sur un scénario d’Asimba Bathy, Voyage dans un trou noir ; le 4ème numéro révéla un jeune artiste à l’avenir prometteur, Jules Baïsolé, qui dessina Voyage sous terre, un drame social exemplaire en 4 planches.
Cette aventure éditoriale a pu se poursuivre grâce au soutien d’Africalia, organisme fédéral belge, qui a pris le relais de la Croix Rouge et a conclu un contrat de partenariat avec BD Kin Label pour donner à l’association les moyens de renforcer ses structures afin de concevoir et publier les prochains numéros de sa revue dont la diffusion devra s’étendre progressivement à l’ensemble du pays, en intégrant de nouveaux dessinateurs des autres pôles culturels de la RDC.
Ainsi, au fil des 4 parutions suivantes, parmi les anciens, Maître Ekundé Bosuku (Maseke ya ngombe), Denis Boyau (Lolendo Ya pamba et Motema mabé efutaka te) et Mfumu’Eto (Pesa ngai chance) vinrent se joindre à CAP et Lepa Seye dont la collaboration se poursuit en compagnie de la génération intermédiaire, Djemba Djeis, Issa Nsoli, Asimba Bathy, Luba Ntolila, associés aux jeunes talents, Jason Kibswa (Malaïka), Charly Tchimpaka (Ngalula), Didier Kawendé (Le mauvais sort), Fati Kabuika (Andolo), Abelle Bowala (Le bon chemin), Jules Baïsolé (Anita), Luc Mayemba (La voie à suivre), auxquels il faut ajouter la participation de deux nouveaux dessinateurs résidant dans d’autres villes : Séraphin Kajibwami, de Bukavu (Un enjeu majeur), et Tetshim, de Lubumbashi, (Loin des yeux), dont les qualités graphiques commencent à lui valoir une renommée internationale. Enfin, une place de choix a été donnée dans le n° 8 de la revue à Hallain Paluku, résidant en Belgique, le créateur du superbe album Missy et de Bana Boul, une série de dessins animés comiques en langue nationale à destination des enfants congolais. Les numéros 9, 10, 11 et 12 confirment le talent de Fati Kabuika, avec sa saga kinoise Andolo le défenseur des chiens, Jason Kibiswa, avec les nouvelles planches de Malaïka et Tetshim qui nous offre dans le n° 12, avec Le photographe, de superbes planches en noir et blanc. Ces quatre derniers numéros accueillent encore de nouveau jeunes, chacun d’entre eux possédant de grandes qualités graphiques : Tsidibi Tshidi’X, Edin, Yannick Kumbozi et Mola Boyika, auxquels se sont joints Gédéon Mulamba, Cara Bulaya et une jeune dessinatrice encore à ses débuts, Assette Man’s, sans oublier Dody Lobela, de nouvelles planches de Boyau, Didier Kawendé, Jules Baïsolé, Séraphin Kajibwami, Asimba Bathy, Djemba Djeis et la participation de grands noms tels Thembo Kash et Al’Mata qui ont accepté de fournir des planches…

Se faire connaître et reconnaître…

La qualité globale des planches publiées dans les 8 premiers numéros fut l’occasion d’en présenter quelques-unes, associées à leurs auteurs, dans le cadre de Picha, une grande exposition sur la BD africaine, organisée par le CNDO, institution culturelle néerlandaise basée à Amsterdam avec la collaboration de différents spécialistes pressentis pour en assurer la conception et la réalisation (11). Inaugurée le 24 avril à l’Afrika Museum de Berg en Dal, l’exposition y fut présentée du 26 avril au 31 août 2008, avant d’être montée par la suite à Lagos au Nigeria fin 2008, puis à Palma de Mallorca du 14 mai au 4 juin 2009, lors du Festival BD Comic Nostrum. Picha a été également exposée à Sao Paulo au Brésil avant de revenir en Hollande pour une ultime présentation à Goes.
Ainsi, en seulement deux années d’existence, grâce au dynamisme d’Asimba Bathy (12) et de ses collègues, malgré les difficultés financières inhérentes à la conjoncture économique, l’Association BD Kin Label et ses auteurs ont acquis une renommée qui a désormais largement dépassé les frontières de la République Démocratique du Congo. Certains de ses membres ont d’ailleurs été invités au premier Festival International de la bande dessinée d’Alger (FIBDA) en Octobre 2008 (13) et au Panaf 2009, toujours à Alger, dans le cadre des festivités culturelles organisées par le gouvernement algérien (14).
BD Kin Label, bénéficiant déjà d’un accord de partenariat avec Africalia, est également associée avec Africultures, en tant que partenaire africain représentant la BD en Afrique centrale, afin de collaborer à la création d’un portail interactif sur le Net, intitulé AfriBD, pour la promotion des bédéistes d’Afrique francophone et la diffusion de leurs œuvres, en liaison avec deux autres partenaires d’Afrique de l’Ouest (Mali) et de l’Océan Indien (Maurice). Le site comprendra, entre autres l’élaboration d’une banque de données des auteurs et de leurs œuvres, la conception de modules de formation et l’organisation d’ateliers pratiques prévus selon que de besoin pour chacune des trois régions. Dans ce vaste projet cofinancé par l’OIF et le Fonds Francophone des Inforoutes, il s’agira principalement, selon le contrat établi, de :
Promouvoir la démocratie participative, le progrès social et la paix à travers des exemples de médiatisation sous forme de BD mettant l’accent sur l’éducation scolaire, le respect des droits de l’homme et de la femme ainsi que sur les valeurs d’entraide, de solidarité et de cohésion sociale chez les jeunes, en opposition à l’individualisme, la roublardise, la marginalisation et la délinquance urbaine.
Devenir ainsi un axe privilégié de communication interculturelle par le biais du médium BD et d’Internet, en nouant de nouveaux liens entre un public élargi à l’ensemble de l’Afrique francophone, aux bédéistes locaux regroupés dans les associations partenaires et à ceux de la diaspora dont les travaux exemplaires, susceptibles de favoriser l’éclosion de nouveaux talents, seront également présentés sur le site AfriBD.
Constituer progressivement une base de données de référence pour tout ce qui touche à la promotion, tant sur le continent qu’en Europe, de la bande dessinée d’Afrique francophone, ainsi que de ses créateurs, scénaristes, dessinateurs, éditeurs et diffuseurs…
À l’instigation de plusieurs institutions, dont Africalia, le Musée Royal d’Afrique Centrale à Tervuren et AfriBD, l’association BD Kin Label a été contactée pour réaliser un album de 48 planches en couleurs sur les 50 ans d’indépendance du Congo. À la demande de l’association et avec le soutien d’AfriBD et d’Africalia, je suis donc allé animer à Kinshasa un atelier de scénarisation de deux semaines, du 15 au 30 janvier 2010. Sur mes conseils et suggestions, huit scénarios ont été conçus et découpés par les huit dessinateurs sélectionnés au sein de l’association pour relater, chacun en six planches, les événements vécus durant 50 ans par des jumeaux, un garçon, Dipanda, et une fille, Lipanda, baptisés le 30 juin 1960, le jour de l’indépendance du pays…
La sortie de l’album est prévue en juin et fera l’objet d’une exposition.

En guise de conclusion…

Le secteur de la bande dessinée ne doit plus être considéré comme un phénomène marginal en Afrique. En effet, la BD est historiquement, avec sa sœur la caricature de presse, une activité très pratiquée sur tout le Continent, et particulièrement au Congo, malgré les tentatives de museler par la censure cette forme d’expression populaire. Il faut simplement que l’on offre localement aux auteurs la possibilité de manifester leur créativité, sous peine de voir ces artistes s’exiler en Europe pour tenter d’y faire carrière.
Les initiatives de publications locales comme celles mises en œuvre par l’équipe de BD Kin Label associée à d’autres partenaires africains et européens, ne sont pas utopiques, elles prennent peu à peu corps dans l’esprit de tous ceux qui voient dans la bande dessinée et la communication par l’image un vecteur d’intervention démocratique, une approche pluridisciplinaire pour une médiatisation populaire s’attachant à renforcer les liens socioculturels entre les populations africaines trop souvent prises en otages par leurs propres dirigeants…
Longue vie à BD Kin Label !…
Alain Brezault

1. Au nom de " l’authenticité " prônée par Mobutu, le magazine fut obligé d’abandonner le titre qui avait fait sa célébrité. Il prit alors celui de Kaké, (l’Eclair), avant de perdre ses lecteurs et sa propre vitalité en raison du marasme économique et de la toute puissante censure qui sévissait impitoyablement à l’époque.
2. Yaya, Mac BD, Numéro UN, Bédéafrique, Bilengé, Les stars de la BD, Lisese, Bleu Blanc, Lokolé, Afro BD, Bulles et Plumes, Mwana Mboka, Chaleur tropicale…
3. L’Alerte, Le Grognon, Le Palmarès, Forum des As, Pot pourri, Rasta Magazine, Le Soir du Galibot, Le Phare, Le Journal Au taux du jour, Salongo…
4. Les planches BD de ces magazines, distribués gratuitement dans les écoles avec le soutien du Ministère français de la Coopération française, étaient réalisées par des bédéistes français (dont Bernard Dufossé et le scénariste Serge Saint Michel) avant que quelques dessinateurs africains puissent y présenter leurs propres créations (tels, au Congo, Barly Baruti, à partir de 1984, avec les aventures de Moputa et Mapeka).
5. Ils furent remplacés par Planètes enfants et Planètes jeunes, magazines édités par Bayard Presse à un prix subventionné par les pouvoirs publics français. (voir l’article de Christophe Cassiau-Haurie, Kouakou orphelin, publié le 5/07/2007 sur Africultures.com)…
6. Mfumu’Eto et Lepa Mabila sont les deux principaux créateurs de ces BD populaires ronéotées et vendues à la sauvette dans divers quartiers de Kinshasa. Tous les deux rejoindront par la suite l’association BD Kin Label et dessineront leurs planches dans la revue Kin Label coordonnée par Asimba Bathy.
7. Concours organisé à Kinshasa par l’asbl " Entre 2 mondes ", en liaison avec les organisateurs du projet Croix-Rouge.
8. Là-Bas… Na Poto…, album BD composé de 10 récits exemplaires sur l’immigration légale et illégale, imaginés chacun en 6 planches couleur par les dix dessinateurs suivants : Asimba Bathy, dans Savoir partir ; Charly Tchimpaka, dans Kin-Jeunesse ; Didier Kawende, dans Le retour du frimeur ; Jason Kibiswa, dans Un billet pour le paradis ; Dick Esale, dans Roulé-Boulé ; Albert Luba, dans Faux départ ; Djemba Djeis, dans Souviens-toi Mamisa ; Hissa Nsoli, dans Au péril de leur vie ; Fifi Mukuna, dans Maleka et Pat Masioni, dans Carnet d’exil. Couverture réalisée par Barly Baruti. Illustration en pages de garde : Thembo Kash.
9. Réalisée par l’asbl " Entre Deux Mondes ", en collaboration avec plusieurs associations d’auteurs de RDC, l’exposition Talatala (en lingala, lunettes, miroir), était destinée à mettre en lumière l’historique, les conditions de production et les principaux thèmes créatifs de la bande dessinée congolaise d’hier et d’aujourd’hui.
10. L’adoption des statuts de l’association " BD Kin Label pour la défense du droit des artistes ", ainsi que l’élection des membres du conseil d’administration eurent lieu lors de la première assemblée générale constitutive qui s’est tenue à Kinshasa le 25 juillet 2007
11. J’ai personnellement collaboré à la conception et à la rédaction de 120 fiches de présentation des auteurs africains francophones, avec leurs œuvres répertoriées dans une data-base intégrée au site Internet de l’exposition (www.picha.nl).
12. Asimba Bathy organise également des ateliers de formation à la BD au CCF de Brazzaville et était récemment l’invité du Fescarhy 2009 à Yaoundé pour présenter les travaux de l’équipe Kin Label.
13. Asimba Bathy et Jason Kibiswa y furent les représentants de BD Kin Label, cependant que d’autres grands auteurs congolais étaient aussi du voyage, en compagnie du professeur Hilaire Mbiyé (dont Barly Baruti et Thembo Kash avec Jérémie Nsingi et Aimé Nséka).
14. Jason Kibiswa était là aussi invité comme délégué de BD Kin Label pour présenter des planches réalisées par des membres de l’association (Asimba Bathy, Jason Kibiswa, Luba Ntotila, Charly Tshimpaka, Fati Kabuika, Cara Bulaya, Edin, Séraphin Kajibwami, Yannick Kumbozi, Mola, Gédéon Mulamba, Didier Kawendé). Il a également participé au second FIDBA qui a eu lieu à Alger en octobre 2009. Tous ces auteurs congolais ont également collaboré, y compris Fifi Mukuna, à l’album collectif regroupant 67 auteurs, La Bande Dessinée conte l’Afrique, un ouvrage en couleur de 290 pages, publié à Alger par les Editions Dalimen.

article tiré de la revue africultures : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=9195