du STO aux FFI et à l’armée Leclerc - St Brice de Landelles - Manche

Les réfractaires engagés dans la Division Leclerc

Monsieur Rémi Martin

Témoignage de Mr MARTIN Rémi

Je suis né en 1922, dans une petite commune de cent vingt-cinq habitants, appelée Saint Brice de Landelles, située au sud du département de la Manche, à 15 kilomètres du Mont-Saint-Michel.

Mes parents étaient métayers

Mon père travaillait à la terre. Il était métayer. Rien n’était à lui, mais il travaillait, élevait les bestiaux, cultivait pour quelqu’un d’autre ! La ferme, les animaux et tout le matériel appartenaient à la même personne, au propriétaire. Le métayer ne faisait que travailler avec. Il recevait 50% des animaux nés après son arrivée et les 50% restants étaient pour le propriétaire.

Dans le système du métayage, la ferme n’appartient pas à celui qui y travaille, le métayer, lequel ne reçoit que la moitié de ce qui est gagné. C’est tout… Par contre lorsqu’une bête meurt, le propriétaire doit démontrer la faute du métayer. Sinon, la bête perdue l’est au détriment du propriétaire. Mais il ne faut pas qu’il y ait eu faute de la part du métayer, parce qu’à ce moment-là, c’est lui qui paye…

Il y avait pas mal de métayage en Normandie, seulement, les propriétaires de la ferme ne connaissaient rien au métier. C’était l’ancienne noblesse.

Nous étions trois enfants. Ma sœur a appris la couture et mon jeune frère est resté à la ferme. Vers l’âge de onze ans et demi, mes parents ont décidé pour moi : « On va lui faire suivre des études ! »

J’ai poursuivi mes études jusqu’au Baccalauréat

J’habitais une petite commune de cent vingt-cinq habitants. Il y avait bien une école à laquelle je suis allé. Nous étions une vingtaine dans une classe unique, depuis la maternelle jusqu’au Certificat d’Etudes. L’école s’arrêtaient généralement au Certificat d’Etudes pour la plupart des enfants ! Cela s’arrêtait là ! Il n’y avait plus d’école à partir de onze ans ! Après, il fallait bosser !

Comme mes parents voulaient que je continue, ils m’ont envoyé dans une école située à au moins 200 kilomètres de là, dans le Morbihan. C’est là que j’ai poursuivi mes études après le Certificat. Je suis resté deux ans dans cette école et comme c’était très loin, j’ai été deux ans sans revoir mes parents… Je suis parti à 11 ans et demi et je ne les ai revus qu’à 13 ans et demi, parce qu’ils n’avaient pas les moyens de me faire revenir en vacances, même pendant les grandes vacances…

A treize ans, mon rêve était de continuer mes études. Mes parents m’avaient mis là et ils faisaient d’ailleurs de gros sacrifices pour que je puisse continuer ! Comme ils étaient cultivateurs, ils auraient voulu que je fasse des études d’agro-alimentaire. C’était leur idée… Ils m’avaient mis à l’école pour ça ! Seulement, les évènements en ont fait tout autrement puisque je suis allé jusqu’au Baccalauréat en 1941.

Mon père m’a raconté la guerre de 14-18

Mon père avait fait la guerre de 14-18. Il avait été blessé à Verdun et avait eu les pieds gelés dans la Somme. Comme il était handicapé, il touchait une petite rente qui m’a d’ailleurs servie pour suivre mes études.

Nous parlions donc énormément de la guerre. Ca, on connaissait les Allemands ! Mon père expliquait d’ailleurs qu’un commandant ou un capitaine n’avait pas plus de pouvoir en 1939 qu’un adjudant en 1914 !

Il m’a raconté qu’un dimanche dans la Somme, alors que les cloches sonnaient, des soldats français ont posé leur fusil et ont commencé à sortir tranquillement des tranchées. Ils étaient à découvert, mais ils voyaient que rien ne répondait en face. Les Allemands sortaient également de leurs tranchées. Les soldats se faisaient donc face, à découvert. Ce la montre bien qu’il n’y avait pas de haine d’un homme envers un autre ! On ne pouvait pas appeler ça de la ‘‘fraternité’’, mais pendant un temps, un certain temps qui ne durait jamais longtemps, on ne tirait plus ! Je n’ai donc pas été éduqué dans la haine. Pas du tout…

Avant de monter au front pendant la guerre 14, on les faisait boire souvent du rhum avec de l’éther. Cela les rendait presque inconscients ! Ce n’était pas possible autrement ! Parce que franchement, si on ne vous donnait rien, vous ne le faisiez pas ! Vous ne sautiez pas ! Vous restiez dans votre trou ! Vous aviez trop peur ! Alors, quand il fallait attaquer…

Mon père m’a raconté qu’ils passaient devant l’officier. Un soldat versait à boire à côté de l’officier et il fallait que chacun boive devant lui. A ce moment là, ils savaient qu’ils allaient attaquer !

1938 et la crainte de la guerre

A 14, 15 ans, je ne sentais pas que la guerre allait arriver. Mais avec l’invasion de la Tchécoslovaquie, nous pensions que ça sentait déjà le roussi ! En 1938, il y avait une crainte de la guerre dans le monde rural…

Nous en parlions entre jeunes. Nous nous disions : « Oh… ! Il va y avoir la guerre ! » Nous sentions que cela allait venir, mais ce n’était pas une catastrophe pour nous. Il n’y avait pas de problème avec les Allemands. En quinze jours, nous serions à Berlin ! On avait le crâne tellement bourré que l’on n’avait pas peur de la guerre ! Nous partions la fleur au fusil…

L’arrivée des Allemands

Je suis resté au collège après la déclaration de la guerre en septembre 39, mais aussitôt que la débâcle arrivée en 40, on nous a priés de retourner chez nos parents. C’était fin juin… J’avais 18 ans quand les Allemands sont arrivés en juin 1940. Je travaillais à la ferme, chez mes parents. Je m’occupais des travaux de la ferme pendant les vacances…

Les Allemands sont arrivés dans la cour de la ferme, alors que j’étais en train de décharger une charretée de foin. Ils avaient déjà repéré, à côté de chez nous, un château dont notre ferme dépendait. Ils venaient pour y aller. La ferme ne les intéressait pas beaucoup ! C’était le château… Ils sont arrivés avec des chevaux. C’étaient des officiers ! Nous n’avons pas vu de soldats.

On ne peut pas dire que nous étions véritablement abattus de les voir ! Ils sont vite partis de la ferme et nous avons continué notre travail. Ils sont allés directement au château pour le réquisitionner. Lorsqu’ils sont ensuite repassés, ils ont essayé de nous parler, mais ils ne connaissaient pas le français. Enfin, ce furent les premiers contacts et il n’y a pas eu d’accrochage. On ne peut pas dire qu’ils se conduisaient mal, mais cela a beaucoup changé par la suite…

Même mon père ne comprenaient pas‘‘la drôle de guerre’’, la débandade ! Mes parents ne comprenaient pas comment l’armée française avait pu disparaître… En l’espace d’un mois, les Allemands étaient venus d’Allemagne jusque chez nous, en Normandie ! Alors, ils ne comprenaient pas…

J’ai obtenu mon bac en juin 1942, mais au mois de septembre, il fallait que je travaille. J’ai donc dû arrêter mes études pour venir à Paris, dans le XVIe arrondissement, où l’on m’a chargé de faire l’école dans un orphelinat. Il fallait bien gagner sa vie ! Je faisais l’école à des enfants d’à peu près 14, 15 ans, alors que j’avais juste quatre ans de plus !

Paris sous l’Occupation

En 1942, on voyait les Allemands circuler dans Paris. Ils circulaient à peu près librement, c’est-à-dire sans arme ! C’était à peu près tranquille mais cela a changé à partir de 42, parce qu’il commençait déjà à y avoir de la résistance. Les Allemands ne circulaient donc plus sans arme. Il fallait qu’ils sortent au moins à trois et en armes.

Jusqu’en 42, on ne peut pas dire que c’était franchement oppressant. A Paris, si vous alliez au théâtre, vous étiez obligé de rentrer avant minuit, à cause du couvre-feu. Plus personne ne devait se trouver dans la rue ! En 40 et 41, c’était encore possible ! Mais en 42, cela ne l’était plus.... Vous risquiez d’être abattu !

Je travaillais rue La Fontaine et j’habitais rue Théodore Rousseau, à 500 mètres. Comme les autres jeunes, il m’arrivait de sortir, mais nous n’allions jamais très loin. Nous hésitions ou alors, nous y allions à plusieurs. Vous risquiez plus seul qu’à plusieurs. Ils pouvaient plus facilement de vous demander des renseignements et tout...

A 4 heures de l’après-midi, tous les élèves en rang avaient le droit à quatre biscuits vitaminés, des petits gâteaux comme des petits beurres ! C’était assez difficile… Ils avaient une ration de pain, une demi baguette, avec souvent des légumes en purée, des petits poix cassés, des lentilles, des haricots, des rutabagas… Nous avions quelquefois des pommes de terre ! Mais elles étaient rationnées, donc rares…

Au mois de septembre, le jeudi, je partais avec les enfants dans la campagne pour ramasser les châtaignes. Quand les gosses avaient fini de les ramasser, il fallait qu’ils les mettent dans un récipient. Il fallait tout mettre ! Nous tâtions même les enfants pour s’assurer qu’ils n’en gardent pas, parce qu’ils parvenaient à les éplucher, à tirer les deux peaux, la première peau brune, la deuxième peau blanche, pour les manger crues ! Ils les mangeaient crues !
Ils disposaient de bureaux avec le dessus qui se soulevait et un casier en dessous. Lorsqu’un casier se levait assez haut et que cela restait un bout de temps comme ça, je me disais : « Ca y est ! Celui-là est en train de manger des châtaignes ! »

A Paris, je voyais des gens porter l’étoile juive, l’étoile jaune… Leur situation était critique puisqu’au moindre petit incident qui pouvait leur arriver, c’était la déportation. Il fallait qu’ils vivent cachés le plus possible et sortir le moins possible. Il fallait qu’ils fassent attention de ne pas traverser la rue et d’être vu par un Allemand ! Ils devaient raser les murs… Sinon, ils étaient envoyés à Drancy et déportés directement en Allemagne.

J’avais deux élèves d’origine juive. Ils ont porté l’étoile pendant deux mois. Ils ont ensuite quitté l’école. Les parents les ont enlevés. On m’a dit qu’ils étaient cachés dans le Morvan.

Dans le métro, les juifs prenaient le même wagon que les autres, du moins jusqu’en 42.

Se cacher pour échapper au STO

J’ai quitté Paris en septembre 1943, parce qu’à ce moment là, j’ai été appelé pour le Service du Travail Obligatoire. Etant de la classe 1922, j’ai été requis pour partir en Allemagne au titre du STO. On appelait ça le STO. Tous les hommes nés en 1922 étaient requis pour partir en Allemagne. Tous ! Sans exception ! Mais moi, je ne suis pas parti. J’ai choisi la Résistance.

Le 30 juillet 43, j’ai reçu un billet de réquisition pour le Service du Travail Obligatoire. Ce 30 juillet, muni de ce billet, je me suis présenté à la mairie du XVIe arrondissement de Paris, pour toucher tout mon trousseau. Nous avions droit à un trousseau complet pour partir en Allemagne ! Il y avait un bleu de travail, une paire de godasses, des chemises, des chaussettes des tricots… Je tenais à obtenir tout ça, parce que c’était gratis ! Et je les ai eus… Le 1er août, je me suis présenté à la caserne dans le XIIIe, où j’ai réellement touché ma marchandise.

Le 2 août, je devais me trouver Salle des Pas Perdus à la gare Saint-Lazare, pour le départ. Seulement, le 2 août au matin, au lieu d’aller gare Saint-Lazare, je me suis rendu gare Montparnasse et j’ai pris le train pour gagner la Normandie, pour aller m’y cacher. J’étais donc devenu réfractaire au STO.

Je ne connaissais alors aucun résistant à cette période-là ! C’était sur un coup de tête ! Je ne voulais pas partir en Allemagne ! C’est tout ! Mes parents m’avaient conseillé : « Si jamais il t’arrivait de devoir partir en Allemagne, tu ne pars pas ! Tu viens à la maison ! » C’est donc ce que j’ai fait… Je suis parti à la maison avec mon trousseau.

Il n’y avait pas d’Allemands dans mon village. Il n’y avait personne dans ce patelin de cent vingt cinq habitants ! Nous avons commencé à voir beaucoup d’Allemands vers la fin de 1943. Il était question qu’ils aillent à Saint-Malo pour passer en Angleterre, mais cela ne s’est jamais produit.

En tous cas, je ne pouvais pas rester chez mes parents comme ça… Bon, arriver en Normandie, c’était très bien ! Seulement, il fallait vivre ! J’ai alors essayé de me procurer des faux papiers.

L’entrée dans la Résistance

Un gendarme m’a donné le tuyau. Il s’agissait d’aller à Mortain, la Sous-préfecture de la Manche. Là-bas, je devais me rendre à une certaine adresse pour rencontrer quelqu’un qui faisait des faux papiers d’identité. J’ai donc pris mon vélo et suis parti à Mortain.

J’ai rencontré le type en question, qui devait avoir dans les 25 ans. Je lui ai expliqué mon cas, puis il m’a fait de faux papiers. J’avais un faux nom et un faux prénom. Il m’avait inventé une nouvelle identité : Remi Martin !

Le gars m’a ensuite demandé si je pouvais revenir. Il m’a dit : « Il faudrait que vous reveniez dans quinze jours ! » Je suis donc revenu, mais c’était juste pour parler, pour discuter. Il voulait sans doute avoir une conversation avec moi pour savoir ce que je pensais des Allemands.

Il m’a fait revenir une seconde fois. C’était toujours la même chose. Il m’a alors proposé : « Est-ce que cela vous intéresse de faire comme je fais, de faire des faux papiers pour les autres ? » Il essayait de savoir s’il pouvait compter sur moi. Sur le coup, j’ai hésité ! Mais en pensant à un camarade qui allait être requis, j’ai accepté de faire à mon tour de faux papiers.

Fin octobre, novembre 1943, j’ai donc commencé à faire de fausses cartes d’identité. J’en ai fait peut-être en tout une quinzaine, à des jeunes qui devaient partir en Allemagne pour une raison ou pour une autre. La plupart étaient requis pour le Service du Travail Obligatoire mais certaines personnes étaient également requises pour l’organisation Todd, pour bâtir des fortins le long des côtes, etc. Le mur de l’Atlantique !

L’action de la Résistance

Les FFI, les Forces Françaises de l’Intérieur, étaient des maquisards. Ces personnes en armes étaient chargés de combattre les Allemands en combats directs, mais aussitôt reconnus, ils devaient se retirer. Parce qu’ils n’étaient pas en force contre des chars ! C’étaient des types qui comme moi se cachaient avec de faux papiers. Se cacher, c’était bien, mais il fallait également réagir !

En tant que réfractaire au Service du Travail Obligatoire, vous étiez plus ou moins amené à fréquenter des gens comme vous. Tout cela formait des noyaux de réfractaires. Après la guerre, on a appelé ça le maquis, mais nous étions des groupes de réfractaires. On se camouflait. On ne se mettait pas en évidence, évidemment ! On essayait de faire des coups…
Nous avions des fusils plus ou moins bons et quelquefois de la grenaille. Nous avions aussi des petites bombes, mais cela ne faisait pas grands dégâts… Que vouliez-vous que l’on fasse avec ça contre des chars ou contre des automitrailleuses ? On ne pouvait pas faire grand-chose… Nous avons fait des petits coups dans notre coin, en Normandie. Nous avons fait sauter un pont, un pont sur la Sélune, pour retarder les Allemands qui allaient à Saint-Malo.

Je préfère avoir fait ce que j’ai fait, plutôt que d’être allé en Allemagne travailler pour les Allemands. Je ne l’ai jamais regretté !

Seulement, ils pouvaient se venger sur les familles de ceux qui ne partaient pas en Allemagne. C’est réel ! Mes parents ont vu la Gestapo arriver chez eux, parce que je n’étais pas parti au STO. Mais mon père ne leur a pas dit : « Tenez ! Il est dans la grange ! » De toute manière, je n’étais pas dans la grange ! J’étais dans un bois, à Fougerolles, en Ille et Vilaine. Mon père leur a dit : « Mon fils ? Moi je le cherche ! J’ai même fait une déposition à la mairie pour dire qu’il fallait le rechercher ! »

Il a fait exactement comme si j’avais fui de la maison et qu’il me recherchait réellement. Il avait fait toutes les démarches à la gendarmerie. Parce que s’il n’avait rien fait, ils auraient pris mes parents ! Ou le frère ! Heureusement, les miens avaient fait tout ce qui était nécessaire, car les personnes qui m’avaient donné de faux papiers, m’avaient aussi fourni des tas de renseignements de ce genre. Autrement, mes parents n’auraient pas eu l’idée de faire tout ça !

La forêt de Fougerolles était à 15 kilomètres. Un groupe comptait à peu près dans les cents, à cent cinquante hommes. C’étaient des gens à peu près comme moi ! Mais ils n’avaient pas tous de faux papiers d’identité ! Ils devaient se cacher, car ils auraient dû être en Allemagne… Quoi qu’il en soit, il fallait quand même manger ! Ils faisaient donc des sorties en armes pour aller chercher de la bouffe, souvent à Fougères. Beaucoup de commerçants savaient qu’ils allaient venir chercher à manger dans la nuit.

Fin 1943, le rôle de la résistance, pour certains, était d’attaquer les Allemands. Il y eut une attaque sur le pont de Pontorson, où les Allemands circulaient. Les Forces Françaises de l’Intérieur ont attaqué un convoi d’Allemands qui circulait en chenillette. Mais lorsque vous attaquiez une automitrailleuse avec un fusil, vous ne faisiez pas grand dégât ! La seule chose que vous pouviez faire, c’était de tuer les Allemands qui étaient au-dessus ! Et effectivement, il y eut des tués.

On ne peut pas dire que cela causait des dégâts formidables, parce que les forces en présence étaient tellement inégales… Les Allemands avaient des chars ou des automitrailleuses, alors que les Forces Françaises de l’Intérieur n’avaient que des fusils ou des grenades. Alors, ils ne pouvaient pas faire grands dégâts !

Les Allemands étaient obligés de circuler avec du matériel lourd. Ils ne pouvaient plus circuler comme en 1940-1941, en vélo, parce qu’à partir de fin 42, ils étaient abattus ! Ils circulaient donc en automitrailleuse.

Il m’est arrivé de tirer, mais une seule fois ! J’ai également lancé une grenade une fois… Sinon, je devais surtout faire des faux papiers d’identité, rendre service à la population qui devait partir en Allemagne. Le réseau servait principalement à ça, à empêcher les jeunes de partir en Allemagne !

J’ai participé à du sabotage, à Ducey dans la Manche, un chef-lieu de canton traversé par la Sélune. Une route très importante passait sur le pont qui enjambait la rivière. Au début de 1944, les Allemands qui allaient sur Saint-Malo devaient emprunter cette route. Il avait donc été décidé de couper le pont. Il fallait que les Allemands ne puissent pas passer à cet endroit, qu’ils soient obligés de passer du côté de Fougères, parce que ça les éloignait beaucoup plus ! Nous avons donc décidé de faire sauter le pont.

Je ne m’y connaissais pas en explosifs mais d’autres s’y connaissaient ! Alors, le pont a sauté… Ce n’était pas une partie de plaisir, mais nous étions contents lorsque nous réussissions à faire quelque chose… Tout ce qui pouvait nuire aux Allemands nous intéressait.

Arrêté à Paris par la gendarmerie française

Je ne me rappelle pas avoir eu peur. Si ! J’ai eu des peurs, mais ce n’était pas en faisant de la résistance proprement dite. J’ai eu peur quand je me suis dit : « Tiens ! J’ai des faux papiers ! J’ai des copains qui sont à Paris et je m’en vais les voir, parce qu’ils crèvent la faim ! Moi, je suis à la campagne ! Je suis dans les fermes et j’ai à bouffer autant que je veux ! Alors, je vais leur apporter un peu de nourriture ! »

On faisait marché noir à ce moment-là ! J’ai pris le train avec deux grosses valises pleines de ravitaillement ! Il y avait du beurre, des œufs, du lard, de la volaille… Parce qu’ils n’avaient rien à Paris ! Il fallait donner des tickets.

Je suis arrivé gare Montparnasse. Je ne voulais pas loger chez mes amis, parce que j’avais des faux papiers. Il fallait faire attention ! Il aurait suffi qu’un beau jour, on sorte et qu’ils m’appellent par mon vrai nom :
« - Hé ! Monsieur untel !
  Mais ce n’est pas mon nom ! »
Je ne tenais donc pas à loger chez eux.

Je suis donc allé à l’hôtel d’Alençon, boulevard du Montparnasse. J’ai logé à l’hôtel le soir en me disant : « j’irai chez mes amis demain pour leur porter à manger ! »

J’avais mis au courant un copain qui était à Paris. Il avait lui aussi des faux papiers que je lui avais faits. Je lui avais écrit que tel jour, je me rendrai à Paris et que je serai content de le voir. Seulement, ce copain a fait l’idiot parce qu’il a appelé l’hôtel où j’étais et il a demandé à la réceptionniste : « Je voudrais avoir Monsieur untel au téléphone ! » Mais il a prononcé mon nom ! Mon vrai nom ! La réceptionniste lui a donc répondu :
« - Mais, il n’y a pas de Monsieur untel ici ! Ca, il n’est pas ici ! Untel n’est pas ici, à l’hôtel !
  Ah ! Vous êtes sûr ? C’est un type qui doit avoir dans les vingt et quelques années etc. ! Ah… ! »
Ensuite, il a ajouté :
« - Monsieur…, c’est Monsieur Rémi Martin !
  Ah ! Bah Oui ! Il est là ! Il est là ! »
La réceptionniste a évidemment soupçonné quelque chose. Elle a dû se dire : « Merde ! Voilà quelqu’un qui a des faux papiers ! » Elle a donc téléphoné à la gendarmerie française….

La gendarmerie française est venue me trouver à l’hôtel. J’étais en train de manger lorsqu’ils ont frappé à la porte. Ils m’ont dit :
« - Hé ! Monsieur Thieulent !
  Mais, il n’est pas ici !
  Allez ! Allez ! Allez ! Vous vous appelez Thieulent !
  Mais non ! Je m’appelle Rémi Martin !
  Non, non, non ! Votre nom, c’est Thieulent ! Allez hop ! »
J’ai bien vu que j’étais vendu… Alors là, je peux dire que j’ai eu peur ! Je me suis demandé : « Qu’est-ce qu’ils vont faire de moi ? »
Ils m’ont emmené à la gendarmerie où ils m’ont fait poiroter pendant au moins deux heures, minimum deux heures… J’ai enfin été appelé pour voir le commissaire, une personne qui était là toute seule. Il m’a questionné. Il voulait savoir d’où j’étais, ce que je faisais… J’ai bien vu que j’étais vendu. Je m’en doutais déjà mais enfin, à ce moment là, je me suis dit : « Ca y est ! Je suis vendu ! Je suis bon pour partir en Allemagne ! »

Alors, j’ai raconté toute la vérité et à la fin, le commissaire m’a dit : « Et bien, écoutez ! Vous allez prendre vos clics et vos claques immédiatement et sans délai ! Vous allez prendre le train pour la Normandie et surtout, pas d’histoire ! Vous prenez le premier train en partance pour là-bas ! »

Je suis donc évidemment allé à la gare Montparnasse. Je n’ai pas demandé mon reste. J’ai filé. Arrivé gare Montparnasse, j’ai demandé quel était le premier train en partance pour la Normandie, mais ce n’était que le lendemain. Je me suis alors inquiété : « C’est trop tard ça ! » J’ai donc pris un autre train qui allait sur Rennes et à Rennes, j’ai changé pour regagner la Normandie.

Je ne suis pas retourné tout de suite dans cet hôtel. En 1944, je me suis re-pointé à Paris, mais cette fois en habit militaire, parce qu’à ce moment là, j’étais soldat dans la division Leclerc. Le soir du 25 août 44, j’ai dit à mes copains : « Moi, j’ai un compte à régler ! J’ai un compte à régler, boulevard du Montparnasse ! »
J’ai demandé à deux d’entre eux de m’accompagner, parce que l’on n’avait pas le droit de sortir. Il y avait encore des Allemands dans les rues le 25 août 44. Ils étaient rares ! Mais il risquait d’y en avoir encore...

Je suis donc revenu hôtel d’Alençon, boulevard du Montparnasse et la réceptionniste a évidemment passé un mauvais quart d’heure… D’ailleurs, heureusement que j’étais là, car les deux copains qui étaient avec moi étaient de vieux baroudeurs. Ils avaient fait le Tchad, la Tunisie et tout ça ! Ils ont dit : « Cette bonne femme là t’a vendu ! On la passe à tabac ! On la fusille ! »
Mais je ne l’ai pas voulu… Seulement, elle a attrapé quelques bons coups de crosse.

Le Débarquement et l’appui de la Résistance

Les gens écoutaient Radio Londres, mais la Radio était brouillée ! On n’entendait pas clair. Le jour du débarquement, on l’a su aussitôt puisque notre groupe avait réussi à chaparder (on ne l’avais pas payé) un poste de TSF à Fougères, en Ille et Vilaine. On l’a volé chez un marchand de TSF mais ce n’est pas une gloire !

J’étais dans le sud du département de la Manche lorsque le Débarquement a eu lieu. Les Américains ont guerroyé pendant un mois avant d’enfoncer le front allemand.

Le jour où nous avons su que les Américains avaient débarqué, nous avons quitté notre maquis de Fougerolles. Nous sommes montés à 50 kilomètres au Nord, à Villedieu-les-Poêles. Là, nous avons fait le maximum pour embrouiller les Allemands.

L’horloge du clocher a été cassée, parce qu’il ne fallait pas qu’ils voient l’heure ! Nous faisions sonner les cloches toutes les heures. Nous avons aussi fait sauter un pont, sur une petite route qui reliait deux petits pays. Nous l’avons fait sauter, mais je ne sais pas si cela les a retardés beaucoup !

Une nuit, nous avons essayé de les affoler. Alors que des Allemands passaient, nous nous sommes tous mis derrières des bâtiments, de vieilles granges, et nous avons vidé des chargeurs de fusil, des chargeurs de mitraillettes. On les a vidés pour les affoler un peu, mais on ne tirait pas sur eux. On se disait : « Si l’on tire dessus, ils vont répliquer avec leurs chars et leurs automitrailleuses ! » Ils nous auraient tous tués…
Quoi qu’il en soit, on peut dire que nos tirs leur donnaient les petits pois ! Enfin bref, nous avons essayé de les retarder d’une façon ou d’une autre…

Deux copains, qui étaient avec moi au maquis, ont été chargés d’aller vers le Nord avec des vélos. Ils étaient envoyés par les résistants, pour avoir des renseignements sur la situation, ce qu’il y avait comme Allemands etc. Durant les derniers jours précédant l’arrivée des Américains, quelqu’un de notre groupe disposait d’un poste émetteur. Il a donc pu les renseigner sur les forces allemandes qu’il y avait à tel ou tel endroit.

J’ai combattu dans la Division Leclerc

Au moment du débarquement, j’étais en Normandie, dans le sud du département de la Manche, du côté du Mont-Saint-Michel. Les Américains sont arrivés à Avranches sans coup férir, parce que le front allemand était enfoncé. La division Leclerc, la 2e DB, qui faisait partie de l’armée Patton, a débarqué à ce moment là à Sainte Mère Eglise, au nord de la Manche mais elle n’a pas eu à combattre, parce que les Américains avaient déjà fait le nettoyage. Elle est descendue dans le département de la Manche et elle est arrivée à Avranches, à peu près là où j’étais.

Ils ont immédiatement installé un bureau de recrutement et tous les résistants se sont évidemment présentés pour s’engager. Seulement, n’ont été engagés que ceux qui étaient nés en 1921 et 22, parce que la division Leclerc était complète lorsqu’elle a débarqué ! Elle pouvait en prendre, mais pas tellement.

J’ai donc été engagé et les autres ont été recrutés pour le BR1, c’est-à-dire le Bataillon de Renforts N°1. Ils restaient en caserne, pour apprendre la vie du soldat. Ils formaient un bataillon de renforts. S’il y avait eu beaucoup de dégâts dans la division Leclerc, on aurait pris dans ces jeunes là pour combler les pertes.

Je suis passé directement à la 11e Compagnie, 3e Bataillon du Régiment de Marche du Tchad, le RMT. J’ai fait toute la campagne dans ce régiment : la prise de Paris, le prise de Strasbourg et jusqu’à Berchtesgaden, où j’ai été blessé la veille de l’armistice. J’ai fait toute la campagne de France et la campagne d’Allemagne.

Notre premier coup dur fut Argentan, où nous nous sommes retrouvés face à des Allemands. C’est là que nous avons combattu la première fois ! En fait, du Débarquement jusqu’à Argentan, la division Leclerc n’avait rien fait. Là, j’ai été obligé de tirer. Nous étions sur un canon antichar et il fallait nous poster pour pouvoir si possible, abattre des chars allemands.

Ensuite, ce fut l’avance sur Paris. Nous sommes arrivés par le Sud. Nous nous sommes arrêtés à la prison de Frênes, car des Allemands tenaient encore l’endroit. Un lieutenant s’est aperçu que ça bougeait dans un arbre. Il a donc pointé la mitrailleuse dans cette direction et il a commencé à tirer. Il y avait effectivement un Allemand dans l’arbre. Il a continué à tirer pendant je ne sais pas combien de temps ? Si bien qu’au bout de trois, quatre minutes, une jambe est tombée par terre…Ils étaient deux dans l’arbre !

Nous sommes arrivés par la Porte d’Italie. La première nuit à Paris, j’ai couché au Champs de Mars dans l’automitrailleuse, dans l’half-track. Mais des avions Allemands ont survolé Paris à 1 heure du matin. « Ca y est ! Voilà les Allemands ! » On s’est donc mis en dessous du char pour le restant de la nuit. Là, ils pouvaient toujours essayer de tirer ! Ils ne nous auraient pas ! Le lendemain matin, on nous a annoncé : « Il faut aller au bois de Boulogne ! »

Après Paris, nous avons pris la ville de Troyes, avant la campagne de Lorraine et des Vosges.

Nous sommes arrivés dans les Vosges fin septembre 44. Il fallait reprendre les villages mais là, les Allemands résistaient. Nous nous emparions d’un village et en prenions un autre le lendemain mais cela a été dur… Cela a été dur jusqu’au 21 novembre 44, où l’on a pu percer le front allemand pour reprendre Strasbourg.

Nous avons eu énormément de pertes en Lorraine ! Nous avons eu énormément de pertes… Vous savez, la guerre, cela n’a rien de rigolo ! Vous êtes dans un village, vous êtes là et dans le village voisin, peut-être à 3 kilomètres, il y a les Allemands. Alors, il y a des escarmouches, vous repassez, vous faites un détour pour contourner les lignes allemandes, pour arriver par derrière. Parce qu’il fallait les prendre à revers !

Par exemple, quelques jours avant l’attaque sur Strasbourg, nous étions dans un patelin et les Allemands se trouvaient devant, pas très loin. Le lieutenant a donc décidé d’essayer de les prendre à revers. Il nous a dit : « On va faire comme ça ! On va passer dans la forêt et nous allons prendre le village qui se trouve derrière celui où sont stationnés les Allemands ! »

On s’en est emparé et pour ensuite prendre les Allemands par derrière. C’était le jour de paye des soldats. Le caissier était là, avec des piles de billets de marks… Inutile de vous dire que nous avons ramassé le pognon ! C’étaient des paquets de marks neufs entourés de ficelle. J’en ai pris un et je me suis dit : « Ce sera un souvenir, quoi ! »

Deux ou trois jours après, j’ai eu besoin d’aller aux toilettes… Mais le petit coin, à l’armée, c’était derrière un talus ! Seulement, je n’avais pas de papier ! J’ai donc utilisé ma liasse de billets de marks allemands… Je me suis servi des marks allemands et j’ai laissé par terre le restant du paquet. J’ai laissé tout le paquet derrière moi, avec mes besoins… Mais, je l’ai amèrement regretté ! Parce que le surlendemain ou deux jours après, nous avons attaqué Strasbourg et au bout de quatre jours ou cinq jours, nous avons pris la ville. Comme l’Alsace avait été annexée par l’Allemagne, comme les Alsaciens étaient devenus allemands, ils avaient uniquement de la monnaie allemande !

Le lendemain matin de la libération de Strasbourg, le tocsin est passé dans les rues avec son tambour pour avertir la population : « Les habitants de Strasbourg sont priés de se présenter dans les écoles, la sous-préfecture ou dans les mairies, pour échanger leurs marks contre des francs français ! » Alors là, je me suis dit : « Oh ! Merde ! Mon paquet de billets, quoi ! Si seulement j’avais encore mon paquet de marks... » J’étais prêt à retourner 200 kilomètres en arrière, derrière le talus ! Enfin, cela fait partie des anecdotes…

Message aux jeunes

J’ai eu de la chance, parce qu’avoir la possibilité d’aller en classe après le Certificat d’Etudes était une chance ! Mes parents ont voulu que je poursuive des études. Ils m’ont donc envoyé à 200 kilomètres de la maison, dans un orphelinat !

Mais la chance, aujourd’hui, c’est vous qui l’avez ! A l’époque, pour faire des études, on était obligé de vous envoyer je ne sais pas où ! Souvent dans la campagne, on allait jusqu’au Certificat et ça s’arrêtait là ! Si vous vouliez continuer, il fallait aller au chef-lieu de canton ou mieux, à la sous-préfecture ! Et là, à ce moment-là, bah vous ne rentriez même pas le soir !

Je suis parti de chez moi à 11 ans et demi… J’étais à 200 kilomètres de chez mes parents, dans un orphelinat. Alors, quand les grandes vacances sont arrivées, j’ai pensé : « Tiens ! Je vais au moins pouvoir retourner chez mes parents ! »
Seulement, ils n’avaient pas les moyens de me payer le billet pour revenir en vacances ! Je suis donc resté deux ans sans voir mes parents. Deux ans ! Imaginez-vous ! Je suis revenu au bout de deux ans et l’on m’a changé d’école pour que je puisse rentrer.