SOGNOLLES - nous devions ramasser des doryphores

Monsieur THÉVENIN Roger né à Sognolles le 1er août 1931

Mes parents étaient cultivateurs. On ne disait pas agriculteurs, à ce moment-là ! Ils faisaient une culture vivrière avec quelques animaux. La ferme, les bâtiments, étaient assez importants. Elle était construite ainsi lorsque mes parents l’ont prise. Et quand le bâtiment est grand, il vaut mieux mettre quelque chose dedans…

Comment mon grand-père est arrivé à Sognolles

Mon grand-père n’est pas né ici. La famille est venue en 1911. Avant cela, il habitait à Villeneuve les Bordes. Mais originellement, il était du Loiret. Vers 1900, il est arrivé en Seine et Marne, du côté de Coutanson. Il s’est marié et a repris une ferme avec ma grand-mère à Villeneuve les Bordes. Puis en 1911, ils ont venus s’installer à Sognolles.

Des métiers divers

À Sognolles, il n’y avait pas que des agriculteurs. Il y avait toutes sortes de métiers : des charrons, des ébénistes, un marchand de poisson, un boulanger, une sage-femme…

La sage-femme assistait les naissances sans docteur. Elle s’appelait Mademoiselle Alberte Chastagnet. Elle était originaire de la région parisienne. Comme elle avait un métier, elle est restée ici un certain temps, puis elle s’est mariée avec un marchand de poisson, Monsieur Henri Guillemot. Avec son cheval et son « carrosse », il livrait l’arrivage journalier provenant de Boulogne-sur-Mer.

C’est le docteur Debert de Donnemarie qui m’a mis au monde.

Les commodités au village

L’électricité était installée à la porte de la propriété et le client la distribuait dans sa ferme comme il le voulait. La ferme de Courtemont a eu le poteau électrique mais pas le courant, parce que le propriétaire n’en voulait pas. Ce n’était pas le fermier !

L’eau courante est arrivée en 1936, sauf dans les fermes isolées. Mais tout le monde ne l’a pas installée à la maison tout de suite ! Les gens n’étaient pas tellement riches, et compte tenu de la somme à investir, beaucoup de gens regardaient…

A l’époque, il y avait une seule route goudronnée sur laquelle pouvait circuler des voitures. Mon oncle l’avait goudronnée avec une goudronneuse à cheval et des semoirs à main.

Le travail de la ferme

Pour les battages, un entrepreneur venait. Quand avec les premières batteuses, ils faisaient 50 quintaux par jour avec dix bonhommes, ils étaient contents ! Les entrepreneurs venaient trois ou quatre fois dans l’année. Ils commençaient après les moissons pour faire les semences, et cela durait jusqu’au mois d’avril. Ils livraient au fur à mesure, car l’entreprise de battage ne pouvait pas s’occuper de tout le monde d’un coup. La menue paille était utilisée pour les bêtes et la paille pour la litière, ou comme fourrage.

Il fallait nourrir tout le monde, aussi bien les gens de la maison et que les tâcherons qui suivaient la batteuse. Les deux tiers des terres étaient à battre. L’avoine servait de carburant et le blé à faire tourner la boutique. Mais le lait et le reste étaient pour la maison.

Beaucoup de petites fermes ont survécu grâce aux enfants qui travaillaient de bonne heure et qui remplaçaient le personnel. Sinon, peu auraient pu résister…

La place de la religion

Les familles n’étaient pas trop religieuses ici. Le dernier curé du village a été mobilisé en 1914 et ne fut libéré qu’en 1919. Mais ensuite, il n’y a plus eu de curé. Nous dépendions de Cessoy.

L’école

L’école était publique. Nous avons commencé avec Monsieur Ciron. Ce monsieur-là jouait du violon et voulait nous apprendre à chanter. Mais nous étions aussi doués que des casseroles ! Alors lorsque cela ne lui plaisait pas, il prenait l’archet pour nous taper sur les doigts…

Nous étions bêtes ou plutôt, nous n’étions pas malins… C’est vrai que l’on commençait l’école jeune ! Et puis, qu’est-ce que vous voulez, on ne connaissait pas grand-chose ! Une fois, pour une rédaction, il nous a demandé : « Vous êtes allé à Paris et vous avez pris le train pour la première fois. Quelles sont vos impressions ? » Mais je n’avais jamais pris le train… Alors qu’est ce que je pouvais écrire ?

A neuf ans j’étais dans la classe de Madame Dumont, parce que son mari avait été mobilisé en 1939. Il n’est revenu qu’en 1945.

L’image des Allemands avant 39

Mes deux grands-pères sont morts à la guerre de 1914. Je n’ai pas pu les connaître…

Le déclenchement de la guerre

Au moment de la déclaration de guerre, j’avais neuf ans. Ça marque ! Elle a eu lieu le 3 septembre 1939. Mon père a été mobilisé dans les Landes. Il était militaire.

1940 et l’exode

Mon père était mobilisé à ce moment-là. Ma mère était donc seule avec d’autres personnes, ma grand-mère et un charretier. Comme tout le monde s’en allait, nous sommes partis aussi ! Mais nous aurions mieux fait d’éviter…

Pendant l’exode, nous ne sommes pas allés très loin d’ici, vers Chatenay, à la ferme de Changis. Ensuite, nous sommes revenus par la route de Montigny. A Donnemarie, nous avons croisé les troupes allemandes. Comme ils avaient des chevaux qui étaient très fatigués, ils ont pris les nôtres qui l’étaient moins. Nous avons donc eu bien du mal à revenir jusqu’à Sognolles, d’autant plus que ce n’était pas des chevaux de trait ! Nous avions pris des charrettes à grains, à deux roues.

Avant que nous ne partions, il y avait déjà des gens qui arrivaient en exode dans le coin. Je m’en souviens un peu, parce qu’il y a eu un drame vers le cimetière. Il y avait plein de voitures d’évacués qui stationnaient. Un cheval a fait un écart et une personne est passée sous une roue de la charrette. Il est décédé ici…

Vivre sous l’Occupation

Pendant l’Occupation à l’école, il n’y avait pas de grandes différences. Il fallait allumer le feu, tirer la cloche et laver les classes le mercredi et le samedi. Il y avait cinq jours d’école.

Nous devions ramasser les doryphores dans les champs de patates, parce qu’il n’y avait pas d’autres moyens de les éliminer. Ces insectes étaient arrivés d’Amérique par bateau. Ils n’avaient pas payé le passage et en plus, il fallait les détruire ! L’un de nous avait trouvé une astuce. Il les mettait dans sa boîte avant de les enterrer. Mais ils parvenaient quand même à ressortir…

Les enfants des fermes isolées venaient à l’école à pied et ils amenaient leurs gamelles.

Moi, j’ai travaillé très jeune. On ne me voyait pas derrière les chevaux. C’étaient eux qui me menaient, car ils étaient plus forts que moi. On ne s’amusait pas souvent…, mais le travail me plaisait.

On voyait les Allemands qui étaient sur la butte de Lizines. Ils étaient chargés des transmissions pour les avions. Mais, c’est tout…

Nous vivions comme les parents et nous rendions compte qu’ils avaient des difficultés.

Message aux jeunes

Le message s’adresse plutôt aux maîtres… Quand nous allions à l’école, il y avait tous les matins une maxime morale, l’instruction civique. On nous inculquait des notions de civisme…