Mme Langrenay née en 1913
Paris des boulevards
Ma belle-mère avait débuté avec beaucoup de difficultés et elle adorait me raconter sa jeunesse. Elle me parlait de sa grand-mère qui avait eu 10 enfants, et chaque enfant a eu une situation, a appris un métier. Quand elle a pris de l’âge, il n’y avait pas de maison de retraite. Elle passait des séjours chez chaque enfant. Elle était habillée comme à l’époque, avec des robes et ces fameux et beaux petits chapeaux. Elle avait du rechange. Elle en avait un deuxième. Quand elle allait chez ses enfants, son deuxième chapeau, le chapeau de luxe, était confiné dans une boîte en cuir qui avait la forme du chapeau. Elle partait comme ça et elle ne manquait jamais d’avoir à son bras une ombrelle. Les enfants portaient la valise.
Je tiens à citer mon premier souvenir. Des pompiers remontaient bruyamment l’Avenue Gambetta. Je m’en étonnais et mon père m’explique : "c’est pour prévenir que la Bertha Bombarde Paris". Nous sommes alors descendus à la cave.
J’ai connu l’eau courante tout de suite. Dans beaucoup de foyers, les gens allaient se laver dans les établissements spécialisés. Ma belle-mère qui n’avait pas de salle de bain, allait aux bains douches et elle portait son linge dans une laverie. J’ai toujours connu l’électricité à Paris. Nous avions une lampe à pétrole toujours en état car une panne pouvait constamment survenir.
Les grands boulevards, c’était très important dans les années 20/30. Mon Daddy adorait s’y promener. Le dimanche son grand bonheur était d’aller y prendre l’apéritif. C’était autre chose que les Champs Elysées.
Le jour de la Sainte Catherine, il m’emmenait voir le défilé. Dans la haute couture, vous aviez les Catherinettes. C’était quelque chose de plus important que maintenant. À la Sainte Catherine, on fabriquait des bonnets, des beaux bonnets. Toutes ces jeunes femmes allaient sur les grands boulevards. J’étais en admiration.
Mon premier souvenir de l’opéra, c’est quelque chose d’extraordinaire, Carmen à l’opéra Garnier. Mon père m’a fait visiter l’opéra Garnier, toutes ces beautés. Je revois l’Opéra avec mes yeux d’enfant. Je rentre au foyer de l’opéra, mon père me montre tout de suite la loge. Je me remémore devant l’avenue de l’opéra les marches en marbre qui montent avec les dames en robes du soir, les messieurs en smoking, en queue de pie, la tenue de rigueur. Daddy avait un haut-de-forme, une canne. À l’Opéra Comique, on ne jouait pas de l’opéra. On ne jouait que des opéras dans lesquels on parlait.
Le Châtelet était un théâtre spécialisé pour les jeunes. On y voyait des opérettes adorables, et des balais. À l’Auberge du cheval blanc on jouait des tas de pièces, d’opérettes. Une gosse de 12, 13 ans, était en admiration devant tout ça.
J’ai vu le cinéma muet, mais je ne m’en souviens peu. Par contre mon premier vrai film parlant, était un véritable chef-d’œuvre « Les enfants du paradis » avec Arletty. Un film à grand spectacle. C’était à Fontenay-sous-Bois où nous habitions à ce moment-là. Un film qu’on a redonné souvent, un excellent film. J’en ai encore un souvenir extraordinaire, d’abord par l’histoire. Jean-Louis Barrault faisait le clown, avec Jouvet, Rivoli, toute la bande…
Les merveilles de Paris
J’ai visité des châteaux ,les musées, tous les beaux monuments de Paris, le jardin des Tuileries où il y avait des petits poneys, le Guignol. Guignol avait alors une réputation exceptionnelle. Les tramways ont commencé à disparaître au profit des autobus, tout facilitait les déplacements. Au bois de Boulogne, vers1900, il y avait la promenade des belles. J’en ai beaucoup entendu parler.
J’ai un souvenir sonore du bruit des fiacres qui passaient dans les rues, des promenades en fiacre. On appelait les fiacres comme un taxi. Il y en a eu longtemps, même avec les voitures. Il avait sa place comme les taxis le long du trottoir. Il attendait le client. Je suis encore montée en fiacre en 23/25. Quand les fiacres et les premières voitures se sont côtoyés, c’était tout un problème. Il fallait que les deux cochers soient adroits. Même quand il n’y avait pas de voiture, il y avait souvent des accidents. Des chevaux glissaient sur le macadam, sur les pavés par temps de gel ou autre chose.
Grâce à mon père, j’ai connu les créateurs du Bon Marché. Ce sont des gens qui ont débuté simplement avec un petit magasin et ainsi de suite ils se sont agrandis. C’est une famille de gens modestes qui ont monté une grosse affaire. C’était notre magasin préféré dès 1920. C’était extraordinaire parce qu’on trouvait tout dans le même magasin, du luxe et du commun comme maintenant.
Le BHV était le magasin préféré de mon mari qui était très bricoleur. Il y allait le samedi car il y trouvait tout ce qu’il fallait pour la maison. Je me souviens également de Félix Potin, des Galeries Lafayette et de la Samaritaine.
À Fontenay-sous-Bois, il y avait le bal public deux ou trois fois par an. À l’époque toutes les grandes écoles donnaient des bals dans l’année. Nous avons même eu une année où toutes les écoles de Paris ont donné une grande soirée à l’Opéra. Toutes les écoles organisaient des grandes soirées en hiver, et le président de la République venait féliciter les personnalités.
Le cinéma, c’était financièrement raisonnable. Il y avait les guinguettes, l’entrée c’était la consommation. À Nogent-sur-Marne, il fallait prendre un bateau pour aller dans une des guinguettes. C’était la grande fête. C’était très gai. Les bals de sociétés étaient généralement sur invitation.
J’ai également connu le Lido, les Folies Bergères et la vie nocturne à Montmartre. J’ai continué longtemps à me rendre à Montmartre avec mon mari par plaisir d’entendre les chansonniers. On dînait ou on ne dînait pas et puis les chansonniers venaient, ils chantaient ou racontaient des histoires. Certains faisaient de l’esprit, plus ou moins bon, mais quelquefois coquin enfin on passait une soirée très gaie.
J’ai vu Joséphine Baker, Mistinguett, Charles Boyer. Plus jeune, on était amoureuse de Charles Boyer. On avait des béguins d’acteurs. On était en admiration devant Jouvet, devant tout le répertoire du Français, les acteurs du Français. J’ai également vu beaucoup de pièces Sacha Guitry.
Mon père était passionné par l’astronomie, alors il m’a beaucoup amenée à l’observatoire de Meudon. J’ai eu la satisfaction très jeune, d’être bercée dans ce futur qu’on est en train de vivre, avec un père qui savait déjà tout ce qui allait arriver. Il me disait : « vous verrez ceci, ma chère enfant. Vous verrez qu’il y a des tas de choses que moi je ne verrai jamais. Vous verrez qu’il y aura des gens qui essaieront d’aller sur des planètes. »
De ma petite enfance, jusqu’à mon mariage à 22 ans, j’ai eu beaucoup de chance. Je n’ai vécu que d’émerveillement. Daddy m’a toujours fait voir le beau, en me donnant de bons conseils pour la vie.
Mon mari est sorti des Arts et Métiers en 1929. Il a fait son service militaire après, en 30, il a donc dû travailler en 31. Nous nous sommes mariés en 35. J’étais mariée depuis un an quand il y a eu des occupations de locaux dans l’entreprise où il travaillait. Il n’a pas fait la grève mais il est sorti dans la rue manifester pour les vacances payées et les 48 heures de travail hebdomadaire. J’étais chez moi avec ma fille aînée. Je n’avais qu’un enfant à ce moment-là et je me suis fait du souci.