Sarcelles : Safir né en 1983

Chaldéens : Un de mes frères a été magasinier. Maintenant il a ouvert son bar

je n’ai jamais pensé faire ma vie autrement qu’avec un Assyro

Sarcelles, c’est plein de mélanges, pleins de coutumes, il y a les Chaldéens, les noirs, les Français, les Chinois, chacun son église, sa mosquée, le repas, tout change. C’est bien tout change…On le vit en ta

Safir

Je m’appelle Safir, je suis née en 1983. Mon prénom a été francisé, mon prénom est Nafria à l’origine. On l’a francisé parce qu’en France pour le travail, ça ne le fait pas trop. Je l’ai fait dès que j’ai eu dix-huit ans. C’est plus simple pour le travail. On était déjà français. Nous les Chaldéens, achetons des bars, des affaires. Nos parents avaient demandé la naturalisation. On leur avait refusé. Je ne sais pas trop pourquoi. Mais, avec mes frères et sœurs, nous sommes tous français. Ils sont arrivés en mars 1986 en France, parmi les premiers. On n’avait pas fait la demande de naturalisation à l’époque. On va la faire. Je ne suis française que depuis un an. Ma sœur n’a pas changé son prénom.

Assyro-chaldéenne

Je suis né en Turquie en 1983, donc je suis arrivée à Sarcelles à l’âge de trois ans. Je n’ai jamais demandé le parcours de mes parents. C’était dur, on s’est cachés, on est venus à pied. On s’est enfuis. Je n’ai pas trop envie de faire du mal à mon père en posant des questions sur ces histoires d’avant. On s’est enfuis à cause des kurdes. Ils étaient agriculteurs de « Letu seba ». On vient de là. Nous sommes huit enfants, deux garçons et six filles. Les garçons posent plus de questions que les filles. Je suis la dernière, je suis la plus petite. Je ne me suis pas spécialement intéressée à tout ça alors que les plus grands ont vécu les événements.

La plus grande a quarante ans. J’ai deux sœurs qui se sont mariées au « bled », les autres se sont mariées ici. L’expression « au bled » je l’ai apprise ici. Je suis également mariée ! Nos parents veulent quelqu’un du village, si c’est d’un autre village ils ne vont pas dire non. Ils veulent que cela ne sorte pas de la famille. J’ai une sœur mariée avec quelqu’un d’un autre village, les parents n’ont pas dit : « non, non, non ! ». Ils aiment bien que ce soit du village, mais ils ne vont pas nous forcer. Ma nièce est avec un Portugais depuis deux ans. Ses parents ne veulent pas trop. Pour les jeunes c’est dur de faire accepter le changement.

J’ai eu des amis qui n’étaient pas Assyro mais je n’ai jamais pensé faire ma vie autrement qu’avec un Assyro. Au quotidien, je parle français. Je ne parle chaldéen qu’avec mes parents. Dans notre enfance, à part parler la langue du christ… on vient des montagnes, on me dit : « t’es chaldéen, tu viens de la Turquie ». Après je ne suis pas rentré dans les détails moi-même, je ne connais pas trop. J’étais en vacances, en Crête, on m’a dit « t’es chaldéenne », je préfère leur dire « je suis turque ». Mais franchement je n’aurais pas pu épouser un non-chrétien. Je n’aurais pas essayé.

Vision du pays d’origine

Il y a un pays, mais c’est vide. Un cousin de Turquie est allé récemment où l’on habitait. L’herbe a poussé, les maisons sont toutes cassées. Il y a des prénoms écrits. Mon père a vu la cassette… franchement il avait mal au cœur. Il a dit : « c’est grave, il n’y a plus rien. Les montagnes là-haut c’est notre pays ».

Ici, c’est bien, mais j’ai quand même un petit pays là-bas aussi. On est plus ici, puisque l’on a grandi ici. Des Chaldéens sont repartis dans leur village pour reconstruire. Ils ont commencé à mettre les pavillons, ils font passer l’eau actuellement en Turquie. Ils essayent de reconstruire, mais ça va être dur. C’est avec l’association A.A.C.F., (association des Assyro chaldéens de France). Je ne pense pas que certains de notre génération vont retourner. Ceux qui retournent sont des jeunes nés là-bas.

La Tradition

La tradition, c’est aller à l’Eglise, la langue, la chorale, la cuisine, faire le pain, le fromage, faire les draps avec la laine de moutons, les vêtements pour les fêtes. Chez nous quand il y a un décès le dimanche, ils distribuent des croissants, du poulet, du pain, c’est un don pour tous les gens qui viennent à la messe. Quarante jours après, on recommence pareil. Tous les ans après on prie pour cette personne à la messe. Ça on le fait toujours à Sarcelles.

Par rapport à notre génération on maintient la tradition des potagers, des tomates. Moi j’aime qu’il y ait d’autres Assyro chaldéens à côté, pour mes parents. Ils ne veulent pas partir sur Arnouville ou Gonesse. Il y a la famille. Ils ne comprennent pas trop bien le français. On leur a dit : « venez habiter à Arnouville ! ». Là-bas ils sont un peu perdus. Ici, il y a la messe, le cimetière, l’église, la famille, il y a mes sœurs, le voisin. Là-bas ils sont perdus. Ils n’auront personne. J’habite à Arnouville. On est voisins. S’il y a un rendez-vous, je suis là. On s’entraide beaucoup entre nous, mais la tontine n’existe pas chez nous. Quand on habitait à Sarcelles on n’avait pas des moyens. Des cousins nous ont avancé cinq mille francs, dix mille francs, quinze mille francs, après on a travaillé pour rembourser. On s’aide beaucoup entre nous pour acheter, pour investir.

Travail et logement

Le premier métier que mes parents ont fait en arrivant ici, ça a été la confection. A Villiers le Bel, à Sarcelles ; les hommes et les femmes travaillaient parfois jusqu’à vingt heures, vingt-deux heures par jour. Ils ne voyaient pas le jour ou la nuit. Les femmes faisaient le surfilage, la finition. Nos parents nous en ont parlé comme ça. A leur arrivée ils étaient tous placés dans un foyer. Après la famille les accueillait le temps de se mettre dans une bonne situation pour avoir un appartement.

Nous dès que l’on est arrivé à Clichy, on avait notre appartement. Mon frère et ma grande sœur travaillaient dans la confection, mais très, très dur (huit heures, vingt heures) ! Nous n’avons pas connu l’exigüité des logements. Nous n’avons connu que les grands appartements. Le reste n’est pas une réalité pour nous.

Arrêt des études et travail à la mairie

J’ai arrêté le BEP secrétariat. Mes parents ne voulaient pas que j’arrête l’école. Ils m’ont même payé le permis. Après, j’ai insisté, je n’ai pas continué l’école. Je suis tombée dans la couture, la confection. J’ai fait un an. Ça me saoulait, c’était à la chaîne. J’ai fait une formation en secrétariat. Je suis resté six mois là-bas et j’ai fait un stage en mairie. Ils m’ont beaucoup apprécié. J’ai demandé à rester. Ils ne voulaient pas trop. Ils m’ont proposé deux heures et puis tout doucement je suis là.

J’ai arrêté l’école parce que je n’étais pas trop école. C’est plus une question de génération. Je voulais avoir de l’argent. Je voulais travailler. C’était à dix-huit, dix-neuf ans à la fin du BEP. Le BEP je voulais le faire. Je voulais continuer en alternance mais mes parents ne voulaient pas que l’on parte loin, même à Eaubonne. Papa ne voulait pas. Après j’ai fait BEP mais je voulais faire école et travail.

Rapport hommes / femmes

Les garçons sont plus libres que nous. Sortir, aller en boîte, s’éclater avec les copains, même à vingt ans. Si je n’étais pas mariée, je serais chez ma mère. Elle ne m’aurait pas laissé traîner, même si je suis majeure. Après ça dépend des parents.

Dans ma famille, mes frères ont tous arrêté l’école. Un de mes frères a été magasinier. Maintenant il a ouvert son bar. Ma sœur a arrêté l’école en troisième. Elle travaille à la mairie. Elle est fonctionnaire. Mon autre plus grande a été obligée d’arrêter parce qu’on avait besoin d’argent. Mes deux plus grandes sœurs ont été obligées d’arrêter l’école parce qu’on avait besoin d’argent. On venait d’arriver. On ne connaissait rien. En plus, ma sœur travaillait très bien à l’école, elle a arrêté l’école pour mes parents. Nous, ils ne voulaient pas que l’on arrête l’école, parce que pour eux l’école, il n’y a pas mieux. Mes nièces veulent arrêter l’école mais elles travaillent super bien, une doit passer son bac. Elles veulent arrêter. Leur maman ne veut pas.
Être adolescente en 2000

Etre adolescente, en 2000 c’était « je pense à rien », c’était la belle vie. J’allais à l’école, j’étais chez mes parents. Maintenant je suis mariée, il faut assumer, la maison. J’étais bien chez mes parents. En ce moment je pense à eux, ils ont la belle vie, ils ne savent comment c’est… il faut en profiter d’être chez maman, papa nourris, logés, après tu te maries.

Nous habitions aux Chardo, il n’y avait pas de problèmes dans le quartier. Franchement c’était super ! Nous n’avons jamais entendu parler ni de bagarres, ni de meurtres. Moi avec mes parents aux Chardonnerettes, c’était calme. L’adolescence, c’était bien, papa maman, l’école, je rentrais, la bouffe était prête. Je rêvais de travailler, avoir le permis, c’était bien. Je voulais gagner de l’argent pour mes parents, aider. Je n’étais pas trop accro aux sapes. Les marques ce n’était pas un objectif en soi.

Ma sœur a travaillé pour mes parents, les factures, la maison ; on n’avait pas les moyens et puis grâce à Dieu… aider pour que tout le monde soit mieux. Il n’y avait pas de rêve personnel spécialement… trouver le prince charmant ! D’abord le travail, bien se poser, après le mariage, après la famille. Je vivais en zone pavillonnaire, donc il n’y avait pas de jeunes en bas de l’immeuble. A seize, dix-sept ans je restais dans le quartier. J’allais au village, je n’étais pas une prisonnière. J’allais à Lochères, dans les cités non !

Ici c’est calme par rapport à là-bas. Là, je ne peux pas. Ma collègue habite à Coop. Après il faut connaître. Là où elle habite, il n’y a que des jeunes, des cousins à Adama. Franchement moi j’ai peur. Après quand on connaît, j’ai parlé, je suis allée au ski avec eux. La première fois que je suis allée au ski avec Adama, j’ai flippé. Mais après il faut les connaître, il n’y a pas plus gentils qu’eux. On s’entendait super bien. A l’école nous étions mélangés. C’était bien l’école. On n’allait pas dans les autres quartiers plus par rapport à ce que l’on entendait que par rapport à ce que l’on vivait.

Sarcelles stigmatisée

Pour travailler en venant de Sarcelles, il fallait passer d’autres tests par rapport à ceux qui habitaient à Goussainville. Je suis allée à l’école à Arnouville : « tu viens de Sarcelles, c’est chaud là-bas ! ». Aux Chardo c’était chaud. Je me rappelle quand j’habitais aux Sablons les policiers avaient un périmètre interdit.

Si j’ai envie de partir de Sarcelles, c’est pour ne pas avoir la même vie que mes parents. Sarcelles, c’est plein de mélanges, pleins de coutumes, il y a les Chaldéens, les noirs, les Français, les Chinois, chacun son église, sa mosquée, le repas, tout change. C’est bien tout change…On le vit en tant que Sarcelles, on est bien ici, on est tous ici, on s’entend bien, avec n’importe qui. Cela ne fait que six mois que je suis à Arnouville, mais pour moi c’est toujours Sarcelles. Je ne connais même pas le maire d’Arnouville. A Sarcelles il y a ma famille. Là-bas c’est calme, c’est chacun dans son pavillon. Une maison de quartier, je ne sais même si cela existe. À Sarcelles on se retrouve, on parle. Ici, c’est chacun sa maison. Il sort, il rentre. C’est tout.

Les jeunes sont bien aux Chardonnerettes. Les jeunes, des filles, des garçons. Aux Flanades il y a plus d’Assyro qu’aux Chardo. A Gonesse, aux marronniers il y a une cité, il n’y a que des Chaldéens. Les gens disent que l’on est raciste, que l’on reste entre nous. Non ! Nous on est ouvert. Si les gens viennent …on y va !

Quand j’habitais en haut dans la zone pavillonnaire, je passais ici j’avais peur. Je ne connaissais pas, je ne savais pas. Ici devant le centre d’animation, j’avais trop peur parce qu’il y avait beaucoup de jeunes. Être fille dans un centre d’animation, c’est un plus, parce que les filles viennent. Depuis que je suis là, les parents laissent leur enfant venir en disant j’ai une nièce, j’ai une cousine. Ils savent qu’il y a des filles, ça rassure. C’est bien Sarcelles il faut venir et rester ! On ne sortait pas de la région parisienne. En vacance avec la famille sinon, non !

Identité

Je ne me sens pas française, pourtant j’ai la nationalité. J’aimerais bien. Je suis française mais pas d’origine française. Je me sens un peu entre deux chaises. J’aimerais bien être française et tout, mais le regard des autres fait que je ne me sens pas française. Rien qu’en me regardant on voit que je ne suis pas d’origine française.